Environnement intense et choix stratégiques : le cas
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Environnement intense et choix stratégiques : le cas
Environnement Intense et Choix Stratégiques: Le Cas des Banques Islamiques Par: Lachemi Siagh Alpha Oumar Diallo Taïeb Hafsi, Professeur, HEC Montréal Cahier de recherche N° 20-06 Août 2004 ISSN: 1711-6309 ______________________________________________________________________________ Copyright © 2004. La Chaire de management stratégique international Walter-J.–Somers, HEC Montréal. Tous droits réservés pour tous pays. Toute traduction et toute reproduction sous quelque forme que ce soit est interdite. Les textes publiés dans la série Les Cahiers de la Chaire de management stratégique international W-J.- Somers n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Distribué par la Chaire management stratégique international Walter-J.-Somers, HEC Montréal, 3000 chemin de la Côte-Sainte-Catherine, Montréal, Québec, H3T 2A7. Environnement intense et choix stratégiques : le cas des banques islamiques Résumé Dans la littérature managériale on a eu souvent tendance à ‘surévaluer’ l’effet de l’environnement sur les organisations, en mentionnant l’influence des caractéristiques environnementales sur le comportement des organisations. L’environnement ‘intense’ est notamment vu par cette littérature comme un facteur ‘uniformisateur’ des stratégies. Dans cet article nous démontrons que malgré l’influence incontestable de l’environnement islamique intense sur les banques islamiques, ces dernières disposent d’une certaine marge de manœuvre sur leur comportement. Ces banques jouissent en effet d’une plus grande capacité stratégique que ne le laisse paraître la littérature managériale. À travers la maîtrise et la configuration de certaines variables organisationnelles, ces banques disposent d’autant, voire de plus, de capacités stratégiques que les banques occidentales. ___________________ Copyright © HEC Montréal 1 Environnement intense et choix stratégiques : le cas des banques islamiques Table des Matières RÉSUMÉ .......................................................................................................................................................................... 1 ENVIRONNEMENT INTENSE ET CHOIX STRATÉGIQUES : LE CAS DES BANQUES ISLAMIQUES ............... 3 CRÉATION ET DÉVELOPPEMENT DES BANQUES ISLAMIQUES......................................................................... 4 PRINCIPES RÉGISSANT LES BANQUES ISLAMIQUES ........................................................................................... 5 SOUMISES À UN ENVIRONNEMENT INTENSE ...................................................................................................... 6 ACCROÎTRE LA CAPACITÉ DE CHOIX STRATÉGIQUES DANS UN ENVIRONNEMENT INTENSE ................ 8 STRUCTURE DES BANQUES ISLAMIQUES ............................................................................................................ 11 ENVIRONNEMENT INTENSE ET CAPACITÉS STRATÉGIQUES AU NIVEAU DES BI...................................... 12 CAS DE L’ARAB BANKING CORPORATION (ABC)............................................................................................... 15 CAPACITÉS STRATÉGIQUES DES DIRIGEANTS D’ABC.................................................................................15 CAS DE L’ISLAMIC INVESTMENT COMPANY OF THE GULF (IICG)................................................................. 17 CAPACITÉS STRATÉGIQUES DES DIRIGEANTS D’IICG.................................................................................18 CONCLUSION DES CAS ...............................................................................................................................20 CONCLUSION............................................................................................................................................................... 21 BIBLIOGRAPHIE.......................................................................................................................................................... 23 ANNEXE........................................................................................................................................................................ 28 ___________________ Copyright © HEC Montréal 2 Environnement intense et choix stratégiques : le cas des banques islamiques Environnement intense et choix stratégiques : le cas des banques islamiques L’environnement représente un facteur important pour les organisations ; en plus de s’y approvisionner en matières premières nécessaires pour leur fonctionnement et d’y vendre leurs produits/services ; les organisations trouvent leur soutien, support, références bref leur légitimité auprès de l’environnement. Les tenants de la théorie de la contingence, de la théorie institutionnelle et de l’écologie des populations, entre autres, ont clairement démontré, à travers leurs travaux, que l’environnement ‘oriente’ le comportement des organisations, plus exactement ces théoriciens montrent que les organisations ont tout intérêt à se ‘coller’ aux exigences de leur environnement. Les organisations qui parviennent à s’adapter à leur environnement sont en effet celles qui obtiennent les meilleurs résultats (Forte et al., 2000; Venkatraman et Prescott ,1990). L’influence capitale de l’environnement sur le fonctionnement des organisations est incontestable, de nos jours. Toutes les théories qui ont pour champ d’investigation l’organisation et ses nombreuses composantes l’admettent, toutefois les tenants de différentes théories apprécient différemment le pouvoir (l’influence) de l’environnement sur l’organisation. L’influence de l’environnement varie énormément, selon les théories. Par exemple, la théorie institutionnelle (Singh et al., 1986; Tolbert et Zucker, 1983) et la théorie de l’écologie des populations (Hannan et Freeman, 1977) accordent un pouvoir déterministe à l’environnement, alors que la théorie de la contingence (Miller, 1999, 1996, 1988 ; Venkatraman, 1989, Miles et Snow, 1978) et la nouvelle théorie institutionnelle lui octroient plutôt un pouvoir d’influence. Par ailleurs, les théories envisagent l’environnement différemment. Par exemple, les théoriciens du positionnement stratégique (Bogner, Thomas et McGee, 1996; Rumelt, 1991 et Porter, 1985) mettent plus d’emphase sur les éléments de l’environnement tâche (concurrents directs et indirects, clients, fournisseurs, technologies etc). Par contre, certains, comme les tenants de la théorie institutionnelle (Scott, 2001; Dacin, 1997; Oliver, 1996; DiMaggio et Powell, 1983, ente autres) privilégient les éléments de l’environnement général (les politiques gouvernementales, les normes, les règles ainsi que les valeurs, coutumes et mœurs d’une société etc.), qui, selon ces derniers, déterminent le comportement de toutes les organisations, et ce quel que soit leur secteur. Évoluant au sein d’un environnement intense1, les banques islamiques (BI) représentent des cas complexes et intéressants à analyser. Ces organisations sont en effet soumises, en plus des composantes de leur environnement tâche et à la concurrence des banques conventionnelles, à l’influence des éléments de l’environnement général, plus précisément aux lois, principes et coutumes islamiques, qui pour un chercheur occidental représentent un frein, voire un obstacle, au fonctionnement efficient de ces organisations. 1 Un environnement est dit intense lorsqu’il contient des contraintes. ___________________ Copyright © HEC Montréal 3 Environnement intense et choix stratégiques : le cas des banques islamiques Malgré leur âge relativement jeune et les nombreuses contraintes auxquelles elles font face, les BI ont connu un développement et une progression rapides. Toutes banques confondues, les BI enregistrent l’un des taux de croissance le plus élevé, et ont un grand potentiel de développement. Les experts sont surpris par ce succès apparent. En effet, comment expliquer la réussite des BI, sachant qu’elles n’obéissent pratiquement à aucune norme de la profession et qu’elles subissent une réglementation plus rigide, plus inflexible et plus lourde que celle des banques conventionnelles ? Dans les pages qui suivent, nous allons tenter de montrer, dans un premier temps, que, malgré les exigences environnementales ‘contraignantes’ auxquelles elles font face et la concurrence des banques conventionnelles, les BI parviennent bien à se tirer d’affaires. Dans un deuxième temps, nous allons montrer que, malgré la tendance à ‘l’isomorphisme’ qu’ont les organisations qui font face au même contexte institutionnel (DiMaggio et Powell, 1983), on rencontre différents patterns stratégiques au sein des BI. Plus précisément, en dépit du caractère ‘obligatoire et limitant’ des lois et règlements régissant leur fonctionnement, nous allons montrer que les banques islamiques ne suivent pas les mêmes stratégies. Enfin, nous discuteront des stratégies adoptées par les banques islamiques et montreront leur bien- fondé. Création et développement des banques islamiques Les banques islamiques (BI) ont connu au cours des dernières années un développement florissant. Elles croissent à un rythme soutenu, tant en nombre d’institutions créées qu’en actifs détenus. «The growth rate of Islamic banking services has outperformed that of ‘conventional’ banking during the past decade, making it one of the most dynamic areas in international finance» (Hassoune, 2003, p 12). Selon cet auteur, le taux annuel de croissance de ces banques a été de 10 et de 15 pourcent respectivement dans la région du Golf et ailleurs dans le monde, durant les dix années passées. Ces banques gèrent un actif estimé entre 200 et 300 milliards de dollars américains. Il existe maintenant plus de 200 banques et institutions financières islamiques à travers le monde (Rahman et Sheikh, 2002). Vous trouverez à l’annexe la répartition géographique des banques et institutions financières islamiques et les noms des vingt plus grandes BI. Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer l’avènement des BI. Parmi celles-ci, on retrouve les considérations religieuses qui, d’après les auteurs qui se sont penchés sur ce sujet, figurent en tête de liste. Les BI ont vu le jour, en effet, grâce à la volonté et à l’exigence des populations musulmanes soucieuses de faire affaires avec des banques respectant les principes de leur religion. Selon Siagh (2001), la Ghams Saving Bank, première banque fonctionnant sur la base de la chari’a2 et des principes islamique, a été 2 Shariah is Islamic law or is sometimes referred to as Islamic Jurisprudence. Islam may be perceived as comprising three basic elements: Aqidah, Akhlaq and Shariah. The latter concerns all forms of practical actions by a Muslim manifesting his faith and belief. Shariah is then divided into two: Ibadat and Muamalat. A significant segment of Muamalat is the conduct of a Muslim's economic activities within the system including the banking and financial system. ___________________ Copyright © HEC Montréal 4 Environnement intense et choix stratégiques : le cas des banques islamiques créée en 1963, en Égypte. Toutefois, le secteur bancaire et financier islamiques a pris véritablement son envol durant les années 70. Le regain de la religion musulmane auprès des jeunes générations nées en occident et les préoccupations en matière d’éthique dans les affaires en général laissent entrevoir un grand potentiel de développement des BI. Ces banques attirent en effet une clientèle de plus en plus grande et variée. Elles jouissent, en plus du respect des principes islamiques, du fruit de leur engagement social. Cette orientation assure un avantage aux BI (Dudley, 2001): «…in Europe the socially aware may find the ethical credentials attractive. Islamic banking’s appeal is indeed as broad, if not broader, than that of secular commercial banking» (p 92). Par ailleurs, comme le souligne Abdelhak Al Kafsi, directeur exécutive d’Arab Banking Corporation (ABC) dans Dudley (1998), les produits/services offerts par les BI présentent, en dehors des considérations religieuses et éthiques, plusieurs avantages. Ainsi, «ABC is "focusing on structured and project finance, selling Islamic finance on the basis of the advantages they offer for the balance sheet. Most of the products can be done in such a way as they can appear off balance sheet. Also, as they are not interest based, this can be a benefit in a number of countries from a tax point of view". ». Les acteurs de l’industrie du transport aérien, par exemple, utilisent maintenant souvent les produits/services offerts par les BI. Plusieurs compagnies aériennes occidentales, et non des moindres, ont notamment recours à ces produits/services, plus particulièrement à l’Ijara wa iqtina (leasing), pour financer l’achat de leurs avions. Selon Koh (2003), «In February, Bahrain-based First Islamic Investment Bank, in a joint venture with Montrose, a Bank of America affiliate, bought an ijarah lease interest in a 21-aircraft portfolio for $143 million…..The portfolio consists of a variety of aircraft on lease to British Airways, Air Canada, and Brit Air. » Ainsi, compte tenu des différents avantages qu’offrent ses produits/services, selon Abdelhak Al Kafsi, sa banque cible une clientèle diverse et variée: «The idea is ... is to sell our products on the basis of their inherent advantages to Moslems and non-Moslems. ». Pour cerner l’engouement des clients envers les BI par rapport aux banques conventionnelles qui, si on ne tient compte que du taux d’intérêt promis au moment du dépôt, deviennent plus compétitives, il faut aller au-delà des considérations économiques et matérielles. En effet, par ces principes ‘fondataires’, les BI réconcilient le client à la religion et (ou) à l’éthique, et par le fait, lui apportent une richesse matérielle et une satisfaction intrinsèque. Principes régissant les banques islamiques Les BI, comme toutes les autres composantes des sociétés islamiques, sont sous l’influence des principes de la religion musulmane. Les principes de la chari’a ___________________ Copyright © HEC Montréal 5 Environnement intense et choix stratégiques : le cas des banques islamiques déterminent et guident entre autres les activités et le comportement au sein de la société musulmane. En rapport à ces principes, les BI se voient interdire d’investir dans des activités liées à l’armement, à l’alcool, à la drogue, au porc, aux jeux, à la pornographie et toute autre activité incompatible avec les valeurs et mœurs des musulmans. De plus, les opérations bancaires des BI ne doivent en aucun cas, de façon directe ou indirecte, comporter une rémunération fixée au préalable et assimilable à l’intérêt ou (riba), ou porter sur les instruments financiers comme les ‘derivatifs’ et en particulier les options, ‘futures’ et autres contrats à terme, à cause de leur nature spéculative (Siagh, 2001). Soumises à un environnement intense L’environnement est une variable importante pour les organisations, comme mentionné. Pour cerner cette variable centrale, tentons, dans un premier temps, de la définir et, dans un deuxième temps, de la caractériser. Pour la cause, utilisons la définition de Duncan (1972): «Organizational environment is defined as the totality of physical and social factors that are taken directly into consideration in the decision making behavior of individuals in the organization» (p, 12). Ainsi l’environnement n’est pas une variable uniforme; il varie d’un secteur à l’autre. Selon ses caractéristiques, l’environnement est qualifié d’hostile (Khandawalla, 1977; Marche et Simon, 1958); de bénigne (Khandawalla, 1977; Marche et Simon, 1958); de turbulent (Naman et Slevin, 1993; Davis et al., 1991); de dynamique (Dess and Beard, 1984; Miller and Friesen, 1983; Thompson, 1967); de complexe(Tung, 1982; Mintzberg, 1979; Child, 1972); de volatile (McKee et al., 1989; Bourgeois, 1985); de stable (Dess et Beard, 1984; Miller et Friesen, 1983; Dill, 1958). Un environnement est dit intense lorsqu’il impose des contraintes aux organisations qui évoluent en son sein. Les contraintes peuvent être faibles ou fortes; provenir des sources différentes (gouvernements, stakeholders, professions, groupes de pression, valeurs défendues par une société ou un groupe de personnes, etc.); concerner (le fonctionnement, l’accès à un marché ou à des ressources, la structuration ou la culture organisationnelle et autres). Étant constitué des normes et valeurs à respecter ainsi que des interdits, l’environnement dans lequel évoluent les BI limite ‘considérablement’ les activités de ces banques. La chari’a, qui définit les comportements et les actions conformes à la religion musulmane, conditionne en fait le domaine du possible, et ce tant pour les organisations que les pratiquants au sein de l’espace musulman. Cet environnement est intense (Siagh, 2001). Quatre éléments, selon nous, caractérisent l’environnement intense des BI : la présence des règles spécifiques, sévères et immuables dont l’application est soumise à l’interprétation des experts; la supervision constante dans l’application de ces règles; l’existence d’un lien fort entre l’application des règles et la légitimité de l’action et la relative instabilité dans les interprétations. Ces quatre éléments, comme nous le verrons par la suite, ‘influent’ sur la capacité stratégique des dirigeants des BI. ___________________ Copyright © HEC Montréal 6 Environnement intense et choix stratégiques : le cas des banques islamiques BI Élevé Degré de supervision Faible Stable Changeant Application des principes de la chari’a Figure représentant les caractéristiques environnementales des BI Par ailleurs, les BI, en plus des principes de la chari’a, doivent aussi satisfaire les exigences de rentabilité. En effet comme toutes les banques, les BI doivent générer des revenus suffisants pour à la fois couvrir leurs dépenses et assurer un rendement aux clients et aux actionnaires, pour continuer d’opérer. Cette multiplicité des exigences ‘contradictoires’ complexifie l’environnement des BI. Pour satisfaire les exigences potentiellement irréconciliables auxquelles elles sont soumises, les BI, par l’entremise de leurs dirigeants, ont recours à des façons de faire intelligentes, que nous décrirons par la suite. En effet, pour se dégager une capacité d’actions, les BI, selon les circonstances, mettent en avant certaines exigences par rapport à d’autres. Comme mentionné par Siagh (2001), les BI se réfèrent aux principes de la chari’a pour entre autres choses planifier, élaborer et choisir les activités qu’elles poursuivent ainsi que les produits/services qu’elles offrent. Pour satisfaire cette exigence, les BI ont notamment recours à leur comité de chari’a, organe chargé d’interpréter et de vérifier la conformité des opérations bancaires avec les principes de la chari’a, pour valider leurs actions. Le comité de chari’a de chaque BI veuille à ce que sa banque se conduise normalement et applique les principes de la chari’a, comme il se doit. Le respect de ces principes demeure en effet une obligation; il confère entre autres de la légitimité à la BI. Toutefois, on observe parfois une certaine ‘variabilité’ dans l’interprétation des principes de la chari’a. Il arrive de fois que les comités de chari’a de différentes BI émettent des avis nuancés concernant la conformité d’un produit/service avec les principes de la chari’a. ___________________ Copyright © HEC Montréal 7 Environnement intense et choix stratégiques : le cas des banques islamiques Pour résumer, nous avons vu que l’environnement des BI est intense et complexe. Compte tenu de ce fait, nous constatons que l’habileté à interpréter et à respecter les principes de la chari’a ainsi que la capacité à être compétitive demeurent des dimensions capitales au sein des BI. En effet, pour réussir, on peut imaginer que les gestionnaires des BI soit interviennent dans l’interprétation des règles, soit développent une position concurrentielle difficile à mettre en cause, soit les deux. Dans la partie qui suit, nous allons essayer de montrer que les organisations qui évoluent au sein d’un environnement intense (difficile), comme celui des BI, malgré les multiples contraintes auxquelles elles font face, disposent une certaine capacité d’actions. Accroître la capacité de choix stratégiques dans un environnement intense Le lien entre l’environnement et la stratégie a été largement étudié ; entre autres les tenants de la théorie de l’écologie des populations (Aldrich, 1979; Hannan et Freeman, 1977), de la perspective stratégique (Hambrick et Finkelstein, 1987; Hrebiniak et Joyce, 1985; Child, 1972), de la théorie de la contingence (Miller, 1999, 1996,1987; Miles et Snow, 1978) se sont penchés sur l’environnement et ses caractéristiques, d’une part et, d’autre part, sur l’impact de l’environnement et de ses caractéristiques sur les organisations. Toutes ces perspectives montrent la relation directe qui existe entre l’environnement et l’organisation. Elles mettent en exergue notamment l’influence de l’environnement sur le comportement des organisations. Allant de faible à fort, ces différentes théories accordent à l’environnement un pouvoir sur l’organisation Pour assurer sa survie, l’organisation est contrainte de s’adapter aux caractéristiques environnementales dans lesquelles elle évolue. En effet, l’alignement ou le fit entre l’environnement et l’organisation, à travers la stratégie, la structure, la culture, les processus constitue l’ingrédient principal de la performance. Par ailleurs, plus cet alignement est cohérent plus le succès est grand, selon Venkatraman et Prescott (1990). Stratégie Environnement Fit Structure Culture Processus Performance ___________________ Copyright © HEC Montréal 8 Environnement intense et choix stratégiques : le cas des banques islamiques Quel que soit le secteur, la stratégie d’une organisation doit tenir compte à la fois des forces et des faiblesses de l’organisation et des opportunités et des menaces environnementales. Tentons à présent de comprendre quelle (s) est (sont) le(s) alternative(s) qui s’offre(nt) aux organisations qui évoluent dans un environnement intense. À l’instar entre autres des théoriciens de l’écologie des populations, nous pouvons penser que les organisations qui évoluent au sein d’un environnement intense n’ont aucune emprise sur leur stratégie et leur environnement, et que c’est ce dernier qui détermine en fait le comportement stratégique que doivent adopter ces organisations. Comme en témoigne Marranville (1999, p. 277) en affirmant: «The complexities of such environment would seem to require unique strategies and strategy-making process. ». Cette situation, découlant du ‘déterminisme’ de l’environnement, devrait ainsi engendrer une ressemblance au niveau du comportement stratégique. Les organisations qui font face au même environnement s’imitent les unes des autres par mimétisme, créant ainsi ce que les tenants de la théorie institutionnelle appellent l’isomorphisme (DiMaggio et Powell, 1983), et éliminant par le fait la ‘diversité stratégique’. Toutefois, en y regardant de près on voit que la réalité est tout à fait différente de celle que nous venons de mentionner. L’environnement est certes une variable stratégique, centrale pour l’organisation, mais, tout de même, reste une donnée comme tant d’autres. Tout au plus, l’environnement ne peut qu’influencer la stratégie organisationnelle, et ce quelle soit son intensité. Hrebiniak et Joyce (1985, p. 336) abondent dans le même sens en affirmant : «Large firms in highly regulated industries, which are typically closely regulated in such diverse areas as product characteristics, representations of performance, capital requirements, and legal constraints on the means of conducting business. Yet individual choice of strategy is paradoxically high, due to factors such as size, market structure (e.g., high concentration), multiple means or methods of achieving desired outcomes, and how resource dependency on external sources. Such organizations are able to follow differentiation or focus strategies, choose market niches or segments within the constraints laid down by the environment, or pursue effective generic strategies, despite external forces. ». Ainsi, en dépit des contraintes environnementales parfois très vives, l’organisation dispose une certaine marge de manœuvre dans son comportement. «Individuals and their institutions can choose in decision-making circumstances; they can construct, eliminate, or redefine the objective features of an environment, thereby purposively creating their own measures of reality and delimiting their own decisions. » (Child, 1972). Allant dans le même sens Hrebiniak et Joyce (1985) montrent clairement que même les organisations qui se retrouvent dans le quadrant I, c’est-à-dire celles qui évoluent au sein d’un environnement empreint d’un haut niveau de déterminisme (hautement contraignant), et possédant un choix stratégique faible (limité), jouissent un certain pouvoir, en termes de comportement stratégique à adopter, face à son environnement. «Managerial action is obviously limited and constrained, but individuals may still try to ___________________ Copyright © HEC Montréal 9 Environnement intense et choix stratégiques : le cas des banques islamiques exercise options that mitigate against peremptory environmental demand. Purposeful organizational actions, including technological discoveries and other innovations, can substantially alter the ability to compete under Quadrant I conditions and affect competitive advantage. It is also possible that an organization under Quadrant I conditions will exercise strategic choice and attempt to change its domain, task environment, or industry. » (p. 340). High Strategic choice Low Quadrant III Quadrant II Quadrant Quadrant V I Low High Environmental determinism Figure empruntée de Hrebiniak et Joyce (1985, p. 339) À l’instar de Hrebiniak et Joyce (1985), de Weick (1979) et de Child (1972), Oliver (1991) arrive à la même conclusion. En effet, cet auteur met en exergue la capacité stratégique que disposent les organisations qui évoluent au sein d’un environnement institutionnel, qui généralement est considéré un ‘milieu contraignant’ et ‘uniformisant’, compte tenu de son caractère taken-for-granted. De plus, Oliver énumère les cinq types de stratégies (acquiescence, compromise, avoidance, defiance, and manipulation) que les organisations peuvent utiliser pour faire face à l’environnement institutionnel. Les trois dernières stratégies (avoidance, defiance, and manipulation) montrent clairement que les organisations, par l’entremise de leurs dirigeants, peuvent opter pour un comportement différent de celui voulu, voire imposé, par leur environnement. En effet, ces stratégies relèvent uniquement de la volonté et de l’initiative des dirigeants. Ainsi, à la lumière de ce que nous venons de mentionner ci-dessus, nous constatons qu’une organisation est toujours en mesure d’entreprendre des actions pour atteindre ses objectifs, et ce quelles que soient les caractéristiques environnementales auxquelles elle fait face. Par son habileté à lire et à interpréter son environnement, sa volonté d’agir ainsi que sa capacité à élaborer et à initier des actions, elle peut disposer un vaste choix stratégiques. Pour le présent travail, nous allons nous baser sur la capacité des dirigeants des BI à lire et à interpréter l’environnement islamique intense dans lequel ils évoluent ainsi qu’à leurs compétences à rallier des demandes potentiellement opposées, et à élaborer des stratégies et des produits/services performants respectant les principes de la chari’a, pour montrer la capacité stratégique de ces organisations. ___________________ Copyright © HEC Montréal 10 Environnement intense et choix stratégiques : le cas des banques islamiques Structure des banques islamiques Avant de commencer à analyser la capacité stratégique des BI, tentons, dans un premier temps, de décrire la structure de ces banques. La compréhension de cette variable organisationnelle nous facilitera l’analyse que nous voulons faire. La structure permet, en effet, de cerner les principaux acteurs qui participent au processus de prise de décision ainsi que les différentes phases de la chaîne de décision. Pour la cause, utilisons la structure de l’Alrajhi Banking & Investment Corp. (Siagh, 2001) située ci-dessous, pour cerner les différents éléments qui composent la structure des BI. Assemblée générale Comité de la Chari’a (7 membres) Conseil d’administration Comité exécutif Comité exécutif (3 membres) Directeur général DGA pour les affaires religieuses Lien technique Secrétariat du comité de la chari’a Directeur du contrôle de la chari’a Opéra tions Opéra tions interna tionales domes tiques Opéra tions et systèmes Centre d’information et de la recherche Biblio thèques et impres sions Publi cation et coordi nation Dévelop pement des contrats (produits) Études et recher ches Tel que montré dans la structure de l’Alrajhi Banking & Investment Corp., on constate que la structure de la BI se différencie de celle de la banque conventionnelle. On note, par exemple, la présence du comite de la chari’a au sein des BI. Organe stratégique, le comité de chari’a occupe une place centrale dans les BI. Étant chargé de vérifier la ___________________ Copyright © HEC Montréal 11 Environnement intense et choix stratégiques : le cas des banques islamiques conformité des activités, des produits/services ainsi que des transactions des BI avec les principes de la chari’a islamique, le comité de chari’a a un impact sur les opérations et le fonctionnement des BI. Toutefois, il est à noter que le rôle du comité de chari’a a beaucoup évolué au cours du temps. En effet, au sein de certaines BI, le comité de chari’a ne se limite plus au rôle de vérificateur qui lui était jadis alloué ; par le biais des conseils qu’il dispense, le comité de chari’a participe de plus en plus à l’élaboration des produits/services. Les membres du comité de chari’a sont choisis par les actionnaires, auxquels ils font rapport. Le comité comprend en général de quatre à sept membres. Ces juristes spécialisés dans le Fikh Al Mouamalat (la jurisprudence commerciale islamique) ne sont généralement pas payés à l’exception des dépenses de communications et celles liées à l’examen des transactions, ce qui accroît leur indépendance et leur pouvoir (Siagh, 2001). Par ailleurs, il arrive de fois que les délibérations concernant la conformité de certains produits/services émises par les comités de chari’a de différentes BI varient (Siagh, 2001). Selon ce dernier: «Different groups of advisors hold differing views on their acceptability. Some, particularly in South East Asia, take a lenient approach, but others are strict. The shari’a board of Islamic scholars appointed as advisors by Saudi Arabia’s Al-Rajihi Banking and Investment Corp., for example, regularly demands to see the physical assets underlying trade deals that its bankers invest in on behalf of their clients. Investment in an intangible quasi-money market instrument would likely be anathema to the board’s members.». En résumé, nous avons vu que le comité de chari’a est un élément important de la structure des BI. Il influence, voire conditionne, le comportement de ces banques. Par ailleurs, nous verrons dans la partie qui suit qu’il peut faciliter ou inhiber la capacité stratégique des BI. Environnement intense et capacités stratégiques au niveau des BI Avant d’analyser la capacité stratégique3 des dirigeants des BI, rappelons que le positionnement stratégique (produits/services et marché) des BI est uniquement du ressort des dirigeants. Ce sont, en effet, ces derniers qui définissent le comportement qu’adoptent les banques dont ils ont la charge. Le conseil d’administration et le comité de chari’a, généralement, ne participent pas au processus de prise de décisions. Le rôle de ces deux organes consiste à évaluer et à vérifier si le positionnement stratégique de la BI respecte les principes de la chari’a islamique et satisfait la performance organisationnelle exigée. Toutefois, malgré leur rôle apparemment ‘passif’, nous verrons que, même si ces deux organes n’interviennent pas directement dans le choix du positionnement stratégique, ils peuvent l’influencer. Les BI doivent satisfaire deux demandes potentiellement contradictoires (Siagh, 2001). Elles doivent en effet poursuivre des activités et offrir des produits/services qui respectent 3 On entend par capacité stratégique le pouvoir ou l’autonomie d’initier des stratégies. ___________________ Copyright © HEC Montréal 12 Environnement intense et choix stratégiques : le cas des banques islamiques les principes de la chari’a islamique, d’un côté et, d’autre côté, être rentables, donc générer des bénéfices, pour rester en activité. Nous avons vu dans la page précédente que l’objet des principes de la chari’a islamique n’est pas l’efficacité, mais plutôt le respect des lois et normes islamiques. Nous avons d’ailleurs mentionné, compte tenu de ses contraintes, que ces principes limitent les activités et les produits/services des BI. En effet, l’interdiction faite aux BI d’investir dans certains secteurs (armement, jeux, boissons alcoolisés et autres domaines jugés illicites selon les normes islamiques), de payer d’intérêt, de transiger des produits dérivés et spéculatifs ainsi que l’obligation d’investir dans des actifs tangibles diminuent sensiblement le périmètre d’actions des BI. Par ailleurs, nous savons que les actionnaires des BI, et d’ailleurs comme tout actionnaire, sont des êtres intéressés. Ils investissent leurs fonds dans l’espoir de les fructifier. Pour atteindre ce but, les actionnaires des BI choisissent des gestionnaires compétents et intègres, auxquels ils demandent, voire exigent, un rendement positif. Les clients (les détenteurs des comptes de dépôts) des BI, tout comme les actionnaires, veulent, eux aussi, obtenir un rendement pour leurs fonds. Le choix d’investir dans une BI n’est donc pas uniquement lié au fait que les produits/services offerts par ce type d’institutions respectent les principes de la chari’a, mais aussi à l’obtention d’un rendement positif. Mohamed Salah, Assistant General Manager of Bahrain Islamic Bank, cité dans Siagh (2001), étaye clairement ce fait en affirmant: «Playing on the cord of chari’a was no longer enough. What is needed is a good quality service and competitivity.». L’attrait d’une BI découlerait, par conséquent, de la combinaison respect des principes de la chari’a et performance. À la lumière de ce que nous venons de mentionner, ces deux exigences (respect des principes de la chari’a et performance), à priori, paraissent difficiles à satisfaire en même temps, voire irréconciliables. Le respect des principes de la chari’a, par exemple, empêche, dans une certaine mesure, les BI d’offrir des produits/services générateurs de gains, comme les produits dérivés, les fonds de couverture (hedge funds), les options et autres. L’efficacité, de son côté, non plus ne rime pas toujours avec l’inflexibilité et la lourdeur des principes de la chari’a. Mais comme mentionné au paravent, tout l’intérêt des BI tourne autour de cette ‘situation complexe’. En effet, comment expliquer la capacité stratégique qu’ont les BI alors qu’elles sont tiraillées par des demandes potentiellement ‘irréconciliables’? L’environnement intense dans lequel se trouvent les BI crée une dynamique riche en initiatives stratégiques. En effet, au sein de cet environnement apparemment ‘contraignant’, il existe une ‘infinité’ d’options stratégiques possibles. Et compte tenu de cette réalité, nous estimons que les dirigeants des BI jouissent une plus grande liberté d’actions, en termes de capacités stratégiques, par rapport à leurs confrères des banques conventionnelles. En effet, compte tenu du fait qu’ils sont évalués et jugés uniquement à partir de la performance organisationnelle, les dirigeants des banques conventionnelles n’entreprennent que des actions (stratégies) qui ont un potentiel de rendement égal ou supérieur à la moyenne, et à court terme. Ce faisant, tous les produits/services ou projets ___________________ Copyright © HEC Montréal 13 Environnement intense et choix stratégiques : le cas des banques islamiques qui ne satisfont pas ce critère sont écartés. Cette ‘exigence’ diminue ainsi la marge de manœuvre des dirigeants des banques conventionnelles, en termes de nouveaux produits/services à mettre en marché. Contrairement à leurs confrères, les dirigeants des BI sont évalués et jugés à partir de deux critères : le respect des principes de la chari’a et la performance organisationnelle. L’opposition de ces deux critères ‘antagonistes’ crée une zone assez importante, où toute une série de stratégies peuvent être exercées. Cette réalité procure ainsi un pouvoir d’action considérable aux dirigeants des BI. Ils utilisent, en effet, à leur avantage le périmètre stratégique (la zone grise) qui se crée entre ces deux critères potentiellement irréconciliables, pour agrandir leur capacité stratégique. Les dirigeants s’appuient notamment sur ‘l’ambiguïté’ créée par ces deux demandes opposées pour entreprendre diverses stratégies, en termes des produits/services offerts et marchés desservis. En effet, selon les circonstances, Ils ‘s’associent’, ou plus précisément se servent des arguments défendus par une des parties (comité de chari’a ou conseil d’administration) pour se défendre contre l’autre. Cette logique s’apparente à celle énoncée par Narayanan et Fahey (1982) à savoir : «When a single subsystem (or individual) cannot impose an organization-wide solution, coalitions are formed to enact decisions.» (p, 28). Respect des principes de la chari’a Performance organisationnelle Périmètre stratégique Les dirigeants des BI se servent de l’argumentaire du comité de chari’a, par exemple, pour diminuer, voire contrer, les pressions du conseil d’administration concernant les exigences de performance. En effet, pour justifier la mise en marché de certains produits/services, qui ont un potentiel de rendement inférieur aux exigences du conseil d’administration, les dirigeants évoquent leur conformité avec les principes de la chari’a islamique. De la même manière, lorsque les dirigeants des BI sont confrontés aux pressions du comité de la chari’a concernant le respect scrupuleux des principes de la chari’a, ils se réfugient derrière la performance. Ils évoquent notamment l’obligation qu’a la BI d’être performante pour générer des revenus suffisants pour supporter ses coûts et rémunérer les actionnaires et les clients, bref pour rester en activité. ___________________ Copyright © HEC Montréal 14 Environnement intense et choix stratégiques : le cas des banques islamiques En résumé, nous constatons que la capacité d’actions des dirigeants des BI est entre autres proportionnellement égale à leur habileté à se servir des arguments de l’un de ses stakeholders pour influencer l’autre. Plus ils sont habiles à faire cet ‘exercice’, grande est leur capacité stratégique. Par ailleurs, nous verrons dans les deux cas qui suivent que la maîtrise d’autres ‘variables’ (l’islam, plus spécifiquement les principes de la chari’a islamique, la culture islamique (souloukiat) et la capacité à élaborer des produits/services performants) de la part des dirigeants des BI s’avère être une source majeure de capacités stratégiques. Les dirigeants de ces deux BI se servent de ces variables comme outils stratégiques pour acquérir plus de capacités d’actions. Cas de l’Arab Banking Corporation (ABC) L’Arab Banking Corporation a été fondée le 17 janvier 1980 par le ministère des finances du Koweït, le département du trésor Libyen et la Abu Dhabi Investment Authority, institution qui gère les excédents en pétrodollars de l’Émirat, (Siagh, 2001). À sa création, elle fut dotée d’un capital de 1000 millions de dollars américains. À la fin de 1990, les actifs consolidés de l’ABC atteignaient 20 500 millions de dollars. L’ABC est aujourd’hui l’une des plus grandes banques internationales arabes. Elle est active dans 45 pays; la répartition géographiquement de ses actifs est comme suit : 55,3% en Europe de l’Ouest, 16,7% dans le monde rabe, 10,2% en Asie, 4,9% en Amérique Latine et 8,8% en Amérique du Nord et le reste du monde. Le financement du commerce entre les pays industrialisés et le monde arabe constitue la principale activité d’ABC. En plus du financement des transactions de pétrole brut du monde arabe, l’ABC met aussi à la disposition de ses clients des financements spécialisés pour appuyer leurs projets et opérations d’exportation en Afrique du Nord et au Moyen Orient. Capacités stratégiques des dirigeants d’ABC Nous avons précédemment mentionné que le périmètre stratégique (champ stratégique) que jouissent les dirigeants des BI se situe dans la zone grise qui se trouve entre les exigences de performance, d’un côté et, d’autre côté, de respect des principes de la chari’a. Par ailleurs, plus les dirigeants des BI sont habiles à utiliser les arguments défendus par un de ses stakeholders (soit le comité de chari’a ou le conseil d’administration) pour contrer les pressions de l’autre, grand est son périmètre stratégique. En dépit des contraintes auxquelles les BI sont confrontées, ABC parvient à bien se tirer d’affaires (Siagh, 2001). Dans l’industrie bancaire islamique, elle est reconnue pour les nombreuses innovations qu’elle a introduites. ABC a été en effet la première ___________________ Copyright © HEC Montréal 15 Environnement intense et choix stratégiques : le cas des banques islamiques banque islamique à élaborer et à offrir des produits/services révolutionnaires comme le ‘Closed Bahrain Exempt Shareholding Company’ en 1989 et le ‘US$ Islamic Clearing Account’ en 1994. Le ‘Closed Bahrain Exempt Shareholding Company’ est un fonds islamique, doté de 100 millions de dollars, qui accepte des fonds dont la maturité arrive à terme dans un délai de sept jours ou plus (Siagh, 2001). Cet outil d’investissement s’avéra un franc succès auprès des banques et institutions financières islamiques, qui avaient d’énormes sommes d’argent à court terme. Mais faute d’un produit/service conforme aux principes de la chari’a, ces institutions étaient obligées de garder ces dépôts dans leurs caves, sans pouvoir les ‘fructifier’. L’US$ Islamic Clearing Account, crée en 1994, est aussi un fonds d’investissement. Comme indiqué dans l’offering Memorandum d’ABC ci-dessous, ce véhicule d’investissement révolutionnaire sert à placer les excédents de liquidité d’un jour des banques et institutions financières dans des opérations «overnight» : «…a system for dealing with customer’s credit balances to generate a return on capital in compliance with Islamic Shari’a under the supervision of well-reputed Islamic Shari’a Scholars.», (Siagh, 2001). Vu les exigences des principes de la chari’a islamique, concernant entre autres choses l’obligation d’investir dans des actifs tangibles, l’interdiction de transiger des produits/services spéculatifs, que les BI sont obligées de satisfaire, ces deux produits/services paraissent difficiles à imaginer, à formuler et surtout à faire accepter par un comité de chari’a. Pourtant, ABC a réussi à le faire avant les autres BI. Alors, comment expliquer la capacité stratégique d’ABC, en dépit des contraintes qu’elle subit? Rappelons que nous avons déjà mentionné que la capacité stratégique d’une organisation, par ricochet de ses dirigeants, au sein d’un environnement intense dépend entre autres de son habileté à forger des coalitions avec ses stakeholders. Les dirigeants d’ABC se sont servis de ce ‘levier’ pour permettre à leur banque d’acquérir une plus grande autonomie, en termes de positionnement stratégique. En effet, Afzal Ilahi puis Abdelhak Al Kafsi, étant conscients de l’importance du respect des principes de la chari’a islamique pour les institutions dont ils ont la charge, ont cherché à se rapprocher des arguments défendus par le comité de chari’a. Ils ont notamment réussi à intégrer certains membres du comité de chari’a dans la gestion de la banque. Au lieu de se contenter d’évaluer et de se prononcer sur la conformité des produits/services offerts par l’institution avec les principes de la chari’a, rôle traditionnel du comité de la chari’a, ABC a intégré certains membres du comité à l’élaboration des produits/services. Ces derniers aident ainsi les gestionnaires, à travers leurs conseils, à structurer leurs produits/services conformément aux principes de la chari’a. Adnan Youssef, Président du conseil d’administration de l’ABC, cité dans Siagh (2001) trace ci-dessous le nouveau rôle des membres du comité de chari’a en affirmant : «Shari’a board do not involve themselves as far as figures are concerned and limit themselves to concepts. ABC, as a policy, tries to make the Shari’a board part of the bank process and consult them in terms of the bank’s strategy.». ___________________ Copyright © HEC Montréal 16 Environnement intense et choix stratégiques : le cas des banques islamiques Par ailleurs, grâce à cette politique, les dirigeants d’ABC ont réussi à sensibiliser les membres du comité de chari’a aux défis auxquels sont soumis la banque et ses dirigeants (compétitivité, profit etc.). Les membres du comité de chari’a sont dorénavant conscients qu’ABC doit offrir des produits/services générateurs de profit, pour pouvoir rester en activité. Ce faisant, ils doivent se montrer plus ‘flexibles’ et pragmatiques dans l’interprétation des principes de la chari’a. Mais plus encore, en dehors de la sensibilisation des membres du comité de chari’a à l’exigence de performance qu’a ABC et de l’acquisition d’une plus grande capacité stratégique de la part d’ABC, l’intégration des membres du comité de la chari’a dans la gestion procure d’autres avantages concurrentiels forts importants dans ce secteur, comme la crédibilité. En effet, comme le souligne Adnan Youssef, ci-dessous, cette association aurait un effet positif sur le développement de la banque : «….ABC believes that if the bank’s strategy is blessed by the Shari’a board this, vis-à-vis clients, will give the bank a competitive edge in terms of bank’s image and marketing of its products.». Le respect des engagements assure la clientèle et crée un lien de confiance, laquelle qualité constitue un avantage (atout) important dans le secteur des services, où l’intangibilité des produits/services prévaut. En conclusion, nous voyons que l’habileté des dirigeants d’ABC à intégrer certains membres du comité de chari’a dans la gestion, plus particulièrement dans l’élaboration des produits/services, a été à la base de l’acquisition d’une capacité stratégique considérable. La collaboration entre gestionnaires et membres du comité de chari’a a en effet permis la mise en marché des produits/services révolutionnaires par ABC. Cas de l’Islamic Investment Company of the Gulf (IICG) L’Islamic Investment Company of the Gulf (IICG) a été incorporée en janvier 1983 par son Altesse Royale le Prince Mohamed Al Faisal Al Saud, et a son siège à Bahrain. L’IICG fut capitalisée au départ à 20 millions de dollars américains. Ce capital fut augmenté successivement à 30 et 40 millions par capitalisation des réserves avant d’atteindre 109 millions de dollars américains après l’acquisition d’une autre banque islamique, l’Arab Islamic Bank, (Siagh, 2001). L’IICG gère aujourd’hui un portefeuille de plus de 800 millions de dollars américains pour le compte de compagnies, d’institutions et d’individus représentant une base de clients privés et institutions régionaux et internationaux, d’après Siagh (2001). L’IICG est une banque d’investissement. En effet, comme en témoigne Abderrahman Al Koheeji, Senior Manager de l’IICG, la banque œuvre majoritairement dans le domaine d’investissement. «The bank’s activities are principally to conduct investment banking activities and to act as manager, on a trustee basis, of a series of investment funds in accordance with Islamic laws and principles, particularly with regard to the prohibition of receiving or paying interest.». ___________________ Copyright © HEC Montréal 17 Environnement intense et choix stratégiques : le cas des banques islamiques Capacités stratégiques des dirigeants d’IICG Durant les dix premières années de son existence, L’IICG avait une capacité stratégique limitée (Siagh, 2001). De 1983 à 1993, l’activité de la banque se limitait au démarchage de la clientèle voulant placer ses fonds conformément aux principes de la chari’a. Le travail se faisait principalement à Genève, où se trouve le comité de chari’a de la banque. La prolifération des banques islamiques et la rentrée en force des banques conventionnelles par le biais de l’ouverture des fenêtres islamiques, entre autres choses, ont forcé l’IICG à changer sa manière d’opérer. En effet, pour survivre dans un environnement de plus en plus concurrentiel, les dirigeants d’IICG devraient disposer une plus grande autonomie, en termes de prise de décisions, pour élaborer de nouveaux produits/services performants continuellement. Nous avons déjà mentionné, par ailleurs, que les dirigeants des BI obtiennent une plus grande capacité stratégique grâce aux ‘coalitions’ qu’ils forment avec les stakeholders, notamment le comité de chari’a. Par exemple, l’intégration du comité de chari’a dans la gestion a permis aux dirigeants d’ABC d’obtenir une plus grande capacité stratégique. L’IICG, contrairement à l’ABC, a eu recours à une autre politique, tout aussi bénéfique. En effet, compte tenu du fait qu’elle utilise le comité de chari’a de la holding Dar Al Mal Al Islami qui a son siège à Genève, (Siagh, 2001), l’ IICG ne pouvait pas, ou difficilement, ‘intégrer’ le comité de chari’a dans sa chaîne de gestion. Elle devait, par conséquent, trouver un autre levier (moyen) pour se rapprocher du comité de la chari’a, afin de diminuer ses pressions. Ainsi, compte tenu de sa situation, l’éloignement du comité de chari’a en l’occurrence, l’IICG se tourna vers la culture organisationnelle, pour acquérir une plus grande capacité stratégique. ‘Ressource’ organisationnelle stratégique, la culture reste en effet un levier important au sein d’environnement intense, comme celui des BI, qu’on peut utiliser pour influencer le comportement organisationnel dans l’optique d’acquérir de la légitimité, donc de la performance. Mohamed Hussain, Directeur Général de L’IICG, cité dans Siagh (2001), résume bien cette réalité en affirmant: «Culture is a very important element in this business. Take the case of a marketing officer who goes to talk to a client in Saudi Arabia. If he is muslin versed in Shari’a he will be better equipped than a non-muslin. He will reflect the image of the company». Ainsi, conscient de l’importance du respect des principes de la chari’a islamique, l’IICG, sous la direction d’Iqbal Khan, banquier expérimenté qui a une excellente compréhension tant théorique que pratique de l’activité bancaire islamique, instaura une culture et une éthique respectueuses des ces principes. Comme en témoigne Abderrahman Al Koreeji ci-dessous, le conditionnement religieux des employés et l’harmonisation des attitudes s’inspirant de la chari’a font partie de la réalité de l’IICG : «The ethical behavior or souloukiat displayed by our employees is critical for the image of the bank, its credibility and the business. IICG has a praying room. There are five prayers during the day, three ___________________ Copyright © HEC Montréal 18 Environnement intense et choix stratégiques : le cas des banques islamiques of which take place during working hours…At the end of the prayer, the prayer leader or «imam» gives a 15 minutes speech on a particular issue relating to religion or souloukiat which is the cultural behavior of Muslim within the bank. ». La culture islamique adoptée par IICG explique certainement l’augmentation de sa capacité stratégique, en termes de produits/services mis en marché. En effet, grâce aux enseignements qu’ IICG a dispensés à ses employés, ces derniers se comportent conformément aux principes de la chari’a islamique; ils structurent, par exemple, leurs produits/services en tenant compte des valeurs et normes islamiques. Ce comportement a permis à l’IICG de diminuer (contenir) les contraintes exercées par le comité de chari’a, et indirectement à jouir d’une plus grande marge de manœuvre au niveau du positionnement stratégique. L’habileté et la facilité à arranger des montages financiers complexes, dans un environnement réputé contraignant, difficile et lent, évoquées par Al Khoheeji ci-dessous découlerait en partie de cette dynamique : «When Iqbal came, he started building expertise, focusing on merchant banking and developing syndication capabilities. The most important decision taken at that time was to become a deal arranger. For example IICG is the only bank which has developed an expertise in oil deals. Today anybody who would think of syndication or of a deal arranger he would think of IICG.». Par ailleurs, selon Scott Creswell, conseilleur juridique à l’IICG, cité ci-dessous, la ‘socialisation’ des employés à la culture souloukiat a facilité l’implantation de la structure aplatie par Iqbal Khan. Cette structure, à son tour, a permis une délégation du pouvoir décisionnel; ce qui en retour a multiplié les initiatives stratégiques. «Our willingness to invest in new products has led to the launch of «OIC Countries easing Program», «Fuel Murabaha Financing Program», and «ECA Financing Program» by our Structured Finance & Syndication Group. Our Capital Market Group has come up with a calendar of «Islamically Compatible New Issue» and a managed portfolio account called «Cap Invest». En résumé, ce cas nous a permis d’observer l’influence de la culture et de l’éthique sur le comportement de L’IICG. La culture inspirée de la chari’a est, comme on vient de le voir, un actif d’une importance capitale. L’implantation d’une culture et d’une éthique conformes aux principes de la charia a aidé à l’IICG à diminuer les pressions du comité de chari’a et à se protéger contre ses attaques d’une part et, surtout d’acquérir une plus grande capacité stratégique, d’autre part. ___________________ Copyright © HEC Montréal 19 Environnement intense et choix stratégiques : le cas des banques islamiques Conclusion des cas Les deux cas que nous venons de décrire nous permettent d’observer, en dépit des exigences potentiellement irréconciliables auxquelles elles font face, que les BI, selon les compétences et la volonté de leurs dirigeants, sont responsables de leur orientation stratégique. Les BI, par l’entremise de leurs dirigeants, en effet disposent un ensemble de moyens pour acquérir ou augmenter leurs capacités stratégiques. Premièrement, les dirigeants peuvent s’appuyer sur leurs connaissances de la religion musulmane, plus spécifiquement des principes de la chari’a islamique, pour élaborer le positionnement stratégique de leur banque, afin de se conformer aux principes de la chari’a. Cette façon de faire diminue, voire annule, les contraintes posées par le comité de chari’a, et indirectement accroît la capacité stratégique de la BI. Deuxièmement, les dirigeants peuvent aussi ‘intégrer’ les membres du comité de chari’a dans la gestion, pour augmenter leur capacité stratégique. À l’instar de l’Arab Banking Corporation, les gestionnaires ont intérêt à consulter les membres du comité de chari’a lorsqu’ils élaborent de nouveaux produits/services. Cette pratique aide la banque à prendre en compte les questions liées au respect des principes de la chari’a, donc à éliminer les contraintes du comité de chari’a. Cette collaboration permet par ailleurs de sensibiliser le comité de chari’a aux exigences de performance que la banque doit satisfaire pour survivre. Ainsi, étant au fait de l’obligation qu’a la BI de générer de gains, les membres du comité de chari’a se montreraient plus flexibles et pragmatiques dans l’interprétation et l’application des principes de la chari’a. Troisièmement, les dirigeants des BI peuvent utiliser la culture pour accroître leur capacité stratégique. La culture inspirée de la chari’a est en effet un actif d’une importance capitale. Par exemple, l’IICG, sous la gouverne d’Iqbal Khan, s’est servie de la culture souloukiat comme levier pour à la fois contenir les contraintes du comité de la chari’a et se donner une plus grande autonomie au niveau de la prise de décision et aussi avoir une bonne image auprès des clients. Ces deux cas nous ont conduit à constater deux autres points très importants : tout d’abord, le respect des principes de la chari’a demeure l’une des plus importantes préoccupations des BI. En effet, la raison d’être de ces banques est d’offrir des produits/services conformes aux valeurs et normes musulmanes. Le comité de chari’a constitue de ce fait un stakeholder incontournable. Ce faisant, pour obtenir ou augmenter leurs capacités stratégiques, les BI sont appelées à intégrer les préoccupations de ce comité. Il faudrait aussi noter que, même si nous ne faisons pas allusion au conseil d’administration, ce dernier reste tout de même un acteur important, qui influe sur la capacité stratégique des dirigeants des BI. Notre ‘silence’ s’explique par entre autres choses : d’une part, comme mentionné, le gain n’est pas le principal critère que les clients des BI recherchent; sinon ils allaient faire affaires avec les banques conventionnelles et, d’autre part, les gestionnaires des BI partagent les préoccupations de conseil ___________________ Copyright © HEC Montréal 20 Environnement intense et choix stratégiques : le cas des banques islamiques d’administration concernant l’efficacité organisationnelle. En effet, les gestionnaires savent pour que les BI survivent, elles doivent être performantes. Par conséquent, ils n’élaborent et ne mettent au marché que des produits/services qui ont un potentiel de rendement. En suite, on observe une évolution au niveau de l’interprétation des principes de la chari’a de la part des comités de la chari’a. Au début de l’industrie bancaire islamique, les membres du comité de chari’a avaient une position très stricte sur l’interprétation et l’application des principes de la chari’a. Ils étaient moins flexibles. Cette position s’explique par le fait que les membres du comité de la chari’a n’étaient pas versés en finance, d’un côté et, d’autre côté, ils ne prenaient pas en compte les questions liées à la performance organisationnelle. Toutefois, à partir de la fin des années 80, on note une certaine évolution au niveau des comités de chari’a de différentes BI. Née de la prolifération des BI et des fenêtres islamiques des banques conventionnelles ainsi que de l’exigence de performance des actionnaires et des clients, la vive concurrence que se livrent les BI amène les membres du comité de chari’a à se montrer plus pragmatiques dans l’interprétation des principes de la chari’a islamique. Par ailleurs, l’intégration des membres du comité dans l’élaboration de nouveaux produits/services, entre autres, a certainement joué un rôle important dans cette transformation. En effet, en plus de se rendre compte que les dirigeants des BI ont à cœur les principes de la chari’a, les membres du comité de chari’a se familiarisent, eux aussi, aux autres défis (la concurrence, l’obligation de résultats etc.) auxquels les BI font face. Un autre facteur important qui a favorisé cette transformation est l’instruction des membres de comité de chari’a. Ces deniers, comme le souligne Sheikh Yaqubi, membre du comité de chari’a de L’IICG dans Siagh (2001), ci-dessous, détiennent maintenant plusieurs diplômes : «Shari’a board members are more competent. They are shari’a specialists and in addition have studied in the west. They hold PhDs in economics, finance, law, etc.». Ainsi, grâce aux enseignements reçus et à la confrontation avec d’autres expériences, les connaissances ainsi que les façons de faire des membres du comité de chari’a se sont enrichies. Ce dynamique a contribué à l’évolution des pratiques des membres du comité de chari’a. Cette transformation explique certainement la capacité stratégique ‘considérable’ que jouissent de nos jours les BI. Et il serait tout à fait juste de penser, avec la globalisation et les échanges, que les BI vont de plus en plus avoir une plus grande capacité stratégique. Conclusion À la lumière de ce papier, nous constatons que les perspectives futures de l’industrie bancaire islamique sont considérables. En effet, les produits/services offerts par les BI rencontrent un vif intérêt auprès des musulmans et des investisseurs ‘éthiques’. Cette dynamique a incité plusieurs banques conventionnelles à créer des fenêtres islamiques pour compétitionner dans ce segment porteur. ___________________ Copyright © HEC Montréal 21 Environnement intense et choix stratégiques : le cas des banques islamiques Par ailleurs, les BI évoluent dans un environnement complexe. Caractérisé par entre autres choses par des demandes difficilement conciliables, son intangibilité et son inviolabilité, l’environnement des BI est intense (Siagh, 2001). Pour survivre dans ce type d’environnement, les BI sont forcées d’offrir des produits/services conformes aux principes de la chari’a islamique et générateurs de profit. Toutefois, en dépit des contraintes potentiellement irréconciliables (respect des principes de la chari’a et performance organisationnelle) auxquelles elles font face, nous avons vu que l’environnement intense des BI ne ‘détermine’ pas la stratégie de ces institutions. Ces dernières disposent en effet une capacité stratégique, en termes de produits/services offerts et de marchés desservis. Ainsi, notre conclusion va dans le même sens que celles de Hrebiniak et Joyce (1985); Lawless et Finch (1989) et Oliver (1991). En effet, quelles que soient les contraintes environnementales auxquelles elles sont confrontées, les organisations jouissent une certaine capacité stratégique. Le comportement stratégique qu’adopte une organisation est déterminé par ses dirigeants, et non par l’environnement (Sturdivant, Ginter et Sawer, 1985; Gupta et Govindarajan, 1984; Miller, Kets de Vries et Toulouse, 1982 et Child, 1972). Cette réalité nous amène à suggérer les propositions suivantes aux chercheurs, qui s’intéresseront à l’étude de capacité stratégique des organisations oeuvrant au sein d’un environnement intense, outre que l’industrie bancaire islamique, pour fin de vérification : 1. Au sein d’un environnement intense, les dirigeants qui sont habiles à former des coalitions avec les stakeholders obtiennent plus de capacité stratégique. 2. Au sein d’un environnement intense, plus les demandes des stakeholders sont potentiellement irréconciliables, grande est la capacité stratégique des dirigeants. 3. Au sein d’un environnement intense, plus les conséquences du non respect des normes et règles sont faibles, grande est la volonté des dirigeants à élaborer la stratégie de leur organisation. 4. Au sein d’un environnement intense, plus les bénéfices du respect des normes et règles sont minimes, grande est l’inclinaison des dirigeants à façonner la stratégie leur organisation. Ce papier nous amène aussi, à l’instar des tenants de la théorie institutionnelle (Scott, 2001; DiMaggio et Powell, 1983; Dacin, 1997, entre autres), à rappeler aux dirigeants et aux chercheurs de l’importance de l’environnement institutionnel sur le comportement des organisations. Les ‘forces institutionnelles’ ont un impact majeur sur entre autres choses la stratégie, la structure et la culture organisationnelles. Les organisations qui réussissent à mieux intégrer ces forces sont celles qui obtiennent de la légitimité et indirectement de la performance. Ainsi, compte tenu de leur importance, on ne pourrait parler, par exemple, de capacité stratégique d’une organisation évoluant dans un environnement institutionnel intense sans que cette dernière intègre les valeurs et les préoccupations de son milieu. Ce papier illustre parfaitement ce fait. ___________________ Copyright © HEC Montréal 22 Environnement intense et choix stratégiques : le cas des banques islamiques Bibliographie Ali, Abbas J., 1993, Decision-Making Style, Individualism, and Attitude toward Risk of Arab Executives, International Studies of Management & Organization, 23, 3, 53-73. 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Source: ‘Directory of Islamic Banks and Financial Institutions -1997, The International Association of Islamic Banks, Jeddah. a Includes other Islamic Financial Institutions such as Islamic investments banks. South Asia includes Banglades, India, and Pakistan. s Sotheast Asia includes Brunei, Indonesia, Malaysia, and the Philippines. d The Gulf Cooperation is a political, economic, social,and regional organization established in 1981 by UAE, Bahrain, Saudi Arabia, Oman, Qatar, and Koweit. e Asia includes Russia and Kzakhstan. b ___________________ Copyright © HEC Montréal 28 % 20% 2 4 20 49 5 0 0 100% Environnement intense et choix stratégiques : le cas des banques islamiques Top 20 Islamic Banks Based on Total Assets (1997)a (amounts in thousands)* Name of Institution Bank Melli Bank Sedarat Bank Tejarat Iraqi Islamic Bank for Dev. & Invest. Al-Rajhi Banking & Invest Corp. National Bank of Pakistan Bank Sepah Bank Mellat Habib Bank Koweit Finance House United Bank Muslim Commercial Bank Agricultural Dev. Bank of Pakistan Dubai Islamic Bank Bank of Industry & Mine Faisal Islamic Bank of Egypt Citibank Pakistan Bank Islam Malaysia Berhad Bank Refah Kargaran Country Iran Iran Iran Iraq Saudi Arabia Pakistan Iran Iran Pakistan Koweit Pakistan Pakistan Iran UAE Iran Egypt Pakistan Malaysia Iran Date of Financials Mar-97 Mar-97 Mar-97 Dec-96 Dec-97 Dec-95 Mar-97 Mar-97 Dec-97 Dec-97 Dec-93 Dec-96 Mar-96 Dec-96 Mar-97 May-97 Dec-93 Dec-97 Mar-96 Assets Net profit $ 22,415,451 11,771,051 10,526,730 9,900,000 9,369,354 9,026,980 6,966,776 5,803,520 5,269,317 5,087,843 4,070,930 3,023,818 1,982,297 1,935,480 1,917,738 1,843,600 1,382,005 1,233,379 1,160,594 $124,035,224 $61,153 N/A 10,910 N/A 347,188 90,000 13,680 7,999 (87,898) 121,813 9,146 2,574 11,239 6,297 15,520 39,924 N/A 14,180 13,153 $680,575 * Fuaad A. Qureshi and Mathew M. Millet, Introduction to Islamic Finance, Harvard Business School, 1999. Source: ‘Directory of Islamic Banks and Financial Institutions -1997, The International Association of Islamic Banks, Jeddah. a Includes other Islamic Financial Institutions such as Islamic investments banks. ___________________ Copyright © HEC Montréal 29 Return on Assets 0,3% N/A 0,1 N/A 3.7 1.0 0.2 0.1 (1.5) 2.3 0.2 0.1 0.4 0.3 0.8 2.1 N/A 1.0 1.1 0.5%