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LA VÉRITÉ PAR L’IMAGE
UNE PREMIÈRE : L'HISTOIRE CRIMINELLE FILMÉE POUR LA POSTÉRITÉ
« La vérité par l’image » de Christian Delage paru en 2006 revient sur une initiative sans précédent dans le système judiciaire. En 1945, à l’occasion du procès
de Nuremberg, il sera pour la première fois présenté « des images animées comme preuves à l’audience ». De plus on filmera « les sessions du procès pour le
constituer en archive historique ». Une rétrospective de l’image au service du judiciaire est conduite tout au long de l’ouvrage. Elle se termine au procès de
Milosevic, responsable serbe, pendant la guerre qui opposa les pays de l’ex Yougoslavie, des années 1990 jusqu’à nos jours. Le procès de Milosevic consacre le
règne de l’image puisque que chaque protagoniste y participant est équipé d’un écran. Christian Delage revient sur ce qui a conduit à ce résultat.
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Le procès de Nuremberg est le grand procès qui va permettre de juger les criminels nazis de la guerre de 1939-1945. En effet, la Seconde Guerre Mondiale a
impliqué 61 pays et fait environ 62 millions de victimes. Les accusés sont plusieurs hauts responsables nazis qui n’arriveront pas à échapper à la justice. Des
millions de personnes attendent ce procès qui rentrera dans l’histoire. Les enjeux sont donc colossaux. A partir de là, nous pouvons nous demander : comment
les images peuvent-elles être utilisées de manière probante dans un procès ?
Pour Zuckmayer, l’image comme un « vrai document de justice ».
Le but principal du procès de Nuremberg est « d’établir des faits incroyables au moyen de preuves crédibles ». Le juge Jackson fut alors chargé de
« l’établissement des charges et la mise en accusation pour atrocités et crimes de guerre de ceux des dirigeants des pays européens de l’Axe ». Il va saisir
pleinement la portée de ce procès et décidera d’introduire un dispositif inédit. Le défi du procès de Nuremberg est double : se servir des images comme preuve
durant le procès et filmer le procès en lui-même.
L’équipe du juge Jackson fit donc en amont un travail préparatoire. Différentes personnes furent mandatées. Elles se servirent des actualités
cinématographiques pour apprendre à lire les images des nazis (films de propagande de la cinéaste officielle du régime nazi Léni Riefenstahl avec son
« Triomphe de la volonté » par exemple). Ces images furent considérées comme des pièces à conviction du « plan nazi » qui consistait en la domination d’une
race et en l’éradication de races jugées inférieures. C’est aussi à ce moment-là que le juge Jackson se rendit compte qu’il serait difficile de rendre probantes des
images pour démontrer les atrocités nazies face aux images des nazis elles-mêmes. Il établit donc un cahier des charges pour que l’image puisse avoir une valeur
de preuve. Dans ce but précis, les juristes de Jackson établirent des « règles strictes de la sélection des images sources ». Dans la jurisprudence américaine, les
premières utilisations d’images animées comme preuves nécessitaient la comparution à l’audience de l’authenticating witness (celui qui étaient présent et le plus
souvent le réalisateur, le producteur, ou le cameraman des scènes tournées). Cela va établir la jurisprudence de l’image comme preuve.
« Les camps de concentrations nazis » sera diffusé pour le procès de Nuremberg. Il a été filmé dans le but d’avoir une valeur judiciaire. Comme son nom
l’indique, il montre des images des camps de concentration à la libération. Lors de la diffusion d’images, un des effets recherché est de toucher l’opinion
publique mais aussi de déstabiliser l’accusé.
« Pour orchestrer un tel procès, il faut faire des compromis entre les objectifs du spectacle didactique et l’adhésion aux principes démocratiques » écrit Mark
Osiel, auteur de Mass Atrocity, Collective Memory and the Law 36-56 publié en1997.
La volonté du juge Jackson pour rendre le procès non discutable a tous points de vue était de ne pas faire de ce procès une « affaire juive » malgré les millions de
victimes qu’il y a eu au sein de cette communauté. Il préférera axer le procès sur une conspiration du régime nazi en vue de commettre des atrocités dont le
peuple juif fut massivement victime. Toutes les images et les photographies utilisées lors du procès sont aussi une représentation de la voix des millions de
victimes que fit le régime nazi d’où leur importance symbolique. Ne pas accuser tout le peuple allemand est indispensable pour la réussite du procès (sont ainsi
supprimés les plans où on voit la foule acclamer Hitler) : il faut s’en prendre aux criminels de guerre. Pour remporter l’adhésion du grand public, les
responsabilités individuelles seront plus évoquées que des concepts trop généraux comme « le crime contre l’humanité ».
« Une actualité filmée ne peut pas avoir une seule signification »
Les détracteurs de l’utilisation de l’image pendant un procès pensent qu’elle entre dans une concurrence malsaine qui s’établit avec les témoins et les
documents écrits. Le juge Jackson avait pleinement saisi le pouvoir que les images pouvaient avoir sur l’ensemble d’une population et il les utilisa dans un cadre
strict. Par exemple, il émit des réserves sur un film de commande où la première séquence montrait une Allemagne dévastée. Le juge Jackson avait peur que les
Allemands se voient comme des victimes et regrettent la splendeur du régime nazi.
A Nuremberg, seule l’accusation a eu recours aux images vidéo. Le procès Milosevic qui débuta en 1999 montre l’importance de l’image à travers le rôle de la
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LA VÉRITÉ PAR L’IMAGE
propagande dans les médias serbes. Le discours politique est un élément déclencheur du processus qui mène à la guerre. Tandis que les images « d’atrocités »
prouvent que les crimes qui eurent lieu étaient une « conséquence naturelle et prévisible » d’une entreprise criminelle commune. Milosevic arrivera par contre
à se servir des images à son avantage, à la différence des accusés du procès de Nuremberg. Pour lui « une actualité filmée ne peut pas avoir une seule
signification ».
Un des points sujet à controverse est l’attitude des participants au procès. L’hypothèse avancée est qu’ils vont chercher à contrôler leur image en sachant qu’elle
va être enregistrée et sûrement retransmise. Cela pourrait fausser leurs déclarations et par conséquent le procès tout entier. A l’ère de la téléréalité, le procès
doit se préserver de l’envie d’être télégénique.
L’héritage de Nuremberg
De grands réalisateurs ont participé à l’histoire de l’introduction de l’image dans le système judiciaire. John Ford sera en charge de « collecter, évaluer toutes
preuves photographiques et cinématographiques de crimes de guerre », « préparer le filmage du procès international » ou encore de « filmer les interrogatoires
de certains dignitaires nazis » pour le procès de Nuremberg.
Le procès de Nuremberg a mis en place une vaste jurisprudence dont profiteront les autres procès. Il fut donc un précurseur de l’évolution de la preuve dans le
système pénal. De nos jours, on utilise l’image dans des affaires courantes (images d’amateurs, de vidéo surveillance, tournées par la police...). Les innovations
technologiques amplifient ce processus (utilisation de photographies prises par images satellite). L’ouverture des tribunaux va jusqu’à la création en 1991 aux
États-Unis de « Court TV » (rebaptisée truTV), chaîne juridique retransmettant les jugements. Les procès filmés et les films qui ont servi de preuves sont diffusés
au grand public. Ils ont alors une portée plus large : défendre des valeurs démocratiques et permettent de résister à la désinformation. Fuller déclarera à ce
sujet-là : « J’aime le cinéma car il ne fait pas qu’éduquer, il fait progresser la civilisation ».
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