Virgin,empireexcentrique
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8 dossier 0123 Mardi 21 mai 2013 Au moment où lesVirgin Megastore français s’apprêtent à baisser le rideau, la marque mondiale est plus prospère que jamais. Incarnée par la personnalité deson fondateur, Richard Branson, celle-ci repose sur unsystème très rentable. Revue des recettes du succèsd’un groupe pas comme les autres Virgin, empire excentrique Londres Correspondant Richard Branson, à son domicile de l’Oxfordshire (sud-est de l’Angleterre), le 15 mai. PAUL HACKETT POUR « LE MONDE » S ir Richard Branson ne quitte plus la « une» de l’actualité. Le 16 mai, sa compagnie aérienne, Virgin Atlantic, a annoncé 128,4millions de livres (152 millions d’euros) de pertes sur l’exercice 2012-2013. Après avoir cédé la totalité de sa participation dans Virgin Media, le « hippie capitaliste», âgé de 62 ans, a indiqué qu’il pourrait faire de même avec ses parts dans l’avionneur Virgin Australia. En déplacement le 13 mai à Singapour, le croisé de la lutte contre le réchauffementclimatique a été pris à parti au sujet de l’impact de son projet de tourisme spatial sur l’environnement. En France, enfin, on enterre l’un de ses projets phares, lesVirginMegastore,quientendaientrévolutionner le commerce de la musique. Comme un personnage de film muet, le fondateur du Virgin Group bouge sans cesse. Mais qui est donc Richard Branson ? Pour beaucoup, cet entrepreneur hors normesest un doux dingueadepte du défi frisson, un héros de bandes dessinées qui n’a peur de rien ni de personne. Mais derrière l’anticonformisme du personnage qui n’a passon pareilpour brouillerles pistes, il y a un homme d’affaires qui, parti de rien, a bâti un conglomérat industriel et de services de 400 sociétés et de 50 000salariés à coups de poker et de flair. Un succès qui appelle toutefois une question: quel est le mode opératoire dece trublion qui a prospéré alors que tant de self-made-mendesannées1980ontdisparu ? Sa recette dépend de quatre ingrédients : la communication personnalisée autourde lamarque,unedélégationet une autonomie très forte, une stratégie de partenariat active et une diversification tous azimuts. Son rôle au sein de la galaxie Virgin est d’abord de vendre, et comme tout démarcheur,le grandblondhirsutequise trimbale toujours sans cravate a constamment besoin de publicité. Le conformisme et la langue de bois sont sûrement la dernière prison où il se laisserait enfermer. Ce génial manipulateur des médias s’est forgé une image d’aventurier des affaires qui transforme tout en or. Son service de presse abreuve les journalistes d’informations sur les exploits de « Richard le magnifique». L’arme principale de ce Peter Pan du business, une qualité bien britannique : l’excentricité. RICHARD BRANSON TRAITE SES AFFAIRES PAR TÉLÉPHONE DEPUIS SON ÎLE DES CARAÏBES Ainsi, lors de l’inauguration en 1995 du siègeaméricainde VirginAtlantic,ce grand amateurdedomPérignon,seprenantpour un champion de formule 1, asperge John Rowland, le gouverneur du Connecticut, guindé et coincé. Pour lancer les vols commerciaux de Virgin Galactic dans l’espace, en 2006, l’as du gag, déguisé en archange, se fait parachuter aux côtés de deux superbes créatures sur l’île artificielle appartenant à David Beckham, à Dubaï. La machine de relations publiques de ce père de famille tranquille qui aime se déguiser en travesti sous l’œil des caméras est bien hui- lée. Sa passion pour les montgolfières et les records de vitesse en tous genres alimentent la glorieuse légende. Deuxième atout de cet amuseur public, son goût de la délégation. Dès le départ, Bransona adoptélekeiretsu,type d’organisation horizontale à la japonaise fondée sur l’atomisation des centres de décision. Les dirigeants de ses sociétés ont totale liberté de mouvement. Seul actionnaire, il ne siègepasau conseil d’administrationdu VirginGroup.« Richard»,quidétestelaréunionite, traite ses affaires par téléphone, assis dans le salon de sa maison de Necker «Les groupes attrape-tout comme le nôtre sont une manière de vivre» Questions à… Richard Branson, fondateur du groupe Virgin Quelle est la recette de votre réussite ? Y Nous avons construit une marque très respectée et qui a gardé sa crédibilité au cours des ans. Le groupe s’est réinventé sans cesse. La loyauté des employés, dont beaucoup travaillent chez Virgin depuis des années, a apporté consistance et permanence. Le public aime Virgin, car nous secouons bon nombre d’industries que nous transformons de fond en comble. Mon rôle a permis de nous faire connaître dans le monde entier. Le fait de ne pas être coté nous a facilité la tâche. Pourquoi cette méfiance envers la City – coté en Bourse entre 1986 et 1988, vous avez choisi d’en sortir pour éviter la pression des analystes ? Etre en Bourse vous prive de liberté. Les analystes sont spécialisés dans un secteur particulier, pas dans les compagnies attrape-tout comme la nôtre qui sont une manière de vivre. Si certaines de nos sociétés ont été cotées avec succès, il est important de garder la compagnie mère privée. J’ai une vision à long terme et non pas un horizon trimestriel comme c’est le cas de la City. Au départ, aviez-vous l’intention de décliner la marque sur des produits totalement différents ? Non. Au début, rien n’était planifié. Vu l’absence de soutien financier extérieur, on s’est dit : nous avons une compagnie de disques, créons nos propres studios d’enregistrement, nos propres départements d’exportation, d’importation, de merchandising, puis nos magasins et ainsi de suite. Un projet a mené tout naturellement à un autre. Que conseillez-vous aux jeunes entrepreneurs ? Ils doivent d’abord se demander quel produit ou quel marché va changer en bien la vie des gens. Ne pas avoir peur de l’échec. Bien s’entourer afin de déléguer. Trouver un bon nom et le protéger par un brevet. Etre certain que ce produit peut s’exporter. S’occuper eux-mêmes de la promotion. Normalement, pareille stratégie doit mener au succès. Créer sa compagnie est-il plus facile de nos jours ? Indiscutablement. Les taux d’intérêt sont bas. Quand j’ai lancé Virgin, le loyer de l’argent s’élevait à 18 % et je ne sais pas comment nous avons survécu. L’Internet, un médium important pour se faire connaître, n’existait pas. Lancer sa propre affaire était mal vu. Dans la plupart des pays, je ne sais pas si c’est le cas en France, on encourage aujourd’hui les entrepreneurs. Mais la meilleure façon de bien gérer une entreprise est de se jeter à l’eau. Il n’est pas nécessaire d’aller à l’université. Comment réagissez-vous à la fermeture des Megastore français ? Je viens d’inaugurer un Virgin Megastore au Liban. Les propriétaires français des Megastore devraient s’inspirer de cet exemple. La gamme de produits offerte est très large, 10 % au maximum de musique, 10 % de jeux, 10 % de livres électroniques et ainsi de suite, le tout vendu sous l’enseigne Virgin. En France, il me semble qu’ils ont mis seulement l’accent sur la musique, qu’on peut télécharger gratuitement sur Internet. J’aimerais beaucoup que les Megastore français survivent. Quelles sont les qualités que vous recherchez chez vos collaborateurs ? Je suis un entrepreneur. Dès lors, je recherche des gens qui se chargent de la gestion quotidienne, dotés d’une grande capacité d’écoute et qui sachent déléguer, inspirer les subalternes. Certains de vos associés, comme John Malone, ont des idées politiques contraires aux vôtres. Les businessmen ne doivent pas se mêler de politique. La tâche des hommes politiques est difficile. Ils doivent juger, par exemple, des questions de libreconcurrence, ce qui peut poser des conflits d’intérêts. Les milieux d’affaires doivent, en revanche, prendre la parole sur des problèmes spécifiques qui leur tiennent à cœur, mais ne pas être liés à un parti. Faire de la philanthropie par le biais de votre fondation Virgin Unite, n’est-ce pas une manière de se donner bonne conscience ? La réussite en affaires peut vous rendre très riche. La richesse est synonyme d’obligations. Il faut s’assurer que les profits créent de l’emploi, mais aussi permettent de régler certains problèmes de ce monde. Les gouvernements, les organisations caritatives ou les travailleurs sociaux ne peuvent pas tout faire. Comment envisagez-vous votre succession ? Mes enfants pourraient jouer le rôle qui a été le mien, la figure emblématique de Virgin, la touche personnelle. Ils devraient poursuivre activement la mission de la fondation. Les dirigeants des différentes compagnies continueront de gérer celles-ci en toute liberté. p Propos recueillis par M. R. (Londres, correspondant) Island, l’île qu’il possède dans les Caraïbes, là où il vit la plupart du temps. L’intéressé note toujours idées et suggestions sur un grand cahier d’écolier noir. Tertio, si Branson a créé des compagnies de toutes pièces, il favorise les partenariats qui sont au cœur de son dispositif. Aux associés, les coûts de production et la responsabilité de la vente au détail. A Virgin les royalties, le marketing, la promotion auprèsdes médias et une partie de la distribution. Visiblement, « Richard » sait bien utiliser l’argent des autres. Carpousséparlegoûtdudéfi,l’entrepreneurne veut pas dévoyerla griffeVirgin.Le prestige de la marque est son principal atout. C’est pourquoi, la contrefaçon ou l’utilisationabusivesonttraitéesimpitoyablement grâce aux meilleurs avocats. En vertudukeiretsuetenraisond’associésdifférents, les transferts de ressources d’une compagnie à l’autre sont bannis. Au fil des ans, le groupe est devenu à la fois une firme de capital-investissement qui prenddes partsau capital d’entreprises et un gestionnaire de la fortune Branson. «Virgin n’investitpas dansune sociétépour la revendre au plus vite en empochant une plus-value, mais pour la développer à long terme », affirme le président de Virgin Group, Peter Norris. Bagarreur teigneux Dernieraxede sa stratégie,la diversification de ce groupe attrape-tout, dénué de toute cohérence industrielle, qui mêle l’aérien, la téléphonie mobile, les services financiers ou les chemins de fer. Ce conglomérat unique au monde, concrétisation en forme de catalogue des idées d’un seul homme, a été bâti sur un double modèle: décliner une marque, Virgin (« vierge », commel’étaientle play-boyBransonetson associé lorsqu’ils ont ouvert, en 1972, leur premier magasin de disques qui offrait des repas végétariens à ses clients) et son logo rouge électrique sur des produits de grande consommation et de loisirs, et se protéger des aléasdes cyclesconjoncturels.Cette stratégie suppose de lancer tout le temps de nouvellesaventures. Et de l’avis général, letouche-à-touta du« nez »pourdécouvrir les créneaux sous-utilisés d’un marché. 0123 dossier Mardi 21 mai 2013 Société du groupe Virgin Holidays Cruises Acheté en 2007 à Fast Track Holidays Hôtellerie Virgin Holidays + Hip Hotels Virgin Hotels Boissons Virgin Vacations Lancé en 1994 Virgin Clothing 1998-2000 Virgin Gaming Virgin Balloon Flights Créé en 1987 Virgin Records 400 Créé en 1973 et vendu en 1992 à EMI socié t 0e 0 00 5 s é Compagnies aériennes Virgin Train 17 m yés o l p m d illiar Virgin Cargo 1984-2009 Virgin Charter 2007-2009 TRANSPORTS Virgin Galactic Créé en 2004. Vol commercial dans l’espace IN G IR 12 n 20 res e i a f f ’a ffre d e chi d * uros s d’e V E I X A L A G LA LOISIRS VACANCES Lancé en 2007 Créé en 1996 Lancé en 1996. Achat de coupons MODE DE VIE Virgin Brides 1996-2007 Virgin Experience Days Créé en 2010 en partenariat avec Worldgaming.com Virgin Australia Créé en 2000 sous le nom « Virgin Blue » The Virgin Voucher Virgin Cars 2000-2005 Créé en 2001 Jeux Créé en 2000 et vendu en 2005 Virgin America Lancé en 1984 1994-2009 Virgin Vie 1997-2009 Lancé en 1999 (remise en forme) Virgin Games Virgin Wines Virgin Cola Virgin Active Lancé en 2010 aux Etats-Unis Virgin Festival Virgin Life Care Créé en 2004 Partenariat créé en 2008 Fondé en 2004. Casino, bingo, poker Santé Virgin Health Miles Virgin Atlantic Lancé en 2012 en partenariat avec Strauss Water Lancé en 1988 Virgin Holidays Créé en 1985 Acheté en 2010 Créé en 2007 Virgin Limited Edition Virgin Pure Virgin Care Virgin Health Bank possédée en plein ou réseau de licence ayant cessé d’exister vendues 9 Virgin Money Créé en 1995 BANQUES FINANCES Virgin Money Giving Créé en 2010. Site Internet de levée de fonds pour des œuvres de charité Virgin One Business MÉDIAS TÉLÉCOMS Vendu en 2001 à la Royal Bank of Scotland Virgin Media Crée en 2006 au Royaume-Uni. Racheté en 2013 par Liberty Global Virgin Radio International Crée en 2001. Présent en France Virgin Digital MUSIQUE Le premier a eu lieu en 1996 ÉCOLOGIE SOLIDARITÉ Virgin Earth Challenge Virgin Megastore Virgin Green Fund Lancé en 2006 Reste que cette diversification est allée de pair avec une série d’échecs au cours d’une carrière menée tambour battant (robes de mariée, jeans, vodka, cosmétiques, loterie nationale…). Il tourne toutefois rapidement la page. Les risques sont toujours calculés et la ligne rouge est rarement franchie. Tout projet doit avoir une porte de sortie, souligne Tom Cannon, professeur à la Manchester Business School. Ainsi, en 1992, pour renflouer sa compagnie aérienne au bord de la banqueroute après la première guerre du Golfe, il a dû céder son enfant chéri, la maison de disques Virgin Music Group. Les ventes se font toujours au meilleur prix. Dans les affaires, ce fils d’un magistrat et d’une hôtesse de l’air est aussi un négociateur dur et têtu. Si cet homme convivial met tout le monde dans sa poche, ce n’est pourtant pas un enfant de chœur. Le Superman se transforme en bagarreur teigneux face à ses adversaires. Du béton, du moins à entendre ses fidèles. Pourtant, les questions ne manquent pas. D’abord, le groupe tentaculaire dont lesrésultatssont entourésde mystèreest-il rentable ? « Certaines sociétés le sont, d’autres pas, mais la valorisation totale ne cesse d’augmenter car il y a une prime à la magie du nom », note Philip Beresford, auteur du classement des riches Britanniques du Sunday Times, qui estime la fortunepersonnelledeRichardBransonà3,5milliards de livres, en 2013. Evaluer les profits est quasi impossible, reconnaît M.Beresford. Le groupe n’est pas coté. L’inscription en Bourse entre 1986 et 1988 a laissé un mauvais souvenir à ce déci- Créé en 2010 Internet Virgin Cinemas Virgin Unite Lancé en 2004 deur qui aime faire des affaires avec une totale absence de complexes et de transparence. D’autant que sa devise pourrait être Ars est celare artem (l’art est de cacher l’art). Les journalistes financiers les plus aguerris ne sont jamais parvenus à franchir le cordon sanitaire dressé par le truchement d’une myriade de trusts familiaux et de sociétés holdings opaques enregistrés dans des paradis fiscaux, à l’instar des îles Anglo-Normandes. Il n’aime pas qu’on lui pose la question, ponctuant ses réponses vagues et embrouillées de longs silences. En ces temps de lutte contre l’optimisationfiscalepratiquéeparlesmultinationales, le publicne tient pas rigueur au pair du Royaume anobli par la reine pendant le mandat de l’ancien premier ministre britannique Tony Blair de vouloir payer le moins possible d’impôts en toute légalité. Malgré le transfert en 2011 de Virgin Enterprises, chargé des brevets et des royalties, de Londres à Genève, Branson a échappé à la controverse sur les pratiques fiscales des grandes sociétés internationales basées au Royaume-Uni grâce à sa popularité et à son action philanthropique. Outre les interrogations concernant l’étendue de sa fortune et sa note d’impôts, au-delà de l’hypermédiatisation et du culte de la personnalité, la qualité du managementd’uneentité issueducapharnaüm des sixties fait débat. La culture Branson – un paternalisme décontracté qui n’a rien à envier aux patrons du XIXe siècle – peut attirer des collaborateurs qui ne sont pas toujours les plus brillants. La « bande à Richard » des débuts, compo- Virgin Books Vendu en 2009 à Ebury Publishing Edition Lancé en 1999. Présent dans dix pays, dont la France Virgin Comics Vendu en 2008 n’hésite pas à jouer la démesure. Plus grande surface de vente de produits musicaux et culturels de l’Hexagone, le « mégastore» – un anglicisme synonyme de modernité – comprend des espaces de conférences et de spectacles pour accueillir les artistes du label Virgin Records, maison mère de Virgin France. Un sacré coup de vieux pour son rival direct, la Fnac. Ainsi, le fondateur de Virgin, Richard Branson, s’est associé à Patrick Zelnik, un ancien de la maison de disques Polydor, qui a créé Virgin France en 1980. La chaîne française prendra son indépendance en 1992, au moment de la revente de Virgin Records à EMI. Neuf ans plus tard, son passage dans le giron de Hachette Distribution Services, filiale de distribution de Lagardère, est synonyme d’échec. Les comptes virent au rouge. En 2008, le financier Walter Butler, spécialisé dans les entreprises en difficulté, acquiert 74% du capital. Un temps, l’enseigne rouge et blanc semble sauvée. Mais les déboires économiques la rattrapent. Le changement de patron, avec l’arrivée, à l’été 2012 de Christine Mondollot, transfuge des Gale- sée de personnalitéstranchéeset excentriques, a été progressivement remplacée par des professionnels. Le codirecteur général, Josh Bayliss, ex-avocat international, est un praticien. Dans l’aréopage de techniciens couleur muraille qui forment de nos jours sa garde rapprochée, seul le président, Peter Norris, l’un des tombeurs de la banque d’affaires Barings en 1995, sort du lot. Les deux hommes se sont rencontrés dans le cadre du renflouement de Viz, la revue de bandes dessinées satiriques, leur passion commune. Branson peut-il cesser d’être Branson ? Certes, il a connu tous les affres du succès comme de la défaite. Mais si sa tête fourmille toujours de projets, ce rebelle dans l’âme peut-il rester indéfiniment fidèle à sa philosophie de l’action décrite dans ses Mémoires Sir Richard Branson : L’autobiographie (Scali), publiées en 2006, « s’amuser en travaillant et travailler en s’amusant» ? Le flamboyant milliardaire entend désormais se concentrer sur sa fondation caritative, Virgin Unite, très active en Afrique et dans la lutte contre le réchauffement climatique. Celui qui a su se frayer un chemin hors des voies tracées par son milieu social aimerait que ses deux enfants, Holly et Sam, reprennent ses affaires le jour où il devraitrendre son tablier. Médecin de profession, la première travaille chez Virgin Managementet siègeauconseild’administration de la fondation. Le second a monté une société de production de documentaires traitant les thèmes chers à son père. A cœur vaillant, rien d’impossible… p ries Lafayette, n’y change rien. Ecrasé par une dette de plus de 100 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 251millions, Virgin dépose le bilan début 2013. Les raisons de cette descente aux enfers ? Un marché sinistré, d’abord. Présent sur des créneaux frappés de plein fouet par la concurrence de la vente en ligne (Amazon) et la dématérialisation de la musique et de la vidéo, Virgin subit également la crise de consommation, qui frappe la distribution dans son ensemble. Virage manqué Mais le contexte n’explique pas tout. Le groupe a aussi pâti d’une stratégie erratique. Avec des emplacements « premium» dans les grandes villes de France, il ploie sous les charges fixes, à commencer par le loyer exorbitant du magasin des Champs-Elysées. En 2012, une dizaine de magasins fonctionnaient à perte. «Walter Butler n’a pas mesuré l’enjeu de la relance. Les dirigeants ont diversifié les ventes à outrance (coffrets cadeaux, gadgets, corners spécialisés…) pour tenter de couvrir les frais fixes. Comme l’ensemble Créé en 2010 Virgin Connect *conversion au 16 mai INFOGRAPHIE LE MONDE Marc Roche Les Megastore français n’ont jamais trouvé leur modèle LE JEUDI 23 MAI a des allures de couperet pour les 26 magasins français Virgin Megastore. Ce jourlà, le tribunal de commerce de Paris examinera les offres définitives de reprise de l’enseigne, en redressement judiciaire depuis le 14janvier. Sa décision sera connue une à deux semaines plus tard et, avec elle, le sort de son millier de salariés. Vendredi 17 mai, l’offre la mieux-disante, celle de la chaîne de loisirs créatifs Rougier & Plé, qui proposait de reprendre 265salariés sur 960, a capoté faute d’accord avec les bailleurs immobiliers, selon l’intersyndicale… Une image illustre le triste destin de Virgin en France: celle des magasins livrés la semaine dernière à des hordes de clients prêts à tout – y compris à ramper sous le rideau de fer et à harceler les vendeurs épuisés – pour profiter des soldes géants organisés avant la liquidation. Une situation à mille lieues de l’ouverture en grande pompe, le 31octobre 1988, du vaisseau amiral du groupe, sur les Champs-Elysées. «La musique a trouvé son temple», écrit alors Le Monde, reflétant le caractère radicalement nouveau du concept, qui Virgin Digital Help Virgin Mobile Créé en 1995 et revendu en 1999 à UGC pour la France Lancé en 2007 Le premier fut créé en 1979 à Londres. Mégastore France a été racheté par le groupe Lagardère en 2001, puis par Butler Capital Partner en 2007. La filiale est en cessation de paiement 2004-2007 Virgin Produced n’était toujours pas rentable, ils vendaient un magasin de temps à autre», raconte un proche du dossier. Autre grief: le passage manqué au numérique. «Le site Internet Virgin Mega n’a jamais proposé d’achat de DVD ou de CD en ligne, uniquement du téléchargement», déplore Loïc Delacourt, délégué syndical CGC. Pour M.Zelnik, l’enseigne a perdu son âme. «Elle est devenue un supermarché de la culture», expliquait-il au Monde en mars. «Dans les premières années, on venait chez Virgin Megastore pour l’architecture de ses magasins, le conseil de ses vendeurs… Le temps de visite moyen était de quarante-cinq minutes! C’était à la fois un lieu de rencontre et un magasin», se souvient-il. Un esprit que le fondateur, actuel patron du label de musique Naïve, a affirmé début 2013 vouloir ressusciter en rachetant le réseau pour y créer un «souk culturel», mêlant musique, livres, nouvelles technologies et spectacles. Las, M.Zelnik n’a pas déposé d’offre. Les salariés n’osent plus y croire. En France, le rêve Virgin semble parti en fumée. p Audrey Tonnelier SOURCE : SOCIÉTÉ Virgin Media, l’une des plus belles réussites Londres Correspondant L’ENTREPRENEUR AIME TRAVAILLER AVEC UNE TOTALE ABSENCE DE COMPLEXES ET DE TRANSPARENCE Richard Branson a la dent dure. Pour diriger le câblo-opérateur britannique Virgin Media, racheté le 15avril par le groupe américain Liberty Global, il a fait appel à Tom Mockridge, un ancien bras droit de Rupert Murdoch tombé en disgrâce. Le patron de Virgin a ainsi voulu faire payer au magnat des médias sa remarque méprisante à son encontre: «Je ne peux pas prendre au sérieux un type qui ne met pas de cravate.» Virgin Media est le résultat de la fusion, en 2006, de Virgin Mobile, opérateur mobile virtuel, et du câblo-opérateur NTL Telewest. En offrant quatre lignes de produits – télévision payante, téléphonie fixe, mobile et Internet –, le nouvel ensemble s’est attaqué de front au bouquet par satellite BSkyB, dont M.Murdoch est l’actionnaire de référence. L’opérateur BT Group est aussi dans sa ligne de mire. M.Branson contrôle alors 10 % du capital de Virgin Media et bénéficie des grasses royalties d’utilisation de sa marque, qui sert de produit d’appel. En 2009, il réduit sa participation à 6,5 %, afin de financer l’expansion de Virgin America et Virgin Mobile India. Sa part tombe à 2% lors de l’annonce du rachat par Liberty Global, le groupe de John Malone. Ce dernier est également adepte des « coups», des décisions prises au flair et du goût du secret. Sacro-sainte diversification De plus, M.Branson a surmonté sa détestation de la Bourse en faisant coter Virgin Media à New York. Et au nom de la sacrosainte diversification, ce boulimique qui crée ou engloutit des sociétés aime s’aventurer dans des secteurs qu’il ne connaît pas, à l’instar des télécommunications ou de la télévision. Le fer de lance de Virgin Media est Virgin Television. Avec 3,5millions d’abonnés, il est numéro deux de la télévision payante, derrière BSkyB (10millions). Mais la réputation de l’ensemble du groupe a souffert du lancement raté de Virgin Media, des carences du service après-vente et des erreurs de facturation. « Aujourd’hui, le consommateur est sophistiqué. L’image, les gadgets ou le buzz à la Branson ne l’impressionnent plus, même s’il apprécie le bonhomme. C’est le rapport qualité-prix qui importe», souligne un publicitaire, pour qui Virgin Media est désormais aussi bien gérée que ses rivaux. La fusion de Virgin Media et de Liberty Global a conduit M.Branson à vendre sa participation restante. Après ce retrait, le groupe conserve les royalties. Grâce au nom, l’influence du fondateur au sein de l’entité fusionnée reste prédominante. p M. R.