son exigence, le professeur mário chicó

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son exigence, le professeur mário chicó
SON EXIGENCE,
LE PROFESSEUR MÁRIO CHICÓ
D'emblée, je voudrais saisir au moyen d'une expression
frappante, d'un mot-clé, la caractéristique essentielle de son
esprit. EXIGENCE, est ce qui semble le mieux lui convenir.
Cette rigueur, ce scrupule dans la recherche et dans 1'étude
correspondaient chex lui à une probité innée, à un penchant
familier pour ce qui est juste et clair. Exigeant, il 1'était, avant
tout à 1'égard de lui-mème, mais son intuition critique lui
faisait discerner, mème sous leurs déguisements, les inconsciences, les confusions et les complaisances qui sont 1'étoffe
de tant d'ouvrages présentés comme scientifiques. En ces terres latines, ou l'on a distribué et distribue encore à la lègère
1'appélation; Votre Excelence, une plus significative, plus précise et plus altière désignation lui eut convenu: Son Exigence,
le Professeur Mário Chicó.
Universitaire, il avait fait choix d'une discipline 1'Histoire
de 1'Art ou la méthode est souvent bafouée et la licence tenue
pour génie. Il eut la foi et s'imposa le devoir de lutter contre
cette négligence et ce préjugé. Dans son pays et sur les sujets
dont il fit choix, sa tàche d'historien fut particulièrement
méritoire et souvent mal interprétée. Avec intransigeance, il
appliqua à 1'étude de la création artistique 1'esprit de la recherche scientifique. Aux belles histoires sur 1'art, trop divulguées et trop facilement acceptées, il opposa la patiente
élaboration de ses ouvrages, les moyens de sa vaste érudition.
Il faut, au Portugal, 1'honneur de sa spécialité.
C'est cet esprit aussi curieux qu'averti, que j'appris à connaitre, en nos années de jeunesse, dans un milieu ou les
mèmes consignes de scrupule et de rigueur présidaient à nos
études, 1'Institut d'art et d'Archéologie de la Sorbonne. Jeune
professeur, il eut la chance de rejoindre notre equipe en un
temps ou elle fut le lieu d'une conjoncture exceptionnelle. Le
cénacle des assistants et des étudiants de la chaire d'Histoire
du Moyen-Age qui se reconnaissaient sous le sigle du G. H. A.
(le Groupe d'Histoire de 1'Art) vivait dans le rayonnement des
leçons d'Henri Focillon. Chicó partagea nos ferveurs, nos
humeurs, nos pérégrinations à travers 1'art gothique. Notre
troupe de garçons et de filies, de nationalités diverses, accueillit
le Portugal, représenté par sa silhouette tendue, attentive, délicate, à la fois souriante et grave. Dans la traditionnele Sorbonne ou, bien à travers les provinces de France, dont nous
apprenions, au cours de nos perpétuels déplacements, à connaitre les oeuvres d'rt, nos camarades étrangers, évoquaient, à
1'occasion, 1'art de leur pays d'origine, exprimant ainsi, pour
nous, de façon vivante, 1'universalité du monde de 1'art. Je
pense que Chicó sensible à ces confrontations, y developpa Ia
large vision dont il fit preuve plus tard dans sés ouvrages où
nous voyons une époque ou une expression artistique envisagées sans limites de frontières, sans restrictions nationales.
En dehors de 1'amitié qui nous unit pour des raisons impondérables (parce que c'était lui et parce que c'était moi, disait
Montainge d'Amyot), le fait que j'eusse entrepris 1'étude et
1'inventaire de 1'art manuélin, cette floraison dernière de 1'art
gothique, contribua à me rapprocher de lui en un instant ou
se dessinait sa vocation d'historien de 1'art gothique au Portugal. De cet art, il appréciait surtout Ia rigueur architecturale
de la bonne époque, et moi, je trouvais à sa «belle époque»
de saveur baroque une expression particulièrement vigoureuse
lorsqu'elle vint à s'étendre au Portugal et je m'efforçai de
démontrer qu'elle avait été jusqu'ici mal interprétée. Il fut le
premier à publier 1'image de monuments de la famille spirituelle du Manuélin qui surgirent ailleurs en Europe. Par amitié,
mais aussi sans doute, en vertu de sa probité intellectuelle
exemplaire, il voulut que je fisses parí de mes points de vue
en des conférences et des communications,
Voyageurs dispersés par des missions ou des voyages, nous
nous retrouvions, trop peu souvent, hélas, dans sa maison de
Caparica, ou dans ma maison du Brésil, à moins que ce fut
dans un congrès, à Bahia ou à Lisbonne. Nous parlions d'art,
sans doute, et surtout de la manière dont il était envisagé
autour de nous. Il confrontait des opinions, soulignant leurs
mérites ou démontrant leurs erreurs, et je comprenais que son
éxigence correspondait à une sensibilité et à une lucidité dont
il avait le privilège. L'affectueux sentiment que j'éprouvais
pour lui se doublait alors d'une admiration fervente que je
me gardais pourtant d'exprimer car la délicatesse de son amitié eut trouvé cela hors de propos.
Je ressens aujourd'hui une amère satisfaction à pouvoir
proclamer cette admiration, avec une conviction et une ardeur
trop longtemps contenues par notre amitié mème.
PAUL-ANTOINE EVIN