Cinéma et Shoah

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Cinéma et Shoah
Cinéma et Shoah
Réflexions et pistes pédagogiques
STAGE DE FORMATION SUR L’HISTOIRE ET L’ENSEIGNEMENT DE LA SHOAH
Vendredi 16 novembre 2012
Compte-rendu rédigé par Michelle MOLLARD et Gaël PERRON
Intervenant : Antoine GERMA.
Professeur agrégé d’histoire.
Scénariste et auteur
Formateur à l’académie de Créteil et au Mémorial de la Shoah
Introduction
Ce sujet pose le problème du rapport entre cinéma et Shoah.
Quelle est la place du cinéma en histoire ? Quelle peut être l’utilisation du cinéma en cours d’histoire ?
Le rapport à l’image qu’ont les enseignants est souvent naïf.
On a longtemps opposé la fiction et le documentaire. La fiction est perçue comme mensongère et le
documentaire renverrait davantage au Vrai. Cette entrée est totalement à revoir.
En effet, dans les deux cas, il s’agit de constructions : il n’y a aucune vérité intrinsèque à l’image, ce qui
compte est l’intention, ce qui est fait de ces images.
Le cinéma peut ainsi être considéré comme un document, une source comme les autres. Tous les
enseignants savent donc analyser un film
Dans un film de fiction, il y a un texte, un réalisateur et un contexte double (cinématographique et
historique).
Exemple : Nuit et Brouillard (1955). Alain Resnais est le réalisateur, mais il est aussi un militant
anticolonialiste…
Ainsi tout film défend un point de vue avec des contraintes (techniques, financières) et s’appuyant sur
des choix (politiques et esthétiques)
Comment aborder l’étude d’un film en classe ?
D’abord, on décrit ce que l’on voit et ce que l’on entend, les personnages, l’univers sonore : ne pas
oublier que le cinéma ce sont des corps dans des espaces.
Exemple : La Marseillaise de Renoir, 1937 : Décrire les vêtements qui renvoient à une qualité sociale,
étudier le niveau de langue, l’univers sonore.
Cette description amène à une interprétation.
A la fin du questionnement, il faut répondre à deux questions essentielles :
1 - Que veut le réalisateur ?
2 – Quelle est l’impression produite sur le spectateur ?
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Quel est l’état de la question concernant « Cinéma et Shoah » ?
Il existe peu d’images directes de l’événement mais La Shoah est sans doute l’événement qui a le plus
produit de films.
1945-1975 : 400 films
1985-2000 : 2 000 films
2000-2012 : sans doute plus de 10 000 films
On se situe bien dans un certain paradoxe : plus on s’éloigne de l’événement, plus le nombre de films
est important.
Des interrogations persistent.
Peut-on faire une fiction autour de la Shoah ? Quelles images peut-on utiliser ?
Ces questions renvoient à un débat autour de l’obscénité des images.
Réflexion de Jacques Rivette : l’obscène renvoie à la jouissance du spectateur, au voyeurisme.
1 - Les images de la Shoah durant la guerre
Les Nazis ont détruit massivement les traces de l’extermination.
Dans les camps ; le Reich interdit de faire des photographies.
Mais des traces persistent. Dès 1942, on assiste à une prolifération d’images, notamment dans les
lettres que les soldats envoyaient à leur famille.
Durant l’été 41, une tuerie est filmée dans un Etat balte. Ce film amateur de 2 minutes montre la
tuerie en intégralité. A Auschwitz, deux laboratoires photographiques fonctionnent. Il nous reste de
rares clichés : hongroises nues, mises à mort.
Nous possédons beaucoup de documents sur les ghettos. MAIS nous n’avons jamais retrouvé – à ce
jour - d’images d’un gazage homicide.
2 - Les images connues de l’après-guerre
Les images que l’on connait de la Shoah sont des images de l’après Shoah.
Ce sont les images des Alliés que l’on connait le mieux : elles sont d’ailleurs très souvent prises pour
des images que la Shoah.
A la Libération, les Alliés ont produit des images sur les camps. L’armée américaine constitue des
équipes cinéma (le service est dirigé par le réalisateur John Ford)
Les équipes anglaises et américaines ont un cahier des charges précis pour bâtir ces films : privilégier le
plan séquence pour ne pas être accusé de manipulation, on doit pouvoir reconnaitre les visages sur les
images… La censure reste très présente. Par exemple, à Dachau, Les Alliés sont abasourdis par
l’horreur et éliminent les gardiens.
Le déporté est une figure à construire : on fait poser les déportés devant les barbelés.
Ainsi dès les débuts de l’immédiat après Shoah, il existe déjà une volonté de construction, de « mise en
scène ».
Ces images influencent la perception des Américains…
L’objectif est à la fois d’apporter des preuves pour accuser les Allemands de crimes de guerre mais
aussi de justifier a posteriori la fin de l’isolationnisme et donc l’entrée en guerre.
De la même manière, les Alliés filment le procès de Nuremberg. Là encore il y a mise en scène.
Ces images sidérantes sont peu interrogées et acquièrent un statut de preuve juridique.
Elles seront beaucoup utilisées entre 1945 et 1961 : les cinéastes vont puiser dans ces images alliées,
par exemple Alain Resnais pour Nuit et Brouillard, sorti en 1955.
L’idée est alors de faire la pédagogie de l’horreur.
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Les images soviétiques : comment les utiliser ?
Dès Août 1941 Staline sait ce qui est en train d’arriver aux juifs. La Pravda parle du sort de Juifs.
Dans de nombreux films, les Soviétiques filment les cadavres un par un et nomment les morts.
Pendant toute la durée de la guerre, les Soviétiques vont monter ces films et vont les montrer.
L’objectif est de mobiliser la population et de soutenir l’Armée rouge
Dès le début de la Guerre froide, les Occidentaux vont se méfier des images soviétiques. Elles seront
d’ailleurs peu vues à l’Ouest.
L’année 1961 constitue une rupture dans l’histoire du cinéma avec le procès Eichmann qui devient le
procès de la Shoah. A Jérusalem la salle du procès est aménagée pour filmer. La Shoah est médiatisée.
3 - Les années 80 : la Shoah socle de spectacle, ère des masses
A partir de 1961, le témoin devient la figure centrale (traumatisme du survivant). Cela donne de très
films israéliens, allemands et français.
Shoah de Claude Lanzmann sort en 1985. Ce film documentaire dure neuf heures et demies et il a fallu
près de 10 ans pour le réaliser. Le film ne s’appuie pas sur des images d’archive mais sur des entrevues
de témoins survivants de la Shoah qui sont filmés sur les lieux mêmes du génocide.
On s’inscrit dans « l’âge des témoins » selon Wieviorka.
Shoah est un très grand film mais a été vu par très peu de monde à sa sortie.
Dans les années 1980, la Shoah devient un « spectacle ».
La série américaine Holocauste sort en 1978. Cette minisérie de quatre épisodes montre le destin
d’une famille nazie et d’une famille juive. Cette série a un succès énorme aux Etats Unis (110 millions
de téléspectateurs). Mais il y a polémique avec Elie Wiesel qui trouve cette série trop « douce ».
Entre 1977 et 1988, chaque année aux Etats-Unis sort un grand film ou une grande série sur la Shoah.
Quand sort La Liste de Schindler, en 1993, le spectateur est habitué aux images de la Shoah depuis un
dizaine d’année
Aujourd’hui, l’objectif du cinéma vise à la réconciliation.
Les extraits qui peuvent être étudiés en classe
Extrait : témoignage d’Abraham Bomba du film Shoah de Lanzmann
Etude de la mise en scène de cet extrait
Où se trouve-t-on ? Dans un salon de coiffure pour homme. Les femmes sont absentes alors qu’elles
sont le sujet de conversation.
Décrire les vêtements, étudier la voix, (récitation, voix mécanique, voix déshumanisée).
Abraham Bomba ne coupe pas vraiment les cheveux (il mime), il a été habillé pour le film (sur son polo
de couleur jaune on distingue très clairement une étoile)
Au début, il parle comme il coupe les cheveux
L’homme ne montre pas ses émotions puis peu à peu le témoin ne résiste plus à ses sentiments. Le jeu
de caméra permet un va et vient entre humanisation et déshumanisation du témoignage. Avec ce
témoignage on est confronté au « savoir déporté » « soit témoin et témoigne »
L’horreur absolue qu’il raconte le rend à nouveau humain (ré humanisation par la caméra).
On peut mettre en parallèle avec un extrait de La liste de Schindler : « la scène de la douche ».
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