Comment les femmes vivent-elles la précarité aujourd`hui ?
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Comment les femmes vivent-elles la précarité aujourd`hui ?
Sup au plém e R Oc egar nt tob ds N re - 20 ° 71 07 Dossier réalisé par : Vie Féminine Huy, Waremme, Ourthe-Amblève ossier Comment les femmes vivent-elles la précarité aujourd'hui ? Si Vie Féminine s’est intéressée à la précarité, c’est au départ de « petites choses » rapportées par les femmes que notre mouvement rassemble par ses actions de proximité. Il nous était impossible de passer à côté, de ne pas chercher à comprendre, de ne pas écouter et entendre ces femmes. Ces femmes prises entre des politiques sociales boiteuses et des salaires insuffisants, entre les rôles traditionnels et l’envie d’être soi. Des femmes qui, progressivement ou brusquement, se sont trouvées dans une précarité affective, sociale, financière… Nous avons donc voulu savoir comment les femmes vivent cette précarité aujourd’hui. Comment, dans un monde encore inégalitaire, la précarité constitue peut-être le lot de la féminité.Au fil de l’enquête, une question est apparue : être une femme, n’est-ce pas déjà être précaire ? La précarité c’est ce statut flottant dans lequel le moindre élément qui dérape peut gripper tout le mécanisme. Cet état où l’on oscille juste à la limite entre « un peu mieux un jour, peut-être » et « tout près du bord», cette limite avec la pauvreté dans laquelle on peut tomber pour un rien. Pour explorer ces enjeux, nous avons déterminé les différents champs de la vie à questionner, fonctionnant comme autant de branches d’une étoile dont le coeur serait la question de la précarité au féminin : le couple et les enfants, l’emploi, les revenus, la santé, la culture, le temps et la mobilité, le logement… En toile de fond, des questions transversales comme la résistance, la justice, la qualité de vie, la localisation, l’avenir. Et une ligne du temps (avant, maintenant, dans le futur) enrichie d’une dimension multiculturelle (ici/là-bas). Une méthode respectueuse Afin de mener cette enquête avec le sérieux qu’elle mérite, nous nous sommes appuyées sur les compétences des animatrices et travailleuses du mouvement, mais aussi sur celles de Bernard Francq, sociologue et professeur à l’UCL. C’est la méthode de l’intervention sociologique qui a été retenue. Mise au point par Alain Touraine, cette méthode consiste en un travail avec des groupes de discussion encadrés par un animateur ou une animatrice ossier Page 2 - oct. 2007 et un-e secrétaire de séance. Les trois ou quatre premières séances sont ouvertes à un-e invité-e qui intervient le temps d’un exposé d’une vingtaine de minutes, laissant place à une discussion de groupe. Les dernières séances se déroulent sans invité-e extérieur-e. Le groupe y élabore un travail de réflexion et d’auto-analyse autour des informations et des expressions récoltées lors des séances ouvertes et tente alors de déterminer ce qui demain peut changer, doit changer, et ce que l’on peut faire pour changer. Pour mener à bien cette recherche, Bernard Francq a formé 24 animatrices de Vie Féminine, afin qu’elles puissent appliquer avec rigueur la méthode de récolte de matériaux. Douze groupes rassemblant en tout 127 femmes d’origines, de cultures, d’âges, de professions ou de formations divers, se sont répartis en Wallonie et à Bruxelles. Les femmes qui sont venues s’exprimer au sein de ces groupes l’ont fait parce qu’elles se sentaient un point commun : l’impression d’être concernées par la précarité.A travers les différents témoignages, ce sont des parcours de femmes que nous avons suivis. Des femmes plongées dans le bain de la précarité, forcées de « bricoler » leur vie. C’est la face cachée et niée de la vie des femmes que nous avons cherché à observer et que nous voulons aujourd’hui faire connaître. Des femmes que la société et le politique doivent écouter, au lieu de les laisser dans le règne de la débrouille, art dans lequel elles sont devenues expertes, non par choix, mais malgré elles. Plus qu’une recherche sociologique, cette enquête est le fruit d’un travail collectif, source de reconnaissance pour les participantes : « Ce que j’ai dit en valait la peine et a été pris au sérieux ». Les expériences, lorsqu’elles sont relatées par écrit, constituent déjà une reconnaissance de son vécu et, plus encore, de soi…Cette étude représente une étape du travail accompli avec elles pour plus d’autonomie, d’égalité et de justice sociale. Ce que vivent les femmes La précarité naît de l’interdépendance entre différents domaines (emploi, santé, culture, logement, couple, enfants, revenus, temps…) et au moindre grippage, on assiste à une série d’effets en cascade. La recherche a bien montré à travers les expériences et les parcours de vie que le fait d’être une femme constitue une précarité en soi car notre identité reste fortement imprégnée des rôles sexués. Cette identité sexuée conduit les femmes à faire des « choix » (le privé, la famille, les enfants) qui ne permettent pas de réelle autonomie sous la « protection des hommes ». L’existence des femmes est tissée de renoncements: leurs aspirations propres s’effacent devant les soins qu’elles sont censées apporter à leurs proches. Ce renoncement est fortement lié à la maternité, que notre société continue à définir comme un effacement de soi alors que ce modèle est rejeté par la majorité des femmes. Ce modèle imposé, dans lequel les femmes se retrouvent piégées, pose plusieurs questions: • Pourquoi le fait de devenir parent recouvre-t-il des responsabilités différentes pour un homme et pour une femme ? • Pourquoi la prise en charge des enfants revient-elle presque entièrement aux femmes ? • Et surtout, comment accepter que cette assignation des femmes à la sphère privée les plonge dans une telle précarité d’existence ? Les femmes sont dans une zone de « l’entre », dans une zone qui leur est propre, créée par l’interdépendance entre les différents champs évoqués. Lorsque les femmes ont une activité professionnelle, cette zone devient plus complexe et se teinte de culpabilité car là encore apparaît cette idéologie de mère entièrement dévouée à son enfant. Cette idéologie est tellement forte que notre société propose trop peu de structures d’accueil adaptées et financièrement accessibles. D’autre part, l’étude démontre que c’est au moment de la rupture que la situation de précarité des femmes, Prendre position Vie Féminine, en tant que mouvement féministe, a fait le choix de rassembler, d’écouter et de rendre compte du vécu d’un nombre important de femmes. C’est toujours en tant que féministes que nous pouvons affirmer que le sort de ces femmes révèle tout un système de société producteur d’inégalités. Un système destructeur qui organise la dérégulation, la ségrégation et laisse aussi sur le bord du chemin bon nombre d’hommes dont le sort se rapproche de celui des femmes dont il est question dans notre recherche. C’est tout un pan de notre société que la précarité de ces femmes met en évidence. Un pan qui se construit dans l’ombre… Mais la situation spécifique des femmes dans notre société, marquée par la répartition sexuée des rôles, les place au coeur de situations cumulatives qui, par un effet, cascade précipite les femmes dans des situations dont il est difficile de sortir. Le fait d’être une femme constitue ainsi déjà une précarité supplémentaire due à la multitude de rôles que les femmes assument. La recherche révèle également que les femmes se retrouvent dans une grosse crise de confiance vis-àvis de la société et du couple : elles ne s’y sentent pas reconnues, pas soutenues, pas écoutées, pas entendues. Crise de confiance face à des institutions qui ne remplissent plus leur rôle de soutien au point que certaines femmes renoncent même à exercer leurs droits. Ce qui est en cause c’est la philosophie et le fonctionnement global de l’état social actif. Un système libéral injuste, obsédé par la culpabilisation et la sanction des personnes mises en difficultés, et qui met les plus vulnérables sur le côté. C’est la question de l’accès et de l’accueil qui est ici posée. Crise de confiance également provoquée par le décalage entre des modèles familiaux nouveaux (ex : la monoparentalité) et des politiques qui se réfèrent toujours à des notions patriarcales du ménage. Des politiques qui continuent à ignorer la charge familiale: la société fonctionne comme s’il n’y avait pas d’enfants… Aux femmes de se débrouiller! Crise de confiance face au « masculin » qui n’a pas tenu ses promesses ni dans la parentalité, ni dans la conjugalité. Dans un contexte où l’égalité des sexes est partout proclamée ! Dans ce climat de désenchantement, comment restaurer la confiance ? La question est posée et des pistes de revendications ont été amenées (lire encadré). L’enquête a, en tout cas, ouvert des champs multiples qui ont été approfondis lors de notre colloque organisé le 20 septembre à Huy (lire page suivante) et le seront encore avec les femmes dans les mois à venir, en collaboration avec d’autres acteurs qui le souhaitent. Comment restaurer la confiance ? Au fil de cette enquête, quelques pistes de revendications en forme de nécessité sont apparues. Il s’agit de : • Développer une politique active de respect qui prendrait en compte tous les champs évoqués par les femmes. • Permettre aux femmes d’investir pleinement la vie professionnelle. • Responsabiliser les hommes à leur rôle de partenaire et de père. • Créer des structures d’accueil de l’enfance accessibles et en nombre suffisant. • Changer la logique de nos institutions pour dépasser le schéma de type charitable et permettre l’autonomie. • Mise en place d’une réelle démocratie qui passe par une égalité entre tous et toutes et qui confère une autonomie tant aux hommes qu’aux femmes. • Faire primer le politique sur l’économique, à contre courant du libéralisme. ossier pré-existante au sein du couple, se révèle dans toute sa dureté. Le couple édifié dans nos sociétés en rempart contre la précarité, organise en fait, par la répartition des rôles, de choquantes inégalités entre les hommes et les femmes. Cette recherche révèle également un point important : le sentiment d’abandon que les femmes ressentent envers les institutions publiques, supposées les aider et les soutenir.Trop souvent, au lieu d’accueillir et de considérer ces personnes dans leur globalité, les institutions « saucissonnent » les problèmes et se renvoient la balle. Elles devraient garantir l’égalité et pourtant reproduisent les inégalités, déjà vécues dans le couple. Les femmes ne se sentent ni écoutées, ni respectées. Ce qui est en cause dans la reproduction des inégalités sociales révélées dans cette étude, c’est la philosophie et le fonctionnement global d’un Etat qui, dans le meilleur des cas, consent à aider mais pas à autonomiser… Les femmes semblent donc souvent engluées dans les stéréotypes de l’amoureuse parfaite, la bonne mère, l’épouse idéale… Mais les clichés sont mensongers, car personne ne peut s’y conformer tout à fait. Et même si certaines mettent du temps à se rendre compte qu’elles ne seront jamais des icônes, beaucoup dévoilent, tôt ou tard, leur capacité d’affirmation personnelle. C’est alors que se manifeste, parfois brutalement, le “je”. Ce que les femmes demandent, ce qu’elles exigent, c’est le respect. De la part de leur partenaire et de leurs proches, mais aussi des institutions et de la société en général. Page 3 - oct. 2007 Une journée dense et riche Compte–rendu du colloque organisé par la fédération Huy – Waremme - Ourthe-Amblève de Vie Féminine le 20 septembre à Tihange. Nous avons, le jeudi 20 septembre dernier, essayé de mieux comprendre la précarité vécue par les femmes au sein de notre région, en réalisant un colloque à Tihange.Après l’introduction d’Anne Vanguestaine, responsable Régionale de Vie Féminine Huy-WaremmeOurthe-Amblève, Madame Anne-Marie Lizin, Sénatrice et Bourgmestre de Huy, nous a témoigné son soutien et nous a fait part de quelques pistes de réflexion. Celles-ci furent suivies de 4 témoignages émouvants et courageux, éclairant de façon plus concrète les réalités de la précarité au féminin. La matinée s’est terminée par la présentation des résultats de la recherche action menée dans les différentes régions de Vie Féminine par Valérie Lootvoet (Bureau d’étude Vie Féminine Nationale) et Bernard Franck (UCL).Après la pause déjeuner, une table ronde animée par Nadia Delhay, journaliste à la télévision locale RTC, a rassemblé des représentants de la CSC, de la Mutualité Chrétiennne, de l’Observatoire de la pauvreté,du CPAS de Huy, du CPAS de Sprimont, ainsi qu’une avocate de Huy. Un débat qui a permis au nombreux public présent de réagir. ossier Réaction en chaîne Page 4 - oct. 2007 Lors de cette journée, nous avons pu constater que les résultats de la recherche nationale sont valables également sur notre région. La rupture est souvent l’élément déclencheur de la précarité au féminin. Cette précarité s’installe lorsque « quelque chose dérape » (accident de santé, perte d’emploi ou non emploi…). La précarité s’accentuant alors par une succession de réactions en chaîne : maladie ➭ difficultés financières ➭ perte de liens sociaux ➭ replis sur soi et perte de confiance en soi ➭ perte de confiance dans les institutions ➭ méconnaissance des droits…. Cette journée très dense s’est clôturée par le très touchant et très poétique spectacle « De l’intime au public ». Les comédiennes, des femmes du groupe théâtre de Waremme (encadré par Julie Lecomte, animatrice de VF, et soutenu par le travail artistique de Angélique Demoitié, animatrice théâtre), ont interpellé l’assemblée par des textes qu’elles ont mis en scène. Les pistes dégagées… Assemblée et intervenants ont souligné l’importance du rôle de l’éducation et de l’école, dès le plus jeune âge. La discussion rejoignait également les grands combats de Vie Féminine tels que l’amélioration du système du SECAL, la lutte contre les statuts précaires, l’individualisation des droits, la tolérance zéro dans le cadre des violences domestiques, la compatibilité des horaires des travailleuses et de leurs enfants, etc. Une réussite ! Programme intéressant et dense, vous avez été nombreuses (et nombreux) à y participer ! Plus de 75 personnes, bénévoles, intervenants sociaux et représentants d’associations locales, venant de toute la région, ont répondu à notre invitation. Les journalistes et les politiques ont peu couvert l’événement, mais si nous avons remarqué tout de même la présence de la RTBF radio, d’Anne-Marie Lizin (op cit.) et de Raymonde Yerna, la représentante du Ministre de l’Economie, de l’Emploi, du Commerce extérieur et du Patrimoine de la Région wallonne (Monsieur Marcourt). Malgré quelques longueurs, ou les frustrations que peut occasionner un débat toujours trop court quand il concerne un sujet si sensible et riche, ce colloque s’est déroulé dans une ambiance concentrée, respectueuse et conviviale, et c’est un sentiment de satisfaction générale qui en émane ! Comme l’a si bien dit une des témoins : « L’esprit c’est comme un parachute, pour qu’il fonctionne bien, il faut qu’il soit ouvert » Audrey Vanhemelen, Animatrice VF - HWOA « Au féminin précaire » : Le livre « Au féminin précaire » qui reprend l’ensemble du travail d’enquête mené par Vie Féminine est disponible au prix de 9€. Pour le recevoir, vous pouvez contacter Dominique De Roeck au siège régional de Vie Féminine à Waremme au 019/32.30.57.