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GESTION DU RISQUE
Plusieurs clients institutionnels et individuels en sont à un stade de raffinement
qui exige davantage de la part des gestionnaires.Aussi est-il devenu nécessaire
Comment tenir
la cagnotte en
pour ces derniers de bien démontrer leur capacité à gérer le risque de façon adéquate. Le temps où un historique des rendements pouvait suffire à convaincre un
client tire à sa fin.
Et c’est pour le mieux!
Jean-Martin Aussant
Photos : François Bonneau
D
ans tout investissement, deux éléments fortement liés avec lesquels on doit toujours
composer sont omniprésents : le rendement
de l’investissement et son risque. Si le vieil
adage bien connu «qui ne risque rien n’a rien»
demeure vrai, une version plus moderne pourrait poursuivre
avec «et qui ne gère pas ses risques peut tout perdre». Dans
cette optique, la gamme toujours plus étendue de produits
offerts aux clientèles institutionnelles et individuelles leur
permet d’exiger des éléments d’information sur la gestion
OBJECTIF CONSEILLER
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laisse
du risque, qui, plus que jamais, sont appelés à devenir partie intégrante de tout rapport de gestionnaire.
Bien sûr, les habituelles séries historiques des rendements
produits ainsi que leur volatilité demeurent toujours aussi
indispensables, cependant qu’elles ne portent que sur le
passé. Or si l’histoire contenait tout ce qu’il faut pour bien
gérer un portefeuille, on serait davantage rassuré de confier
ses fonds à des bibliothécaires. Mais, puisque les seuls rendements réalisés ne révèlent pas les risques actuels et futurs
associés à un portefeuille, un rapport de gestion pourra
par exemple inclure des précisions quant aux positions
du portefeuille, un sommaire des expositions majeures à
divers facteurs de risque, l’importance des effets de levier
s’il y a lieu, etc.
Un client pourrait ainsi réaliser, quelles que soient ses
motivations ou contraintes, qu’il ne désire pas assumer une
surexposition à un titre spécifique, à une catégorie d’actif
ou à une devise particulière. Une révision de la politique
de placement pourrait même survenir après qu’un rapport
de gestion bien détaillé aura fait prendre conscience au
client d’un élément de risque particulier jusque-là ignoré.
Un régime de retraite dont les actifs sont considérables
souhaitera fort probablement répartir ses fonds vers plusieurs gestionnaires, ce qui constitue déjà en soi de la gestion du risque sous la forme d’une diversification des gestionnaires du régime. Mais sans détails suffisants quant au
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risque relié à leurs positions respectives,
comment s’assurer que les portefeuilles
combinés des divers gestionnaires actifs
ne sont pas globalement l’équivalent
d’une position neutre par rapport à l’indice de référence? Ce qui reviendrait en
réalité pour le régime à une gestion de
type indiciel obtenue par une combinaison de gestionnaires actifs, dont les
frais sont plus élevés.
Bref, une meilleure information sur
le risque des portefeuilles sert clairement les intérêts du client.
La définition même de la gestion du
risque variera selon l’interlocuteur, et
chaque situation requiert sa propre
analyse. La gestion du risque pour une
compagnie d’assurances différera de
celle pratiquée par une firme de vérificateurs, un service de finance d’une
grande compagnie industrielle ou un
gestionnaire de portefeuille. Même
deux gestionnaires de fonds, dans le
secteur obligataire par exemple, auront
différents éléments à considérer selon
les titres qu’ils gèrent. Pour un gestionnaire investissant dans son pays, la
principale source de risque proviendra
vraisemblablement de la variation des
taux d’intérêt, alors que pour un gestionnaire qui investit à l’international,
la variation des taux de change revêtira
une plus grande importance. La catégorie d’actif, les titres permis (par
exemple, les produits dérivés), la stratégie employée de même que son exécution, le mandat et son point de référence (benchmark), voilà autant de
caractéristiques déterminantes dans
l’établissement d’un processus efficace
de gestion du risque pour tout gestionnaire de fonds.
Diverses grandes catégories de risque
sont à la base de recherches théoriques
et de nouveaux systèmes de gestion plus
appliquée. Outre les évidents risques de
marché et de crédit, la gestion du risque
opérationnel, moins quantifiable mais
non moins majeure pour les banques,
entre autres, est appelée à se dévelopSEPTEMBRE 2001
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per. Le risque opérationnel englobe une
foule d’éléments sous son appellation
plutôt large : du risque technologique
jusqu’au risque d’erreur humaine, en
passant par le risque d’entacher sa réputation suite à une nouvelle alarmante.
Le cas récent d’une importante firme
de gestion canadienne trouvée coupable
d’avoir manipulé les prix de fermeture
illustre éloquemment l’importance
d’avoir un plan d’urgence pour réagir
à de tels événements, surtout dans une
sphère d’activité où une réputation
entachée peut signifier la perte de plusieurs clients.
Quelques autres cas très médiatisés
ont dernièrement attiré l’attention de
plusieurs intervenants sur la gestion du
risque. Quiconque est en contact, de
près ou de loin, avec les marchés financiers et les nouvelles économiques (par
exemple, comme membre d’un comité
de retraite) aura entendu parler de deux
des débâcles majeures des dernières
années sur le plan international, soit
celles du fonds de couverture (hedge
fund) Long Term Capital Management
(LTCM) et de la Barings Bank, par
l’entremise de son tristement célèbre
arbitragiste Nick Leeson. Les pertes
totales se sont alors chiffrées en milliards de dollars.
Dans le cas de LTCM, son équipe
hautement respectée incluait les professeurs Robert C. Merton et Myron S.
Scholes, lauréats 1997 du prix Nobel
d’économie pour avoir développé,
conjointement avec le regretté Fischer
Black, «une nouvelle méthode pour
déterminer la valeur des produits dérivés». Le fondateur de LTCM, John
Meriwether1, était auparavant chef des
opérations des titres à revenu fixe pour
Salomon Brothers.
Cette équipe semblait donc a priori
posséder tous les éléments de théorie
et d’expérience requis, mais l’examen
de leurs mésaventures a révélé de nombreuses lacunes dans la gestion du
risque. On pourrait entre autres citer
le manque de transparence dans leurs
opérations, le fait d’avoir ignoré que
les corrélations historiques en temps
«normaux» ne sont plus aussi valables
en temps de crise, le fait de n’avoir pas
reconnu la nécessité de procéder régulièrement à des simulations d’événements extrêmes (stress testing), les dangers d’accorder (ou de se voir
accorder!) aveuglément des marges de
crédit trop généreuses, etc.
Évidemment, la plupart des gestionnaires ne sont pas aussi impliqués
que LTCM, voire pas du tout, dans
le genre d’activités financières qui lui
a valu les manchettes. Néanmoins, un
tel exemple d’une gestion du risque
déficiente peut servir de mise en garde à tout gestionnaire
de fonds trop confiant qui négligerait la gestion des risques
associés à ses propres catégories d’actif.
Il est aussi primordial de bien comprendre les forces et
les faiblesses des instruments utilisés dans la gestion du
risque. L’utilisation faite par LTCM du concept de valeur
à risque (VAR) semblait plutôt inappropriée. Si le mot
hedge en finance signifie normalement «se protéger contre
un risque», l’appellation hedge fund semble pour le moins
discutable, du moins quant à LTCM, puisque ses positions comportaient des effets de levier et un risque associé considérables.
En ce qui concerne les frasques de Nick Leeson, de la
Barings Bank, les conclusions de cette histoire (qui a ruiné
la plus vieille institution britannique dans son domaine)
ont mis en évidence, entre autres, un flagrant manque de
supervision de la part de ses supérieurs, la déficience des
procédures de contrôle en place ainsi que la couverture par
une même personne des activités de front et de back-office.
Ces deux domaines devraient sans contredit échoir à des
groupes différents pour une meilleure supervision et pour
éviter que l’on puisse maquiller les mauvaises opérations,
comme ce fut le cas.
De plus, si faible soit la probabilité qu’un événement
spécifique se réalise, il est élémentaire de ne pas tout miser
contre ou pour cet événement. Leeson était extrêmement
exposé à une baisse de l’indice japonais Nikkei. Or, si rien
d’économique ou de financier proprement dit ne laissait à
cette époque présager une chute rapide de cet indice, le
1. John Meriwether a lancé un autre fonds de couverture (hedge fund)
de plusieurs centaines de millions de dollars en 1999. Il prévoyait cependant utiliser un effet de levier moindre tout en faisant preuve d’une plus
grande transparence dans ses activités.
tremblement de terre de Kobe s’en est
bien chargé...
En conclusion, la gestion du risque
est un concept qui est appelé à gagner
du terrain et à s’intégrer dans la plupart des cultures organisationnelles.
L’établissement d’un système de gestion du risque ne doit cependant pas
être un événement ponctuel comme le
serait l’achat d’un équipement technique quelconque. Il doit plutôt s’agir
d’un processus et d’un état d’esprit
permanents qui s’adapteront rapidement à tout changement dans les activités de la firme. Après les calculs,
encore faut-il savoir bien interpréter et
disséminer l’information produite. Il
faut également garder à l’esprit qu’une bonne partie de la
gestion des risques repose généralement sur des probabilités et des statistiques et que, par conséquent, on ne pourra
que très rarement être certain que tel ou tel positionnement
ne causera pas de surprise.
À titre d’illustration des limitations des probabilités et
des hypothèses de normalité de nombreux modèles statistiques et de l’effet d’un mauvais calibrage des paramètres,
les pertes subies par LTCM correspondaient à 40 fois la
VAR calculée par leur modèle, soit l’équivalent probabiliste d’obtenir entre 700 et 800 piles (ou faces) consécutives en tirant une pièce de monnaie (à ne pas essayer chez
vous!) En définitive, des pertes «impossibles». Ceci rappelle qu’un système mal conçu peut sous-estimer le risque
encouru et par conséquent mener à des prises de risque
et des pertes potentielles accrues.
Dans le monde des gestionnaires de portefeuille, on
devra maintenant se soucier non seulement des rendements
visés pour les clients, mais également de l’élément risque
concernant les fonds confiés. On remarque d’ailleurs des
postes de Chief Risk Officer et de directeur ou de vice-président à la Gestion du risque dans certaines firmes auxquelles, c’est à espérer, l’industrie dans son ensemble
emboîtera le pas. Avec une bonne dose de science
(méthodes quantitatives) et d’art (expérience et intuition
bien dirigée), une saine gestion du risque saura assurément
épargner d’amères déceptions à de nombreux intervenants
financiers.
Jean-Martin Aussant est directeur de la recherche quantitative et
gestionnaire de portefeuille chez Addenda Capital inc. à Montréal.
Il est également directeur régional de la GARP (Global Association of
Risk Professionals).
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