Ruth ELKRIEF : Bonsoir Dominique Strauss Kahn, merci d`être avec

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Ruth ELKRIEF : Bonsoir Dominique Strauss Kahn, merci d`être avec
Ruth ELKRIEF : Bonsoir Dominique Strauss Kahn, merci d'être avec nous, vous êtes un des
principaux dirigeants du parti socialiste. Ancien ministre de l'Économie du gouvernement
Jospin et fervent partisan du "oui" au référendum sur la constitution européenne du 29 mai
prochain. C'est pourquoi, avec mes confrères et consoeurs, Anita Hauser de LCI et Gérard
Courtois du Monde, nous allons essentiellement évoquer avec cette hypothèse qui fait frémir
le microcosme et si la France votait "non". Ce sentiment diffus que peut être les uns et les
autres nous pouvons ressentir auprès d'amis ou de relations de catégories sociales très
diverses, il a été confirmé, en fin de semaine dernière par un sondage CSA pour le Parisien,
51% des Français seraient tentés de dire "non", et ce sondage pourrait bien être suivi par
d'autres. Alors je vous propose d'analyser avec nous ce soir cette tentation, et surtout bien sûr
d'y répondre, en deux temps, si vous le voulez bien, un premier temps consacré d'abord à
l'Europe et à son image, aux reproches qui lui sont faits par les tenants du "non", et puis, un
deuxième temps plus spécifiquement français au cours duquel vous nous exposerez les
réponses du parti socialiste, réuni justement aujourd'hui pour commencer à préparer son
programme pour 2007, un programme dont vous êtes chargé avec Martine Aubry et Jack Lang
et sur lequel vous avez rédigé un diagnostic déjà préparatoire, un diagnostic de la société
française. Alors d'abord pour revenir à ce sondage dont je vous parlais, j'ai lu que vous disiez
que ce sondage donnant le "non" gagnant, vendredi donc, vous n'y croyiez pas et que vous n'y
faisiez pas vraiment attention. Alors est-ce que vous ne répéteriez pas ainsi les erreurs des
classiques socialistes avant le 21 avril 2001 qui n'avaient rien vu venir, 2002, pardon bien sûr.
Dominique STRAUSS KAHN : On va parler de ce sondage, mais je veux surtout vous
expliquer pourquoi il faut voter "oui".
Vous allez nous le dire, mais ça veut dire que vous n'entendez pas ce "non", vous croyez qu'il
n'existe pas ?
Bien sûr que si. Nous sommes au tout début de la campagne, elle n'a pas vraiment commencé
encore, les sondages montrent qu'une majorité de Français est encore indécise et on voit bien
que les Français s'interrogent, doutent de l'avenir et de l'Europe. Et, dans ces conditions, dans
une France qui souffre et qui est en colère, qu'on voit tous les jours dans les manifestations
dont chacun des représentants, les pères de famille, les étudiants, les salariés ont une raison ou
une autre de s'inquiéter, chacune différente, mais chacune qui se cumule, on comprend bien
qu'il y ait un désir de traduire par un vote présumé dans deux mois, une sorte de rébellion, de
dire il y en a assez. Et parce qu'on a envie de dire y'en a assez, on se dit puisque c'est comme
ça je vais voter "non", quand bien même ça n'aurait qu'un rapport très lointain, voire pas de
rapport du tout, avec l'objet de la consultation. Regardez, l'autre jour, je lisais dans la presse
une vingtaine de maires, en Gironde, qui disent nous n'allons pas organiser le référendum
parce qu'on veut nous enlever notre hôpital, ils revendiquent qu'on maintienne l'hôpital, je n'ai
pas d'opinion sur le fond, je ne connais pas le dossier de l'hôpital en question, mais ce qui est
sûr c'est que ils utilisent, ils instrumentalisent le référendum pour essayer de faire passer autre
chose.
Et comme les Français aujourd'hui ont beaucoup de choses à reprocher au gouvernement, on
comprend qu'ils soient nombreux à vouloir se servir du référendum à cette fin.
Ruth ELKRIEF : Oui mais au parti socialiste aussi peut être, puisque le parti socialiste leur
demande de voter "oui" et ils ne lui obéissent pas.
Dominique STRAUSS KAHN : Pourquoi voudriez-vous que les Français obéissent. Le parti
socialiste a à convaincre, le parti socialiste a décidé de voter "oui", il a à convaincre. Mais
comme au-delà de ce sentiment de refus que les Français ressentent, il y a aussi, il faut bien le
reconnaître, un centre de responsables politiques qui jouent avec le feu et qui, par conséquent,
ne viennent pas obligatoirement, alors même que leur passé politique pourrait les conduire à
soutenir naturellement la construction européenne, qui viennent jeter un peu d'huile sur le feu,
nous avons un sentiment brouillé en ce début de campagne.
Vous pensez à qui ?
Je pense en particulier à Nicolas Sarkozy ou à François Bayrou qui ne peuvent pas dire, ne
peuvent pas prononcer une phrase sans dire "je suis pour ……….. constitutionnelle, se pose le
problème de la Turquie. Alors que chacun sait que cette question turque n'a aucun rapport
avec la constitution, qu'on peut être pour ou contre, que le problème se posera dans 10 ans,
dans 15 ans, qu'en tout état de cause, il se posera de la même manière que la constitution soit
adoptée ou qu'elle ne le soit pas. Cette façon d'agiter les peurs est quelque chose que je crois
assez inadmissible.
Gérard COURTOIS : Personne n'agite les peurs au parti socialiste ?
Dominique STRAUSS KAHN : Oh si sans doute, mais si je peux comprendre que les
Français veuillent se servir du référendum pour manifester leur mécontentement, j'ai du mal à
comprendre que des responsables politiques ne puissent pas s'élever un peu au-dessus de leurs
préoccupations personnelles ou de leurs préoccupations de carrière lorsque c'est l'avenir de la
France qui est en cause.
Anita HAUSER : Est-ce que vous n'avez pas fait une erreur d'analyse au départ en réclamant
un référendum ?
Dominique STRAUSS KAHN : Il ne nous a pas échappé que ça n'était pas le parti socialiste
en général, ni moi en particulier, qui décidions…
Non, mais beaucoup de socialistes ont réclamé le référendum.
C'est le président de la République qui en a décidé.
Moi, pour ma part, je n'ai jamais été favorable à cette procédure, parce que de toute façon je
vais vous le dire, je ne suis pas favorable au référendum en général.
Je crois que nous vivons dans une démocratie représentative, qu'on élit des parlementaires,
des députés, des sénateurs pour faire ce travail, qu'après au bout de cinq ans on apprécie la
qualité de ce travail, on les renvoie chez eux ou on les renouvelle, mais que le principe du
référendum, surtout lorsqu'il s'agit d'un texte aussi compliqué, 400 pages, est quelque chose
qui est un peu hypocrite, un peu une moquerie, on sait bien que la majorité des Français n'aura
pas le temps, la possibilité de lire ce texte, et donc il y a une sorte de manipulation de la
démocratie au travers du référendum, qui ne me plait pas beaucoup. Le Chef de l'État en a
décidé ainsi…
Ruth ELKRIEF : Le parti socialiste l'a demandé, quand même, il faut le rappeler.
Certains au parti socialiste l'ont demandé, c'est exact, pas moi, je vous le rappelais à l'instant,
en tout cas nous sommes maintenant avec cette procédure…
Anita HAUSER : Il a même poussé le zèle à faire un référendum interne, alors…
Dominique STRAUSS KAHN : Oui, mais je n'étais pas plus favorable à ce référendum
interne non plus. Enfin peu importe, nous en sommes là maintenant, il faut faire avec, les
Français sont appelés à se prononcer et devant cette situation que vous rappeliez et que traduit
les sondages que vous venez d'évoquer, qui montrent combien les Français sont hésitants,
indécis, je crois qu'il faut faire appel à leur responsabilité aujourd'hui. Et moi je veux, au-delà
de ces "chic aillas" partisans qui existent à l'intérieur de la gauche, vous avez raison M.
Courtois, comme à l'intérieur de la droite, on va y revenir sans doute, je veux m'adresser
directement à eux parce que ce qui est en cause aujourd'hui c'est à la fois l'avenir de l'Europe,
l'avenir de la France, et, ça intéresse sans doute une partie des Français, l'avenir de la gauche.
Si bien que nous devons dépasser tout ce qui est considération momentanée pour avoir à
l'esprit, et il y a deux mois pour expliquer cela, pour avoir à l'esprit que c'est bien l'avenir de
notre pays qui se joue dans ce vote du 29 mai.
Oui, mais pardonnez-moi, ça ça ne parle pas à l'électeur, mais ce qui parle à l'électeur sont les
délocalisations, c'est la fameuse directive Bolkenstein qui est utilisée à tort et à travers, je
vous le concède…
J'ai compris que vous y alliez y venir, je ne faisais que respecter l'ordre du jour établi par M.
Elkrief.
Gérard COURTOIS : Je prolonge la question d'Anita, au fond pourquoi est-ce que à ce stade,
est-ce que c'est uniquement le début de la campagne et espérez-vous qu'elle va s'enclencher de
manière beaucoup plus dynamique, mais pourquoi à ce stade n'entend-t-on, ou ne semble-t-on
entendre que les arguments du "non" et pas ceux du "oui" ?
Dominique STRAUSS KAHN : Mais vous savez bien pourquoi, parce que les arguments du
"non" sont des arguments faciles.
Parce que les arguments qui sont les arguments les plus populistes sont ceux qui sont les
premiers qu'on entend. Au sein du parti socialiste, vous rappeliez tout à l'heure la campagne
que nous avons menée dans le parti socialiste, quand cette campagne a démarré, c'était début
septembre, il n'y a pas eu de sondage, mais chacun percevait bien dans le parti que le "non"
devait représenter 60 ou 65% et la campagne, deux mois de campagne, d'explications, ont
conduit à ce qu'au bout du compte le chiffre s'inverse et que pour 5% des socialistes ce soit le
"oui" qui l'emporte. Les arguments les plus simples ne sont pas toujours les plus vrais, ce sont
ceux qui frappent les premiers et nous avons cette tâche, nous responsables politiques, pas
seulement nous d'ailleurs, d'expliquer ce qu'est….
Anita HAUSER : Il vous faudra bien trouver les arguments simples pour convaincre de voter
"oui". Est-ce que vous en avez ?
Dominique STRAUSS KAHN : Vous revenez à votre question. Alors nous allons y venir,
venons en à cela. Qu'est-ce que c'est que ce traité ? C'est la reprise de tous les traités
précédents, comme chaque traité successif plus quelque chose. Chaque traité, depuis que
l'Europe se construit, depuis le traité de Rome en 57, reprend les précédents et rajoute des
choses, éventuellement modifie des choses dans le précédent. Ce traité c'est pour ça qu'il est si
long et si difficile à lire, reprend toute la construction européenne depuis cinquante ans et puis
il y rajoute quelque chose. Et ce qu'il faut juger, bien sûr, c'est ce qu'il rajoute, car si nous
votons "non", on gardera cette construction ancienne. La question c'est ce que nous voulons
de ce qu'il y a de neuf, ou est-ce que nous n'en voulons pas. Qu'est-ce qu'il y a de neuf ? Il y a
de neuf, pour la première fois, que l'Europe décide de ne plus s'occuper uniquement
d'économie, décide de ne plus être simplement l'Europe des marchés, et pour beaucoup
l'Europe des marchands, qu'elle décide de venir une Europe politique, de construire des
éléments de démocratie politique, et qu'elle décide de se donner des objectifs sociaux. Vous
savez que l'article 3 qui démarre ce texte énonce pour la première fois dans l'Union ce que
l'Europe veut faire, et c'est la recherche du plein emploi, le progrès social, l'égalité entre les
hommes et les femmes, le plus haut niveau possible de protection sociale, les droits des
enfants, le rôle des syndicats, les services publics, c'est l'ensemble de ce que la gauche aurait
bien voulu voir inscrit en 46 dans la constitution française.
Ruth ELKRIEF : Et pourtant, Marie George Buffet, quand elle commence ses meetings, dont
au parti communiste, elle dit : il suffit de lire l'article 1, alinéa 3 pour être tout à fait guéri de
cette constitution, puisque l'Union offre à ses citoyens un marché intérieur où la concurrence
est libre et non faussée.
C'est un excellent exemple. Je ne veux pas critiquer Marie George Buffet qui appartient à un
mouvement politique avec lequel j'ai des affinités, mais qui a toujours été contre la
constitution européenne. Et donc il n'y a pas de surprise à ce que son commentaire soit celuilà aujourd'hui. Mais regardons le fond…
La concurrence, voilà puisque ça, ça fait peur…
Le texte dit : la concurrence libre et non faussée. D'abord j'ai du mal à rencontrer quelqu'un
qui me dise qu'il préfèrerait une concurrence qui ne soit pas libre et qui soit faussée, car
chacun a intérêt à une concurrence libre et non faussée. Moi, quand j'ai adhéré au parti
socialiste, c'était au milieu des années 70, le grand débat de l'époque, mené par les
communistes d'ailleurs, c'était le débat contre les monopoles, les communistes et les grands
monopoles, avec un accent qui emportait l'adhésion. Et comment est-ce qu'on lutte contre les
grands monopoles ? Eh bien on lutte justement par des lois qui permettent la concurrence et
qui évitent que les monopoles écrasent les petites entreprises. Donc la concurrence, en soi, ça
n'a rien de critiquable, l'excès de concurrence sans doute, mais la concurrence libre et non
faussée moi ne me gène pas. Maintenant on pourrait dire quand même pourquoi est-ce que ça
vient maintenant, puisque moi je dis ce qui est nouveau dans ce texte c'est la démocratie, c'est
le social, et vous me sortez un article, vous avez raison, tout au début du texte qui dit : la
concurrence est ………. Alors est-ce que ça veut dire qu'il y a un balancement, il y a un
équilibre, il y aurait du neuf pour le social, oui, mais il y aurait aussi du neuf pour la
concurrence ? La réalité est un peu plus complexe. Cette phrase que vous citez, elle était déjà
dans le traité précédent, le traité de Nice. Et donc il n'y a rien de neuf, comme je le disais tout
à l'heure chaque traité européen reprend ce qui existait avant…
Ruth ELKRIEF : Donc ça resterait si la constitution n'était pas adoptée ?
Vous avez absolument raison, si la constitution n'est pas adoptée, de toute façon, comme cette
phrase est déjà dans le traité de Nice, elle reste, elle n'est pas neuve. Au demeurant, on
pourrait se demander pourquoi elle était dans le traité de Nice, et si on cherche on s'aperçoit
qu'elle était dans le traité d'Amsterdam en 97 et qu'elle est reprise à Nice d'Amsterdam. Et on
se dit mais diable, pourquoi est-ce que en 97 ils ont mis ça dans le traité ?
Elle est peut-être dans le traité de Rome, tout bêtement non ?
Eh bien elle était dans le traité de Maastricht en 92, reprise de la tunique en 86, reprise du
traité de Rome, vous qui êtes une fine connaisseuse de ces sujets savez qu'en 57, dans le traité
de Rome, on trouve déjà cette phrase, et donc nous vivons depuis près de 60 ans avec cette
phrase, 50 ans avec phrase, elle n'a pas empêché ni les nationalisations de François
Mitterrand, ni les 35 heures de Lionel Jospin, elle n'empêche rien, une politique de gauche,
elle n'empêche pas non plus une politique de droite et ceux qui agite cette phrase, comme si
elle était nouvelle, comme un étendard tout à fait sorti d'un coffre en disant : regardez, voilà
ce qui est neuf, et voilà ce qu'on veut nous faire avaler, ceux là se trompent, je ne peux pas
croire qu'ils veuillent tromper les Français délibérément, ceux là se trompent en pensant qu'il
y a là quelque chose de neuf, au demeurant, comme vous le rappeliez à l'instant, si on vote
"non" à ce traité, cette phrase on la garde et donc il faut se concentrer sur ce qui est neuf, et je
le redis avec force, ce qui est neuf c'est le plein emploi, le progrès social, la démocratie,
l'efficacité européenne.
Anita HAUSER : Vous allez encore me dire que je suis obsédée, mais cette affaire de
concurrence…
Vous ai-je déjà dit ça madame ?
Non, mais vous m'avez fait comprendre que j'avais quelques idées fixes, je les ai
effectivement. Concernant cette fameuse directive Bolkenstein qui est aujourd'hui assimilée à
la constitution, alors que ce n'est pas un texte constitutionnel…
Ruth ELKRIEF : La phrase de Laurent Fabius : la directive Bolkenstein est un avant goût de
la constitution.
Oui, mais enfin, pour l'ensemble des électeurs disons qu'elle représente la concurrence
faussée…
Dominique STRAUSS KAHN : Alors qu'est-ce qu'elle dit cette directive ? M. Bolkenstein
était commissaire dans la presse et dans une commission, la directive est une directive sur la
libéralisation des services, c'est à dire qui vise à permettre que les services s'exercent partout
sur le territoire européen sans entrave. Par exemple, si une entreprise française veut répondre
à un marché public de service, par exemple d'assainissement des eaux en Allemagne, une
collectivité locale cherche à assainir ses eaux, une usine d'assainissement des eaux, eh bien
une entreprise française doit pouvoir répondre sans que le fait qu'elle soit française l'écarte de
ce marché. C'est ça la libéralisation des services. S'il n'y avait que cela, il n'y aurait pas grand
problème. Là où il y a problème c'est que dans cette directive parce que ça semblait trop
compliqué d'harmoniser le droit du travail, de faire que le droit du travail soit le même
partout, ce qui est le principe européen, le principe que Jacques Delors a fait émerger et a
rendu dominant dans l'Union, c'est qu'on harmonise. Mais en droit du travail c'est bien
compliqué. Alors ils se sont dits les libéraux qui dirigent l'Europe aujourd'hui, eh bien c'est
pas compliqué, on ne va pas harmoniser, parce qu'on en sortira jamais, et donc on va choisir le
droit du pays d'origine, c'est à dire que si un fournisseur de service polonais vient travailler en
France, eh bien ce sera le droit polonais qui s'exercera. Ça c'est inacceptable, inacceptable, le
droit polonais aujourd'hui protège beaucoup moins les salariés que le droit français, et nous
n'avons aucune raison d'accepter sur notre sol des salariés qui ne seraient pas protégés et qui
feraient concurrence dans des conditions déloyales. Il aurait été tout aussi simple de dire c'est
le droit du pays d'arrivée, mais ça n'aurait pas été libéral. Car cette directive est libérale.
Gérard COURTOIS : Quand vous dites cette directive est libérale, je reprends votre argument
sur le traité de Rome qui s'est décliné au fil de tous les textes depuis, au fond le traité de
Rome disait marché unique, y compris les services, nous y sommes ?
Dominique STRAUSS KAHN : La distinction M. Courtois, c'est que le marché unique, y
compris les services, peut se faire, c'est ce que je disais tout à l'heure, sans doute n'ai je pas été
clair, sur la base de l'harmonisation.
Là pour la première fois, je ne suis pas sûr que ce soit la première fois, en tout cas c'est la
première fois où c'est important, disons que c'est la première fois, nous renonçons, l'Europe
renoncerait si directive Bolkenstein devait être adoptée à l'harmonisation, pour choisir le
moins dix ans, en l'occurrence le moins dix ans social, et c'est en ce sens qu'il y a un
changement. L'harmonisation, le fait que l'Europe s'ouvre et fasse que sur les produits ça a été
fait, maintenant sur les services, le marché soit un grand marché, est un bienfait, et ce qui a
garanti en Europe le taux de croissance que nous avons, mais le fait qu'on le fasse sur la base
du moins dix ans social n'est pas acceptable, c'est pourquoi, il y a de ça plus d'un mois, j'ai
écrit dans un journal qu'aime bien Marie George Bullet, puisque c'était l'Humanité, une
chronique pour dire il faut que le président de la République demande le retrait de cette
directive, bien. Ça c'est la directive Bolkenstein. Il faut la combattre. Est-ce qu'elle a un lien
avec la constitution ? La réponse est non. La meilleure preuve, logique, c'est que nous
discutons de cette directive qui pourrait passer, qui j'espère ne passera pas, alors que la
constitution en question elle est encore loin d'être adoptée. Donc il est clair pour tout le
monde qui a un esprit un minimum logique, que ça n'est pas la constitution, ni qui créé, ni qui
permet la directive Bolkenstein et que si la constitution n'est pas votée, l'avenir de la directive
Bolkenstein est le même, elle sera adoptée ou elle ne sera pas selon le rapport de force
politique, car c'est bien le rapport de force politique en Europe qui fait qu'on mène une
politique de droite ou une politique de gauche en Europe et que ça n'a rien à voir avec la
constitution à venir qui est postérieure à l'émergence de cette directive.
Anita HAUSER : Et l'harmonisation sociale est complètement oubliée ?
Dominique STRAUSS KAHN : L'harmonisation sociale dans la directive Bolkenstein, vous
avez raison, est totalement négligée et c'est pour cela qu'il est très important, j'en viens
maintenant au deuxième point sur cette directive, que le traité constitutionnel soit adopté, car
avec ce traité il serait beaucoup plus difficile, et il sera beaucoup plus difficile si on peut faire
traîner jusque-là, d'adopter une directive de ce type car maintenant, plutôt demain si le traité
est adopté, il y aura dans les objectifs le plus haut niveau de protection sociale qu'à l'évident la
directive Bolkenstein ne garantit pas, il y aura dans les pouvoirs du Parlement européen, des
pouvoirs de blocage qu'il n'a pas encore aujourd'hui. Et donc si le traité est adopté, je ne dis
pas que la directive Bolkenstein est impossible, car ce n'est pas à l'arrivée encore une fois, du
rapport de force politique entre la droite et la gauche en Europe, mais c'est beaucoup plus
difficile de faire adopter la directive Bolkenstein avec le traité que avant le traité. Et d'ailleurs,
je vais vous dire, si il y a eu une telle accélération sur cette directive, si on en parle tellement,
il y a six mois, aviez-vous entendu parler de la directive Bolkenstein ? Sûrement pas.
Tout le monde s'est beaucoup excité pourquoi ? Parce que ceux qui en sont les promoteurs se
sont beaucoup excités et pourquoi ils se sont beaucoup excités au cours de ces derniers mois ?
Parce que si elle ne passe pas là, le traité une fois adopté, il sera beaucoup plus difficile de la
faire adopter.
Gérard COURTOIS : Est-ce que les commissaires européens, et en particulier le président de
la Commission, n'ont pas joué avec le feu dans cette affaire là, si je puis dire en en rajoutant ?
Dominique STRAUSS KAHN : Je le crois, je citais tout à l'heure M. Bayrou, M. Sarkozy
comme étant des pompiers pyromanes, la liste est longue M. Courtois. Et vous avez raison d'y
rajouter le président de la Commission.
En même temps il est fidèle à ses convictions.
C'est exactement ce que j'allais dire. En même temps on ne peut pas attendre autre chose d'un
président de la Commission, qui est l'ancien Premier ministre portugais, qui était le président
du conseil ou Premier ministre d'un gouvernement conservateur. Il ne faut pas que les
Français se trompent. Il y a le cadre constitutionnel qui garantit un certain nombre de choses
et celui qu'on nous propose là garantit en matière démocratique, en matière sociale plus que
nous n'avons jamais eu. Et puis à l'intérieur de ce cadre il y a le combat politique et lorsque la
droite domine, eh bien elle mène des politiques de droite et cela n'est pas de la faute de la
constitution, c'est de notre incapacité à nous, hommes et femmes de gauche, d'avoir gagné ces
élections.
Au-delà de la directive elle-même, est-ce que cette affaire n'est pas au fond très
symptomatique de l'hétérogénéité, que l'élargissement, l'hétérogénéité de l'Europe, que
l'élargissement a favorisé ou a développé ou a accentué et qui est maintenant très difficile à
gérer ?
Oui, cette affaire est aggravée par l'élargissement, car l'élargissement rend la situation plus
hétérogène. Mais si cette question des services n'a pas été traitée plus tôt, il y a 10 ans, il y a
15 ans, c'est parce que de toute façon l'hétérogénéité qui existait déjà, même quand nous
n'étions que 12, était compliquée et qu'on n'arrivait pas à harmoniser, alors à fortiori, vous
avez raison maintenant qu'on est 25, mais de toute façon, ce problème de l'harmonisation
sociale est un problème qui, en soi, est très compliqué.
Ruth ELKRIEF : Est-ce que vous pourriez nous dire ce soir que dans la constitution, à
contrario, ce problème d'harmonisation sociale va vraiment être réglé ? Franchement bien sûr
il y a des clauses sociales, il y a quelques phrases, mais enfin elles sont quand même des
vœux pieux ?
Dominique STRAUSS KAHN : Non attendez, deux choses, d'abord trois choses, grand 1 je
conclus sur Bolkenstein, l'existence, le débat autour de la directive Bolkestein est un
formidable argument pour voter "oui" au traité constitutionnel, car nous l'avons aujourd'hui en
débat sans le traité, il serait beaucoup plus difficile que ce débat aboutisse à faire adopter cette
directive si le traité était voté. Deuxième point : non, je ne vous dirai pas, ce serait un
mensonge, que dans ce traité on va faire avancer de façon évidente et rapide l'harmonisation
sociale. Je dis qu'on la fera avancer plus rapidement et mieux que sans le traité, qu'il y a des
éléments qui poussent dans le bon sens, mais on est loin du compte…
Anita HAUSER : Avouez que l'argument est faible pour convaincre des électeurs qui…
L'argument est plus fort que si c'était le contraire, M. Hauser, si il y avait des arguments qui
fassent reculer, le "non" aurait un argument, comme il y a des arguments qui font avancer vers
le social, le traité mérite qu'on l'adopte.
Voyez-vous ce qui se passe c'est que il y a une sorte de paradoxe de ceux qui voient dans ce
traité l'alpha et l'oméga du libéralisme et qui refusent de regarder le fait que pour la première
fois il avance vers un traité social, que par ailleurs il faille demain un autre traité, et un autre
encore, il y en a maintenant un tous les trois ans environ et qu'il faille poursuivre ce
mouvement pour aller vers l'Europe sociale que nous voulons, ça c'est évident, personne ne dit
qu'avec ce traité l'affaire est close, ce qui est sûr, en revanche, c'est que si l'on ne vote pas ce
traité, alors il nous faudra 10 ans ou 15 ans avant que nous puissions arriver au bout du
processus et dans ces conditions, pendant ces 10 ou 15 ans, il n'y aura aucune avancée dans
l'Europe sociale.
Ruth ELKRIEF : Pour mieux connaître ce traité, moi je vous signale qu'il y a un certain
nombre d'ouvrages qui sortent là-dessus, et je vais vous montrer, parce qu'on va passer un
petit peu à la suite, il y avait votre livre, vous avez écrit donc oui, "lettre ouverte aux enfants
d'Europe" chez Grasset, et puis, moi je veux juste signaler "s'il te plait dessine moi la
constitution", c'est fait par Nicole Fontaine, qui est l'ancienne présidente du Parlement
européen, et puis il y a beaucoup de livres et beaucoup de textes qui circulent là-dessus.
Parlons peut être du PS et des désordres qui règnent au PS sur cette constitution justement.
Gérard COURTOIS : Vos arguments paraissent d'une simplicité biblique, comment
expliquez-vous que d'éminents membres et responsables du Parti socialiste ne les entendent
pas ?
Dominique STRAUSS KAHN : Il y a chez les tenants du "non" dans notre pays, parti
socialiste, ou ailleurs, deux catégories. Il y a ceux qui ont toujours été contre la construction
européenne et de ceux là on
ne peut pas s'attendre à ce qu'une étape de plus dans cette construction, quelque chose qui fait
avancer l'Europe vers l'Europe politique, qui donne à l'Europe une place plus grande dans le
monde, on ne peut pas s'attendre à ce que ça les satisfasse puisqu'ils ont toujours été contre, ce
sont, pour aller vite, ceux qu'on appelait les souverainistes de tous poils. Et puis il y en a
d'autres, peut être est-ce à eux que vous pensiez, dont on est surpris qu'ils prennent cette
position, parce que leur passé plus naturellement aurait dû les inciter à soutenir le traité.
Ruth ELKRIEF : Vous pensez à Laurent Fabius, tout le monde l'entend et Henri Emmanuelli
qui est également ancien ministre ?
Je pense à beaucoup de ceux qui sont des citoyens que je rencontre, pas simplement des
responsables politiques, les responsables politiques je comprends que ça vous intéresse.
Mais admettez que je sois au moins autant intéressé par les citoyens, quand je rencontre des
citoyens, dont je sais qu'ils ont toujours été en faveur de l'Europe, et que je constate qu'ils me
disent moi je vais voter "non", j'essaye de comprendre pourquoi. Et lorsque je vois qu'ils ne
sont pas souverainistes, ils ne l'ont jamais été, ils ne le sont pas devenus, j'essaie de trouver la
raison qui est à l'origine de cette hésitation, et on retrouve ce que je vous disais tout à l'heure,
à savoir le sentiment que c'est le moyen de faire bouger les choses. Il faut secouer le cocotier,
ça ne peut plus durer comme ça, la situation est insupportable, socialement, scolairement pour
les étudiants, pour les chercheurs, pour un ensemble de catégories…
Ruth ELKRIEF : Vous dites seulement le gouvernement, mais aussi il faut dire peut être
laisser entendre et le PS tel qu'il est ne répond pas à nos aspirations ?
Dominique STRAUSS KAHN: Soit, soit, et le PS aujourd'hui ne nous fournit pas encore une
alternative qui soit crédible, me diraient volontiers ces gens que je rencontre et dans ces
conditions on a envie de faire, pardonnez-moi cette expression, de faire "turbuler" le système.
Et moi je leur dis ce traité est bon pour l'Europe, parce qu'on a besoin d'une Europe qui
affirme et dont la place dans le monde devienne forte, sinon, pour le coup, la domination par
les États-unis sera définitivement achevée et il faudra des décennies pour arriver à la remettre
ne cause. Ce traité est bon pour la France parce que la France n'a pas intérêt à ce que l'Europe
soit uniquement un marché libéral comme elle l'est aujourd'hui encore trop et que ce traité
permet de le changer et ce traité est bon pour la gauche, pour les raisons qu'on voyait tout à
l'heure, parce qu'il comprend des avancées sociales comme jamais nous en avons eues en
Europe.
Enfin, néanmoins, aujourd'hui, pour revenir à ce que disait Gérard, le parti socialiste donne,
alors même qu'il y a eu un référendum qui a donné la victoire au "oui" apparaît profondément
divisé…
Non vous avez tort…
Écoutez il y a des leaders socialistes qui font des meetings communs avec des partisans
déclarés du "non". Alors ceux là, précisément, faut-il les sanctionner, faut-il les exclure, fautil leur dire attention là vous dépassez la ligne jaune ?
Avant d'en venir à ce sujet majeur pour l'avenir de l'Europe de savoir s'il faut sanctionner
untel ou untel, je voudrais revenir une seconde sur ce qui se passe au parti socialiste. 60% des
militants socialistes se sont déclarés en faveur du traité. Reste 40%, dans les 40% qui en leur
âme et conscience préféraient voter "non", les trois quarts de ces 40% disent puisque la ligne
du parti a été choisie je la suis et moi je veux rendre hommage à ces militants, parfois
responsables, de haut niveau, qui pensaient qu'il faut voter "non".
Vous avez Emmanuel Vase, Serge Enquin, le responsable des socialistes du Pas-de-Calais,
ont combattu pour le "non" au sein du parti socialiste, et aujourd'hui ils disent eh bien le parti
ayant choisi sa voie, je la suis. Alors il reste après une petite fraction de défenseurs du "non"
qui ne veulent pas se soumettre à la démocratie interne et un certain nombre de grands noms
que vous avez évoqués qui s'expriment. Ce sont des individualités. Ils n'engagent pas le parti
socialiste, il y a qu'une campagne du parti socialiste, il n'y a qu'une position du parti socialiste
c'est celle de défendre le "oui". Que des individualités le fassent, je le regrette, je n'aime pas
beaucoup cette position là, ça les regarde, ça regarde leur éthique, leur éthique politique, mais
il ne faut pas dire que le parti socialiste est profondément divisé, 80%, 90% des militants
socialistes aujourd'hui soit parce qu'ils le voulait dès le départ, soit parce qu'ils se sont rangés
à l'avis général, suivent le "oui".
Anita HAUSER : Alors comment expliquez-vous que les sympathisants socialistes justement
sont de plus en plus enclins à voter "non", comme le montrent les sondages ?
Dominique STRAUSS KAHN : Ça nous verrons lorsque le vote se réalisera le 29 mai,
comment votent les sympathisants socialistes. Ce que je constate aujourd'hui c'est qu'en effet,
ceux là sont plus troublés que d'autres par le désordre social que nous vivons dans le pays. Et
dans ces conditions je comprends bien que ce soit ceux qui réagissent.
Le désordre social n'est pas uniquement le fait du gouvernement quand même ?
Il n'est pas vraiment le fait du parti socialiste.
Non, moi je reviens à mes délocalisations, parce que je sais que vous êtes très actif et que
vous avez beaucoup réfléchi à la question…
Ruth ELKRIEF : On va en parler après. On finit sur le parti socialiste, pardon Anita.
Gérard COURTOIS : Au-delà de ce que vous décrivez comme une envie de faire, je cite
"turbuler" le système, ou en tout cas de secouer le cocotier, est-ce que ce chiisme sur l'Europe,
au-delà de ça, n'est pas représentatif malgré tout d'un vrai clivage que les socialistes français
n'ont jamais réussi véritablement à surmonter entre une gauche, appelons là radicale, et une
gauche plus réformiste. Est-ce que ça n'est pas le révélateur à nouveau…
Dominique STRAUSS KAHN : Oui, voilà vous avez dit le mot à nouveau, c'est le révélateur
et c'est une bien vieille histoire.
Pourquoi est-ce que les socialistes français n'ont pas réussi à surmonter ?
Là je répondrais volontiers, mais il me faudrait du temps. Pourquoi est-ce que l'histoire des
socialistes français est telle que nous avons toujours eu une part d'extrême qui, on n'a jamais
vraiment accepté, ni le réformisme, ni la construction européenne, il y a des raisons
historiques à cela qui, à mon avis, remontent au congrès de Tours, n'ont peut être pas le temps
de le faire. Mais rappelez-vous à Maastricht c'était la même chose. François Mitterrand
traînait derrière lui l'ensemble des socialistes, moins quelques-uns. Jean-Pierre Chevènement
à l'époque, qui d'ailleurs a fini par quitter le parti socialiste. Et donc il y a toujours eu au sein
des socialistes une petite fraction d'individus de renom et de qualité, Jean-Pierre Chevènement
ça n'était pas rien, ça vaut bien ceux qui, aujourd'hui, se déclarent pour le "non", et qui à un
moment donné de leur vie ont refusé de continuer à construire l'Europe.
Ruth ELKRIEF : Qu'est-ce qu'il faut faire, puisque François Hollande, cet après midi, a laissé
entendre qu'il y aurait peut être des sanctions dans la semaine ou des mesures prises. Première
question. Et deuxième : François Bayrou disait il y a quelques instants à une autre émission
sur Radio J : la dynamique s'est faite dans le camp du "non", elle ne s'est pas faite dans le
camp du "oui", parce que chacun reste chez soi, faisons campagne commune et il propose au
parti socialiste une campagne commune. Deux réponses.
Dominique STRAUSS KAHN : Sur le premier point, je trouve assez désagréable, je vous l'ai
dit, le fait que certains socialistes s'exonèrent de la démocratie interne, et surtout de vol de la
démocratie, nous aurons à traiter ça au bureau national du parti socialiste mardi prochain et
pour ma part je ferai une proposition. Je ne veux pas en dire plus maintenant.
Vous serez sévère, vous serez dur ?
Vous le saurez mardi.
C'est dommage, vous pouvez nous le dire ici.
Vous pourrez accepter que ce qui concerne les affaires du parti socialiste soit d'abord traité au
sein du parti socialiste.
Alors, à M. Bayrou, vous pouvez répondre publiquement ?
Alors M. Bayrou à ce que j'ai vu, j'ai vu la même dépêche que vous, invite les socialistes à
une campagne commune, mais que M. Bayrou s'occupe de l'UDF. Que M. Bayrou fasse que
les électeurs UDF, qui d'ailleurs en grand nombre, je crois, veuillent voter pour la
constitution, le fassent. Que chacun trouve les arguments qui sont susceptibles légitiment et
honnêtement de convaincre ceux avec lesquels il se sent le plus en affinité.
Donc c'est "non", pas de campagne commune ?
Anita HAUSER : Vous ne feriez pas campagne avec Daniel Cohn-Bendit ?
Dominique STRAUSS KAHN : Oh Daniel Cohn-Bendit est un vieil ami avec lequel j'ai
énormément de choses en commun. Je ne sais pas bien ce qui me distingue de lui d'ailleurs, je
pense qu'un jour il finira par être au parti socialiste.
Ruth ELKRIEF : Et avec François Bayrou, donc vous dites non ?
Je dis à François Bayrou que je suis content qu'il fasse campagne, j'aimerais mieux qu'il fasse
vraiment campagne et qu'il parle un peu moins de la Turquie en agitant des choses qui n'ont
rien à voir avec la constitution, mais je ne vois aucun intérêt, je ne crois pas voyez-vous, ça
serait très prétentieux de ma part, de croire que je puisse convaincre mieux que M. Bayrou, un
électeur de l'UDF et je suis convaincu qu'il ne convaincra pas mieux que moi un électeur
socialiste.
Ruth ELKRIEF :
Dominique STRAUSS-KAHN, on a évoqué les raisons et les reproches faits à l'Europe par les
tenants du non, évoquons le malaise social français qui est considéré comme une autre raison
du non et, Anita HAUSER, vous évoquiez, juste avant la fin de la première partie, l'angoisse
des délocalisations, l'inquiétude autour des délocalisations comme une des questions qui peut
expliquer ce non. Alors, à vous comme je vous l'avais promis.
Anita HAUSER :
Merci, vous êtes très bonne ! Dominique STRAUSS-KAHN, vous avez manifesté avec les
ouvriers de Sedivert je crois le 10 mars dernier et vous avez donné un plan contre les
délocalisations, votre plan. Vous vous voulez volontariste et vous préconisez des
nationalisations temporaires, c'est à dire en fait vous voudriez subventionner ou renationaliser
les entreprises qui voudraient délocaliser ?
Dominique STRAUSS-KAHN :
Je vois que ce point a beaucoup marqué. C'est toujours pareil, quand il y a une formule
quelque part, elle emporte tout et cette proposition que j'ai faite en matière de délocalisation
qui comprend de nombreux éléments, on a retenu cet aspect là parce qu'il y a cette formule…
Ruth ELKRIEF :
Que la taxe professionnelle soit payée encore par la société qui s'implante.
Dominique STRAUSS-KAHN :
C'est pas illégitime que vous le rappeliez. Quelle est l'idée ? L'idée c'est que nous n'avons
aucune raison d'accepter les bras ballants ces délocalisations.
Anita HAUSER :
Mais comment les empêcher ?
Dominique STRAUSS-KAHN :
J'allais y venir. Il nous faut faire en sorte que lorsque les entreprises sont rentables ou peuvent
être rentables, l'activité qui parfois a besoin d'être soutenue pendant un certain temps le soit et
en effet dans ces conditions là, je prends ce premier point d'abord puisque c'est celui que vous
avez cité, il me paraît légitime que la puissance publique intervienne comme elle est
intervenue beaucoup dans le passé dans d'autres domaines, pour prendre une part de capital de
ces entreprises, l'apporter jusqu'au moment où l'entreprise est capable de vivre de ses propres
ailes.
Nous avons beaucoup d'exemples où çà s'est déjà réalisé, moi-même lorsque j'étais ministre
de l'industrie au début des années 90, quand j'étais ministre de l'économie de 97 à 99, j'ai eu
l'occasion d'engager des opérations de ce genre, que ce soit dans la haute technologie avec des
fonds à risque, que ce soit une opération sur Turboméca qui n'est pas de mon fait, près de
Bordeaux, il y a eu des opérations de ce genre. Simplement…
Anita HAUSER :
Oui mais elles étaient rarissimes !
Dominique STRAUSS-KAHN :
Elles étaient rarissimes parce que…
Anita HAUSER :
Et elles concernaient les grands groupes alors qu'aujourd'hui ce sont de petites entreprises qui
délocalisent !
Dominique STRAUSS-KAHN :
Alors elles ne concernaient pas toujours les grands groupes mais vous avez raison de dire
qu'elles concernaient plus souvent les grands groupes, il n'y a aucune raison qu'elles ne
concernent que les grands groupes. Elles étaient rarissimes parce qu'elles étaient de grande
importance en taille, mais aujourd'hui çà n'est pas une opération très grande qu'il faut
conduire, c'est beaucoup de petites. Mais à l'arrivée, c'est bien le même problème que nous
avons, il n'y a aucune raison que la collectivité se désintéresse de son tissu industriel. Pour
autant, çà ne suffit pas car toutes les entreprises ne sont pas susceptibles de survivre aux
travers de mécanismes de ce genre et il y a des fois où l'entreprise effectivement s'en va,
auquel cas l'autre partie de mon plan est que nous devons faire en sorte d'aider à trouver des
repreneurs et il faut que sur place, sur le site, une activité de remplacement puisse exister et de
nouveau la puissance publique a à apporter des éléments pour faciliter cette reprise.
Anita HAUSER :
Mais vous imaginez chaque fois aller à Bruxelles justement et demander, est ce qu'on peut
injecter des capitaux dans cette entreprise ?
Dominique STRAUSS-KAHN :
Non çà ne se passe pas comme çà.
Anita HAUSER :
Mais c'est comme çà que çà se passe !
Dominique STRAUSS-KAHN :
Non, çà ne se passe pas comme çà car le traité de Rome, et c'est celui sur l'empire duquel nous
vivons toujours, ne fait pas de distinction selon la structure du capital, selon qu'il est public ou
qu'il est privé, l'entreprise peut être publique ou peut être privée. Le problème est un problème
de concurrence. Mais lorsqu'il s'agit d'une petite entreprise, le problème de concurrence existe
très rarement quand il y a d'autres entreprises de même nature. Pour autant, si vous me posez
la question précisément, est ce que vous vous imaginez d'aller à Bruxelles, oui Madame
HAUSER, c'est même la fonction d'un responsable public que d'aller défendre les dossiers. J'y
ai été pour de nombreux dossiers de grande taille vous avez raison car c'était surtout ceux là
qui étaient traités à l'époque mais s'il faut y aller pour des petits dossiers, nous irons pour des
petits dossiers.
Il n'y a pas d'emplois industriels qui ne méritent pas d'êtres sauvés dans notre pays et moi je
n'accepterai pas que dans notre pays, au nom d'une mondialisation que nous ne contrôlons
pas, l'emploi industriel soit siphonné hors du territoire et que nous restions les bras ballants à
regarder passer les trains. Toute action qui peut être conduites, Madame Ruth ELKRIEF
évoquait tout à l'heure la taxe professionnelle…
Ruth ELKRIEF :
C'est ce que disait Nicolas SARKOZY quand il était à Bercy il y a peu de temps et ce qu'il a
fait de la même façon. Alors on va passer peut être au diagnostic et à votre projet socialiste.
Dominique STRAUSS-KAHN :
Je ne sais pas à quoi vous faites allusion en disant que c'est ce qu'il a fait mais je ne veux
pas…
Ruth ELKRIEF :
C'est ce qu'il disait en tout cas.
Dominique STRAUSS-KAHN :
C'est çà oui mais je ne veux pas rentrer dans une polémique ce soir donc je laisserai flotter
l'idée qu'il l'a fait !
Ruth ELKRIEF :
Non, non, il l'a dit et il l'a fait sur Alsthom par exemple.
Anita HAUSER :
Une des raisons invoquées par les entreprises qui délocalisent, c'est précisément la législation
du travail qui est trop lourde en France, et là on se retourne contre vous.
Dominique STRAUSS-KAHN :
Oui c'est une raison qui est invoquée. A l'inverse, vous savez que nous sommes le deuxième
pays au monde d'accueil des investissements étrangers. Est ce que vous croyez que les
investissements japonais, américains, coréens, qui viennent en France, viennent en ayant pas
vu quelle était la législation du travail. Est ce que vous croyez qu'ils viennent en se doutant
pas, découvrant à l'arrivée, bien sûr que non ! Et s'ils viennent, c'est bien qu'ils considèrent
que les atouts industriels de la France, la possibilité d'y exercer une activité économique
rentable l'emporte sur les choses qu'ils peuvent considérer comme les gêner, c'est possible,
comme le droit du travail. Moi je me souviens d'une entreprise que j'inaugurais il y a pas si
longtemps en France et où, très gros investisseurs américains, et où le chef d'entreprise avec
qui je buvais une coupe de champagne, on a coupé le ruban en France, je disais mais pourquoi
est ce que vous êtes venu en France finalement, vous aviez à la fin un choix possible entre la
Pologne, l'Écosse et la France, c'était leur dernier choix possible. Et vous êtes venu en France.
Et il me dit vous savez on n'est pas venu en France à cause de vos impôts parce que vos impôt
ils sont plutôt plus élevés qu'ailleurs, alors je lui ai dit oui, çà je sais. Il m'a dit c'est pas non
plus les contraintes administratives, ce ne sont pas non plus, vous venez de le dire, les droits
du travail, mais à l'inverse vous avez des services publics, vous avez des services à la
personne, vous avez des réseaux ferrés, vous avez des réseaux de télécoms, vous avez un
ensemble d'éléments qui fait que quand je fais la balance pour mes salariés, de venir en
France ou d'aller ailleurs, j'ai intérêt à venir en France, et la preuve c'est que j'y suis. Et nous
ne serions pas le second pays d'accueil des investissements étrangers au monde si
véritablement notre droit du travail, que n'a-t-on dit sur les 35 heures par exemple, était, pour
ceux qui sont objectifs, les chefs d'entreprises étrangers qui peuvent venir en France, en
Allemagne, en Angleterre, en Italie ou ailleurs, eux çà leur est égal, et bien s'ils choisissent de
venir en France en grand nombre, c'est bien que finalement ce droit du travail n'est pas pour
eux un obstacle.
Ruth ELKRIEF :
Alors on va revenir au malaise social et à son expression ces dernières semaines par des
manifestations. Aux réponses que vous faites dans votre diagnostic présenté aujourd'hui aux
socialistes et aussi aux réponses du gouvernement qui étaient faites à ce malaise social,
Gérard COURTOIS.
Gérard COURTOIS :
Non, question très simple, le gouvernement par exemple sur la fonction publique s'apprête à
rouvrir des négociations, à augmenter d'un point le salaire de base ou les indices, est ce que çà
vous paraît suffisant et est ce que çà vous paraît possible ?
Dominique STRAUSS-KAHN :
Ça me paraît tardif, çà me paraît heureux, j'ai moi-même invité il y a de çà un peu plus d'un
mois dans une émission de télévision, à ce que s'ouvre une grande négociation sur les salaires,
pas seulement dans la fonction publique, aussi…
Ruth ELKRIEF :
Vous avez dit un grenelle des salaires !
Dominique STRAUSS-KAHN :
Oui, aussi donc dans le secteur privé. Je suis heureux de voir que le gouvernement suit cette
voie déjà dans la fonction publique, c'est déjà un début. Est ce que çà me paraît possible ? 1%
çà me paraît possible mais çà me paraît insuffisant. La réalité, c'est que les salaires des
fonctionnaires ont très peu augmenté au cours des années 2003, 2004, que leur pouvoir
d'achat a baissé, d'ailleurs le pouvoir d'achat de l'ensemble des français a baissé en 2003 sur
les statistiques qui viennent de tomber, et que nous avons besoin d'un coup sensible sur les
salaires. Alors évidemment, vous me direz, mais où trouve-t-on les ressources ? S'agissant de
la fonction publique, c'est bien l'état dont il s'agit.
Gérard COURTOIS :
Quand on a un endettement très élevé !
Dominique STRAUSS-KAHN :
Oui vous avez raison de faire remarquer que l'endettement, non seulement il est très élevé
mais surtout il est plus élevé aujourd'hui qu'il l'était hier. Je déteste faire ce genre de
références mais lorsque je suis arrivé au ministère des finances en 97, la dette représentait
dans notre pays, presque 60% du PIB, quand je suis parti elle n'en représentait que 58, c'était
la première fois depuis 25 ans que le rapport de la dette au PIB dans notre pays, baissait.
Depuis, il a malheureusement remonté assez sensiblement et donc vous avez raison de dire
que çà donne pas beaucoup de ressources.
Ruth ELKRIEF :
Alors on augmente les salaires des fonctionnaires, où est ce qu'on trouve l'argent Dominique
STRAUSS KAHN ?
Dominique STRAUSS-KAHN :
Alors où est ce que le gouvernement aujourd'hui va trouver l'argent, c'est une très bonne
question puisque hier il disait qu'il ne pouvait pas le faire. Donc, ou bien il a découvert tout à
coup des ressources qu'il a caché, ce qui me surprendrait, ou bien il va changer sa politique
sur d'autres aspects.
Gérard COURTOIS :
C'est dans le petit surplus de croissance qu'il espère trouver les recettes nécessaires !
Dominique STRAUSS-KAHN :
Oui enfin çà, c'est toujours un mauvais calcul d'espérer trouver des recettes dans une
croissance qu'on n'a pas encore.
Gérard COURTOIS :
Non, celle de 2004 !
Dominique STRAUSS-KAHN :
Ah, alors dans celle de 2004, c'est intéressant mais çà n'est pas dans le surplus de croissance
de 2004…
Anita HAUSER :
Un petit surplus fiscal.
Dominique STRAUSS-KAHN :
Oui mais le surplus fiscal de 2004 n'est en rien garanti pour toutes les années qui viennent
dans l'augmentation de salaire que l'on consent, elle vaut pour toutes les années qui viennent,
mais ne rentrons pas dans la technique.
Gérard COURTOIS :
Donc c'est très difficile !
Ruth ELKRIEF :
Alors comment on fait ?
Dominique STRAUSS-KAHN :
Comment on fait ? On fait des choix et le choix qu'il fallait faire dans notre pays et qui reste
juste aujourd'hui, c'est de ne pas continuer à agiter systématiquement pour des raisons
idéologiques, voire clientélistes, une baisse de l'impôt sur le revenu des catégories sociales les
plus élevées, quand ces sommes là seraient nécessaires dans l'université, dans la recherche,
dans les hôpitaux ou pour le salaire des fonctionnaires.
La difficulté de tenir un budget en équilibre dans notre pays, je la connais comme les autres,
au moins autant mais l'irrationalité des choix que ce gouvernement a faits à la suite des
propositions jugées à l'époque peu responsables, du Président de la République pendant la
campagne présidentielle…
Ruth ELKRIEF :
Donc la baisse des impôts, la promesse de la baisse des impôts…
Dominique STRAUSS-KAHN :
Font que aujourd'hui ce gouvernement est effectivement pris à la gorge et comme il est pris à
la gorge il se débat sans aucune politique, prenant une mesure dans un sens et puis une mesure
dans l'autre, une déclaration le lundi et le contraire le mercredi, les ministres eux-mêmes du
gouvernement, vous le savez, vous en êtes les rapporteurs normaux dans vos journaux,
passent leur temps à critiquer l'incohérence de la politique économique que conduit ce
gouvernement, et c'est notre pays qui est en cause car derrière ces hésitations, derrière cette
politique mal conduite, derrière, je dirais même cette absence de politique économique, ce
sont nos emplois et ceux de nos enfants qui sont en cause, c'est l'avenir de la France qui est en
cause. Et moi je ne veux pas admettre que l'on continue par des petits jeux personnels,
simplement parce qu'on a dit un jour, il faut baisser l'impôt sur le revenu et qu'on s'obstine
dans cette voie là qu'à l'arrivée, je ne veux pas qu'à l'arrivée la France décroche en matière de
recherche, que nos universités ne soient plus au niveau et que nos fonctionnaires soient dans
la rue parce qu'effectivement leur pouvoir d'achat à baissé.
Ruth ELKRIEF :
Alors vous savez ce que répond le gouvernement à cette tirade. Et bien c'est que si le pouvoir
d'achat a beaucoup baissé, que les salaires ont baissé, c'est que les 35 heures ont fait baisser
les salaires !
Alors sans qu'on rentre dans un meeting complet du parti socialiste, en un petit mot pour
évoquer ce que vous allez faire maintenant et peut être demain pour répondre à ces questions
?
Dominique STRAUSS-KAHN :
Vous reconnaîtrez que c'est un argument qui est quand même très intéressant parce que les 35
heures ont été votées en 98 et que de 98 à 2002 les 35 heures n'ont pas fait baisser les salaires,
les 35 heures ont été associées…
Ruth ELKRIEF :
Stagner en tout cas !
Dominique STRAUSS-KAHN :
Oui et à une hausse du pouvoir d'achat d'environ 2,5% pour le revenu des ménages et
aujourd'hui nous ne constatons pas çà. Alors il y avait un autre argument, vous allez me le
dire donc je vous tends la perche !
Anita HAUSER :
La croissance !
Dominique STRAUSS-KAHN :
Voilà ! Il y avait un autre argument ! Combien de fois n'ai-je pas entendu Monsieur
RAFFARIN à l'assemblée dire, mais vous, vous aviez la croissance et nous, nous ne l'avons
pas ! Sauf que l'année 2004 est la plus forte année de croissance mondiale depuis 25 ans.
Jamais depuis 25 ans la croissance mondiale n'a été aussi forte qu'en 2004. Et donc, nous
avons eu de la croissance internationale, mais en 2004 il y a eu la plus forte croissance
internationale depuis 25 ans et nous n'en trouvons pas les traces ou très peu, vous le disiez
tout à l'heure, un petit peu mais trop peu dans les comptes français car il faut se saisir de la
croissance et il faut ensuite la transformer en emplois. Si un ministre de l'économie et des
finances çà sert à quelque chose, c'est à faire en sorte…
Ruth ELKRIEF :
Alors vous feriez comment, vous feriez comment parce que là maintenant, avançons, vous
avez…
Dominique STRAUSS-KAHN :
Vous ne voulez jamais me laisser finir !
Ruth ELKRIEF :
Non, non, mais concrètement, vous avez présenté aujourd'hui un diagnostic de la société
française, vous dites une société fragmentée dans laquelle l'inégalité est un des problèmes
principaux et vous annoncez à venir des solutions contre ces inégalités. Mais vous dites aussi,
nous ne sommes pas, nous ne sommes allés ni assez loin, ni assez vite, vous le reconnaissez
dans certains cas. J'ai envie de dire, maintenant qu'est ce que vous dites aux français puisqu'on
passe à 2007, on se projette en 2007, comment est ce que vous allez répondre à ce malaise
social d'aujourd'hui, qu'est ce qui va être différent de la manière dont il avait été géré avant ?
Dominique STRAUSS-KAHN :
Je dis 2 choses aux français. Je leur dis d'abord, bien sûr tout gouvernement fait des erreurs
mais en dépit de ses erreurs, le gouvernement de Lionel JOSPIN est un gouvernement pendant
lequel 2 millions d'emplois ont été créés, 1 million de chômeurs en moins et on pourrait
continuer la liste de beaucoup de choses comme la création de la couverture maladie
universelle ou les hausses du RMI. Et donc je ne regrette rien de ce qui a été fait dans cette
période même si évidemment après coup, on se dit qu'il y a telle ou telle chose qu'on aurait pu
faire mieux. Ce qu'on constate aujourd'hui et c'est le cœur du diagnostic que vous évoquez là
et que j'ai rédigé avec Martine AUBRY et Jack LANG pour lancer le débat du projet
socialiste. C'est que notre société est aujourd'hui une société qui est fragmentée, une société
qui est en miettes, pourquoi ? Parce que voyez-vous hier encore, hier, je veux dire avant-hier,
lorsqu'on était ouvrier, lorsqu'on était employé, on pensait que l'amélioration de son sort
individuel viendrait de ce que l'ensemble du mouvement ouvrier, des salariés, progresserait, et
donc on militait politiquement, syndicalement, pour faire progresser tout cela et on en tirerait
un bénéfice. Aujourd'hui notre société s'est éclatée, fragmentée en petites communautés, celui
qui est chômeur est envieux du CDD, celui qui a un CDD est envieux du CDI, chacun est
enfermé dans sa situation personnelle et ne croit plus que l'action collective va lui permettre
de progresser, il croit à des solutions individuelles.
Et nous devons être capables de répondre à cette fragmentation là qui rend l'action politique
beaucoup plus difficile mais qui rend les inégalités beaucoup plus fortes qu'elles ne l'étaient
hier et c'est pour çà que je dis depuis maintenant des mois et des mois, et je suis heureux de
voir que mes camarades du parti socialiste reprennent avec moi cette analyse, que nous
devons renouveler nos instruments, attaquer les inégalités à la racine, là où elles se créent, dés
l'école, pas simplement essayer de les compenser une fois qu'elles existent. Que nous avons
besoin, nous à gauche, de revoir l'ensemble des outils qui sont les outils traditionnels de la
sociale démocratie si nous voulons vraiment lutter…
Ruth ELKRIEF :
Donc pas seulement la dépense publique, la dépense publique quoi !
Dominique STRAUSS-KAHN :
Absolument ! La tradition, la critique traditionnelle de la gauche c'est, vous levez des impôts
et vous dépensez. Ce n'est pas la bonne manière de voir les choses. La bonne manière de voir
les choses c'est où veut-on faire porter l'effort pour faire disparaître les inégalités.
Et moi je dis par exemple qu'à l'école, c'est un bon exemple, c'est loin d'être le seul, les
inégalités en matière de santé sont au moins aussi importantes, qui ne sait aujourd'hui que
lorsqu'il connaît les bonnes filières, qu'il connaît les bons médecins, qu'il sait dans quel
hôpital il faut aller, il sera soigné de façon complètement différente que s'il ne les connaît pas,
tout le monde sait cela.
Restons sur l'école, à l'école on voit bien aujourd'hui que la tradition de la république qui était
de dire, nous mettons les mêmes moyens pour tout le monde, un instituteur devant 25 ou 30
élèves par exemple, était sans doute un formidable progrès quand les hussards noirs, les
instituteurs de Jules FERRY il y a de çà un siècle presque et demi, enfin un siècle et quart,
sont apparus. Aujourd'hui le progrès c'est de dépasser cela, çà n'est plus l'égalité formelle pour
chacun, c'est d'aller vers une égalité réelle.
Ruth ELKRIEF :
Mais tout le monde dit çà, franchement !
Dominique STRAUSS-KAHN :
Non tout le monde ne le dit pas !
Ruth ELKRIEF :
Si, si !
Dominique STRAUSS-KAHN :
En tout cas ce que je constate c'est que tout le monde ne le fait pas. Aujourd'hui il y a un
gouvernement en place, il ne le fait pas, je ne sais pas s'il le dit, je ne l'ai pas entendu le dire…
Ruth ELKRIEF :
François FILLON considère qu'il le propose.
Gérard COURTOIS :
L'égalité réelle c'est de la discrimination positive en faveur des…
Dominique STRAUSS-KAHN :
Non ! Je n'aime pas le terme de discrimination positive car il renvoie à une pratique nord
américaine qui était sur une base ethnique, c'est absolument pas çà qui est en cause. Les
inégalités qu'on constate aujourd'hui sont territoriales.
Gérard COURTOIS :
Donc donner plus de moyens…
Dominique STRAUSS-KAHN :
Donner beaucoup plus de moyens aux endroits où il y en a plus besoin. Je ne sais pas si
François FILLON comme vous le disiez, reprend cette idée, j'en serais ravi, à condition qu'il
le fasse car ce qui différencie quand même dans une démocratie, l'opposition du parti qui est
au pouvoir, c'est que le parti qui est pouvoir, il ne doit pas parler, il doit faire.
Gérard COURTOIS :
Mais en matière d'éducation par exemple, ce que vous dites est pratiqué depuis 2 décennies !
Dominique STRAUSS-KAHN :
Vous pensez à quoi ?
Gérard COURTOIS :
Aux zones d'éducation prioritaire !
Dominique STRAUSS-KAHN :
C'est un très bon exemple !
Gérard COURTOIS :
Et qui n'ont pas modifié les inégalités devant le…
Dominique STRAUSS-KAHN :
Exactement ! Enfin encore que les rapports sur les ZEP sont moins péjoratifs, moins négatifs
qu'on ne le dit mais vous avez quand même raison.
Gérard COURTOIS :
Enfin pas en profondeur !
Dominique STRAUSS-KAHN :
Oui absolument !
Ruth ELKRIEF :
Grâce aux équipes et au volontarisme des instituteurs !
Dominique STRAUSS-KAHN :
Absolument. Pourquoi, pourquoi ? Nous ne sommes pas les seuls à avoir inventé les ZEP et il
y a au moins un pays, ce sont les Pays-Bas, qui ont développé l'équivalent des ZEP. Quelle est
la différence entre la ZEP française et la ZEP hollandaise, n'y voyez aucune allusion interne
au parti socialiste, c'est que dans la ZEP française un élève bénéficie de 10% de crédit en plus
par rapport à un élève hors ZEP. Au Pays-Bas il bénéficie de 100% de crédit en plus et les
résultats sont là. Il faut concentrer les moyens, les concentrer massivement si on veut avoir
des résultats. Pourquoi les ZEP, vous aviez raison de le souligner, n'ont pas été d'un apport
formidable, parce que c'était des ZEP au petits pieds, c'était des ZEP chiches. Je veux des
vraies ZEP, je veux des endroits dans lesquels on concentre vraiment les moyens. Et des
études très récentes que vous connaissez, la presse s'en est beaucoup faite l'écho, ont montré
que par exemple, quand on passe une classe de 26 à 22 élèves, 4 élèves de moins, dans un
collège, on diminue le risque de redoublement de 40%. 40% c'est énorme ! Concentration des
moyens, il faut concentrer les moyens dans les endroits où on en a le plus besoin, lutter contre
ces inégalités à la racine, là où elles se forment, et on aura beaucoup moins besoin de
redistribuer par la suite, çà restera nécessaire, on aura moins besoin de le faire, il vaut mieux
concentrer la dépense publique à la création des inégalités qu'à leur correction après coup.
Anita HAUSER :
Puisque vous reconnaissez qu'il faut faire des choix, où est ce que vous, quels sont les secteurs
que vous délesteriez un peu ?
Dominique STRAUSS-KAHN :
Je vous l'ai dit. Je pense que la baisse des impôts aujourd'hui est une ânerie dans un pays
comme le nôtre !
Ruth ELKRIEF :
Donc vous remonteriez les impôts ?
Dominique STRAUSS-KAHN :
Alors c'est très compliqué ! C'est beaucoup plus facile de baisser les impôts que de les
remonter !
Ruth ELKRIEF :
Oui justement !
Dominique STRAUSS-KAHN :
Absolument ! Au moins faut-il cesser de les baisser et faire que les bénéfices de la croissance,
au lieu d'être utilisés encore dans les années qui viennent à continuer de baisser l'impôt, soient
utilisés dans les endroits que je viens d'évoquer.
Gérard COURTOIS :
Comment expliquez-vous qu'un certain nombre, je parle du projet ou plutôt du diagnostic à ce
stade, qu'un certain nombre de minoritaires du parti socialiste vous reprochent de sous évaluer
la question sociale. Le reproche a été formulé par plusieurs aujourd'hui et dans les jours
précédents. C'est une posture ou c'est un…
Dominique STRAUSS-KAHN :
Oui çà n'est pas tellement… Ce n'est pas le reproche le plus vif qui a été adressé, il y en a
d'autres !
Anita HAUSER :
Non, c'est d'ignorer ce qu'a été le 21 avril !
Dominique STRAUSS-KAHN :
Oui il y a celui là, vous avez raison, il y en a d'autres encore.
Ruth ELKRIEF :
Vous avez dit que vous ne regrettiez rien !
Anita HAUSER :
Je poursuis, est ce que vous vous êtes senti un peu bridé par le fait d'avoir été ministre de
Lionel JOSPIN pour ne pas avoir…
Dominique STRAUSS-KAHN :
Non jamais ! Ni par Lionel JOSPIN pendant que j'étais ministre, ni après.
Anita HAUSER :
Non, non ! Pour rédiger votre diagnostic avec Martine AUBRY et Jack LANG ?
Dominique STRAUSS-KAHN :
J'avais compris ! Non pas du tout, pas du tout. Je reconnais volontiers qu'il y a des choses où
nous aurions dû aller plus loin, on cite des exemples, la politique du logement par exemple…
Ruth ELKRIEF :
Le pouvoir d'achat par exemple !
Dominique STRAUSS-KAHN :
Oui, oui et évidemment cette question qui nous a beaucoup coûté sur…
Ruth ELKRIEF :
Donc vous reconnaissez peut être ce que dit le gouvernement !
Dominique STRAUSS-KAHN :
Non, non ! Vous êtes terrible ! La hausse moyenne du pouvoir d'achat quand Lionel JOSPIN
est Premier Ministre, c'est 2,5 par an, la hausse moyenne du pouvoir d'achat depuis que
Monsieur RAFFARIN est Premier Ministre c'est 1,2 par an, c'est la moitié !
Ruth ELKRIEF :
Mais vous dites vous n'êtes pas allé assez loin !
Dominique STRAUSS-KAHN :
On n'a pas été assez loin, çà veut pas dire qu'on n'était pas 2 fois au-dessus de ce que fait
Monsieur RAFFARIN. Je reviens à mes questions, le logement est un exemple intéressant
d'un domaine dans lequel je pense nous n'avons pas été assez loin et donc il leur est facile de
reconnaître des critiques de ce genre mais pour revenir à votre question Monsieur
COURTOIS, non je n'ai pas senti que la critique de mes camarades plus extrémistes que moi
dans ce parti, soit principalement sur la question sociale et à vrai dire je ne la prends pas
comme telle car je crois que beaucoup de leurs remarques sont utiles, nous sommes dans une
phase de diagnostic, il faut les intégrer mais ce que je propose est un vrai changement dans la
vision des socialistes et des socio démocrates. Arnaud MONTEBOURG qui s'y connaît, disait
ce matin à notre réunion, c'est un changement de logiciel, oui c'est un changement de logiciel.
Nous ne pouvons pas construire ce que c'est qu'être de gauche demain dans notre pays et en
Europe au début du 21ème siècle avec les logiciels qui étaient ceux des années 70. Et donc
c'est bien un changement de logiciel que je propose et qui semble, bon grès mal gré, avec des
modifications qu'il faudra apporter, être suivi par les socialistes.
Gérard COURTOIS :
Peut-on espérer avoir un diagnostic partagé sur la France quand on a des divergences
d'analyse aussi sensibles ou perceptibles sur l'Europe ?
Dominique STRAUSS-KAHN :
Je pense que oui, vous savez la question européenne elle sera tranchée le 29 mai, je l'espère
pour notre pays, elle sera tranchée positivement car si elle ne l'était pas, nous rentrerions dans
une zone très difficile à prédire, où la France serait très marginale en Europe et où les
bénéfices qu'on peut attendre de ce traité ne seraient pas au rendez-vous. Si donc, comme je
l'espère le oui l'emporte parce que c'est l'intérêt du pays, et bien les choses rentreront dans
l'ordre. Bien sûr la question est importante et donc qu'un certain nombre de socialistes ne
soient pas d'accords là-dessus n'est pas rien mais çà n'est pas tout non plus, il y a d'autres
choses que la question européenne, on le disait tout à l'heure sur la question sociale, les
questions qui touchent aux libertés, les questions qui touchent à des problèmes nouveaux que
nous avons à traiter, des problèmes d'éthique touchant par exemple aux OGM, aux génomes
humains, à la vie elle-même, des questions qui touchent à la religion, à la laïcité…
Ruth ELKRIEF :
Est ce qu'il faudra symboliser ces retrouvailles socialistes après ?
Dominique STRAUSS-KAHN :
Il y a un ensemble de sujets qui ne sont pas directement liés à l'Europe, nous sommes un peu
et c'est légitime, focalisés sur la question européenne aujourd'hui et moi je le suis totalement
car aujourd'hui je n'ai qu'un seul combat, c'est celui du oui. Mais une fois ce combat terminé,
je pense qu'en effet les socialistes sauront se retrouver et en tout cas pour ma part je ferai en
sorte qu'ils puissent se retrouver.
Ruth ELKRIEF :
Après les européennes, votre combat çà sera celui de la présidentielle.
Dominique STRAUSS-KAHN :
Après les européennes, mon combat ce sera celui de faire que les socialistes aient un projet à
proposer à la France, pas seulement…
Ruth ELKRIEF :
Ce que n'avait pas fait JOSPIN en 2002 ?
Dominique STRAUSS-KAHN :
Ce que nous n'avions pas fait et je m'en veux beaucoup de ne pas avoir réussi à convaincre
JOSPIN, d'ailleurs je n'étais pas moi-même convaincu, c'est ma faute avec celle d'autres, que
pour l'élection présidentielle de 2002 il nous fallait plus qu'un programme !
Nous avions un programme avec des mesures à prendre, je pense que nous n'avions pas
véritablement un projet…
Anita HAUSER :
Quelle est la différence entre un projet et un programme ?
Ruth ELKRIEF :
Un souffle, une vision j'imagine !
Dominique STRAUSS-KAHN :
Un projet, le projet qu'avec Jack LANG et Martine AUBRY nous essayons de mettre sur
pieds, c'est la réponse à la question, qu'est ce que c'est qu'être socialiste aujourd'hui en France,
à quoi çà sert, pourquoi faut-il l'être, quel combat menons-nous, çà vaut au-delà de l'élection
présidentielle qui est devant nous, çà vaut pour les 10 ans, les 15 ans qui viennent. Dans ce
projet s'inscriront des campagnes électorales, des programmes, des propositions, des mesures,
mais ce qui compte aujourd'hui et ce que les socialistes ne se sont pas posés comme question
depuis assez longtemps dans notre pays, c'est pourquoi menons-nous ce combat, quelles sont
les valeurs que nous voulons promouvoir et quels sont les instruments pour le faire. Voilà…
Anita HAUSER :
Accompagner les réformes tout simplement ?
Dominique STRAUSS-KAHN :
Non justement, çà veut certainement pas dire accompagner seulement les réformes…
Anita HAUSER :
Je dis est ce que vous avez simplement accompagné les réformes, est ce que justement le
changement de logiciel çà implique…
Dominique STRAUSS-KAHN :
Non je pense que lorsque Lionel JOSPIN a été élu en 97, il a mis en œuvre ce qui était sans
doute la dernière vague de ce que nous avions tous ensemble élaboré, François
MITTERRAND en tête bien sûr, à partir de 1971 au congrès d'Épinay, quand le parti
socialiste a été recréé.
La première vague a été celle de 81, la seconde celle de 88, la troisième celle de 97 et qu'entre
temps il est passé 30 ans, l'Europe a changé, il nous faut bouger. Ce que je vous dis là, je ne
suis pas le seul à le dire, tous les socialistes et les socio-démocrates européens ont la même
recherche, je participe avec eux à des débats récurrents sur qu'est ce que c'est aujourd'hui
d'être socialiste en France, en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas…
Ruth ELKRIEF :
On attend la réponse effectivement ! En un mot…
Dominique STRAUSS-KAHN :
Et tous ceux là, tous ces socialistes européens, tous ces socio-démocrates européens disent, si
nous voulons avancer il faut voter oui au traité constitutionnel, tous !
Ruth ELKRIEF :
Dominique STRAUSS KAHN, vous conduirez cette, vous vous voyez déjà à la tête de ce
projet pour arriver en 2007, vous avez dit que vous seriez disponible si…
Dominique STRAUSS-KAHN :
Je ne suis pas plus à la tête de ce projet que mes camarades qui travaillent avec moi, Martine
AUBRY et Jack LANG, nous faisons cela à 3…
Ruth ELKRIEF :
Et François HOLLANDE, vous l'avez zappé ?
Dominique STRAUSS-KAHN :
Nous le faisons bien entendu sous l'autorité du premier secrétaire et j'étais ravi de constater
aujourd'hui comme d'ailleurs depuis quelques jours lorsque ce débat a commencé dans le
parti, qu'il reprend à son compte ce texte, ce qui montre qu'en dépit des pics que vous voulez
lancer tout le temps, il y a plus d'unité parmi les socialistes que vous ne prétendez.
Ruth ELKRIEF :
Merci beaucoup Dominique STRAUSS KAHN. Notre invité sera lundi soir prochain et non
pas dimanche parce que ce sera lundi de Pâques à la fin du week-end, Dominique VOYNET
entre 19h00 et 20h00. A la semaine prochaine.

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