matchdocument - Suzanne Tenuto Photography

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matchdocument - Suzanne Tenuto Photography
matchdocument 47
Ils sont flics à la retraite, ex-agents du FBI, médecins légistes ou profilers,
tous membres d’une société secrète, la Vidocq Society. Ils enquêtent
bénévolement sur des « cold cases », des homicides non résolus, et redonnent de l’espoir aux familles
des victimes. Rencontre à Philadelphie avec de drôles d’héritiers de Sherlock Holmes.
Bill Fleisher (à dr.), un des fondateurs
de la Vidocq Society, et Nate Gordon, un des
premiers membres du club, se penchent
sur un « polygraphe », les données issues d’un
passage au détecteur de mensonge.
Les
par GHISLAINE RIBeYRE - photo suzanne tenuto
paris mat c h .c o m
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D
Dans l’assiette, une délicieuse pannacotta. Sur l’écran géant,
en face des tables aux belles nappes blanches, le cadavre d’une
femme, poignardée à plus d’une dizaine de reprises. Au déjeuner mensuel de la Vidocq Society, à Philadelphie, le dessert
est toujours léger car, juste après, avec le café, commence le
diaporama des photos de scène de crime. Les images sont
insoutenables, mais la centaine de convives reste imperturbable : tous sont d’ex-flics, agents du FBI, légistes, procureurs
et autres experts en sciences médico-légales, ils ont déjà vu
bien pire, et de plus près. A eux tous, ils ont des centaines
d’années d’expérience dans la traque des criminels. Certains
sont des spécialistes de renommée internationale, des experts
des traces d’ADN ou des empreintes digitales, des « profilers »
de serial killers. Ils sont tous membres d’un club mystérieux,
la Vidocq Society, baptisée en l’honneur d’Eugène-François
Vidocq, forçat évadé du bagne devenu chef de la Sûreté et
père de la police judiciaire, en France, au XIXe siècle, celui qui
a inspiré le Valjean de Hugo et le Vautrin de Balzac. Un jeudi
par mois, les membres de la société se retrouvent pour plancher sur un « cold case », un homicide non résolu. Le décor,
l’immense Lincoln Hall de l’Union League, un bâtiment historique du centre de Philadelphie, est imposant : lustres, parquet ciré, fresques et serveurs en livrée. Pendant le déjeuner,
l’ambiance était aux potins maison et aux blagues de flics :
« Le secret d’un mariage qui dure ? Ne jamais garder un
flingue chargé à la maison ! » Mais dès que les photos apparaissent, le silence se fait. La traque peut commencer.
L’affaire du jour remonte aux années 80. Elle a été soumise à la Vidocq
Society par les détectives chargés des
« cold cases » au sein de la police d’une
ville de Floride. Le comité directeur
de la Vidocq Society a vérifié que l’affaire remplissait ses critères : vieille de
plus de deux ans, elle n’a jamais été
résolue, et la victime est innocente
(gangsters et dealers sont priés de passer leur chemin). Les détails des dossiers rouverts sont confidentiels, pour
ne pas compromettre le bon déroulement de l’enquête, alors appelons la
victime « Donna ». Elle a été assassinée un matin de printemps
dans le magasin où elle travaillait. Les photos racontent son
agonie : les traces laissées sur la moquette quand son ou ses
meurtriers ont traîné son cadavre pour le dissimuler dans l’arrière-boutique. Debout sur l’estrade, deux flics venus de Floride résument l’enquête, et au fil de leur récit apparaît Donna,
ses rêves raisonnables, ce boulot de vendeuse pris « pour s’occuper », car elle avait les moyens de ne pas travailler. A
l’époque, le scénario d’un vol qui aurait mal tourné avait été
écarté, car les suspects ne manquaient pas dans l’entourage
de la victime : un ex pas commode, un mari qui la trompait,
un inconnu aperçu près de la scène du meurtre, une fille adulte,
« Jane », à qui Donna venait de couper les vivres. Mais, il y a
quelques mois, les policiers d’un comté voisin ont arrêté un
homme pour un meurtre datant de 1991, similaire à celui de
Donna…
Dans la salle, les questions fusent : une ex-procureure veut
en savoir plus sur la personnalité de Donna ; un flic de Philadelphie décortique les alibis de chacun ; un médecin légiste
questionne le rapport d’autopsie. Pour tous les « vidocquiens »,
après une heure de
« brainstorming »,
les experts trouvent
une piste qui
avait Échappé aux
policiers
PA RIS M ATC H DU 7 AU 13 j uin 2012
sur quelque 300 affaires,
les limiers de l’organisation affirment
en avoir résolu 80 %
c’est très vite une évidence : il y avait deux agresseurs, dont un
qui connaissait la victime, « à cause de cette rage, les coups
portés de face, à la poitrine », explique un retraité du FBI.
Après une heure de « brainstorming », les convives finissent
par trouver la piste d’un lien, qui semblait avoir échappé aux
policiers locaux, entre l’homme arrêté il y a quelques mois et
Jane, la fille de Donna. Ils ont aussi esquissé une demi-douzaine d’autres pistes à explorer. Après le déjeuner, Michael
Rieders, célèbre spécialiste de la science médico-légale – un
« expert », comme on dit dans les séries télé – s’approche pour
expliquer aux invités les techniques dernier cri qui pourraient
faire parler l’ADN trouvé sur les lieux il y a plus de vingt-cinq
ans. Nate Gordon, un des meilleurs spécialistes au monde de
l’interrogatoire et du détecteur de mensonges, demande à se
faire envoyer les résultats du polygraphe, les diagrammes du
détecteur de mensonges de Jane : « Les enquêteurs de l’époque
les ont trouvés non concluants, mais reste à savoir si c’est par
manque de données ou parce que la personne a sciemment
brouillé les mesures – en s’agitant, en se mordant l’intérieur
de la joue –, ce qui est suspect en soi. »
Il est déjà 14 h 30, la salle se vide lentement. Les flics venus
de Floride s’épongent le front, ils sont ravis : « Nous avons
plein de nouvelles pistes, c’est formidable d’avoir tous ces
experts réunis pour nous. » Ils sont loin d’être des débutants :
ils ont récemment résolu deux autres « cold cases », dont l’enlèvement, le viol et le meurtre d’une jeune fille de 14 ans, en
1971. « Maintenant, on est quasiment sûrs de résoudre celui-ci
aussi. » Ce serait un succès de plus pour la Vidocq Society.
Le club est né en 1990, avec un déjeuner, déjà. C’était
dans un petit restaurant de Philadelphie, il n’y avait pas de
lustres ni de parquet ciré, mais d’excellents hamburgers. Autour de la table : William Fleisher, numéro deux de la police
des douanes de Pennsylvanie, après avoir été simple flic puis
agent du FBI, Frank Bender, « forensic artist », autrement dit
sculpteur pour la police, et Richard Walter, « profiler ». Ils sont
amis mais ne se ressemblent pas. Bill Fleisher, le barbu jovial,
a gardé la tchatche du « beat cop », le flic de rue, mais il est
aussi le coauteur d’un ouvrage de référence sur les techniques
d’interrogatoire policier. Sous des dehors blagueurs, il est le
genre de type à savoir que vous mentez parce que vous vous
êtes gratté le nez en penchant la tête vers la gauche. Richard
Walter, silhouette sèche et regard perçant, est un solitaire à
l’humour pince-sans-rire – ses collègues le surnomment « l’Anglais » – qui, à force de se glisser dans la tête des criminels,
éprouve une répulsion absolue pour le mal. Frank Bender,
mort en 2011, était un excentrique doté d’un don exceptionnel. Jeune artiste venu étudier l’anatomie à la morgue, il a
découvert qu’il était capable de « voir » sur les crânes les visages des morts. Ses visions, matérialisées sous forme de sculptures, se révélaient toujours exactes. Frank Bender est devenu
célèbre dans tous les Etats-Unis en 1989, en reconstituant le
visage vieilli de John List, qui s’était évaporé dans la nature
en 1971 après avoir assassiné sa mère, sa femme et ses trois
enfants. Sa sculpture du visage « actualisé » de List, diffusée à
la télévision, et le profil établi par Richard Walter, ont permis
l’arrestation du monstre.
Au-delà de leurs différences, les trois amis ont une passion commune : le crime, ou plutôt l’enquête. « On avait prévu
un déjeuner rapide, on a commencé à parler meurtre… et on
n’a pas vu le temps passer », se souvient Bill Fleisher. De
retour chez lui, cet après-midi de 1990, il écrit à vingt-huit de
ses connaissances, flics, agents fédéraux, experts et procureurs,
pour leur proposer de se retrouver une fois par mois afin de
plancher sur des affaires non résolues. Vingt-six répondent à
l’appel. Bill Fleischer trouve à ce nouveau club une devise,
« Cuisine and crime solving » – « Parce que, des fois où cela
vous aurait échappé, j’aime bien manger », dit-il en caressant
son ventre rebondi –, et un nom, la Vidocq Society. « J’ai découvert Vidocq dans un manuel de l’académie de police, qui
le présentait comme le père des méthodes d’enquête modernes. Plus tard, à la bibliothèque de l’académie du FBI, je
suis tombé sur le livre “La vie de Vidocq”. J’ai été fasciné. »
La Vidocq Society compte 82 membres, le nombre d’années
vécues par l’ancien bagnard français mais, dans les faits, entre
les invités et les experts auxquels ils font appel épisodiquement, ils sont 150. Chacun s’engage à assister à au moins un
« déjeuner d’enquête » par an.
Au départ, les déjeuners de la Vidocq Society, « c’était
pour le fun », admet Bill Fleisher. Mais en 1992 le tout jeune
club est contacté par le père de Scott Dunn, un beau gars baraqué fan de rodéo disparu sans laisser de traces un an plus tôt,
à l’âge de 24 ans, au Texas. Sa petite amie avait été suspectée,
mais au Texas, « no corpse, no case » (pas de cadavre, pas d’affaire), avait-on expliqué à la famille de Scott. Aiguillés par
Richard Walter, les flics texans finissent par resserrer leurs
filets autour de la petite amie de Scott. Grâce à la Vidocq
Society, ils ont assez d’éléments pour tenter un procès. La
jeune femme est déclarée coupable, et condamnée à vingt ans
de prison. C’est la première fois qu’un tribunal texan
condamne sans cadavre.
Sur les quelque 300 affaires qui leur ont été présentées,
les limiers de la Vidocq Society affirment en avoir résolu 80 %.
Mais cela ne veut pas dire que le coupable soit systématiquement arrêté. « Il nous est aussi arrivé d’être persuadés d’avoir
identifié l’assassin, sans pouvoir le prouver formellement, dit
Bill Fleisher. Une intuition, une opinion, ça ne suffit pas car,
comme je le dis toujours, les opinions, c’est comme les chapeaux de cow-boy : tous les connards en ont ! » En cas de réussite, ils veillent à garder profil bas, pour ne pas voler la vedette
aux enquêteurs : les flics américains sont très territoriaux. Les
enquêteurs locaux se méfient des policiers d’Etat qui se méfient du FBI. « C’est tribal, explique Bill. Ils ont toujours peur
de se faire “voler” leurs enquêtes. Alors, nous faisons attention
à préserver notre réputation de neutralité. Et puis, qui se
­méfierait d’une bande de vieux croûtons comme nous ? »
Pourtant, le succès des « vieux croûtons » fait des jaloux.
Ils s’en sont aperçu lors de l’affaire Terri Brooks, une jeune
femme de 26 ans, tuée un soir de 1984 dans le restaurant
qu’elle dirigeait, après la fermeture, dans une petite ville de
Pennsylvanie. Sa mort fut atroce : son meurtrier l’a battue,
étranglée, poignardée, avant de l’étouffer avec un sac en plastique. Les enquêteurs avaient à l’époque exploré la piste d’un
cambriolage. L’affaire était restée au point mort, jusqu’à ce
que la Vidocq Society s’en mêle. Ils conseillent aux policiers
de creuser la piste d’un ex-petit ami. Richard Walter établit
un profil, Bill Fleisher et Nate Gordon, les spécialistes de l’interrogatoire, vont jusqu’à « coacher » les enquêteurs pour les
aider à obtenir des aveux. L’assassin de Terri est condamné à
perpétuité. Mais les flics locaux, tout auréolés de leur triomphe,
« oublient » au passage de remercier la Vidocq Society…
Il n’empêche : la réputation du club grandit, leur société
n’est plus si secrète. Les lettres, de 15 à 30 chaque mois, s’empilent dans l’attaché-case noir de Frederick Bornhofen, le
« case manager » bâti comme une armoire à glace. Sur du papier à lettres monogrammé, ou sur une feuille arrachée d’un
cahier, des appels déchirants de familles de victimes. A tous,
Fred Bornhofen fait la même réponse : le club ne peut se pencher sur une affaire que si les policiers qui en sont chargés
acceptent de faire appel à eux.
Aujourd’hui, on trouve de tout parmi les membres de la
Vidocq Society : des spécialistes des empreintes (Suite page 50)
Après le déjeuner,
à l’Union League
de Philadelphie, les
membres de
la Vidocq Society
écoutent la
présentation de
l’enquête du jour. Les
débats sont intenses,
même à table.
la vidocq
society
à la loupe
1990 Naissance
de la Vidocq Society.
POURQUOI VIDOCQ ?
Par passion pour
l’ancien bagnard
français devenu
grand détective.
82 membres
permanents parce
que Vidocq est mort
à 82 ans.
15 à 30 demandes
de réexamen
arrivent chaque mois à
la Vidocq Society.
540 000 homicides
commis aux Etats-Unis
de 1980 à 2008.
63 % furent résolus.
pa r i s m a t c h .c o m
50
matchdocument
Deux affaires résolues grâce
aux membres de la Vidocq Society.
A g., John List, recherché pour
avoir tué ses enfants, sa femme et sa
mère en 1971. A dr. : Marie
Noe, ici avec son mari Arthur en 1999,
qui a avoué avoir tué huit
de ses enfants.
Bill Fleisher (à g.)
et Fred Bornhofen,
le « case manager »
du club, lors
d’une réunion avec
les membres
du comité directeur,
dans la bibliothèque
de l’Union League.
digitales, un expert en traces de morsures, une « bug lady »,
une entomologiste qui peut estimer l’heure de la mort grâce
aux vers trouvés sur les cadavres, des informaticiens, des
­spécialistes de l’ADN… et même un professeur de linguistique, Donald Weinberg. Lui est un familier du monde judiciaire, puisqu’il a aussi travaillé comme négociateur dans les
prisons du New Jersey. On faisait appel à lui en cas de prise
d’otages. En 1995, il assiste à un déjeuner de la Vidocq
­Society, invité par un ami membre. L’affaire du jour comporte
notamment une demande de rançon. « Au vu des mots et
des tournures choisis, je leur ai conseillé de chercher un
­Afro-Américain de l’Upper Midwest, d’environ 29 ans,
qui aurait fait un peu d’études. J’avais raison. Ils m’ont
­demandé de rester. »
Chaque vidocquien a un cas qui lui tient à cœur. Pour Bill
Fleisher et Nate Gordon, le spécialiste du détecteur de mensonges au crâne chauve et au regard perçant, c’est l’affaire
Marie Noe, une mère qui a vu ses huit bébés mourir l’un après
l’autre, entre 1949 et 1968. A l’époque, la police avait conclu
à des cas de mort subite du nourrisson, et l’Amérique entière
avait compati à la « malédiction » qui s’était abattue sur cette
pauvre mère. Quand les détectives se penchent sur l’affaire,
les déclarations de Marie et ses passages au détecteur de mensonges leur racontent une autre histoire : Marie Noe a tué ses
enfants. Cette femme timide et discrète est une serial killeuse,
tourmentée, malade peut-être, mais
bel et bien coupable. « Les résultats
du détecteur de mensonges ne sont
pas une preuve en soi, explique Nate
Gordon, mais ça a donné aux enquêteurs qui l’ont interrogée à nouveau, cinquante ans après son
premier infanticide, un moyen de
pression sur elle. Ils ont pu lui dire :
“Nous connaissons la vérité.”»
Marie Noe a en effet fini par avouer
avoir étouffé ses bébés.
« Les affaires impliquant des
enfants sont les pires. Elles me
hantent », soupire Barbara CohanSaavedra. Cheveux gris et regard
pétillant, elle a longtemps été procureure, avant de passer dans le
privé. C’est le cas de beaucoup de
membres de la Vidocq Society :
jeunes retraités de la police, du FBI
ou de la justice, ils sont devenus
consultants ou, comme Bill Fleisher
et Nate Gordon, détectives privés.
« J’ai choisi cette seconde carrière
pour l’argent, avoue Barbara
­Cohan-Saavedra. Mais la satisfaction de mettre les criminels hors
d’état de nuire me manquait. Avec
la Vidocq Society, je me sens utile. »
hollywood
s’intéresse de près
à la vidocq society.
un livre est sorti
et une série télé est
en préparation
PA RIS M ATC H DU X X X X AU X X X X
Evidemment, Hollywood s’intéresse de près à la Vidocq
Society. Il y a eu un projet de film avec Danny DeVito, qui ne
s’est jamais fait, mais qui leur a laissé un joli chèque. Un livre
et une série en développement pour la chaîne de télévision
CBS ont encore permis de remplir la tirelire. Avec cette cagnotte, le club paie le voyage des policiers qui viennent leur
soumettre leurs affaires, et finance éventuellement les tests
scientifiques nécessaires à l’enquête. La Vidocq Society organise aussi des séminaires : une demi-douzaine de ses membres
se déplacent partout aux Etats-Unis, pour offrir leur expertise
(gratuitement, toujours) aux équipes chargées des « cold
cases ». C’est Edward Gaughan, ex-flic de l’unité « Major
Crime » de Philadelphie, qui est en charge de l’organisation :
« Je leur promets que le soir on pourra se détendre au bord
de la piscine mais, à chaque fois, on se retrouve à minuit, lampe
de poche à la main, en train d’inspecter une vieille scène de
crime. » Les séminaires sont l’occasion de motiver les policiers
locaux : enquêter sur un « cold case » est un travail ardu, et
souvent ingrat. Ed rappelle que, entre 1985 et 2005, 185 000 homicides n’ont pas été résolus aux Etats-Unis. « Et les “cold
cases” sont toujours les premières victimes en cas de coupes
budgétaires », note-t-il. La plupart du temps, ce sont d’ailleurs
des enquêteurs de petites villes, sans grands moyens ni accès
aux dernières techniques, qui font appel à la Vidocq Society.
« On attend encore le NYPD ! » rigolent les vidocquiens.
De toutes les affaires sur lesquelles ils se sont penchés,
une en particulier les obsède, celle du « Boy in the box » (« le
garçon dans la boîte en carton ») : le meurtre d’un enfant de
4 à 6 ans, retrouvé nu, enroulé dans une couverture, déposé
dans un carton au bord d’un chemin, dans la banlieue de Philadelphie en 1957. Il avait été torturé et battu à mort. La petite
victime n’a jamais été identifiée, son ou ses meurtriers jamais
arrêtés. Mais les limiers de la Vidocq Society enquêtent encore. Il y a quelques années, ils ont cru avoir enfin percé le
mystère, après le témoignage d’une femme, « M ». Son récit
était terrifiant : sa mère, une femme violente et sadique, avait
« acheté » un petit garçon à un orphelinat et l’aurait enfermé
dans sa cave pour le torturer, avant de le tuer dans une crise
de rage, et d’obliger la jeune « M » à l’aider à se débarrasser
du corps. Beaucoup de détails donnés par « M » collaient avec
les éléments de l’enquête : les cheveux du garçonnet, que « M »
aurait coupés elle-même, la façon dont le corps a été abandonné. « Mais la police n’a pas pu confirmer ses dires, ni les
infirmer non plus », soupire Bill Fleisher. Les membres de la
Vidocq Society ne désespèrent pas d’identifier un jour le
meurtrier. Mais le plus insupportable, pour eux, c’est que personne ne se soit jamais présenté pour dire : « Ce petit garçon,
c’était mon fils, c’était mon frère. » Comme s’il n’avait jamais
existé. Alors les vieux limiers de Philadelphie sont devenus sa
famille. Ils lui ont offert un nouvel enterrement, dans les
formes, en 1998. Bill Fleisher a porté le petit cercueil. Il continue de se recueillir sur sa tombe. « Tout au long de ma carrière,
j’ai vu à quel point le système – flics, avocats, juges, experts –
se passionne pour les meurtriers et oublie les victimes. Pas
Ghislaine RIBEYRE
nous. Nous sommes la voix des morts. » n

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