Le croisement chez les ovins (PDF Available)

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Le croisement chez les ovins (PDF Available)
L’Espace Vétérinaire N° 89, Décembre 2009
Le croisement chez les ovins
Ismaïl BOUJENANE
Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II
Introduction
Le croisement est l'une des méthodes largement utilisées en amélioration génétique des
animaux domestiques. Il a été pratiqué par les éleveurs depuis plusieurs décennies. Son but est
l’augmentation de la productivité des troupeaux en exploitant les différences génétiques
additives et non additives qui existent entre les races et en tirant profit de la complémentarité
entre les races pour différents caractères.
1. Principe
Le croisement est l’accouplement d'un mâle avec une femelle de races différentes. Il vise à
améliorer les performances des animaux en tirant profit de:
•
La complémentarité entre les races : réunir chez les croisés les aptitudes présentes
chez deux ou plusieurs races
•
L'effet d'hétérosis : supériorité des performances des animaux croisés par rapport à la
moyenne des performances des races parentales. Il existe trois types d'hétérosis:
- L’hétérosis individuel : supériorité de l'individu croisé
- L’hétérosis maternel : supériorité due à l'utilisation des mères croisées
- L’hétérosis paternel : supériorité due à l'utilisation des pères croisés.
L’effet d’hétérosis varie d’un croisement à l’autre. Plus les races utilisées en croisement sont
génétiquement distantes, plus l’effet d’hétérosis est élevé. Ainsi, le croisement incluant une
race ovine d’origine étrangère avec une race ovine locale montre en principe un effet
d’hétérosis plus élevé que le croisement incluant deux races locales.
De même, l’effet d’hétérosis varie d’un caractère à l’autre. Il est plus élevé pour les caractères
soumis à des effets non additifs, comme les caractères de reproduction et de viabilité, que
pour les caractères de production.
L'effet d’hétérosis est supposé être fonction des effets de dominance, et donc on s'attend à ce
qu'il soit proportionnel à l'hétérozygotie. En effet, un croisé de 1ère génération reçoit de
chaque parent un chromosome de chaque paire. Par conséquent, tous les locus sont à l'état
hétérozygote (l'hétérozygotie est de 100%) et l'hétérosis est maximum. Chez les croisés de la
génération F2 et des générations ultérieures, l’effet d’hétérosis est diminué de moitié par
rapport à celui de la génération F1 . C’est la raison pour laquelle les femelles issues du
croisement terminal (industriel et à double étage) ne sont généralement pas utilisées pour la
reproduction car les performances de leurs produits sont diminuées.
2. Types de croisements
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Plusieurs types de croisements sont connus. Certains sont à buts commerciaux car ils
bénéficient du phénomène d’hétérosis, et d’autres sont à buts génétiques puisqu’ils créent des
combinaisons génotypiques nouvelles. Les croisements les plus utilisés chez les ovins sont le
croisement terminal, le croisement d’absorption et le croisement pour la création de nouvelles
races.
2.1. Croisement terminal
Généralement, le croisement terminal inclut 2, 3 ou 4 races. Les agneaux mâles et femelles
issus de ce croisement sont tous destinés à l'abattage. Le croisement terminal a l'avantage de
profiter de la complémentarité entre les races impliquées, de l’effet d'hétérosis individuel
maximum, mais aussi de l’effet d'hétérosis maternel dans les croisements incluant trois ou
quatre races.
2.1.1. Croisement terminal à 2 races
Le croisement terminal à 2 races ou croisement terminal simple ou croisement industriel
consiste à croiser les béliers d'une race pure avec les brebis d'une autre race pure. Les produits
du croisement sont composés de 50% des effets génétiques de chaque race parentale et
profitent de l’effet d’hétérosis individuel maximum.
Bélier de race à viande
x
Brebis de race locale
Produits mâles et femelles destinés à l’abattage
Les races utilisées en croisement doivent être complémentaires. Ceci veut dire que les béliers
doivent avoir une croissance rapide, une bonne qualité de carcasse et un faible indice de
consommation. Quant aux brebis, elles doivent posséder de bonnes qualités d’élevage
(fécondité, production laitière…) et une bonne rusticité.
En général, la pratique du croisement industriel permet d’obtenir une production homogène
d’agneaux croisés pesant au sevrage 20 à 40% de plus que les agneaux de races pures locales
et qui sont vendus 1 à 2 mois plus tôt.
2.1.2. Croisement terminal à 3 races
Le croisement terminal à 3 races, appelé aussi le croisement à double étage, consiste à croiser
les mâles d'une race pure avec les femelles croisées de 1ère génération issues d'un croisement
entre les béliers d’une race prolifique et les brebis d’une race locale. Ce système de
croisement profite à la fois de l’effet d’hétérosis individuel maximum et de l’effet d’hétérosis
maternel maximum.
Bélier de race prolifique
Bélier de race à viande
x
x
Brebis de race locale
Brebis croisée
Produits mâles et femelles destinés à l’abattage
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Au Maroc, la race prolifique utilisée est la race D’man. Elle transmet les gènes de la haute
prolificité aux brebis croisées qui donnent naissance à plus d’un agneau par mise bas. Ainsi,
l’intérêt de ce croisement réside dans l’augmentation du nombre d’agneaux destinés à
l’abattage, grâce à l’utilisation de la race prolifique D’man, et du poids des agneaux à travers
l’utilisation d’une race à viande. Toutefois, c’est un croisement qui est difficile à mettre en
place chez les petits éleveurs car la présence de plusieurs types génétiques exige une certaine
technicité.
Plusieurs races à viande sont utilisées au Maroc pour le croisement terminal simple ou à
étage. On peut citer les races Ile de France, Mérinos Précoce, Lacaune viande, Caussenard du
Lot, Berrichon de Cher et Suffolk. Mais ce sont les races Ile de France et Mérinos Précoce qui
sont utilisées dans 90 à 95% des élevages qui pratiquent le croisement terminal. Notons que
les béliers de race Mérinos Précoce sont cornus et donc plus utilisés pour la production des
agneaux de Aïd Al Adha, alors que la race Ile de France est plus utilisée pour la production
des agneaux sur toute l’année. Les béliers de race à viande peuvent être achetés dans les
élevages de sélection des races pures d’origine importée qui sont rencontrés dans les
différentes régions du pays.
Les races de brebis utilisées en croisement terminal sont surtout les races Timahdite, Sardi et
Béni Guil. Les brebis de race D’man ne sont pas très utilisées en croisement terminal, car
d’une part elles coûtent cher, et d’autre part elles donnent naissance à plusieurs agneaux par
mise bas qui sont souvent de petite taille et de mauvaise conformation. En revanche, la race
synthétique DS utilisée en croisement industriel simple donne des résultats similaires à ceux
obtenus à partir du croisement à double étage car sa prolificité est similaire à celles des brebis
croisées issues de béliers D’man.
L’inconvénient majeur du croisement terminal est le renouvellement des brebis de races
pures. Deux solutions s’imposent à l’éleveur :
- Faire appel au marché pour renouveler son troupeau de brebis. Cette option peut se
heurter aux problèmes de la non disponibilité et donc de la cherté des brebis, et à
l’introduction éventuelle de maladies non connues dans l’exploitation.
- Entretenir un troupeau spécial en race pure pour assurer le renouvellement des
brebis. Ainsi, sur la base de la productivité annuelle des brebis de races locales qui
avoisine 0,8 agneau/brebis/an et d’une durée de vie productive de 4,5 années, la
proportion de femelles qui pourra être utilisée en croisement est de 44%. Le reste
des brebis est conduit en race pure pour assurer le renouvellement du troupeau.
A la lumière des résultats obtenus à partir de différentes expérimentations réalisées sur le
croisement terminal, on peut conclure que :
- Les brebis de races locales impliquées dans le croisement terminal ont réalisé une
productivité supérieure à celle des brebis de races locales conduites en race pure.
- Les brebis de race D'man et croisées D'man ont réalisé les meilleures performances de
reproduction.
- Les agneaux issus du croisement terminal ont réalisé des performances d’engraissement et
des caractéristiques de carcasses supérieures à celles des agneaux de races pures locales.
- Le croisement à double étage a résulté en une productivité plus élevée que le croisement
industriel.
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-
-
Les béliers de race Ile de France ont donné les meilleures productions en croisement avec
les brebis de toutes les races locales. Les agneaux produits sont précoces et ont présenté
un bon développement musculaire.
La production laitière des brebis de races locales est suffisante pour l’alimentation
correcte de leurs agneaux pendant le 1er mois de lactation. Néanmoins, une
complémentation alimentaire des agneaux est bénéfique dès l’âge de deux semaines.
2.2. Croisement d'absorption
Le croisement d'absorption est le remplacement progressif d'une race jugée moins productive
par une race plus productive. Il consiste en des croisements en retour, pendant 5 générations,
des mâles de la race amélioratrice avec les femelles croisées obtenues à la génération
précédente. Au fil des générations, les effets d’hétérosis individuel et maternel diminuent de
façon proportionnelle à la diminution de l'hétérozygotie.
Après 5 générations de croisement, la race est presque fixée, puisque 96,875% des gènes sont
issus de la race amélioratrice. Les croisés obtenus à la 5ème génération sont indiscernables à
tout égard de la race amélioratrice.
G0
Bélier de race améliorée (A)
x
Brebis de race locale (L)
G1
Bélier de race A
x
Brebis croisée
(50% A 50% L)
G2
Bélier de race A
x
Brebis croisée
(75% A 25% L)
G3
Bélier de race A
x
Brebis croisée
(87,5% A 12,5% L)
G4
Bélier de race A
x
Brebis croisée
(93,75% A 6,25% L)
G5
Bélier de race A
x
Brebis croisée
(96,875% A 3,125% L)
Ce croisement est pratiqué lorsqu’on souhaite obtenir une race pure qui n’est pas disponible
sur place ou dont l’acquisition coûte cher, mais dont les mâles ou leurs semences sont
disponibles. Ainsi, à partir des béliers de race Ile de France par exemple et des brebis de races
locales, on peut aboutir en 5 générations (presque une dizaine d’années) à un troupeau de race
Ile de France.
Pour réussir ce croisement, il est nécessaire d’éviter la consanguinité qui pourrait provenir de
l’accouplement des béliers avec leurs filles, en changeant les béliers après une ou deux années
d’utilisation.
Les principaux avantages du croisement d’absorption sont la réduction des difficultés
d’adaptation puisque la race améliorée est introduite progressivement, et le moindre coût du
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croisement puisque seuls les mâles ou les semences de la race amélioratrice sont achetés. En
revanche, son principal inconvénient est à la longue la « mort génétique » des races locales.
Notons qu’au Maroc, plusieurs troupeaux de sélection de races pures d’origine importée sont
issus du croisement d’absorption. Les animaux sont actuellement inscrits au livre
généalogique de la race et les troupeaux approvisionnent les élevages de croisement terminal
en béliers de races pures.
2.3. Croisement pour la création de nouvelles races
Généralement, on a recours à la création de races synthétiques lorsque les races disponibles ne
répondent pas entièrement aux besoins des éleveurs. Cette création peut se faire à partir de
deux ou de plusieurs races fondatrices complémentaires, contribuant de façon égale ou
différente à la nouvelle race.
Avant de se lancer dans un programme de création d'une nouvelle race, qui est généralement
long et coûteux, il est important de :
- Caractériser les races candidates pour la création de la future race synthétique dans un
large éventail d'environnements pour pouvoir sélectionner celles qui répondent à l'objectif
fixé.
- Utiliser les meilleurs béliers et les meilleures brebis des races fondatrices dans les
croisements de départ.
- Produire les croisés avec des contributions des gènes différentes de chaque race
fondatrice.
- Comparer les croisés obtenus pour déterminer celui qui a les performances les plus
élevées pour différents caractères économiques, et donc connaître la proportion optimale
de chaque race fondatrice.
- Déterminer l'importance de la perte de l'hétérosis associée à la perte de l'hétérozygotie en
comparant les performances des croisés F1 et F2 . Si la perte de l'hétérosis est
approximativement proportionnelle à la rétention de l'hétérozygotie entre la F1 et la F2 ,
alors la création de la race synthétique est une alternative intéressante.
- Croiser à chaque génération les mâles avec les femelles de même génération, jusqu'à ce
que la nouvelle race soit fixée.
- Une fois que la race synthétique est créée, elle peut être gérée comme une race pure, et
ainsi éviter tous les problèmes inhérents aux croisements classiques.
Il est à noter que lors de la création d'une race synthétique, il est important de maintenir la
taille de la population suffisamment large, en utilisant au moins 12 pères par génération, de
façon à ce que l'augmentation initiale de l'hétérozygotie ne soit pas masquée par une
consanguinité précoce dans la race synthétique.
C’est ce croisement et cette approche qui ont été adoptés pour créer la race ovine synthétique
DS (50% des gènes D’man et 50% des gènes Sardi), qui répond parfaitement au souhait des
éleveurs qui cherchent une race avec une prolificité moyenne de 150%, intermédiaire à celles
de la race prolifique D’man et des races de parcours non prolifiques.
Le croisement pour la création d’une race synthétique a pour avantage la mise à la disposition
des éleveurs de races nouvelles qui répondent à leurs besoins et qui ont une conduite facile.
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En revanche, son inconvénient majeur est qu’il nécessite beaucoup de temps, d’efforts et de
moyens.
Conclusion
Malgré ses nombreux avantages sur la productivité des troupeaux ovins, le croisement ne s’est
malheureusement pas beaucoup développé au Maroc. En effet, le nombre d’éleveurs affiliés à
l’ANOC qui pratiquent le croisement terminal est inférieur à 150 éleveurs et le nombre de
brebis en croisement de dépasse pas 30.000 brebis. Cette faible pratique du croisement
s’explique par plusieurs facteurs :
- Un manque de vulgarisation du croisement et de ses avantages auprès des éleveurs.
Certains éleveurs ignorent même l’existence de cette technique.
- La cherté des béliers de races améliorées d’origine importée dont le prix dépasse souvent
8000 DH et dont l’acquisition n’est pas à la portée des petits éleveurs. Il est donc
nécessaire d’encourager la création de nouveaux troupeaux de races d’origine importées
par la technique du croisement d’absorption afin de répondre à la demande élevée en
béliers pour les élevages de croisement.
- La délimitation du territoire national en zones berceaux de races et zones de croisement a
fait que ces dernières restent réduites et limitées aux régions de Casablanca, El Jadida,
Kénitra, Sidi Kacem, Agadir… Il est donc nécessaire de revoir cette stratégie pour donner
plus d’espace aux zones de croisement, sans trop réduire les zones berceaux et mettre en
péril la survie et le maintien des races ovines locales.
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