Virgin,empireexcentrique

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Virgin,empireexcentrique
8 dossier
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Mardi 21 mai 2013
Au moment où lesVirgin Megastore français s’apprêtent à baisser le rideau, la marque mondiale
est plus prospère que jamais. Incarnée par la personnalité deson fondateur, Richard Branson,
celle-ci repose sur unsystème très rentable. Revue des recettes du succèsd’un groupe pas comme les autres
Virgin, empire excentrique
Londres
Correspondant
Richard Branson, à son
domicile de l’Oxfordshire
(sud-est de l’Angleterre),
le 15 mai. PAUL HACKETT POUR « LE MONDE »
S
ir Richard Branson ne quitte plus
la « une» de l’actualité. Le 16 mai,
sa compagnie aérienne, Virgin
Atlantic, a annoncé 128,4millions
de livres (152 millions d’euros) de
pertes sur l’exercice 2012-2013. Après avoir
cédé la totalité de sa participation dans Virgin Media, le « hippie capitaliste», âgé de
62 ans, a indiqué qu’il pourrait faire de
même avec ses parts dans l’avionneur Virgin Australia. En déplacement le 13 mai à
Singapour, le croisé de la lutte contre le
réchauffementclimatique a été pris à parti
au sujet de l’impact de son projet de tourisme spatial sur l’environnement. En France,
enfin, on enterre l’un de ses projets phares,
lesVirginMegastore,quientendaientrévolutionner le commerce de la musique.
Comme un personnage de film muet, le
fondateur du Virgin Group bouge sans cesse. Mais qui est donc Richard Branson ?
Pour beaucoup, cet entrepreneur hors normesest un doux dingueadepte du défi frisson, un héros de bandes dessinées qui n’a
peur de rien ni de personne. Mais derrière
l’anticonformisme du personnage qui n’a
passon pareilpour brouillerles pistes, il y a
un homme d’affaires qui, parti de rien, a
bâti un conglomérat industriel et de services de 400 sociétés et de 50 000salariés à
coups de poker et de flair.
Un succès qui appelle toutefois une
question: quel est le mode opératoire dece
trublion qui a prospéré alors que tant de
self-made-mendesannées1980ontdisparu ? Sa recette dépend de quatre ingrédients : la communication personnalisée
autourde lamarque,unedélégationet une
autonomie très forte, une stratégie de partenariat active et une diversification tous
azimuts.
Son rôle au sein de la galaxie Virgin est
d’abord de vendre, et comme tout démarcheur,le grandblondhirsutequise trimbale toujours sans cravate a constamment
besoin de publicité. Le conformisme et la
langue de bois sont sûrement la dernière
prison où il se laisserait enfermer. Ce
génial manipulateur des médias s’est forgé une image d’aventurier des affaires qui
transforme tout en or. Son service de presse abreuve les journalistes d’informations
sur les exploits de « Richard le magnifique». L’arme principale de ce Peter Pan du
business, une qualité bien britannique :
l’excentricité.
RICHARD
BRANSON
TRAITE SES
AFFAIRES PAR
TÉLÉPHONE
DEPUIS
SON ÎLE DES
CARAÏBES
Ainsi, lors de l’inauguration en 1995 du
siègeaméricainde VirginAtlantic,ce grand
amateurdedomPérignon,seprenantpour
un champion de formule 1, asperge John
Rowland, le gouverneur du Connecticut,
guindé et coincé. Pour lancer les vols commerciaux de Virgin Galactic dans l’espace,
en 2006, l’as du gag, déguisé en archange,
se fait parachuter aux côtés de deux superbes créatures sur l’île artificielle appartenant à David Beckham, à Dubaï. La machine de relations publiques de ce père de
famille tranquille qui aime se déguiser en
travesti sous l’œil des caméras est bien hui-
lée. Sa passion pour les montgolfières et les
records de vitesse en tous genres alimentent la glorieuse légende.
Deuxième atout de cet amuseur public,
son goût de la délégation. Dès le départ,
Bransona adoptélekeiretsu,type d’organisation horizontale à la japonaise fondée
sur l’atomisation des centres de décision.
Les dirigeants de ses sociétés ont totale
liberté de mouvement. Seul actionnaire, il
ne siègepasau conseil d’administrationdu
VirginGroup.« Richard»,quidétestelaréunionite, traite ses affaires par téléphone,
assis dans le salon de sa maison de Necker
«Les groupes attrape-tout comme le nôtre sont une manière de vivre»
Questions à… Richard Branson, fondateur du groupe Virgin
Quelle est la recette de votre réussite ?
Y
Nous avons construit une
marque très respectée et
qui a gardé sa crédibilité
au cours des ans. Le groupe s’est réinventé sans cesse. La loyauté des employés,
dont beaucoup travaillent chez Virgin
depuis des années, a apporté consistance
et permanence. Le public aime Virgin, car
nous secouons bon nombre d’industries
que nous transformons de fond en comble. Mon rôle a permis de nous faire
connaître dans le monde entier. Le fait de
ne pas être coté nous a facilité la tâche.
Pourquoi cette méfiance envers la City
– coté en Bourse entre 1986 et 1988,
vous avez choisi d’en sortir pour éviter
la pression des analystes ?
Etre en Bourse vous prive de liberté.
Les analystes sont spécialisés dans un secteur particulier, pas dans les compagnies
attrape-tout comme la nôtre qui sont une
manière de vivre. Si certaines de nos sociétés ont été cotées avec succès, il est important de garder la compagnie mère privée.
J’ai une vision à long terme et non pas un
horizon trimestriel comme c’est le cas de
la City.
Au départ, aviez-vous l’intention de
décliner la marque sur des produits
totalement différents ?
Non. Au début, rien n’était planifié. Vu
l’absence de soutien financier extérieur,
on s’est dit : nous avons une compagnie
de disques, créons nos propres studios
d’enregistrement, nos propres départements d’exportation, d’importation, de
merchandising, puis nos magasins et ainsi de suite. Un projet a mené tout naturellement à un autre.
Que conseillez-vous aux jeunes entrepreneurs ?
Ils doivent d’abord se demander quel
produit ou quel marché va changer en
bien la vie des gens. Ne pas avoir peur de
l’échec. Bien s’entourer afin de déléguer.
Trouver un bon nom et le protéger par un
brevet. Etre certain que ce produit peut
s’exporter. S’occuper eux-mêmes de la
promotion. Normalement, pareille stratégie doit mener au succès.
Créer sa compagnie est-il plus facile de
nos jours ?
Indiscutablement. Les taux d’intérêt
sont bas. Quand j’ai lancé Virgin, le loyer
de l’argent s’élevait à 18 % et je ne sais pas
comment nous avons survécu. L’Internet, un médium important pour se faire
connaître, n’existait pas. Lancer sa propre affaire était mal vu. Dans la plupart
des pays, je ne sais pas si c’est le cas en
France, on encourage aujourd’hui les
entrepreneurs. Mais la meilleure façon
de bien gérer une entreprise est de se
jeter à l’eau. Il n’est pas nécessaire d’aller
à l’université.
Comment réagissez-vous à la fermeture des Megastore français ?
Je viens d’inaugurer un Virgin Megastore au Liban. Les propriétaires français
des Megastore devraient s’inspirer de cet
exemple. La gamme de produits offerte
est très large, 10 % au maximum de musique, 10 % de jeux, 10 % de livres électroniques et ainsi de suite, le tout vendu sous
l’enseigne Virgin.
En France, il me semble qu’ils ont mis
seulement l’accent sur la musique, qu’on
peut télécharger gratuitement sur Internet. J’aimerais beaucoup que les Megastore français survivent.
Quelles sont les qualités que vous
recherchez chez vos collaborateurs ?
Je suis un entrepreneur. Dès lors, je
recherche des gens qui se chargent de la
gestion quotidienne, dotés d’une grande
capacité d’écoute et qui sachent déléguer,
inspirer les subalternes.
Certains de vos associés, comme John
Malone, ont des idées politiques
contraires aux vôtres.
Les businessmen ne doivent pas se
mêler de politique. La tâche des hommes
politiques est difficile. Ils doivent juger,
par exemple, des questions de libreconcurrence, ce qui peut poser des
conflits d’intérêts. Les milieux d’affaires
doivent, en revanche, prendre la parole
sur des problèmes spécifiques qui leur
tiennent à cœur, mais ne pas être liés à
un parti.
Faire de la philanthropie par le biais de
votre fondation Virgin Unite, n’est-ce
pas une manière de se donner bonne
conscience ?
La réussite en affaires peut vous rendre très riche. La richesse est synonyme
d’obligations. Il faut s’assurer que les profits créent de l’emploi, mais aussi permettent de régler certains problèmes de ce
monde. Les gouvernements, les organisations caritatives ou les travailleurs
sociaux ne peuvent pas tout faire.
Comment envisagez-vous
votre succession ?
Mes enfants pourraient jouer le rôle
qui a été le mien, la figure emblématique
de Virgin, la touche personnelle. Ils
devraient poursuivre activement la mission de la fondation. Les dirigeants des
différentes compagnies continueront de
gérer celles-ci en toute liberté. p
Propos recueillis par M. R.
(Londres, correspondant)
Island, l’île qu’il possède dans les Caraïbes,
là où il vit la plupart du temps. L’intéressé
note toujours idées et suggestions sur un
grand cahier d’écolier noir.
Tertio, si Branson a créé des compagnies
de toutes pièces, il favorise les partenariats
qui sont au cœur de son dispositif. Aux
associés, les coûts de production et la responsabilité de la vente au détail. A Virgin
les royalties, le marketing, la promotion
auprèsdes médias et une partie de la distribution. Visiblement, « Richard » sait bien
utiliser l’argent des autres.
Carpousséparlegoûtdudéfi,l’entrepreneurne veut pas dévoyerla griffeVirgin.Le
prestige de la marque est son principal
atout. C’est pourquoi, la contrefaçon ou
l’utilisationabusivesonttraitéesimpitoyablement grâce aux meilleurs avocats. En
vertudukeiretsuetenraisond’associésdifférents, les transferts de ressources d’une
compagnie à l’autre sont bannis.
Au fil des ans, le groupe est devenu à la
fois une firme de capital-investissement
qui prenddes partsau capital d’entreprises
et un gestionnaire de la fortune Branson.
«Virgin n’investitpas dansune sociétépour
la revendre au plus vite en empochant une
plus-value, mais pour la développer à long
terme », affirme le président de Virgin
Group, Peter Norris.
Bagarreur teigneux
Dernieraxede sa stratégie,la diversification de ce groupe attrape-tout, dénué de
toute cohérence industrielle, qui mêle l’aérien, la téléphonie mobile, les services
financiers ou les chemins de fer. Ce conglomérat unique au monde, concrétisation en
forme de catalogue des idées d’un seul
homme, a été bâti sur un double modèle:
décliner une marque, Virgin (« vierge »,
commel’étaientle play-boyBransonetson
associé lorsqu’ils ont ouvert, en 1972, leur
premier magasin de disques qui offrait des
repas végétariens à ses clients) et son logo
rouge électrique sur des produits de grande consommation et de loisirs, et se protéger des aléasdes cyclesconjoncturels.Cette
stratégie suppose de lancer tout le temps
de nouvellesaventures. Et de l’avis général,
letouche-à-touta du« nez »pourdécouvrir
les créneaux sous-utilisés d’un marché.
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dossier
Mardi 21 mai 2013
Société du groupe
Virgin Holidays Cruises
Acheté en 2007 à Fast Track Holidays
Hôtellerie
Virgin Holidays + Hip Hotels
Virgin Hotels
Boissons
Virgin Vacations
Lancé en 1994
Virgin Clothing 1998-2000
Virgin Gaming
Virgin Balloon Flights
Créé en 1987
Virgin Records
400
Créé en 1973
et vendu
en 1992 à EMI
socié
t
0e
0 00
5
s
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Compagnies
aériennes
Virgin Train
17 m
yés o
l
p
m
d
illiar
Virgin Cargo
1984-2009
Virgin Charter
2007-2009
TRANSPORTS
Virgin Galactic
Créé en 2004.
Vol commercial dans l’espace
IN
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A
L
A
G
LA
LOISIRS
VACANCES
Lancé en 2007
Créé en 1996
Lancé en 1996. Achat
de coupons
MODE DE VIE
Virgin Brides 1996-2007
Virgin Experience Days
Créé en 2010 en partenariat
avec Worldgaming.com
Virgin Australia
Créé en 2000 sous le nom
« Virgin Blue »
The Virgin Voucher
Virgin Cars 2000-2005
Créé en 2001
Jeux
Créé en 2000
et vendu en 2005
Virgin America
Lancé en 1984
1994-2009
Virgin Vie 1997-2009
Lancé en 1999
(remise en forme)
Virgin Games
Virgin Wines
Virgin Cola
Virgin Active
Lancé en 2010 aux Etats-Unis
Virgin Festival
Virgin Life Care
Créé en 2004
Partenariat créé en 2008
Fondé en 2004.
Casino, bingo, poker
Santé
Virgin Health Miles
Virgin Atlantic
Lancé en 2012 en partenariat
avec Strauss Water
Lancé en 1988
Virgin Holidays
Créé en 1985
Acheté en 2010
Créé en 2007
Virgin Limited Edition
Virgin Pure
Virgin Care
Virgin Health Bank
possédée en plein ou réseau de licence
ayant cessé d’exister
vendues
9
Virgin Money
Créé en 1995
BANQUES
FINANCES
Virgin Money Giving
Créé en 2010. Site Internet de levée de fonds
pour des œuvres de charité
Virgin One Business
MÉDIAS
TÉLÉCOMS
Vendu en 2001 à la Royal Bank of Scotland
Virgin Media
Crée en 2006 au Royaume-Uni. Racheté en 2013 par Liberty Global
Virgin Radio International
Crée en 2001. Présent en France
Virgin Digital
MUSIQUE
Le premier a eu lieu
en 1996
ÉCOLOGIE
SOLIDARITÉ
Virgin Earth Challenge
Virgin Megastore
Virgin Green Fund
Lancé en 2006
Reste que cette diversification est allée
de pair avec une série d’échecs au cours
d’une carrière menée tambour battant
(robes de mariée, jeans, vodka, cosmétiques, loterie nationale…). Il tourne toutefois rapidement la page. Les risques sont
toujours calculés et la ligne rouge est rarement franchie. Tout projet doit avoir une
porte de sortie, souligne Tom Cannon, professeur à la Manchester Business School.
Ainsi, en 1992, pour renflouer sa compagnie aérienne au bord de la banqueroute
après la première guerre du Golfe, il a dû
céder son enfant chéri, la maison de disques Virgin Music Group. Les ventes se
font toujours au meilleur prix. Dans les
affaires, ce fils d’un magistrat et d’une
hôtesse de l’air est aussi un négociateur
dur et têtu. Si cet homme convivial met
tout le monde dans sa poche, ce n’est pourtant pas un enfant de chœur. Le Superman
se transforme en bagarreur teigneux face à
ses adversaires.
Du béton, du moins à entendre ses fidèles. Pourtant, les questions ne manquent
pas. D’abord, le groupe tentaculaire dont
lesrésultatssont entourésde mystèreest-il
rentable ? « Certaines sociétés le sont,
d’autres pas, mais la valorisation totale ne
cesse d’augmenter car il y a une prime à la
magie du nom », note Philip Beresford,
auteur du classement des riches Britanniques du Sunday Times, qui estime la fortunepersonnelledeRichardBransonà3,5milliards de livres, en 2013.
Evaluer les profits est quasi impossible,
reconnaît M.Beresford. Le groupe n’est pas
coté. L’inscription en Bourse entre 1986 et
1988 a laissé un mauvais souvenir à ce déci-
Créé en 2010
Internet
Virgin Cinemas
Virgin Unite
Lancé en 2004
deur qui aime faire des affaires avec une
totale absence de complexes et de transparence.
D’autant que sa devise pourrait être Ars
est celare artem (l’art est de cacher l’art).
Les journalistes financiers les plus aguerris ne sont jamais parvenus à franchir le
cordon sanitaire dressé par le truchement
d’une myriade de trusts familiaux et de
sociétés holdings opaques enregistrés
dans des paradis fiscaux, à l’instar des îles
Anglo-Normandes. Il n’aime pas qu’on lui
pose la question, ponctuant ses réponses
vagues et embrouillées de longs silences.
En ces temps de lutte contre l’optimisationfiscalepratiquéeparlesmultinationales, le publicne tient pas rigueur au pair du
Royaume anobli par la reine pendant le
mandat de l’ancien premier ministre britannique Tony Blair de vouloir payer le
moins possible d’impôts en toute légalité.
Malgré le transfert en 2011 de Virgin Enterprises, chargé des brevets et des royalties,
de Londres à Genève, Branson a échappé à
la controverse sur les pratiques fiscales
des grandes sociétés internationales
basées au Royaume-Uni grâce à sa popularité et à son action philanthropique.
Outre les interrogations concernant
l’étendue de sa fortune et sa note d’impôts, au-delà de l’hypermédiatisation et
du culte de la personnalité, la qualité du
managementd’uneentité issueducapharnaüm des sixties fait débat. La culture
Branson – un paternalisme décontracté
qui n’a rien à envier aux patrons du
XIXe siècle – peut attirer des collaborateurs
qui ne sont pas toujours les plus brillants.
La « bande à Richard » des débuts, compo-
Virgin Books
Vendu en 2009
à Ebury Publishing
Edition
Lancé en 1999. Présent
dans dix pays, dont la France
Virgin Comics
Vendu en 2008
n’hésite pas à jouer la démesure.
Plus grande surface de vente de
produits musicaux et culturels de
l’Hexagone, le « mégastore» – un
anglicisme synonyme de modernité – comprend des espaces de
conférences et de spectacles pour
accueillir les artistes du label Virgin Records, maison mère de Virgin France. Un sacré coup de vieux
pour son rival direct, la Fnac.
Ainsi, le fondateur de Virgin,
Richard Branson, s’est associé à
Patrick Zelnik, un ancien de la maison de disques Polydor, qui a créé
Virgin France en 1980. La chaîne
française prendra son indépendance en 1992, au moment de la revente de Virgin Records à EMI. Neuf
ans plus tard, son passage dans le
giron de Hachette Distribution Services, filiale de distribution de
Lagardère, est synonyme d’échec.
Les comptes virent au rouge.
En 2008, le financier Walter Butler, spécialisé dans les entreprises
en difficulté, acquiert 74% du capital. Un temps, l’enseigne rouge et
blanc semble sauvée. Mais les
déboires économiques la rattrapent. Le changement de patron,
avec l’arrivée, à l’été 2012 de Christine Mondollot, transfuge des Gale-
sée de personnalitéstranchéeset excentriques, a été progressivement remplacée
par des professionnels. Le codirecteur
général, Josh Bayliss, ex-avocat international, est un praticien. Dans l’aréopage de
techniciens couleur muraille qui forment
de nos jours sa garde rapprochée, seul le
président, Peter Norris, l’un des tombeurs
de la banque d’affaires Barings en 1995,
sort du lot. Les deux hommes se sont rencontrés dans le cadre du renflouement de
Viz, la revue de bandes dessinées satiriques, leur passion commune.
Branson peut-il cesser d’être Branson ?
Certes, il a connu tous les affres du succès
comme de la défaite. Mais si sa tête fourmille toujours de projets, ce rebelle dans
l’âme peut-il rester indéfiniment fidèle à
sa philosophie de l’action décrite dans ses
Mémoires Sir Richard Branson : L’autobiographie (Scali), publiées en 2006, « s’amuser en travaillant et travailler en s’amusant» ? Le flamboyant milliardaire entend
désormais se concentrer sur sa fondation
caritative, Virgin Unite, très active en Afrique et dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Celui qui a su se frayer un chemin hors
des voies tracées par son milieu social
aimerait que ses deux enfants, Holly et
Sam, reprennent ses affaires le jour où il
devraitrendre son tablier. Médecin de profession, la première travaille chez Virgin
Managementet siègeauconseild’administration de la fondation. Le second a monté
une société de production de documentaires traitant les thèmes chers à son père. A
cœur vaillant, rien d’impossible… p
ries Lafayette, n’y change rien. Ecrasé par une dette de plus de 100 millions d’euros pour un chiffre d’affaires de 251millions, Virgin dépose le bilan début 2013.
Les raisons de cette descente
aux enfers ? Un marché sinistré,
d’abord. Présent sur des créneaux
frappés de plein fouet par la
concurrence de la vente en ligne
(Amazon) et la dématérialisation
de la musique et de la vidéo, Virgin
subit également la crise de
consommation, qui frappe la distribution dans son ensemble.
Virage manqué
Mais le contexte n’explique pas
tout. Le groupe a aussi pâti d’une
stratégie erratique. Avec des
emplacements « premium» dans
les grandes villes de France, il ploie
sous les charges fixes, à commencer par le loyer exorbitant du
magasin des Champs-Elysées. En
2012, une dizaine de magasins
fonctionnaient à perte.
«Walter Butler n’a pas mesuré
l’enjeu de la relance. Les dirigeants
ont diversifié les ventes à outrance
(coffrets cadeaux, gadgets, corners
spécialisés…) pour tenter de couvrir
les frais fixes. Comme l’ensemble
Créé en 2010
Virgin Connect
*conversion au 16 mai
INFOGRAPHIE LE MONDE
Marc Roche
Les Megastore français n’ont jamais trouvé leur modèle
LE JEUDI 23 MAI a des allures de
couperet pour les 26 magasins
français Virgin Megastore. Ce jourlà, le tribunal de commerce de
Paris examinera les offres définitives de reprise de l’enseigne, en
redressement judiciaire depuis le
14janvier. Sa décision sera connue
une à deux semaines plus tard et,
avec elle, le sort de son millier de
salariés. Vendredi 17 mai, l’offre la
mieux-disante, celle de la chaîne
de loisirs créatifs Rougier & Plé,
qui proposait de reprendre
265salariés sur 960, a capoté faute
d’accord avec les bailleurs immobiliers, selon l’intersyndicale…
Une image illustre le triste destin de Virgin en France: celle des
magasins livrés la semaine dernière à des hordes de clients prêts à
tout – y compris à ramper sous le
rideau de fer et à harceler les vendeurs épuisés – pour profiter des
soldes géants organisés avant la
liquidation. Une situation à mille
lieues de l’ouverture en grande
pompe, le 31octobre 1988, du vaisseau amiral du groupe, sur les
Champs-Elysées. «La musique a
trouvé son temple», écrit alors Le
Monde, reflétant le caractère radicalement nouveau du concept, qui
Virgin Digital Help
Virgin Mobile
Créé en 1995 et revendu
en 1999 à UGC pour la France
Lancé en 2007
Le premier fut créé en 1979 à Londres.
Mégastore France a été racheté
par le groupe Lagardère en 2001, puis
par Butler Capital Partner en 2007.
La filiale est en cessation de paiement
2004-2007
Virgin Produced
n’était toujours pas rentable, ils vendaient un magasin de temps à
autre», raconte un proche du dossier. Autre grief: le passage manqué au numérique. «Le site Internet Virgin Mega n’a jamais proposé d’achat de DVD ou de CD en
ligne, uniquement du téléchargement», déplore Loïc Delacourt,
délégué syndical CGC.
Pour M.Zelnik, l’enseigne a perdu son âme. «Elle est devenue un
supermarché de la culture», expliquait-il au Monde en mars. «Dans
les premières années, on venait
chez Virgin Megastore pour l’architecture de ses magasins, le conseil
de ses vendeurs… Le temps de visite
moyen était de quarante-cinq
minutes! C’était à la fois un lieu de
rencontre et un magasin», se souvient-il. Un esprit que le fondateur,
actuel patron du label de musique
Naïve, a affirmé début 2013 vouloir ressusciter en rachetant le
réseau pour y créer un «souk culturel», mêlant musique, livres, nouvelles technologies et spectacles.
Las, M.Zelnik n’a pas déposé d’offre. Les salariés n’osent plus y croire. En France, le rêve Virgin semble parti en fumée. p
Audrey Tonnelier
SOURCE : SOCIÉTÉ
Virgin Media,
l’une des plus
belles réussites
Londres
Correspondant
L’ENTREPRENEUR
AIME TRAVAILLER
AVEC
UNE TOTALE
ABSENCE
DE COMPLEXES
ET DE
TRANSPARENCE
Richard Branson a la dent dure. Pour diriger le câblo-opérateur britannique Virgin
Media, racheté le 15avril par le groupe
américain Liberty Global, il a fait appel à
Tom Mockridge, un ancien bras droit de
Rupert Murdoch tombé en disgrâce. Le
patron de Virgin a ainsi voulu faire payer
au magnat des médias sa remarque méprisante à son encontre: «Je ne peux pas prendre au sérieux un type qui ne met pas de
cravate.»
Virgin Media est le résultat de la fusion,
en 2006, de Virgin Mobile, opérateur
mobile virtuel, et du câblo-opérateur NTL
Telewest. En offrant quatre lignes de produits – télévision payante, téléphonie fixe,
mobile et Internet –, le nouvel ensemble
s’est attaqué de front au bouquet par satellite BSkyB, dont M.Murdoch est l’actionnaire de référence. L’opérateur BT Group
est aussi dans sa ligne de mire.
M.Branson contrôle alors 10 % du capital de Virgin Media et bénéficie des grasses
royalties d’utilisation de sa marque, qui
sert de produit d’appel. En 2009, il réduit
sa participation à 6,5 %, afin de financer
l’expansion de Virgin America et Virgin
Mobile India. Sa part tombe à 2% lors de
l’annonce du rachat par Liberty Global, le
groupe de John Malone. Ce dernier est également adepte des « coups», des décisions
prises au flair et du goût du secret.
Sacro-sainte diversification
De plus, M.Branson a surmonté sa détestation de la Bourse en faisant coter Virgin
Media à New York. Et au nom de la sacrosainte diversification, ce boulimique qui
crée ou engloutit des sociétés aime s’aventurer dans des secteurs qu’il ne connaît
pas, à l’instar des télécommunications ou
de la télévision.
Le fer de lance de Virgin Media est Virgin Television. Avec 3,5millions d’abonnés, il est numéro deux de la télévision
payante, derrière BSkyB (10millions). Mais
la réputation de l’ensemble du groupe a
souffert du lancement raté de Virgin
Media, des carences du service après-vente et des erreurs de facturation. « Aujourd’hui, le consommateur est sophistiqué.
L’image, les gadgets ou le buzz à la Branson ne l’impressionnent plus, même s’il
apprécie le bonhomme. C’est le rapport
qualité-prix qui importe», souligne un
publicitaire, pour qui Virgin Media est
désormais aussi bien gérée que ses rivaux.
La fusion de Virgin Media et de Liberty
Global a conduit M.Branson à vendre sa
participation restante. Après ce retrait, le
groupe conserve les royalties. Grâce au
nom, l’influence du fondateur au sein de
l’entité fusionnée reste prédominante. p
M. R.

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