Comment les femmes vivent-elles la précarité aujourd`hui ?

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Comment les femmes vivent-elles la précarité aujourd`hui ?
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Dossier réalisé par :
Vie Féminine
Huy, Waremme,
Ourthe-Amblève
ossier
Comment les femmes
vivent-elles la précarité
aujourd'hui ?
Si Vie Féminine s’est intéressée à la précarité, c’est au départ
de « petites choses » rapportées par les femmes que notre
mouvement rassemble par ses actions de proximité. Il nous était
impossible de passer à côté, de ne pas chercher à comprendre,
de ne pas écouter et entendre ces femmes. Ces femmes prises
entre des politiques sociales boiteuses et des salaires
insuffisants, entre les rôles traditionnels et l’envie d’être soi.
Des femmes qui, progressivement ou brusquement, se sont
trouvées dans une précarité affective, sociale, financière…
Nous avons donc voulu savoir comment les
femmes vivent cette précarité aujourd’hui.
Comment, dans un monde encore inégalitaire, la précarité constitue peut-être le lot
de la féminité.Au fil de l’enquête, une question est apparue : être une femme,
n’est-ce pas déjà être précaire ?
La précarité c’est ce statut flottant dans lequel le moindre élément qui dérape peut
gripper tout le mécanisme. Cet état où l’on
oscille juste à la limite entre « un peu mieux
un jour, peut-être » et « tout près du bord»,
cette limite avec la pauvreté dans laquelle
on peut tomber pour un rien.
Pour explorer ces enjeux, nous avons déterminé les différents champs de la vie à
questionner, fonctionnant comme autant de
branches d’une étoile dont le coeur serait la
question de la précarité au féminin : le
couple et les enfants, l’emploi, les revenus,
la santé, la culture, le temps et la mobilité,
le logement… En toile de fond, des questions transversales comme la résistance, la
justice, la qualité de vie, la localisation, l’avenir. Et une ligne du temps (avant, maintenant, dans le futur) enrichie d’une dimension multiculturelle (ici/là-bas).
Une méthode
respectueuse
Afin de mener cette enquête avec le sérieux
qu’elle mérite, nous nous sommes appuyées
sur les compétences des animatrices et travailleuses du mouvement, mais aussi sur
celles de Bernard Francq, sociologue et professeur à l’UCL.
C’est la méthode de l’intervention sociologique qui a été retenue. Mise au point par
Alain Touraine, cette méthode consiste en un
travail avec des groupes de discussion encadrés par un animateur ou une animatrice
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et un-e secrétaire de séance. Les trois ou quatre premières séances sont ouvertes à un-e invité-e qui intervient le temps d’un exposé d’une vingtaine de minutes,
laissant place à une discussion de groupe. Les dernières
séances se déroulent sans invité-e extérieur-e. Le groupe
y élabore un travail de réflexion et d’auto-analyse autour
des informations et des expressions récoltées lors des
séances ouvertes et tente alors de déterminer ce qui demain peut changer, doit changer, et ce que l’on peut faire
pour changer.
Pour mener à bien cette recherche, Bernard Francq a
formé 24 animatrices de Vie Féminine, afin qu’elles puissent appliquer avec rigueur la méthode de récolte de matériaux. Douze groupes rassemblant en tout 127 femmes
d’origines, de cultures, d’âges, de professions ou de formations divers, se sont répartis en Wallonie et à Bruxelles.
Les femmes qui sont venues s’exprimer au sein de ces
groupes l’ont fait parce qu’elles se sentaient un point
commun : l’impression d’être concernées par la précarité.A travers les différents témoignages, ce sont des parcours de femmes que nous avons suivis. Des femmes
plongées dans le bain de la précarité, forcées de « bricoler » leur vie.
C’est la face cachée et niée de la vie des
femmes que nous avons cherché à observer
et que nous voulons aujourd’hui faire
connaître. Des femmes que la société et le politique
doivent écouter, au lieu de les laisser dans le règne de
la débrouille, art dans lequel elles sont devenues expertes,
non par choix, mais malgré elles.
Plus qu’une recherche sociologique, cette enquête est le
fruit d’un travail collectif, source de reconnaissance pour
les participantes : « Ce que j’ai dit en valait la peine et
a été pris au sérieux ». Les expériences, lorsqu’elles sont
relatées par écrit, constituent déjà une reconnaissance
de son vécu et, plus encore, de soi…Cette étude représente une étape du travail accompli avec elles pour plus
d’autonomie, d’égalité et de justice sociale.
Ce que vivent les femmes
La précarité naît de l’interdépendance entre différents
domaines (emploi, santé, culture, logement, couple, enfants, revenus, temps…) et au moindre grippage, on assiste à une série d’effets en cascade.
La recherche a bien montré à travers les expériences
et les parcours de vie que le fait d’être une femme
constitue une précarité en soi car notre identité
reste fortement imprégnée des rôles sexués. Cette identité sexuée conduit les femmes à faire des « choix » (le
privé, la famille, les enfants) qui ne permettent pas de
réelle autonomie sous la « protection des hommes ».
L’existence des femmes est tissée de renoncements: leurs
aspirations propres s’effacent devant les soins qu’elles
sont censées apporter à leurs proches. Ce renoncement
est fortement lié à la maternité, que notre société
continue à définir comme un effacement de soi alors que
ce modèle est rejeté par la majorité des femmes.
Ce modèle imposé, dans lequel les femmes se retrouvent
piégées, pose plusieurs questions:
• Pourquoi le fait de devenir parent recouvre-t-il des responsabilités différentes pour un homme et pour une
femme ?
• Pourquoi la prise en charge des enfants revient-elle
presque entièrement aux femmes ?
• Et surtout, comment accepter que cette assignation
des femmes à la sphère privée les plonge dans une
telle précarité d’existence ?
Les femmes sont dans une zone de « l’entre »,
dans une zone qui leur est propre, créée par l’interdépendance entre les différents champs évoqués. Lorsque
les femmes ont une activité professionnelle, cette zone
devient plus complexe et se teinte de culpabilité car là
encore apparaît cette idéologie de mère entièrement dévouée à son enfant. Cette idéologie est tellement forte
que notre société propose trop peu de structures d’accueil adaptées et financièrement accessibles.
D’autre part, l’étude démontre que c’est au moment de
la rupture que la situation de précarité des femmes,
Prendre position
Vie Féminine, en tant que mouvement féministe, a fait le
choix de rassembler, d’écouter et de rendre compte du
vécu d’un nombre important de femmes. C’est toujours
en tant que féministes que nous pouvons affirmer que
le sort de ces femmes révèle tout un système de
société producteur d’inégalités. Un système
destructeur qui organise la dérégulation, la ségrégation
et laisse aussi sur le bord du chemin bon nombre
d’hommes dont le sort se rapproche de celui des femmes
dont il est question dans notre recherche. C’est tout un
pan de notre société que la précarité de ces femmes met
en évidence. Un pan qui se construit dans l’ombre…
Mais la situation spécifique des femmes dans notre société, marquée par la répartition sexuée des rôles, les
place au coeur de situations cumulatives qui, par un effet, cascade précipite les femmes dans des situations dont
il est difficile de sortir. Le fait d’être une femme
constitue ainsi déjà une précarité supplémentaire due à la multitude de rôles que les
femmes assument.
La recherche révèle également que les femmes se retrouvent dans une grosse crise de confiance vis-àvis de la société et du couple : elles ne s’y sentent pas reconnues, pas soutenues, pas écoutées, pas entendues.
Crise de confiance face à des institutions qui
ne remplissent plus leur rôle de soutien au
point que certaines femmes renoncent même à exercer leurs droits. Ce qui est en cause c’est la philosophie
et le fonctionnement global de l’état social actif. Un système libéral injuste, obsédé par la culpabilisation et la
sanction des personnes mises en difficultés, et qui met
les plus vulnérables sur le côté. C’est la question de l’accès et de l’accueil qui est ici posée.
Crise de confiance également provoquée par le décalage
entre des modèles familiaux nouveaux (ex : la monoparentalité) et des politiques qui se réfèrent toujours à des
notions patriarcales du ménage. Des politiques qui
continuent à ignorer la charge familiale: la
société fonctionne comme s’il n’y avait pas
d’enfants… Aux femmes de se débrouiller!
Crise de confiance face au « masculin » qui
n’a pas tenu ses promesses ni dans la parentalité, ni dans
la conjugalité. Dans un contexte où l’égalité des sexes est
partout proclamée !
Dans ce climat de désenchantement, comment restaurer la confiance ? La question est posée et des pistes
de revendications ont été amenées (lire encadré).
L’enquête a, en tout cas, ouvert des champs multiples qui
ont été approfondis lors de notre colloque organisé le 20
septembre à Huy (lire page suivante) et le seront encore
avec les femmes dans les mois à venir, en collaboration
avec d’autres acteurs qui le souhaitent.
Comment restaurer
la confiance ?
Au fil de cette enquête, quelques pistes de revendications en forme de nécessité sont apparues. Il
s’agit de :
• Développer une politique active de respect qui
prendrait en compte tous les champs évoqués
par les femmes.
• Permettre aux femmes d’investir pleinement la
vie professionnelle.
• Responsabiliser les hommes à leur rôle de partenaire et de père.
• Créer des structures d’accueil de l’enfance accessibles et en nombre suffisant.
• Changer la logique de nos institutions pour dépasser le schéma de type charitable et permettre
l’autonomie.
• Mise en place d’une réelle démocratie qui passe
par une égalité entre tous et toutes et qui
confère une autonomie tant aux hommes qu’aux
femmes.
• Faire primer le politique sur l’économique, à
contre courant du libéralisme.
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pré-existante au sein du couple, se révèle dans toute sa
dureté. Le couple édifié dans nos sociétés en rempart
contre la précarité, organise en fait, par la répartition des
rôles, de choquantes inégalités entre les hommes et les
femmes.
Cette recherche révèle également un point important :
le sentiment d’abandon que les femmes ressentent envers les institutions publiques, supposées les aider et les soutenir.Trop souvent, au lieu d’accueillir et
de considérer ces personnes dans leur globalité, les institutions « saucissonnent » les problèmes et se renvoient
la balle. Elles devraient garantir l’égalité et pourtant reproduisent les inégalités, déjà vécues dans le couple. Les
femmes ne se sentent ni écoutées, ni respectées.
Ce qui est en cause dans la reproduction des inégalités
sociales révélées dans cette étude, c’est la philosophie et
le fonctionnement global d’un Etat qui, dans le meilleur
des cas, consent à aider mais pas à autonomiser…
Les femmes semblent donc souvent engluées dans les
stéréotypes de l’amoureuse parfaite, la bonne mère,
l’épouse idéale… Mais les clichés sont mensongers, car
personne ne peut s’y conformer tout à fait. Et même si
certaines mettent du temps à se rendre compte qu’elles
ne seront jamais des icônes, beaucoup dévoilent, tôt ou
tard, leur capacité d’affirmation personnelle. C’est alors
que se manifeste, parfois brutalement, le “je”. Ce que
les femmes demandent, ce qu’elles exigent,
c’est le respect. De la part de leur partenaire et de
leurs proches, mais aussi des institutions et de la société
en général.
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Une journée dense et riche
Compte–rendu du colloque organisé par la fédération
Huy – Waremme - Ourthe-Amblève de Vie Féminine le 20 septembre à Tihange.
Nous avons, le jeudi 20 septembre dernier, essayé de
mieux comprendre la précarité vécue par les femmes
au sein de notre région, en réalisant un colloque à
Tihange.Après l’introduction d’Anne Vanguestaine, responsable Régionale de Vie Féminine Huy-WaremmeOurthe-Amblève, Madame Anne-Marie Lizin, Sénatrice
et Bourgmestre de Huy, nous a témoigné son soutien
et nous a fait part de quelques pistes de réflexion.
Celles-ci furent suivies de 4 témoignages émouvants et
courageux, éclairant de façon plus concrète les réalités
de la précarité au féminin. La matinée s’est terminée
par la présentation des résultats de la recherche action menée dans les différentes régions de Vie Féminine
par Valérie Lootvoet (Bureau d’étude Vie Féminine
Nationale) et Bernard Franck (UCL).Après la pause déjeuner, une table ronde animée par Nadia Delhay, journaliste à la télévision locale RTC, a rassemblé des représentants de la CSC, de la Mutualité Chrétiennne, de
l’Observatoire de la pauvreté,du CPAS de Huy, du CPAS
de Sprimont, ainsi qu’une avocate de Huy. Un débat
qui a permis au nombreux public présent de réagir.
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Réaction en chaîne
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Lors de cette journée, nous avons pu constater que les
résultats de la recherche nationale sont valables également sur notre région. La rupture est souvent l’élément déclencheur de la précarité au féminin. Cette précarité s’installe lorsque « quelque chose dérape »
(accident de santé, perte d’emploi ou non emploi…).
La précarité s’accentuant alors par une succession de
réactions en chaîne : maladie ➭ difficultés financières
➭ perte de liens sociaux ➭ replis sur soi et perte de
confiance en soi ➭ perte de confiance dans les institutions ➭ méconnaissance des droits….
Cette journée très dense s’est clôturée par le très touchant et très poétique spectacle « De l’intime au public ». Les comédiennes, des femmes du groupe théâtre
de Waremme (encadré par Julie Lecomte, animatrice
de VF, et soutenu par le travail artistique de Angélique
Demoitié, animatrice théâtre), ont interpellé l’assemblée par des textes qu’elles ont mis en scène.
Les pistes dégagées…
Assemblée et intervenants ont souligné l’importance du
rôle de l’éducation et de l’école, dès le plus jeune âge.
La discussion rejoignait également les grands combats
de Vie Féminine tels que l’amélioration du système du
SECAL, la lutte contre les statuts précaires, l’individualisation des droits, la tolérance zéro dans le cadre des
violences domestiques, la compatibilité des horaires des
travailleuses et de leurs enfants, etc.
Une réussite !
Programme intéressant et dense, vous avez été nombreuses (et nombreux) à y participer ! Plus de 75 personnes, bénévoles, intervenants sociaux et représentants d’associations locales, venant de toute la région,
ont répondu à notre invitation. Les journalistes et les
politiques ont peu couvert l’événement, mais si nous
avons remarqué tout de même la présence de la RTBF
radio, d’Anne-Marie Lizin (op cit.) et de Raymonde
Yerna, la représentante du Ministre de l’Economie, de
l’Emploi, du Commerce extérieur et du Patrimoine de
la Région wallonne (Monsieur Marcourt).
Malgré quelques longueurs, ou les frustrations que peut
occasionner un débat toujours trop court quand il
concerne un sujet si sensible et riche, ce colloque s’est
déroulé dans une ambiance concentrée, respectueuse
et conviviale, et c’est un sentiment de satisfaction générale qui en émane !
Comme l’a si bien dit une des témoins : « L’esprit c’est
comme un parachute, pour qu’il fonctionne bien, il faut
qu’il soit ouvert »
Audrey Vanhemelen,
Animatrice VF - HWOA
« Au féminin précaire » :
Le livre « Au féminin précaire »
qui reprend l’ensemble du travail
d’enquête mené par Vie Féminine
est disponible au prix de 9€.
Pour le recevoir, vous pouvez contacter
Dominique De Roeck au siège régional
de Vie Féminine à Waremme au
019/32.30.57.