Le 17 octobre 1961 Sofia2

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Le 17 octobre 1961 Sofia2
Le 17 octobre 1961 : le silence des affiches ?
Le Musée d’histoire contemporaine de la BDIC conserve dans son fonds iconographique une
collection d’environ quatre-vingt-dix affiches de la période de la guerre d’Algérie. De ces
affiches, aucune n’évoque directement la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris et la
véritable terreur d’État, partie intégrante de la guerre coloniale menée en Algérie, devenue à
cette occasion visible dans la capitale. Comment expliquer l’absence ou le silence d'un média
d’habitude si réactif à l'actualité que l’affiche ? Si la question mérite certainement une mise en
perspective plus large qu’une rubrique d’actualité ne le permet, quelques pistes peuvent
néanmoins être sondées. D’autant que la recherche historique a bien établi comment la
mémoire du 17 octobre est clairement marquée par le silence, par l’oubli ou encore par son
occultation au profit de la répression de Charonne en février 19621. On tentera ici une lecture
du silence des affiches de l’époque pour voir si celle-ci s’avère également parlante.
Il convient tout d’abord de définir l’angle sous lequel est abordé le 17 octobre, surtout dans
quelle mesure il a été perçu, à l’époque, comme évènement. On sait que la sanglante
répression policière de ce jour-là n’était pas un phénomène isolé, mais le point culminant
d’une tactique intégrée au volet métropolitain de la guerre d’Algérie2. Si, pour une partie de
l’opinion publique française, sa mémoire a ressurgi à travers la répression sanglante de la
manifestation (française) à Charonne, le 17 octobre a longtemps été absent de la mémoire
algérienne qui a cultivé davantage la mémoire glorieuse d’autres mobilisations populaires3.
Dès lors, il apparaît nécessaire d’interroger le contexte des évènements du 17 octobre, c’est-àdire la dernière phase de la guerre d'Algérie.
En réalité, l’absence d’un discours algérien destiné à occuper une place dans l’espace public,
comme cela se fait par l’affiche, n’est pas particulièrement frappante en ce qui concerne le 17
octobre. D’une part, les priorités du GPRA étaient l’action diplomatique dans l’arène
internationale et, en particulier à l’automne 1961, le progrès des négociations – difficiles –
avec de Gaulle. De ce dernier point de vue, la mobilisation et la répression du 17 octobre se
placent dans la phase qui a précédé la reprise des négociations4 et l’abandon définitif de tout
discours public français concernant une éventuelle partition de l’Algérie. Est-ce que toutefois
ce consensus circonstanciel, mis au service de la politique menée d’en haut de part et d’autre,
expliquerait le fait que dans l’ensemble l’affiche n’ait pas été le moyen de prédilection pour la
propagande du FLN en France ? Le tract lui a été préféré; c’est par exemple dans celui daté du
22 octobre que la Fédération de France a dénoncé les répressions policières à l’encontre des
Algériens. La question ne manque pas de pertinence, d’autant plus qu’elle invite à s’interroger
sur l’articulation et la diffusion d’un discours public algérien destiné aux Français, dans lequel
celui portant sur le 17 octobre serait naturellement intégré. Certes, le manque de moyens de la
part du FLN et la nature de son action5 en France sont des facteurs dont il faut tenir compte.
Mais il convient de considérer aussi d’autres pistes, si possible, telles que les conditions du
fonctionnement interne du mouvement national algérien et du FLN en particulier, ou encore
1
Cf. le travail incontournable de Jim House, Neil Macmaster, Paris 1961. Les Algériens, la terreur d’Etat et la
mémoire, Paris, Tallandier, 2008 ; aussi, Sylvie Thénault, « Le fantasme du secret d’Etat autour du 17
octobre 1961 », Matériaux pour l’histoire de notre temps, 58, avril-juin 2000, pp. 70-76
<http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mat_0769-3206_2000_num_58_1_404254 >.
2
Linda Amiri, La bataille de France. La guerre d’Algérie en métropole, Paris, Robert Laffont, 2004.
3
House, Macmaster, p. 197.
4
Ben Khedda parle à cet égard de l’utilité de la mobilisation du 17 octobre pour la reprise des négociations
franco-algériennes, même s’il passe sous silence le désaccord entre le GPRA et la Fédération de France à
propos de cette manifestation. Cf. Benyoucef Ben Khedda, Les accords d'Évian, Paris, Publisud, 1986, p.32.
5 Cf. Laurent Gervereau, Histoire du visuel au XXe siècle, Paris, Seuil, Points Histoire, 2003, p. 345.
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les divergences entre le GPRA et la Fédération de France. Enfin, il est important de souligner
combien l’utilisation de l’affiche relève aussi de l’appropriation d’un espace urbain. Sauf que,
dans le cas du 17 octobre, cette appropriation de la ville par les immigrés algériens, cantonnés
dans les bidonvilles de Nanterre, a surtout été opérée par leur défilé en qualité de manifestants
disciplinés, pacifiques et habillés en costume dans les rues de la capitale. Cela n’a pas été sans
surprendre les Parisiens et bouleverser leurs perceptions, comme en témoigne la presse de
l’époque6.
Du côté français, la réalité du 17 octobre apparait immédiatement dans toute sa portée
notamment dans la photographie et le cinéma documentaire de Jacques Panijel, à l’époque
censuré. Le travail d’Élie Kagan paraît alors fondamental pour la définition des contours du
17 octobre en tant qu’évènement, ce en temps quasi-réel. Une fonction identique, instantanée
mais éphémère, est remplie par les graffitis du Comité pour la paix en Algérie du quartier
Seine-Buci, Ici on noie les Algériens, cantonnés précisément au terrain urbain d'enracinement
de ce comité7.
Malgré tout, le 17 octobre a fini par apparaître indirectement dans l’affiche à travers le
discours de la gauche française sur la répression de Charonne (8 février 1962). Ce transfert
traduit en fait une mise en oubli opérée après l'échec d'une mobilisation commune le 17
octobre entre les militants du PCF et le FLN et marquée à la fois par la démonstration de la
force de la violence étatique et l’action de l’OAS8.
6 Cf. à titre d’exemple L'Express, 19 octobre 1961, p. 8. La dimension sociale de l’évènement et son suivi de la
presse sont soulignés par Thénault, article cité, p. 72.
7 Vincent Lemire, Yann Potin, « Fabriques documentaires, avatars politiques et mémoires partagées d’une
icône militante (1961-2001) », Genèses, 49, décembre 2002, pp. 140-162 < http://www.cairn.info/revuegeneses-2002-4-page-140.htm >.
8
Julien Buzenet, « Manifestation du 17 octobre à Paris, l’oubli pour mémoire collective d’une violente
répression policière », Conserveries mémorielles, 10, 2011 < http://cm.revues.org/899 >; Neil MacMaster et
Jim House, « La Fédération de France et l’organisation du 17 octobre 1961 », Vingtième siècle, 83, 2004/3,
pp. 145-160 < http://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2004-3-page-145.htm >.
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Affiches du Parti communiste français, février 1962 – Collection BDIC/MHC
Le dialogue qui se dégage reste néanmoins un dialogue franco-français. Certes, l’expression «
les Parisiens » dont « le pouvoir fait couler le sang » peut très bien évoquer non seulement les
huit manifestants français morts à Charonne, mais indirectement aussi les immigrés algériens
victimes de la violence d’Etat à Paris dans un passé très récent, celui du 17 octobre. Toutefois,
à côté d’une prise de position nette en faveur de la paix – sans vraiment nommer
l’indépendance – en Algérie, c’est notamment contre l’action de l’OAS que la réaction de la
gauche communiste et/ou socialiste se manifeste plus directement. Cela n'est pas sans
participer à l’ancien clivage entre communisme et fascisme, le vocabulaire des affiches
communistes est en outre très parlant à cet égard. Un autre aspect intéressant qui ressurgit est
la mémoire de la Shoah9. Ainsi, les affiches anti-OAS de la Fédération nationale des déportés,
internés, résistants et patriotes qui dénoncent – sans le nommer – le racisme et assimilent
explicitement l’OAS au nazisme. N’est-ce donc pas alors la mémoire de la Seconde Guerre
mondiale, celle de la Résistance et de la collaboration, de l’extermination des Juifs, en réalité
de tout Vichy, que le 17 octobre transmet à Charonne et qui ressurgit à cette occasion ?
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L’analogie était présente dès le début dans la presse de l’époque, cf. Thénault, article cite, p. 74, mais aussi
dans la propagande du FLN, cf. notamment le tract du 22 octobre 1961.
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Affiche de la Fédération nationale des déportés, internés, résistants et patriotes, 1962 – Collection BDIC / MHC
Une dernière couche mémorielle peut enfin être discernée dans une affiche de 1972 de
l’extrême gauche. L’affiche récupère à la fois la mémoire de Charonne, de Vichy et de la
décolonisation pour dénoncer plusieurs crimes perpétrés à l’encontre d’immigrés algériens en
1972. Ce discours est-il pour autant le fruit d’un véritable dialogue ? C’est loin d’être sûr.
Cependant, l’intérêt de cette affiche consiste en ce que, classée de cette façon avec les affiches
de la guerre d’Algérie, elle révèle à quel point les collections et leur classement sont vecteurs
eux-aussi d’une mémoire dormante, mais ouverte aux décryptages de la fonction de la
mémoire collective que la recherche historique finit par opérer postérieurement.
Affiche de 1972 – Collection BDIC / MHC
Sofia Papastamkou
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