Suivi de l`utilisation des passages pour la faune à l`aide de pièges

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Suivi de l`utilisation des passages pour la faune à l`aide de pièges
4èmes rencontres "Routes et petite faune sauvage"
Suivi de l’utilisation des passages pour la faune
à l’aide de pièges photographiques
Vincent VIGNON
Office de Génie Écologique (OGE)
St Maur-des-Fossés, France
E-Mail : [email protected]
INTRODUCTION
Les premiers systèmes pour évaluer l’utilisation des passages routiers par la faune sauvage ont
été des pièges à traces. Ils ont été largement utilisés au début des années 1980 (C.E.T.G.R.E.F.,
1978 ; Ballon, 1987). En 1996, un dispositif de suivi par vidéo surveillance a été utilisé sur un passage
de l’autoroute A36 par APRR (Vassant et Brandt, 1999). Au cours des années 1990, un système
comparable était utilisé sur l’autoroute A77 puis sur l’autoroute A85 par Cofiroute (Galet, comm.
pers.). Le guide du SETRA (2005) « Aménagements et mesures pour la petite faune » présente la
possibilité de suivi de l’utilisation des ouvrages par la faune en utilisant un piège photographique.
En août 1996, nous avons installé un premier piège photographique le long de l’autoroute A64 à
Lannemezan (Pyrénées Atlantiques) pour ASF. En 10 ans, nous avons équipé plus de 40 passages
pour la faune sur une grande partie du réseau autoroutier concédé et non concédé en France. Plus de
2000 photos de 35 espèces ont été prises dans les ouvrages. Cet article présente une sélection de
résultats obtenus dans 3 situations.
METHODE
Un radar (TrailMaster®) détecte le passage d’un animal et déclenche un appareil photographique à
chaque détection. Le radar est également un compteur d’événements qui peut mémoriser les dates et
heures jusqu’à 1000 passages. L’appareil photographique est un argentique avec une focale de
35 mm, flash intégré. Les pellicules photos utilisées sont de haute sensibilité (800 à 1000 asa) afin de
pouvoir prendre des animaux relativement éloignés de l’objectif, tenant compte de la puissance limitée
du flash.
La périodicité de contrôle du dispositif peut aller jusqu’à un passage tous les deux mois. La durée
des piles du radar est d’au moins une année. Celles de l’appareil photographique durent au moins
6 mois. Le délai entre les visites doit être ajusté en fonction de la fréquentation du passage par la
faune pour éviter de dépasser la capacité de prises de vue limitée à 36 poses. Dans les passages
faune, il est peu fréquent d’avoir en moyenne plus d’un évènement par jour. Un ajustement est
nécessaire en début de suivi pour déterminer la périodicité des relevés en fonction du rythme
d’utilisation des ouvrages.
Des ouvrages supérieurs ou inférieurs peuvent être équipés. Le radar et l’appareil photographique
sont placés dans un boîtier métallique de protection pour limiter les dégradations du matériel (Photo
1).
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Photo 1 : Piège photographique protégé dans un boîtier métallique, ©OGE-V. Vignon
Passage inférieur A64 (ASF) Saint-Paul de Ness, Hautes-Pyrénées.
Cet ouvrage a été suivi par ASF durant environ 10 mois entre août 1996 et juin 1997. Plus de 120
photos de chevreuils ainsi que de cerf, sanglier, blaireau ont été prise. Les chevreuils mâles ont pu
être identifiés par la forme de leurs bois. Le même chevreuil a été photographié 107 fois d'août 1996 à
février 1997. Par la suite, huit autres chevreuils mâles sont passés entre mars et juin 1997. Deux
d’entre eux ont fait trois passages pour en fait traverser l’infrastructure après un aller-retour. Ce suivi a
montré un cas d’utilisation exclusive d’un ouvrage par un chevreuil mâle, puis le rôle de cette voie de
passage dans la dispersion des mâles avant la période du rut de cette espèce.
Autoroute A71 (Cofiroute) dans le Loiret et le Loir-et-Cher
Suivi d’un pont cadre sur la rivière le Cosson (Pk 120,100), Ferté-Saint-Aubin, Loiret, 1999-2000.
Ce site a été l’occasion d’évaluer le nombre de passages réalisés par des animaux qui se déplacent
dans l’eau ou qui nagent. Trois espèces ont été notées dont le héron cendré, le ragondin et beaucoup
de canards colverts. Le suivi des mammifères nageant en surface est possible. Une difficulté a été la
variation peu prévisible du niveau d’eau, davantage liée à la gestion du cours d’eau par le syndicat de
rivière qu’aux conditions climatiques… Le dispositif a été noyé 3 fois puis volé.
Suivi d’un passage inférieur de 6 m de large et 3 m de hauteur (La Rougellerie, Pk 129,200, la
Motte-Beuvron, Loir et Cher). Entre 1997 et 2000, 591 nuits-piège ont été réalisées permettant de
prendre 175 photos de faune sauvage comportant 12 espèces, soit 1 évènement tous les 3 ou 4 jours.
L’observation la plus remarquable concerne une utilisation de l’ouvrage par le chat sauvage les 28
octobre et 6 décembre 1997. Le premier passage constitue la cinquième mention de l’espèce dans le
département (François Léger (ONCFS), comm. orale). Le passage faune est ici utilisé par une espèce
protégée dont la population est en train de recoloniser son ancienne aire de répartition vers l’ouest
(photo 2).
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Photo 2 : Chat sauvage 06/12/1997 à 1h47, ©OGE-V. Vignon pour COFIROUTE
Autoroute A57 (Escota) dans le Var
Les pièges photographiques ont été installés dans trois buses hydrauliques (Vignon et al., 2002).
Nous avons installé les dispositifs à l’intérieur des buses. L’étroitesse du passage implique de séparer
le radar de l’appareil photographique. Ainsi, les champs de détection du radar et de prise de vue de
l’appareil photographique convergent entre les deux éléments. De plus, dans la plus longue buse un
radar a été placé à l’extrémité opposé du piège photographique. Le dispositif permet de vérifier la
traversée effective de la buse dès lors qu’une photo a été prise et de mesurer le temps de traversée.
1/ Buse arche du ruisseau de la Maurine (Pk 23,050, longueur 54,50 m, largeur 6 m, hauteur
3,78 m), 1999 – 2000. Dispositif volé en février 2000.
Résultats : 223 nuits-piège, 220 photos de faune sauvage comportant 12 espèces, soit 1 évènement
par jour. Le cours d’eau est presque permanent dans cette zone méditerranéenne.
Les 2 espèces qui ont le plus souvent utilisé l’ouvrage sont par ordre décroissant le rat
surmulot et le renard. Les passages d’aigrette garzette, héron cendré, lérot ou encore
sanglier ont été occasionnels.
2/ Buse du Suvé-du-Vent (Pk 29,037, longueur 80 m, diamètre 2,55 m), 1999 – 2000.
Résultats : 379 nuits-piège, 190 photos de faune sauvage comportant 11 espèces, soit 1 évènement
tous les 2 jours. Le cours d’eau est temporaire dépendant des épisodes pluvieux. Les 3
espèces qui ont le plus souvent utilisé l’ouvrage sont par ordre décroissant la fouine, le
mulot et le renard (photo 3). Les passages de lérot, belette et de râle aquatique ont été
occasionnels.
Photo 3 : Renard roux 21/08/1999 à 2h14, ©OGE-A. Joyeux pour ESCOTA
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Le contrôle radar aux deux extrémités de la buse a permis de vérifier la traversée d’un animal dès
lors qu’il était photographié à l’une des extrémités, mais également d’évaluer la durée de sa traversée
et sa vitesse de progression dans l’ouvrage.
Pour le renard et la fouine, les incursions dans la buse qui ne donnent pas lieu à une traversée
concernent respectivement un quart et un tiers des évènements. Cette proportion est nettement plus
importante pour le mulot sylvestre dont plus des deux tiers des individus ne la traversent pas. La
longueur de la buse est particulièrement importante pour cette petite espèce. Ces événements
concernent a priori, des individus en cours de dispersion. Les petits passereaux comme le rougegorge photographié à l’une des entrées ne traversent pas l’ouvrage.
Les temps moyens de traversée des trois espèces sont comparables. Le mulot parcourt les 70
mètres séparant les deux radars en 2 min et 55 s, soit à une vitesse de 1,4 km/h. Le temps de
traversée de la fouine est de 3 min et 9 s, soit une vitesse de 1,3 km/h. Le renard met 3 min et 27 s,
soit une vitesse de 1,2 km/h. Le mulot qui progresse par bonds est aussi rapide voire plus que les
carnivores dans cette voie de passage. Cette la buse présente une légère pente pour l’écoulement
des eaux. Ainsi, une différence de vitesse de l’ordre de 10% apparaît entre les deux sens de
circulation, un peu plus rapide à la descente.
Dans ces passages confinés, les carnivores cheminent souvent en marquant leur passage et en
recherchant celui des autres individus. Ces animaux passent du temps à relever et à déposer des
marques olfactives, comme en témoignent les laissées régulièrement déposées sur des pierres
faisant saillie dans l’ouvrage. Les temps de traversée les plus courts sont inférieurs à 1 min (fouine,
renard), le plus long est de 10 min et concerne un renard.
3/ Buse des Lauvets (Pk 30,930, longueur 75 m, diamètre 2 m), 1999 – 2000.
Résultats : 287 nuits-piège, 75 photos de faune sauvage comportant 15 espèces, soit 1 évènement
tous les 4 jours. Les deux espèces qui ont le plus souvent utilisé l’ouvrage sont par ordre
décroissant le mulot et le blaireau. Les passages de belette, renard, fouine, lérot (photo 4)
ont été occasionnels. La fin du suivi de cet ouvrage a été provoquée par une pluie
torrentielle noyant et détériorant le piège photographique.
Photo 4 : Lérot, 15/07/1999 à 21h25, ©OGE-A. Joyeux pour ESCOTA
On peut noter que plus la buse est étroite plus le temps entre deux utilisations s’allonge. Ce point
mériterait d’autres comparaisons pour une interprétation moins dépendante d’un faible nombre de cas
observés et en analysant l’utilisation par groupes d’espèces.
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CONCLUSION
Le suivi par piège photographique est venu compléter les outils disponibles pour évaluer
l’utilisation des ouvrages par la faune sauvage.
Chaque outil (piège à traces, photographies, vidéo) a ses avantages et ses inconvénients (Vignon,
1997). Les informations recueillies peuvent être regroupées dans les catégories suivantes :
• l’identification des espèces : possible avec les trois outils mais plus fiable avec la
photographie ou la vidéo,
• l’identification des individus (plus facile sur la photographie que sur les images vidéo aux
couleurs peu utilisables et à la finesse moindre de l’image),
• la quantification de la fréquentation du passage (les systèmes électroniques qui déclenchent
la photo ou la vidéo peuvent enregistrer les dates et heures à la minute près ; des profils
d’activité journaliers, saisonniers sont alors possibles,
• l’observation du comportement des animaux (essentiellement réalisable dans le champ
couvert par la vidéo).
Le dispositif photographique est utilisable dans la plupart des situations et beaucoup moins
coûteux que le suivi par la vidéo. Il est également moins sensible aux aléas techniques qui
interrompent les suivis.
La détection par un radar présente des limites. Certains individus ne sont pas détectés sans qu’il
soit toujours possible de préciser les conditions défavorables faisant manquer des événements. Nous
avons participé à l’installation de pièges photographiques sur plusieurs ouvrages hydrauliques de
l’autoroute A89 (ASF) pour photographier des loutres. Le suivi a été réalisé par Christian Bouchardy et
Yves Boulade (Catiche production). Des photos de loutres utilisant les passages ont été difficilement
obtenues, probablement en raison d’une faible émission thermique des individus mouillés dans ce
cours d’eau froid (Bouchardy et Boulade, comm. orale).
Un passage inférieur de 8 m de largeur a été suivi par un radar couplé à un appareil
photographique. Le suivi du piège photographique et des traces par la Fédération départementale des
chasseurs de la Lozère (Hobe et al., 1999) a montré que le radar ne détectait pas tous les lapins.
Nous avons retiré le dispositif et mis en place une barrière infrarouge qui a été exhaustive. La barrière
infrarouge est composé de deux éléments qu’il est difficile de protéger dans des boîtiers de protection.
La tranquillité du site à permis de mettre le matériel sans aucune protection, ce qui est exceptionnel…
Depuis le début de notre suivi, un quart des pièges photographiques a été volé ou mis hors
d’usage. Dans un cas, une disqueuse a été utilisée pour ouvrir le boîtier de protection. La mention
d’un suivi scientifique en cours avec un numéro de téléphone pour toute demande d’information n’a
pas toujours permis d’éviter les dégradations.
Le matériel est souvent utilisé par les fédérations de chasseurs ou les personnels qui assurent
l’exploitation de la voie. Il est important de limiter le nombre d’intervenants pour assurer la meilleure
maîtrise possible de l’outil.
Le développement des appareils numériques devrait faciliter l’utilisation des pièges
photographiques (capacités d’enregistrement de centaines de photographies et traitement rapide des
photos). Une contrainte demeure : le temps de réaction entre la détection par le radar et la prise de
vue qui varie de 1,5 à près de 4 secondes. Avec l’évolution rapide des appareils, ces contraintes
devraient prochainement être levées.
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BIBLIOGRAPHIE
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