analyse thème sur l`autobiographie dans l`amant de duras

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analyse thème sur l`autobiographie dans l`amant de duras
L'autobiographie
Lorsque l'Amant est publié en 1984, Marguerite Duras a alors 70ans. A travers son œuvre
autobiographique, l'écrivaine exprime sa volonté de nous livrer une version retravaillée, plus fidèle
à la réalité qu' Un barrage contre le Pacifique, sa première tentative. D'ailleurs, l'auteur affirmera
que: «c'est la première fois que je n'écris pas une fiction». En d'autres termes, son nouveau récit
serait d'après elle une retranscription crue et crédible de sa vie au sein d'une famille déchirée, qui
permettrait de mieux comprendre celle qu'elle est devenue aujourd'hui. Ici, l'enjeu est bien entendu
d'exhumer «certains enfouissements qu'elle aurait opérés sur certains faits», et non de nous proposer
une histoire pareille à celle d'un roman ordinaire.
Mais, si l'intention est louable, qu'en est-il du résultat?
Bénéficiant du style si particulier de Duras, pouvons-nous encore dire qu'il s'agit là d'une
autobiographie habituelle? L’œuvre est-elle représentative de la réalité, ou du moins plus
authentique que ne le fut Un barrage contre le pacifique?
Face à tant de questions laissées en suspens, nous pensons qu'il serait judicieux de procéder par
ordre, et donc de déterminer, dans un premier temps, si l'autobiographie est habituelle ou non.
Ensuite, d'expliquer en quoi l'Amant est plus proche du réel que ne l'était son prédécesseur. Et
finalement, de distinguer si le roman est la restitution vraie de la vie de Marguerite Duras, et où se
trouve cette vérité.
l'Amant est le premier écrit de Marguerite Duras jouissant de l'utilisation de la première
personne du singulier. C'est principalement le désir de confidence qui pousse l'écrivaine à agir de la
sorte. Comme elle semble le souligner, c'est uniquement maintenant, lorsque que tous ses proches et
sa «pudeur» (p.14) ont disparus, qu'elle peut pleinement se révéler au lecteur: «J'ai beaucoup
écrit...jusqu'à elles.» (p.13-14). Cette volonté d'avouer ressemble à celle exprimée par Rousseau à
travers ses Confessions. En effet, là aussi, l'auteur se met véritablement à nu devant nous, comme
nous le confirme le prédicat proposé dans le préambule du roman: «Voici le seul portrait d'homme,
peint exactement d'après la nature et dans toute sa vérité, qui existe et qui probablement existera
jamais.».
Cependant, même s'ils partagent un objectif similaire, l'ouvrage de Duras va dévier de
l'autobiographie classique présentée par Rousseau. Cette scission a aussi bien lieu dans la structure
du livre, dans son traitement des personnages et à travers son absence de repères spatio-temporels.
Effectivement, le constat le plus flagrant est sûrement l'oscillation constante entre le «je» de la
première, au «elle» de la troisième personne: «Elle ne lui répond pas. Elle pourrait répondre qu'elle
ne l'aime pas. Elle ne dit rien.» (p.46).
Cette façon de s'extérioriser démontre la prise de recul de l’auteur avec son œuvre. La délimitation
en question est probablement issue de la différence temporelle entre le moment narratif et l'instant
présent, laissant l'auteur composer avec ses souvenirs. L'écriture durassienne est par ailleurs
semblable à un cours d'eau, «long» et «étiré» (p.37), duquel jaillissent des vestiges sempiternels,
profondément encrés dans la mémoire de Duras. Ces réminiscences saccadées apparaissent sous la
forme de paragraphes plus ou moins indépendants, comme pour symboliser l'apparition d'une
rétrospective en temps réel. Il y a donc peu de dates précises, et les lieux sont succinctement décris.
Ils sont brumeux comme les souvenirs de Duras: «Je ne sais plus...me souviens plus» (p.37).
La méthode employée confère un caractère éclaté à l’œuvre, car si les principaux épisodes de
l'histoire d'amour sont respectés; le récit proprement dit ne respecte pas une chronologie stricte. A la
page 77, on passe par exemple de la description des émotions de l'amant de Marguerite, à celle
d'une femme du nom de Marie-Claude Carpenter, sans aucune transition.
Ces digressions nous font notamment penser à Nadja de Breton, qui sort également des sentiers
battus, puisqu'il s'agit d'une autobiographie surréaliste. Chez Rousseau par contre, on ne retrouve
pas du tout un style semblable, dans la mesure où, l'ouvrage se veut très poétique, linéaire et
structuré.
La différence entre l'Amant et les Confessions se retrouve également au travers du traitement des
personnages. En effet, alors que dans son roman, Rousseau ne cesse de se chercher un cheminement
intérieur qui déboucherait sur une meilleure connaissance, et une meilleure affirmation de soi,
Duras va à l'inverse multiplier les non-dits et minimiser les détails. Elle refuse l'utilisation de la
démarche psychanalytique dans son récit, préférant retranscrire dans un ton neutre les événements
vécus. Autrement dit, la romancière présente le matériau au lecteur, mais c'est à lui qu'il convient de
le forger, de se représenter ces personnages qui n'existeront que dans son esprit.
En outre, dans l'Amant, il est également intéressant de noter une alternance entre l'imparfait de
narration et le présent simple: «Seul lui restait...dit qu'elle voit» (p.44). Ce parti pris permet à
l'écrivaine de décrire ses sentiments, de libérer son émotion afin d'acquérir un maximum
d'expressivité. Effectivement, le récit est très oral. Cela se remarque généralement lors des
répétitions, des ruptures de syntaxe ou de rythme, de l'utilisation de phrases elliptiques: «Jamais
bonjour, bonsoir, bonne année. Jamais merci. Jamais besoin de parler.» (p.66). On observe aussi la
présence de décrochages soit dans le passé avec des analepses; comme lorsque l'écrivaine évoque
son visage «dévasté» au début du roman: «Un jour, j'étais...avez maintenant, dévasté.» (p.9), soit
dans le futur grâce à l’utilisation de prolepses; à l'image de la scène, où la narratrice annonce le
devenir de la mère et sa volonté de toujours tout recommencer: «Il faut rattraper...n'y a fait.» (p.12).
Au final, on se retrouve avec un récit en prose qui ne suit aucune règle littéraire fixe, car comme le
dit l'auteur: «L'histoire de ma vie n'existe pas.» (p.14). Ici, il n'y a pas de «chemin, pas de ligne», il
n'y a «personne» (p.14). L’œuvre durassienne s'éloigne des autobiographies habituelles, et apparaît
comme «toutes choses confondues en une seule» (p.14), qui à défaut de combler les trous, les
élargira encore plus.
C'est notamment le cas de l'Amant. Le livre est comparable à une nouvelle version d'Un barrage
contre le pacifique, une version désossée, plus proche de la vérité.
Effectivement, il faut tout d'abord savoir, qu'Un Barrage contre le pacifique se présente comme
un roman c'est à dire comme une œuvre de fiction, qui n'obéit pas aux critères de l'autobiographie.
D'abord l'auteur ne dit pas «je», comme il le fera dans L'Amant, préférant le choix du «elle».
Puis, les personnages ne nous sont pas familiers, mais on peut par exemple aisément comprendre
que Suzanne n'est autre que le nom fictif de Marguerite Duras. Sa démarche est peut-être due à sa
réticence, sa «pudeur» (p.14). L'auteur ne veut vraisemblablement pas choquer les siens, et comme
nous l'avons vu, c'est seulement après leur mort qu'elle dévoilera «certaines périodes cachées»
(p.14).
De plus, dans ce roman, elle avait écrit autour de ces sujets, sans en expliquer l'essentiel, comme
elle l'explique dans L'Amant, elle parle de façon explicite de la folie de la mère, de l'agressivité de
son frère aîné: «Et j'ai écrit...jusqu'à elles» (p.14).
Dans son nouveau récit, la narratrice se fond littéralement dans ses personnages, elle éprouve leurs
sentiments, d'où le passage de le première à la troisième personne du singulier, qui marque aussi la
volonté de rétablir une vérité jadis camouflée dans la fiction: «Et puis après...embrassée à elle.»
(p.48).
La présence de paragraphes distincts, représentant l'amas de souvenirs épars de la romancière, qui
accrédite le récit d'une dimension réaliste, ne se retrouve pas dans l’œuvre précédente, qui est
constituée d'une narration continue et fluide. L'auteur doit à chaque fois spolier son roman, car elle
tente de pallier aux lacunes de sa mémoire en nous proposant des événements fictifs, et des lieux
complètement différents de ceux où l'écrivaine à vécue.
Un Barrage contre le pacifique constituerait en définitive un essai, une ébauche d’œuvre
rétrospective. Il ne rapporte aucune vérité explicite, il se contente de poser les bases du monolithe
autobiographique de Duras, qui se dessinera avec une netteté croissante à mesure que se
succéderont les ouvrages.
Cependant, comment cette vérité se construit dans les futurs écrits, en l’occurrence ici, dans
l'Amant?
Le récit de Duras est une restitution vraie de sa vie, parce qu'il retranscrit de manière fidèle des
événements tels qu'elle les a vécus.
Effectivement, le livre débute sur la scène du visage. Duras se regarde dans un miroir et examine
son visage «dévasté». Dès cet instant, elle se remémore le passé, et plus particulièrement son
enfance indochinoise. Ses réminiscences son semblables aux «rides sèches et profondes» (p.10), qui
sont à présent incrustées dans sa chair, dans son esprit. Ce corps détruit pas l'alcool, Duras l'a
acquis, comme ses souvenirs, à travers l'expérience de la vie. Et tout comme les rides, les souvenirs
ne représentent que la partie visible de «l'être», le reste est enfoui et resurgit parfois brusquement de
sa torpeur. Ces soubresauts inattendus de la mémoire fragmentent le texte en paragraphes, ce qui
hache le rythme du récit, mais qui amène néanmoins du réalisme, dans la mesure où, les souvenirs
sont retranscrits en «temps réel». Donc, les décrochages et autres dérivations accordent du crédit à
la véracité de l'autobiographie. Ils soulignent le ressassement entreprit par la romancière, afin de
nous offrir un récit qui ne serait pas gâté par le mensonge de l'ajout de mots inutiles, qui tendent
uniquement à améliorer la fluidité de la lecture. D'ailleurs, c'est à cause de ça qu'on peut remarquer
des vides dans le roman, qui symbolisent l'incapacité de l'auteur à pouvoir formuler certains
souvenirs à l'écrit. D'où la surabondance de figures de style à caractère «oral» comme l'anacoluthe,
la cadence, ou encore la parataxe: «Je suis exténuée du désir d'Hélène Lagonelle. Je suis exténuée
de désir.» (p.88).
Pour en revenir à l'aspect rétrospectif de l'autobiographie, il faut savoir que les innombrables allées
et venues entre le passé et le présent confondent le lecteur, car elles ne sont que rarement ponctuées
de dates ou de lieux précis. Duras a choisit de réaliser une œuvre hors de temps et de l'espace, pour
renforcer la réalité des souvenirs, car généralement, lorsqu'on repense à un événement lointain, on
ne se rappelle plus parfaitement de sa date et de son lieu. En fait, la présence de seulement quelques
dates (mort du petit frère en 1942), lieux (Vinhlong, Sadec) et noms (Marie-Claude Carpenter, Betty
Fernandez), permet au livre de paraître autrement plus crédible.
De plus, Marguerite Duras nous livre, de manière crue dans son récit, des révélations dérangeantes,
auxquelles on ne s'attendait pas du tout. On pense tout particulièrement à celle de la double
tentation homosexuelle, et de l’inceste. En effet, l'auteur décrit la scène de son désir pour Hélène
Lagonelle avec tant d'implication que ça en devient effrayant: «Je veux emmener...alors définitive»
(p.89). La même tentation a lieu avec Paul, le frère cadet: «Il respire l'enfant...d'une intelligence
effrayante.» (p.125). Ces deux passages prouvent que l'écrivaine s'efforce, sans tabous et sur un ton
neutre, à «tout» nous dévoiler, ou du moins, tout ce qui l'a profondément marqué.
Toutefois, ce n'est que via l'usage de la troisième personne, et donc avec du recul, que Duras se
permet de revenir sur ses actes, et exprimer ses sentiments: «Dès les premiers...la limousine noire»
(p.44-15). La distance affichée entre le passé et le présent est paradoxale, parce qu'au lieu de nous
éloigner du récit, elle nous rapproche de ce dernier.
En conclusion, nous retiendrons que même si l'Amant n'est pas une autobiographie habituelle, elle
n'en reste pas moins crédible. D'ailleurs, le roman apparaît comme étant plus authentique que son
prédécesseur, car il pénètre dans l'essence même de la vie de Duras, dans l’intimé de sa famille. Et
c'est à travers les bribes de sa mémoire fragmentée, parsemée de son expérience de la vie (en tant
qu'écrivain, directrice de films, activiste politique), que se construit l'identité de celle qu'elle était
autrefois, et de celle qu'elle est devenue.
Bibliographie:
-Marguerite Duras: http://fr.wikipedia.org/wiki/Marguerite_Duras
-l'autobiographie: http://www.revue-relief.org/index.php/relief/article/viewFile/400/541
-ibidem: http://www.sid.ir/en/VEWSSID/J_pdf/1324200921305.pdf
-documents distribués en classe sur l'autobiographie et le nouveau roman

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