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L’Encéphale (2009) 35, 443—447 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP ÉPIDÉMIOLOGIE Relations entre symptomatologie dépressive, désespoir et idées de suicide chez 1547 lycéens Relationship between depressive symptoms, hopelessness and suicidal ideation among 1547 high school students H. Chabrol a,∗, M. Choquet b a Centre d’études et de recherches en psychopathologie, université de Toulouse Le Mirail, pavillon de la recherche, 5, allées Antonio-Machado, 31058 Toulouse cedex 9, France b Inserm U 669, maison des adolescents, hôpital Cochin, 97, boulevard de Port-Royal, 75014 Paris, France Reçu le 15 juin 2007 ; accepté le 29 octobre 2008 Disponible sur Internet le 6 mars 2009 MOTS CLÉS Idées de suicide ; Désespoir ; Symptomatologie dépressive ; Adolescence KEYWORDS Suicidal ideation; Hopelessness; Depressive symptoms; Adolescence ∗ Résumé Les buts de cette étude étaient d’évaluer la fréquence des idéations suicidaires et des symptômes dépressifs dans un échantillon communautaire d’adolescents et d’estimer les contributions relatives du désespoir et des symptômes dépressifs à la prédiction des idées suicidaires chez l’adolescent. Un échantillon de 1547 lycéens (693 garçons et 854 filles) a rempli la Center for Epidemiological Studies—Depression Scale (CES-D) pour évaluer la symptomatologie dépressive et une échelle d’évaluation des idées suicidaires. Avec le seuil de 24 à la CES-D, 19 % des garçons et 34 % des filles de l’échantillon total avaient une symptomatologie dépressive modérée à sévère. L’envie de se suicider au moins occasionnelle (c’est-à-dire se manifestant au moins un à deux jours par semaine) a été rapportée par 14 % des filles et 13 % des garçons. Des analyses de régression multiple ont montré que le désespoir était un prédicteur indépendant significatif des idées suicidaires après contrôle de la symptomatologie dépressive. Le désespoir est apparu jouer un rôle de médiateur entre les symptômes dépressifs et le désir de suicide. © L’Encéphale, Paris, 2009. Summary Objectives. — The aim of the study was to evaluate the incidence of depressive symptoms and suicidal ideation, and to test the mediating role of hopelessness between depressive symptoms and the wish to kill oneself. Method. — A random sample of 1547 high school students from the department of HauteGaronne, France, (854 girls, mean age = 16.9 ± 1.5; 693 boys, mean age = 17.4 ± 1.5) completed a questionnaire assessing cannabis use, the Center for Epidemiological Studies—Depression Scale (CES-D) completed by the three items subscale measuring suicidal ideation proposed by Garrison et al. (1991) (‘‘I felt life was not worth living’’; ‘‘I felt like hurting myself’’; ‘‘I felt like Auteur correspondant. 21, rue d’Alsace-Lorraine, 31000 Toulouse, France. Adresse e-mail : [email protected] (H. Chabrol). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2009. doi:10.1016/j.encep.2008.10.010 444 H. Chabrol, M. Choquet killing myself’’). The measure of hopelessness was based on a single item, ‘‘I felt life was not worth living’’. Results. — At least occasional wish to kill oneself were reported by 13% of boys and 14% of girls (NS). The mean CES-D score for girls was significantly higher than for boys (20.3 ± 10.7 versus 16.7 ± 9.9; p < 0.01). According to the cut-off score of 24, 19% of boys and 34% of girls had a moderate to severe depressive symptomatology (p < 0.0001). The mean suicidal ideation score was significantly higher in participants scoring 24 or above on the CES-D than participants scoring less than 24 (2.4 ± 2.7 versus 0.3 ± 0.9; p < 0.0001). Among participants with CES-D greater or equal to 24, 34% reported at least occasional wish to kill oneself versus 6% of participants with CES-D less than 24 (p < 0.0001). CES-D scores and suicidal ideation scores were moderately correlated in girls (Pearson’s r = 0.59) and boys (r = 0.61) in the total sample. To explore the role of hopelessness as mediator between depressive symptoms and the wish to kill oneself, multiple regression analyses were performed separately by gender. To establish mediation, three regression equations should be estimated and the four following conditions must hold: First, the independent variable (CES-D scores) must affect the mediator in the first equation; second, the independent variable must affect the dependent variable (the wish to kill oneself) in the second equation; third, the mediator must affect the dependent variable in the third equation regressing the dependent variable on both the independent variable and on the mediator; fourth, the effect of the independent variable on the dependent variable must be less in the third equation than in the second. Among girls, in the first equation, CES-D score explained 35% of the variance of hopelessness (ˇ = 0.59, t = 21.5, p < 0.001). In the second equation, CES-D score explained 16% of the variance in the wish to kill oneself (ˇ = 0.40, t = 12.7, p < 0.001). In the third equation, CES-D and hopelessness scores explained 32% of the variance in the wish to kill oneself. Hopelessness was the main predictor (ˇ = 0.50, t = 14, p < 0.001) while the effect of CES-D was markedly reduced (ˇ = 0.10, t = 2.9, p < 0.01). Among boys, in the first equation, CES-D score explained 38% of the variance of hopelessness (ˇ = 0.62, t = 20.7, p < 0.001). In the second equation, CES-D score explained 25% of the variance in the wish to kill oneself (ˇ = 0.50, t = 15.1, p < 0.001). In the third equation, CES-D and hopelessness scores explained 47% of the variance in the wish to kill oneself. Hopelessness was the main predictor (ˇ = 0.60, t = 17, p < 0.001) while the effect of CES-D was substantially weakened (ˇ = 0.13, t = 3.6, p < 0.001). Discussion. — These results showed a strong association between depressive symptoms and suicidal ideation in this nonclinical sample of adolescents. According to Beck’s assumption, hopelessness appeared to be a mediator between depressive symptoms and the wish to kill oneself both in boys and girls. These findings are relevant for prevention and therapy. They suggest that targeting hopelessness may be as important in adolescents as in adults to reduce suicidal ideation and prevent suicidal attempts. © L’Encéphale, Paris, 2009. Introduction Le désespoir et la dépression sont des facteurs importants liés au passage à l’acte suicidaire, chez les adultes [1,2], comme chez les adolescents [24]. Mais chez les adolescents, après contrôle de la dépression, le désespoir ne s’avère plus lié à la tentative de suicide [11,14], alors que chez les adultes, 20 % des TS sont attribuable au désespoir et 40 % à la dépression [7]. Quant au lien du désespoir et de la dépression avec les idées (ou intentions) suicidaires, les résultats restent contradictoires. Selon certains auteurs [15,19], le lien entre « désespoir » et « idées suicidaires » disparaît après contrôle de la dépression, alors que selon d’autres [8,2,25], le désespoir contribue aux idées suicidaires indépendamment de la dépression, même si la dépression reste le principal prédicteur [8]. Toutefois, un modèle où le désespoir serait un médiateur entre la dépression et les idées suicidaires n’a pas été testé. Le principal but de cette étude est d’évaluer les contributions relatives du désespoir et de la symptomatologie dépressive aux idées suicidaires et de tester le rôle de médiateur du désespoir sur l’envie de suicide, dans un échantillon communautaire d’adolescents. Un autre but est d’évaluer la fréquence des idées de suicide et des symptomatologies dépressives modérées ou sévères dans un échantillon non clinique d’adolescents. Toute l’analyse a été effectuée séparément pour garçons et filles, afin de mettre en évidence des liens différenciés par sexe. Méthode Participants et protocole L’étude a été réalisée en 2006 dans huit lycées de la Haute-Garonne avec l’accord des chefs d’établissement. Les 48 classes interrogées, qui regroupaient 1654 élèves, ont été désignées au hasard, sans toutefois veiller à ce que le nombre de classes soit proportionnel à l’effectif de l’établissement. Tous les élèves de ces classes ont été sollicités à répondre à un autoquestionnaire. Aucun refus de participer à l’étude n’a été noté, mais les absents du jour n’ont pas été comptés. Les questionnaires anonymes ont été Relations entre symptomatologie dépressive, désespoir et idées de suicide remplis en classe en présence d’une étudiante en psychologie. Les élèves ont rempli un formulaire de consentement éclairé et ont été informés qu’ils pouvaient s’adresser à l’infirmière ou au médecin scolaires s’ils se sentaient perturbés par le questionnaire ou s’ils rapportaient avoir des idées de suicide. Cent deux questionnaires (soit 6,2 % de l’échantillon initial) ont été exclus à cause d’au moins deux valeurs manquantes à la CES-D. En cas d’une seule valeur manquante, elle a été remplacée par la moyenne à cet item. Cinq autres questionnaires ont été exclus à cause d’au moins une réponse manquante sur l’échelle d’idées suicidaires. Au total, un échantillon de 1547 adolescents (693 garçons et 854 filles) âgés de 14 à 22 ans (âge moyen des garçons, 17,4 ans ± 1,5 ans ; âge moyen des filles, 16,9 ans ± 1,5 ans) a été retenu pour la présente analyse. Mesures La symptomatologie dépressive a été mesurée par la version française en autopassation de la CES-D qui a été développée pour mesurer les symptômes dépressifs dans la population générale [9,21]. La CES-D a été largement utilisée chez l’adolescent en raison de sa brièveté, de sa validité interne et concourante [23]. Elle comprend 20 items dont quatre (items 4, 8, 12, 16) sont présentés sous forme positive. Chaque réponse est cotée de 0 à trois sur une échelle évaluant la fréquence du symptôme au cours de la semaine écoulée (ex : Je me suis senti triste : jamais = 0, occasionnellement [un à deux jours] = 1, assez souvent (trois à quatre jours) = 2, fréquemment ; tout le temps [cinq à sept jours] = 3). La cotation des items positifs est inversée (ex : J’ai été heureux [se] : jamais = 3, occasionnellement = 2, assez souvent = 1, très souvent = 0). L’intervalle des notes possibles s’étend de 0 à 60. Pour les adolescents, un score seuil de 24 a été proposé pour définir des symptômes dépressifs « modérés/sévères » chez l’adolescent [22]. Chabrol et al. [5] ont également retrouvé ce score seuil de 24. Dans l’étude actuelle, la consistance interne de la CES-D était élevée (˛ de Cronbach = 0,89). L’échelle d’idéation suicidaire était composée des trois items proposés et utilisés par Garrison et al. pour compléter la CES-D par une mesure des idées suicidaires développée pour être utilisée dans la population générale [10]. Cette échelle a montré une validité interne et concourante satisfaisante [10]. Les trois items sont : « J’ai eu l’impression que la vie ne mérite pas d’être vécue » ; « J’ai eu envie de me faire du mal » ; « J’ai eu envie de me suicider ». L’échelle de cotation est la même que la CES-D (jamais = 0, occasionnellement [un à deux jours] = 1, assez souvent [trois à quatre jours] = 2, fréquemment ; tout le temps [cinq à sept jours] = 3). Le score d’idéation suicidaire est la somme des réponses à ces trois items. L’intervalle des scores s’étend de 0 à neuf. L’alpha de Cronbach est dans cette étude de 0,83 avec une corrélation moyenne interitem très élevée (0,67) montrant une excellente consistance interne. Comme dans l’étude de Thompson et al. mesurant le désespoir avec un seul item [26], l’item « J’ai eu l’impression que la vie ne mérite pas d’être vécue » a été utilisé pour mesurer le désespoir. L’item « J’ai eu envie de me suicider » a été utilisé pour mesurer l’envie de suicide. 445 Analyses statistiques Les pourcentages ont été comparés par le test exact de Fischer et les moyennes par le test t de Student. Pour tester le rôle de médiateur du désespoir sur le désir suicidaire, trois analyses de régression multiple ont été réalisées, selon la méthode préconisée par Baron et Kenny [3], chez les filles et chez les garçons. L’analyse de régression 1 étudie le lien entre la symptomatologie dépressive (variable indépendante) et le désespoir (médiateur) ; l’analyse de régression 2 étudie le lien entre la symptomatologie dépressive (variable indépendante) et le désir de suicide (variable dépendante) ; l’analyse de régression 3 étudie la contribution relative de la symptomatologie dépressive et du désespoir au désir de suicide. Pour affirmer le rôle médiateur du désespoir, il faudrait que la symptomatologie dépressive soit un prédicteur significatif du désespoir (analyse de régression 1), que la symptomatologie dépressive soit un prédicteur significatif du désir suicidaire (analyse de régression 2) et que l’effet de la symptomatologie dépressive sur le désir de suicide (analyse de régression 3) soit moindre que dans l’analyse de régression 2 [3]. La contribution unique de chaque prédicteur est rapportée par le coefficient de régression standardisé , la statistique t et la valeur de p. Les calculs ont été réalisés avec la version 6 de Statistica. Résultats Statistiques descriptives Dix-neuf pour cent des garçons et 34 % des filles de l’échantillon ont des symptômes dépressifs « modérés/sévères » (p < 0,0001). L’envie de se suicider (au moins occasionnel, c’est-à-dire se manifestant au moins un à deux jours par semaine) a été rapporté par 14 % des filles et 13 % des garçons (ns). Le Tableau 1 montre les comparaisons entre garçons et filles des scores moyens à la CES-D et à l’échelle d’idéations suicidaires, de la fréquence des idées suicidaires et ce d’abord dans l’échantillon total, puis chez les sujets non déprimés et enfin chez les sujets ayant une symptomatologie dépressive modérée ou sévère. Le score moyen à la CES-D obtenu par les filles s’est montré significativement supérieur à celui des garçons dans l’échantillon total et chez les nondéprimés. Le score moyen à l’échelle d’idéation suicidaire et la fréquence de l’envie de se suicider étaient significativement plus élevés chez les garçons dans le groupe des sujets ayant une symptomatologie dépressive modérée ou sévère. Les scores d’idéations suicidaires étaient très significativement plus élevés chez les sujets ayant une symptomatologie dépressive modérée ou sévère que chez les autres : 2,4 (± 2,7) versus 0,3 (± 0,9) (p < 0,0001). Parmi les sujets ayant une symptomatologie dépressive modérée ou sévère, 34 % rapportaient une envie de suicide au moins occasionnelle contre 6 % des autres (p < 0,0001). Les scores du CES-D et de l’échelle d’idéation suicidaire étaient modérément corrélés chez les filles (r de Pearson = 0,59) comme chez les garçons (r = 0,61). 446 H. Chabrol, M. Choquet Tableau 1 Comparaisons des scores moyens à la CES-D et à l’échelle d’idéations suicidaires, de la fréquence des idées suicidaires, entre les filles et les garçons, dans l’échantillon total, chez les sujets non déprimés et chez les sujets ayant une symptomatologie dépressive modérée ou sévère. n CES-D Score d’idéations suicidaires La vie ne mérite pas d’être vécue (au moins un à deux jours par semaine) (%) Envie de se faire du mal (au moins un à deux jours par semaine) (%) Envie de se suicider (au moins un à deux jours par semaine) Envie de se suicider (un à deux jours par semaine) (%) Envie de se suicider (trois à quatre jours par semaine) (%) Envie de se suicider (cinq à sept jours par semaine) (%) CES-D ≥ 24 Échantillon total CES-D < 24 Filles Garçons Filles Garçons Filles Garçons 854 20,3 ± 10,7 0,96 ± 1,8 27 693 16,7 ± 9,9** 0,77 ± 1,8 19* 566 14 ± 5,5 0,33 ± 0,9 11 561 13 ± 5,4** 0,29 ± 0,9 10 288 32,6 ± 7,2 2,2 ± 2,5 58 132 33 ± 7,8 2,8 ± 3* 61 18 13* 7 7 40 39 14 13 6 6 31 42* 8 7 3 4 16 18 5 2 3 3 2 0,5 1 0,4 10 4,5 11 12* ** p < 0,001. p < 0,05. Analyses de régression multiple testant le rôle de médiation du désespoir Chez les filles, le score à la CES-D expliquait, dans la première analyse de régression multiple, 35 % de la variance du désespoir (ˇ = 0,59 ; t = 21,5, p < 0,001) et dans la deuxième analyse, 16 % de la variance du désir de suicide (ˇ = 0,40 ; t = 12,7 ; p < 0,001). Dans la troisième analyse, le score à la CES-D et le score de désespoir expliquaient ensemble 32 % de la variance du désir de suicide. L’inclusion du désespoir ajoutait donc 16 % à la prédiction du désir de suicide. Le score de désespoir était le principal prédicteur (ˇ = 0,50 ; t = 14, p < 0,001) alors que le pouvoir prédicteur du score à la CES-D chutait très nettement (ˇ = 0,10 ; t = 2,9 ; p < 0,01). Chez les garçons, le score à la CES-D expliquait, dans la première analyse de régression multiple, 38 % de la variance du désespoir (ˇ = 0,62 ; t = 20,7 ; p < 0,001) et dans la seconde, 25 % de la variance du désir de suicide (ˇ = 0,50 ; t = 15,1 ; p < 0,001). Dans la troisième, le score à la CES-D et le score de désespoir expliquaient ensemble 47 % de la variance du désir de suicide. L’inclusion du désespoir ajoutait donc 22 % à la prédiction du désir de suicide. Le score de désespoir était le principal prédicteur ( = 0,60 ; t = 17 ; p < 0,001) alors que le pouvoir prédicteur du score à la CES-D diminuait fortement ( = 0,13 ; t = 3,6 ; p < 0,001). Discussion Cette étude montre une fréquence élevée des idées suicidaires et des symptomatologies dépressives modérées et sévères dans un échantillon non clinique d’adolescents scolarisés en France. C’est un constat inquiétant car les symptomatologies dépressives subcliniques et les idées suicidaires indiquent un risque de psychopathologie et de passages à l’acte suicidaires à l’âge adulte [14,18,22]. Cette étude montre des résultats proches de ceux observés dans un échantillon national de 12—18 ans [6], avec 7 % des garçons et 11 % des filles qui ont des idées suicidaires, « assez souvent ou souvent ». Comme habituel, les filles de notre étude sont plus nombreuses à rapporter une symptomatologie dépressive modérée à sévère que les garçons, ainsi que le désespoir et l’envie de se faire du mal, ce qui exprime probablement la plus grande fréquence des symptomatologies dépressives chez les filles. Il n’y a pas de différence entre les sexes quant aux idées suicidaires dans l’échantillon total et dans le groupe des sujets sans symptomatologie dépressive modérée ou sévère. Notre étude confirme aussi une association forte entre symptomatologie dépressive modérée à sévère et idées de suicide, retrouvée en France [6] et ailleurs [4,12,24]. Mais ce lien s’avère dans notre échantillon plus important chez les garçons que chez les filles, puisque 12 % des garçons ayant une symptomatologie dépressive modérée à sévère ont une envie récurrente de se suicider contre 4,5 % des filles. Ainsi, les garçons ont en France une symptomatologie dépressive moindre que les filles, mais, à niveau égal, ils ont un risque d’idées suicidaires plus important. Cela pourrait s’expliquer par la plus grande agressivité chez les garçons. Cette agressivité peut s’exprimer par un surcroît d’idées suicidaires chez les garçons dépressifs. Le risque suicidaire des hommes déprimés existe non seulement à l’âge adulte [17], mais aussi à l’âge de l’adolescence. En accord avec la théorie de Beck et al. [1,2], cette étude montre que le désespoir a le rôle d’un médiateur entre la symptomatologie dépressive et les idées suicidaires chez les adolescents, garçons comme filles. Ces résultats sont proches de ceux obtenus par Thompson et al. [26] ou Larosa et al. [13] qui eux aussi ont trouvé que le désespoir était un prédicteur important de l’idéation suicidaire. Comme d’autres résultats ne vont pas dans le même sens, il reste à savoir si nos résultats sont liés à des différences Relations entre symptomatologie dépressive, désespoir et idées de suicide méthodologiques (mesure de la dépression, des idées suicidaire ou du désespoir, échantillon scolaire) ou culturelles. D’où le besoin d’autres études, en particulier des études interculturelles. Mais cette recherche a quelques limites. D’abord, il s’agit d’un échantillon régional. Une comparaison avec d’autres échantillons pourrait être utile car on peut faire l’hypothèse que d’une région à une autre, non seulement la fréquence des idées suicidaires, du désespoir et de la symptomatologie dépressive diffère [6] mais aussi leurs liens. Ensuite, il s’agit d’un échantillon scolaire, excluant ainsi les jeunes hors du circuit scolaire, qui se caractérisent par des troubles émotionnels [16,22]. Reste que ce rôle du désespoir a des implications cliniques dans la prévention et les soins. En effet, les résultats suggèrent qu’il convient de se focaliser sur l’identification et la prévention du désespoir si on veut prévenir les idées suicidaires, dont le rôle dans le passage à l’acte suicidaire n’est plus à démontrer. Les mesures de prévention les plus utilisées sont les programmes psychoéducatifs dont certains ont évalué les effets sur le désespoir avec des résultats insatisfaisants [20]. Des interventions de prévention cognitives ciblant le désespoir pourraient être à privilégier. Références [1] Beck AT. Thinking and depression. Arch Gen Psychiatry 1963;9:324—33. [2] Beck AT, Kovacs M, Weissman A. Hopelessness and suicidal behavior: an overview. JAMA 1975;234:1146—9. [3] Baron RM, Kenny DA. The moderator—mediator variable distinction in social psychological research: conceptual, strategic, and statistical considerations. J Pers Soc Psychol 1986;51:1173—82. [4] Brent DA, Perper JA. Research in adolescent suicide: implications for training, service delivery and public policy. Suicide Life Threat Behav 1995;25:222—30. [5] Chabrol H, Montovany A, Chouicha K. Étude de la CES-D dans un échantillon de 1953 adolescents scolarisés. Encéphale 2002;28:429—32. [6] Choquet M, Ledoux S. Adolescents, enquête nationale. In: Analyses et prospective. Paris: Inserm; 1994. [7] Cheung YB, Law CK, Chan B, et al. 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