Introduction générale par Soraya Amrani-Mekki

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Introduction générale par Soraya Amrani-Mekki
INTRODUCTION GÉNÉRALE
PAR
Soraya AMRANI MEKKI
PROFESSEUR
À L’UNIVERSITÉ
MEMBRE DU
CENTRE
PARIS OUEST – NANTERRE LA DÉFENSE
DE DROIT PÉNAL ET DE CRIMINOLOGIE,
RESPONSABLE DE L’AXE
JUSTICE
ET PROCÈS
(EA 8932)
1. Unité dans la diversité. Introduire un colloque est une tâche
délicate qui consiste à faire entrer dans le sujet, à préparer à la
connaissance d’une chose (1). Or, c’est aujourd’hui la totalité du
colloque qui est censée introduire à une recherche plus poussée
de ce qui unit les procédures civile et pénale et peut leur apporter
dans leur diversité (2). L’intitulé même du colloque portant initialement sur « unité ou diversité » a été rebaptisé « unité et/ou
diversité » car, en vérité, ce que les unit alimente la compréhension
de ce qui les sépare, tant au regard des notions sollicitées que des
pratiques mises en œuvre.
2. Union, fusion et confusion des procédures. L’union des procédures est congénitale puisque leur distinction, suivant celles des
responsabilités n’a été que tardive. Le Wehrgeld venu des lois barbares correspondait, on le sait, tant à une peine qu’à une indemnisation (3). S’il est inutile de revenir sur une évolution historique
des procédures liée à celle des responsabilités, il est en revanche
intéressant de souligner qu’aujourd’hui une véritable confusion des
responsabilités civile et pénale brouille à nouveau la distinction,
(1) Définition du Petit Robert de la langue française.
(2) J.-P. BROUILLAUD, « Les nullités de procédure : des procédures pénales et civiles comparées », D., 1996, 98, spéc. no 2 : « Le fait que le droit pénal mette en jeu la liberté physique
ne doit pas conduire à rendre en ce domaine la procédure plus exigeante. En effet, quelle
que soit la nature du domaine juridique en cause, “une bonne procédure est un gage de paix
sociale”, une garantie que le procès se déroule dans le respect des droits de chacun, et une
telle exigence s’impose à toute justice ».
(3) Sur l’évolution historique, G. VINEY, Introduction à la responsabilité civile, 3e éd.,
L.G.D.J., 2008, spéc. nos 68 et s., pp. 162 et s., spéc. p. 163 : « sur le terrain de la procédure,
on constate que, jusqu’à la fin de notre ancien droit, l’autonomie de l’action civile par rapport
à l’action pénale est restée très imparfaite et relative ».
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qu’il s’agisse de la sanction pénale de remise en état, de la subordination de la réhabilitation judiciaire à l’indemnisation de la victime, ou encore de la dispense de peine en cas de réparation (art.
132-59, C. pén.). Surtout, l’existence de responsabilités qualifiées
de « mixtes » ou « hybrides » (4) rejaillit sur les procédures suivies.
Ainsi du droit de la concurrence, qui utilise la répression pour réguler les comportements et qui utilisera demain la procédure d’action
de groupe pour mieux sanctionner les comportements déviants.
On a parlé à cet égard de responsabilité « quasi répressive » (5).
Cette confusion des responsabilités amène ainsi à s’interroger sur
la procédure applicable, ce dont l’arrêt d’Assemblée plénière du
7 janvier 2011 témoigne parfaitement (6). Rappelons-nous que le
débat a principalement porté sur la qualification de la procédure
suivie devant l’Autorité de la concurrence, civile ou pénale, l’une
et l’autre amenant à des solutions différentes au regard du respect
de la loyauté probatoire. Plusieurs commentaires se sont alors clos
sur la nécessité en la matière d’aboutir à une solution commune
aux procédures et qui devrait faire partie du fonds commun processuel « d’essence minimale commune » (7).
3. Analyse de Droit processuel. L’étude de ce qu’on dénomme
droit comparé interne des procédures montre ici tout son intérêt
mais elle n’est certes pas nouvelle. H. Motulsky avait dès 1965
suggéré au législateur de créer le cours qu’il qualifia de droit processuel (8) pour approfondir et comparer ou approfondir en comparant les grands systèmes de procédure (9). Consacrant une véritable science du procès apparue en Italie (10) et introduite en
(4) G. VINEY, op. cit., spéc. no 74-6, p. 176.
(5) L. IDOT, « La responsabilité professionnelle quasi répressive, l’exemple du droit de la
concurrence », Rapport au colloque de Rouen des 26-27 janvier 2001 sur « la responsabilité
professionnelle », LPA, 11 juillet 2001, p. 34.
(6) Cass. AP, 7 janv. 2011, no 09-14.316, BICC, 1er fév. 2011 ; D., 2011, 562, note FOURMENT
et 618, obs. VIGNEAU ; Rev. huissiers, 2011, 97, obs. FRICERO ; RTDciv., 2011, 127, obs. FAGES
et 383, obs. THÉRY.
(7) E. JEULAND, Droit processuel, 2e éd., Montchrestien, 2012.
(8) J. FOYER, « Préface au Droit processuel », cours de H. MOTULSKY dacty. 1973 : « lorsque
le programme de certificat d’aptitude à la profession d’avocat fut remis sur le chantier en
1965, le professeur H. Motulsky proposa au garde des Sceaux, alors en fonction, d’y inclure,
sous le nom de droit processuel une synthèse des grands types de procédures suivies en
France devant nos trois ordres de juridiction. Le projet fut accueilli d’enthousiasme ».
(9) H. MOTULSKY, Droit processuel, introduction, p. 2. Arrêté du 28 mars 1966, pris en
application d’un décret no 66-144 du 11 mars 1966, instituant un certificat d’études judiciaires
dans les facultés de droit, J.O.R.F., 16 mars, p. 2180, spéc. art. 4.
(10) Sur lequel voy. H. VIZIOZ, in Études de procédure, Éditions Brière, 1956,
pp. 169-178, qui est un recueil posthume de ses principaux écrits, réimpr. Dalloz, 2011,
préf. S. GUINCHARD.
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France par H. Vizioz (11), la matière a permis de faire passer la
procédure de « fille de Thémis à la mauvaise réputation » à « fils
de Janus à la hauteur de notre devise républicaine et de la protection de nos droits fondamentaux » (12) ainsi que l’écrivirent Jean
Vincent et le recteur S. Guinchard. Henri Motulsky s’y était alors
employé dans un cours de droit processuel dispensé à Nanterre et
dactylographié de manière posthume, comparant les procédures
civile, pénale et administrative, même si on peut regretter une
introduction brévissime de l’ouvrage (une trentaine de lignes).
Or, depuis cet ouvrage fondateur et fondamental, hormis un
ouvrage de R. Martin intitulé « théorie générale du procès » en
1984 (13) et celui de P. Labbée de 1995 sur une « introduction au
droit processuel » qui ont eu malheureusement peu d’échos, il a
fallu attendre trente ans avant que la doctrine processualiste s’y
attèle véritablement. Et on remarquera au passage que ce sont
des processualistes civilistes qui sont aujourd’hui les auteurs des
ouvrages de droit commun du procès, de droit processuel ou de
théorie générale du procès, qui diffèrent d’ailleurs dans leurs approches de la matière. Cette dernière est au final assez jeune et
mal délimitée. Le terme de droit processuel est parfois utilisé dans
des sens très divers. Ainsi en est-il lorsqu’une branche du droit
substantiel modèle des règles procédurales qui lui sont propres, on
parle alors de droit processuel de la responsabilité, de la consommation, etc., ce qui n’est évidemment pas le sens retenu ici. La lecture des introductions des différents ouvrages permet de clarifier
les différentes approches qui ne seront pas exactement celles de
la journée d’étude qui se réduit d’ailleurs, nécessité fait loi, à une
comparaison des seules procédures civile et pénale.
4. Délimitation du sujet : Ce qui ne sera pas. Il est donc nécessaire de préciser l’ambition ou plutôt l’intention qui a présidé
à l’organisation de cette journée d’étude. L’ampleur du sujet a
nécessité de faire des choix, ce qui suppose de préciser ce que ne
sera pas cette journée avant d’imaginer ce qu’elle pourrait être.
Seront exclues ainsi trois approches du droit comparé interne des
procédures civile et pénale, non qu’elles soient dénuées d’intérêt
(11)
(12)
no 2.
(13)
niques,
Reproduit in H. VIZIOZ, Études de procédure, op. cit., pp. 3-52.
J. VINCENT et S. GUINCHARD, Procédure civile, 25e éd., précis Dalloz, 1999, spéc.
R. MARTIN, Théorie générale du procès (Droit processuel), Éditions juridiques et tech1984.
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mais parce qu’elles ont fait l’objet de travaux conséquents et qu’il
s’agit aujourd’hui d’ouvrir de nouveaux champs de recherche.
Ceci dit, elles ne sont pas exclues pour autant car elles contribuent grandement à l’analyse de cet autre objet de recherche.
5. Les modèles accusatoire et inquisitoire. Il s’agit, premièrement,
de l’approche de la comparaison au travers des modèles de procédure
accusatoire et inquisitoire (14) auxquels plusieurs participants au
colloque d’aujourd’hui ont contribué. Après une analyse des convergences des modèles procéduraux qui se rapprochent d’une procédure
mixte, équilibrée et contradictoire, l’accent est mis sur les divergences
irréductibles et les dangers à vouloir gommer des spécificités (15).
Les catégories sont pourtant contestées. Ainsi que le soulignaient G.
Cornu et J. Foyer, « sur le faux dilemme accusatorial – inquisitorial
pèse la malédiction des mots. Accusatoire est aussi peu expressif que
possible, et inquisitorial l’est trop, et c’est vraiment trop facile de fabriquer de l’odieux avec un mot : qui voudrait être fasciste, raciste,
inquisitorial ? » (16). Malgré tout, et bien que les catégories accusatoire et inquisitoire n’existent jamais à l’état pur, elles ont la vertu
pédagogique de mettre en lumière des évolutions (17). Ce travail de
(14) C. AMBROISE-CASTEROT, Vo. « Procédure accusatoire/procédure inquisitoire », in Dictionnaire de la justice, L. CADIET (dir.), P.U.F., 2004 : « Cette construction classificatrice résulte d’une opération de réduction schématique de l’ensemble des procédures effectivement
pratiquées depuis les temps les plus reculés…cette distinction semble, en quelque sorte, faire
partie de l’inconscient collectif juridique ».
(15) Voy. not. S. AMRANI MEKKI, « La convergencia entre proceso civil y pénal », in Los procesos civil y penal en Francia e Italia “convergencia o divergencia ?”, Université de Girona, Marcial Pons, 2013, pp. 55 et s. ; P. BONFILS et A. BERGEAUD, « Procédure civile et procédure pénale »,
in Le droit pénal et les autres branches du droit, regards croisés, XXe congrès de l’association
française de droit pénal, Cujas, coll. Actes et études, pp. 159 et s. ; B. BOULOC, « Procédure
civile et procédure pénale », rapport au colloque sur le XXXe anniversaire du NCPC, J. FOYER
et C. PUIGELIER (dir.), Economica 2006, pp. 369 et s. ; F. BUSSY, « L’attraction exercée par les
principes directeurs du procès civil sur la matière pénale », RSC, 2007, pp. 39 et s. ; X. PIN,
« La privatisation du procès pénal », RSC, 2002, pp. 245 et s. ; E. VERGÈS, « Procès civil, procès
pénal : différents et pourtant si semblables », D., 2007, pp. 1441 et s. ; A. VITU, « Les rapports
de la procédure pénale et de la procédure civile », in Mélanges Voirin, L.G.D.J., 1967, p. 812.
(16) G. CORNU et J. FOYER, Préface aux Écrits de procédure civile de H. Motulsky, Dalloz,
1999 ; Voy. aussi, L. PRIMOT, « Le concept d’inquisitoire en procédure pénale. Représentations,
fondements et définition », préf. J.-H ROBERT, L.G.D.J., 2010, spéc. no 814, p. 467 : inquisitoire et
accusatoire, « bien qu’ils constituent aujourd’hui les deux concepts principaux de classification
des contentieux, ne présentent pas les qualités requises : leurs fondements sont à tout point
de vue flous et leur maniabilité peu satisfaisante. Ils traduisent l’incapacité dont fait preuve
la doctrine à proposer une réflexion cohérente en la matière ; une doctrine qui apparaît comme
prisonnière de représentations de l’inquisitoire et de l’accusatoire, enfermées dans un imaginaire fantasmatique totalement coupé des connaissances historiques relatives à la matière,
et comme perdue dans des incertitudes épistémologiques qui l’empêchent de penser dans son
ensemble les questions de conceptualisation des contentieux ainsi que la réforme de la justice ».
(17) S. AMRANI MEKKI, « Les catégories de Common Law et de Civil Law à l’épreuve de
l’office du juge et des parties », in Mélanges S. Guinchard, Dalloz, pp. 157 et s.
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comparaison interne des procédures est somme toute assez classique
et a déjà été réalisé. Il a surtout pour intérêt aujourd’hui de souligner
le commun car « aucune procédure ne peut être la chose des seules
parties ou la chose du seul juge ; tout procès est par principe la chose
des parties et la chose du juge » (18). L’intérêt général est toujours
présent dans le procès civil car il s’agit de respecter la loi et d’assurer
la paix sociale. Comme le disait Ihering, en protégeant son droit, le
justiciable protège le droit. « Pour les parties, le procès est un instrument de satisfaction des droits privés. Pour l’État, c’est une forme de
réalisation du droit » (19).
6. Le socle commun processuel. La seconde approche consiste
précisément à s’intéresser au commun, ce qui a été fait au travers de
la notion de « socle commun processuel », constitué des garanties du
procès équitable notamment. L’ouvrage de droit commun du procès
traite d’ailleurs de ce fonds commun processuel (20), de sorte que le
droit processuel ne serait plus « le droit des procéduriers qui réfléchissent sur leur discipline en comparant les divers contentieux dans leur
pure technique procédurale, mais le droit de ceux qui s’intéressent
aux sources communes d’inspiration de tous les contentieux, à leurs
fondements, aux principes de droit naturel qui s’imposent dans la
conduite de tous les procès » (21). Les enjeux sont primordiaux ainsi
que le révèle l’étude de la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l’homme et les avancées procédurales auxquelles elle a donné
lieu, qu’il s’agisse de la nécessité pour le juge répressif de respecter le
principe du contradictoire en cas de requalification de l’infraction (22)
ou de la nécessité d’accorder un délai identique au Ministère public
et aux autres parties pour intenter un recours (23). De même, c’est
encore suite à l’intervention de la Cour européenne que le Code de
(18) L. CADIET, J. NORMAND et S. AMRANI MEKKI, Théorie générale du procès, 2e éd., P.U.F.,
coll. « Thémis », 2013, spéc. no 100.
(19) E. COUTURE, « Le procès comme institution », RID comp., 1950, pp. 276 et s.
(20) L’ouvrage reprend les bases de la réflexion de S. Guinchard initiée par des articles
antérieurs. S. GUINCHARD, « Vers une démocratie procédurale », Justices, 1999, pp. 91 et s. ;
« Les métamorphoses de la procédure à l’aube du IIIe millénaire », in Clefs pour le siècle,
Dalloz, 2000 ; A. VITU, op. cit., spéc. p. 813.
(21) S. GUINCHARD et al., Droit processuel/Droits fondamentaux du procés, 1re éd., Dalloz, 2001.
(22) Crim., 16 mai 2001, D., 2002, p. 31 ; LAPEROU-SCHENEIDER, Dr. pén, 2001 comm. 109 ;
RSC, 2001, p. 821, RENUCCI : « s’il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont
ils sont saisis leur véritable qualification, c’est à la condition que le prévenu ait été mis en
mesure de présenter sa défense sur la nouvelle qualification envisagée ».
(23) Crim., 6 mai 1997, D., 1998, p. 223, note CERF ; RSC, 1997, p. 858, DINTILHAC. Dans
cet arrêt, la Cour de cassation a déclaré contraire au principe d’égalité des armes l’art. 546,
al. 2 C. proc. pén. qui accordait au procureur général un droit d’appel dont les parties privées
ne disposaient pas en matière contraventionnelle.
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procédure pénale a fini par admettre l’intervention des parties à l’audience pénale pour poser des questions, laissant certains imaginer
que la cross examination existerait en droit français, ce qui reste très
contestable (24). Là encore, les travaux sont importants, conséquents
et, s’ils alimentent nécessairement les travaux d’aujourd’hui, ils n’en
constituent pas l’objectif. Le recteur Serge Guinchard, qui est l’un des
rares spécialistes des deux procédures et qui a développé cette notion
dans son ouvrage de droit commun du procès nous fait l’honneur d’introduire et de présider la session matinale.
7. L’articulation des procédures. Enfin, une approche plus
technique aurait consisté à traiter des articulations des procédures
civile et pénale qu’implique l’existence d’une action civile exercée
au pénal et les règles d’autorité de chose jugée au pénal sur le civil
et de sursis à statuer. Elle a d’ailleurs fait l’objet du dernier article
de fond en date sur le thème de la comparaison des procédures
civile et pénale (25). Ces dispositions exposées, critiquées, ont pu
faire l’objet de propositions intéressantes, allant jusqu’à envisager
une autorité du civil sur le pénal par souci de réciprocité (26), ou
l’interdiction de l’exercice de l’action civile devant les juridictions
répressives, sans toutefois remettre en cause la participation de
la victime au procès pénal (27). Qui trop embrasse mal étreint,
et il a malgré tout fallu faire des choix qui n’ont pas permis de
s’intéresser à ces articulations qui pourront cependant alimenter
des réflexions.
(24) Art. 312 et 332 en matière criminelle, art. 442-1 et 454, C. proc. pén., en matière délictuelle, issus de la loi du 15 juin 2000. Voy. en ce sens, CEDH, 24 nov. 1986, Unterpertinger
c. Autriche, Revue 1987, p. 492, obs. PETTITI ; CEDH, 19 déc. 1990, Delta c. France, RTDH,
1992, p. 51 ; CEDH, 22 juin 2006, X. c. France, BICC, 15 juill. 2006, no 644.
(25) P. BONFILS et A. BERGEAUD, « Procédure civile et procédure pénale », in Le droit pénal
et les autres branches du droit, regards croisés, XXe congrès de l’association française de droit
pénal, Cujas, coll. Actes et études, pp. 159 et s.
(26) A. BOTTON, Contribution à l’étude de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil,
L.G.D.J., 2010, spéc. no 526, p. 290 : « L’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, conçue
comme un outil de cohérence décisionnelle et de célérité procédurale, mérite d’être conservée.
Cela étant, il fallut envisager l’incidence d’une telle conception, la bilatéralité des rapports
d’autorité entre le pénal et le civil. Abandonner l’approche hiérarchique de ces rapports implique, effectivement, d’envisager leur réciprocité ».
(27) En ce sens, P. BONFILS, L’action civile, essai sur la nature juridique d’une institution,
P.U.A.M., 2000, spéc. no 468, p. 521 : « De nature civile, l’action civile devrait être conférée
exclusivement aux juridictions civiles […] La compétence des juridictions répressives sur
l’action civile est source de grandes complications que l’avantage d’une économie de moyens et
de temps pour la victime ne compense pas. Elle favorise les divergences de solutions à propos
de questions juridiques identiques et, de façon plus latente, si elle a pour objet d’assurer une
indemnisation plus rapide des victimes, elle ne peut y parvenir qu’au détriment de la justice
pénale, qui se trouve considérablement alourdie et ralentie ».
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8. Ce qui pourrait être : ambition du sujet. L’objectif de la présente journée est un travail de droit processuel au sens utilisé par
H. Motulsky ou de « droit commun procédural » (28) déjà évoqué par
A. Vitu en 1967 et qui consiste à approfondir en comparant. L’intention première concerne les notions de procédures. Il s’agit de rechercher ce qui en constitue les « matrices élémentaires » (29). Il n’est
pas alors question de vouloir gommer les différences, réelles entre les
procédures mais, ainsi que le soulignait déjà H. Vizioz, de rechercher
« les traits essentiels à tout procès : une notion exacte de l’action, de
la juridiction, de l’instance, doit convenir à toute espèce d’action, de
juridiction, d’instance. Et bien d’autres problèmes de fond ne peuvent être utilement abordés et convenablement résolus qu’en tenant
compte des diverses catégories de procès » (30). Cette recherche de
notions communes permet en outre d’affirmer un peu plus l’autonomie du processuel par rapport au substantiel (31). C’est d’ailleurs là
peut-être ce qui explique que la recherche ait parfois été moins approfondie en procédure pénale, où le lien avec la substance est plus
étroitement conservé et parfois revendiqué. L’avant-projet de réforme
du Code procédure pénale définissait ainsi la procédure pénale par le
droit pénal. L’article L. 111-1 du projet précisait en effet que « la procédure pénale a pour finalité d’assurer la répression des infractions
à la loi pénale. Elle tend à la réparation du préjudice causé à leurs
victimes. Elle participe à la prévention des infractions. Elle contribue
à la prévention de la récidive ». L’enseignement en la matière en témoigne puisque la procédure pénale n’est pas une spécialité à part,
mais traitée conjointement au droit substanciel par les pénalistes. La
réunion de la substance et du procès dans l’épreuve de spécialité du
concours d’agrégation en témoigne, alors que la procédure civile est
une spécialité à part entière. L’intervention de T. Armenta Deu sera
à ce titre intéressante, car elle témoignera du modèle d’enseignement
espagnol des procédures, singulier en ce que les professeurs y sont
(28) Voy. not. A. VITU, op. cit., spéc. p. 813 : « La procédure civile a ainsi pris parfois, figure de
“droit commun procédural” et cette constatation, qu’on trouve affirmée dans certaines décisions
de jurisprudence, rappelle l’antique unité qui confondait l’une et l’autre activité judiciaire ».
(29) L. CADIET, J. NORMAND et S. AMRANI MEKKI, Théorie générale du procès, op. cit., spéc.
no 3.
(30) H. VIZIOZ, op. cit., pp. 14-15. Voy. aussi à propos de la notion commune de juridiction, O. GOHIN, nos 41 et s., pp. 47 et s., spéc. no 49, p. 51 : « il n’y a aucune raison pour que
l’identification de la juridiction administrative suive un schéma différent de celui suivi pour
l’identification de toute autre juridiction, notamment judiciaire ».
(31) W. BARANES, M.-A. FRISON ROCHE et J.-H. ROBERT, op. cit. : « subsiste une indépendance de nature qui permet la mise à jour de règles procédurales communes, alors même que
les matières substantielles restent distinctes. Ces différences peuvent même être utilisées
pour la construction du droit processuel qui les justifiera ou en révèlera les faiblesses ».
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titulaires d’une chaire de droit processuel et y enseignent les différentes procédures, détachant ici la procédure pénale de sa substance.
9. Méthode. Le choix a ainsi été fait de solliciter deux collègues,
l’un processualiste civiliste, l’autre pénaliste, pour travailler de
concert à une véritable étude croisée et non juxtaposée sur les notions de procédure, avec pour ambition non seulement de renseigner la notion mais encore d’apporter à ses applications pratiques
et différenciées dans chaque matière. Pour ce faire, les notions de
juridiction et d’action se sont de suite imposées comme fondamentales. L’hésitation a porté sur la notion d’instance, évidente dans
le triptyque habituel « théorie de la juridiction, de l’action et de
l’instance » mais qui se laisse moins facilement appréhender. Les
travaux sur la notion sont très rares. L’excellent développement
sur la théorie de l’instance dans l’ouvrage de droit commun du procès tel qu’élaboré par Mme M. Douchy a disparu au fil des éditions
et il a semblé plus raisonnable de s’attacher aux notions, plus aisément identifiables et constitutives de l’instance, à savoir la notion
de partie, d’objet et de cause, et qui permettront de mieux la renseigner. Sans vouloir traiter du sujet, quelques mots sont néanmoins
nécessaires sur les notions choisies, qui permettront de souligner
le courage doctrinal des intervenants de la matinée et de mettre en
exergue quelques enjeux très actuels de leur compréhension.
Soulignons au préalable que sur toutes ces notions, le flou règne
en maître, qu’il s’agisse de la terminologie utilisée ou de la conception construite au gré des besoins spécifiques de la matière, ce qui
explique la difficulté à les mettre en parallèle.
10. La notion de juridiction. La difficulté conceptuelle est réelle,
d’abord sur la notion de juridiction dont Francesco Carnelutti affirmait qu’il n’y a pas « pour la science procédurale de problème plus
grave que celui qui concerne la détermination de la fonction juridictionnelle » (32). La difficulté à cerner la notion est telle qu’il est
parfois fait référence au seul phénomène juridictionnel pour éluder
la question (33). La notion est avant tout « une construction doctrinale, un discours tenu sur le droit » (34) et il en résulte que selon les
(32) F. CARNELUTTI, « Lite e funzione processuale », Riv. dir. proc. civ., 1928, 1, p. 23.
(33) I. DÉLICOSTOPOULOS, « La fonction juridictionnelle revisitée », Rev. huiss., 2003, no 1,
pp. 10 et s.
(34) M.-C. RIVIER, Vo. Juridiction, in L. CADIET (dir.), Dictionnaire de la justice, P.U.F.,
2004 ; Voy. aussi I. BOUCOBZA, La fonction juridictionnelle, contribution à une analyse des
débats doctrinaux en France et en Italie, préf. M. TROPER, Dalloz, 2005.
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besoins des auteurs de doctrine, elle a été construite différemment,
ce qui justifie qu’on évoque tantôt la notion de juridiction, de tribunal, d’acte juridictionnel ou de fonction juridictionnelle, sans que
leurs rapports apparaissent clairement. Les constitutionnalistes ont
envisagé la notion pour situer la juridiction par rapport au pouvoir
exécutif et législatif. La juridiction est alors appréhendée comme
un pouvoir ou, du moins, comme une autorité. Quant à la doctrine
administrative, elle s’y est intéressé pour marquer l’autonomie de
la fonction juridictionnelle par rapport à la fonction administrative,
traditionnellement confondues (35). Quid des doctrines civiliste et
pénaliste qui nous intéressent aujourd’hui ?
La doctrine civiliste est restée longtemps très en retrait (36) et
s’est plus intéressé à la distinction des fonctions contentieuse et gracieuse, distinction dont l’intérêt est aujourd’hui ravivé avec le nouveau livre 5 du Code de procédure civile sur les modes de résolution
amiable des différends soumis à homologation du juge. L’enjeu y est
pourtant essentiel car si l’homologation est une fonction juridictionnelle, l’accord se mue alors en jugement. Quant aux pénalistes, il
ne semble pas qu’une théorie de la juridiction ait encore attiré leur
attention, si ce n’est pour qualifier le juge d’instruction ou exclure le
Parquet de cette qualification (37). Les récentes affaires Medvedyev
et Moulin contre France ont appelé de nombreux commentaires sur
le possible bouleversement des équilibres de la procédure pénale, la
politique pénale, l’indépendance du Ministère public face aux nécessités d’une politique criminelle commune, voire à propos d’une
refonte du Conseil supérieur de la magistrature, mais moins de la
part des processualistes pénalistes sur la notion d’autorité judiciaire
elle-même (38) qui est sans doute spécifique à la matière. La réflexion pourrait aussi alimenter la réflexion pénaliste sur les modes
(35) O. GOHIN, « Qu’est-ce qu’une juridiction par le juge français », in La fonction de juges,
Droits, no 9, 1989, pp. 93 et s.
(36) H. VIZIOZ, « Observations sur l’étude de la procédure, III – La doctrine française », in
Études de procédures, éd. Bière, 1956, pp. 38 et s.
(37) CEDH, 10 juill. 2008 et (GC) 29 mars 2010, Medvedyev c. France, JCP, 2010, 454,
note SUDRE ; D., 2010, 898, obs. LAVRIC, 1386, note RENUCCI et 1390, note HENNION-JACQUET ;
Gaz. Pal., 25-27 avr. 2010, 15, note MATSOPOULOU puis CEDH, 23 nov. 2010, Moulin c. France,
JCP, 2010, 1206, obs. SUDRE ; Procédures, 2011, no 30, obs. CHAVENT-LECLERE ; D., 2011, 277,
note RENUCCI et 338, note Pradel. Cette absence de qualification d’autorité judiciaire laisse
perplexe sur la capacité du Parquet à prendre des décisions privatives de liberté. Voy. cep.
Cons. const., 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC, § 26 (« Considérant que l’autorité judiciaire
comprend à la fois les magistrats du siège et du Parquet »).
(38) CEDH, 10 juill. 2008, Medvedyev c. France, req. 3394/03 ; parmi les très nombreux
commentaires, J.-F. RENUCCI, « Un séisme judiciaire : pour la Cour européenne des droits de
l’homme, les magistrats du parquet ne sont pas une autorité judiciaire », D., 2009, p. 600 ;
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alternatifs de résolution des litiges en matière pénale. « Le magistrat
du Parquet exerce désormais et en quelque sorte un préjugement
consistant dans le choix de la réponse pénale », car « l’acte de juger s’est partiellement déplacé » (39). Mme Delmas Marty considère
ainsi que le Parquet serait devenu « une quasi-juridiction de jugement du fait du jeu des alternatives aux poursuites » (40). Pourraiton s’inspirer de la distinction du gracieux et du contentieux en matière pénale ? Sur cette notion, le travail conjoint de nos collègues M.
P. Théry et X. Pin seront sans nul doute d’un grand apport.
11. La notion d’action. La notion d’action ne pose pas moins de
difficultés même si elle a été beaucoup traitée dans les deux matières. Qualifiée de « théorie malheureuse » (41) au civil, elle a été
qualifiée au pénal de « l’une des institutions les plus complexes de
la procédure pénale » (42), ce qui est un témoignage de confiance
et d’encouragement à l’adresse de mes collègues M. G. Wiederkehr
et M. E. Vergès qui ont en charge le sujet.
Définie au civil comme « le droit pour l’auteur d’une prétention à
obtenir du juge qu’il la dise bien ou mal fondée », selon la conception
de H. Motulsky reprise à l’article 30 du Code de procédure civile, sa
présentation diffère au pénal, qui se concentre sur la distinction de
l’action civile et de l’action publique que certains aimeraient voir plutôt qualifiée de pénale. Pourtant, derrière la diversité des modèles,
on peut se demander si ce n’est pas la même notion qui perdure.
Cela est certes évident pour l’action civile qui est un droit même s’il
est soumis à des exigences particulières de recevabilité (43). ReveJ -P. MARGUÉNAUD, « Tempête sur le parquet », RSC, 2009, p.176 ; CEDH, GC, 29 mars 2010,
Medvedyev c. France ; CEDH, 23 nov. 2010, Moulin c. France ; Cass. Crim, 15 déc. 2010,
no 7177.
(39) J.-L. NADAL, « La procédure pénale en quête de cohérence, Que reste-t-il du Code de
procédure pénale ? », Conférence inaugurale du cycle de conférences organisées par la Cour
de cassation sur le thème « La procédure pénale en quête de cohérence », discours prononcé
le 19 janvier 2006.
(40) M. DELMAS MARTY, « La phase préparatoire du procès, pourquoi et comment réformer ? », Académie des sciences morales et politiques, séance du 25 mai 2009.
(41) Voy. à propos de la théorie de l’action, M. BANDRAC, « L’action en justice, droit fondamental », in Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs, Mélanges. R. Perrot, Dalloz, 1996, pp. 1 et s.
(42) J. PRADEL, Procédure pénale, spéc. no 187, p. 209.
(43) L. CADIET, J. NORMAND et S. AMRANI MEKKI, op. cit., spéc. no 80 : « Autre différence
avec le droit judiciaire privé, mais l’action civile la partage avec bien d’autres contentieux (le
contentieux administratif et le contentieux des droits de l’homme, notamment), les conditions
de recevabilité de la constitution couvrent un plus large domaine (le formalisme de l’action, les conditions de capacité et de représentation). Et elles relèvent, pour la quasi-totalité
d’entre elles, de l’ordre public. L’accès au juge est donc plus sévèrement encadré. Ce qui est
tout à fait conforme au caractère exceptionnel de ce droit ».
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nir à la définition de la notion pourrait peut être ainsi renseigner
sur la nature unique ou duale de l’action civile (44). R. Vouin indiquait dès 1973 que « d’un procès à l’autre, l’objet de la demande
peut varier, comme les mobiles ou les effets de celle-ci, mais l’action
est unique et reste civile » (45). Ce n’est ainsi pas parce qu’elle est
exceptionnelle (46) ou traitée différemment par les juges répressifs
qu’elle n’en demeure pas moins une action. En revanche, l’action dite
vindicative qui ne formule pas de prétention mais vise uniquement
à déclencher et soutenir l’action est plus singulière (47). Il faut, pour
la recevoir dans la qualification d’action en justice considérer qu’elle
englobe toute forme de prétention y compris uniquement procédurale. Ces réflexions existent aussi au civil, que l’on songe à la saisine du juge sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure
civile pour obtenir des mesures d’instruction in futurum ou d’une
demande de récusation d’un juge ou d’un expert. En outre, l’action
publique peut encore correspondre à cette définition dès lors qu’on
admet les particularités tenant à la nature objective de la prétention. Qualifiée de contentieux objectif qui ne vise qu’à la répression
de l’infraction, il n’en demeure pas moins qu’une prétention est bien
émise par le Ministère public sur laquelle le juge devra statuer (48).
Simplement, la prétention ne lui est pas personnelle car il la revendique au bénéfice de la société. La question est alors d’importance
car elle est en lien avec la notion de partie.
12. La notion de partie. La notion de partie n’est pas moins délicate à appréhender et l’on peut regretter que le Code de procédure
civile qui prend soin d’offrir de nombreuses définitions reste taisant
(44) Pour une nature unique : R. VOUIN, « L’unique action civile », D., 1973, chr. 265 ; J. De
PULPIQUET, « Le droit de mettre en mouvement l’action publique : conséquences de l’action
civile ou droit autonomie », RSC, 1975, pp. 37 et s. Pour un double visage : F. BOULAN, « Le
double visage de l’action civile exercée devant la juridiction répressive », JCP, 1973, I, 2563 ;
C. ROCA, « De la dissociation de la réparation et de la répression dans l’action civile exercée
devant la juridiction répressive », D., 1991, Chr. XVII, p. 85.
(45) R. VOUIN, op. cit.
(46) Cass., AP, 12 janv. 1979, JCP, 1980 II, 19335, rapp. PONSARD, obs. M.-E. CARTIER,
RTDciv., 1979, p. 171, obs. DURRY.
(47) C. ROCA, op. cit., spéc. p. 86 qui, traitant de l’action civile à finalité essentiellement répressive, considère qu’en bouleversant le rôle des acteurs au procès pénal, le jeu de l’autorité
de la chose jugée au pénal sur le civil ou d’identité des faits pénaux et civils peut être menacé.
(48) H. MOTULSKY, Droit processuel, dacty. par M. CAPEL, Montchrestien, 1973 : « il est
objectif dans la mesure où l’action publique est en cause ; car celle-ci, même si l’infraction
touche aussi des intérêts privés, ne vise qu’à la répression : et la répression constitue un
impératif édicté au bénéfice du seul ordre juridique, de l’intérêt général. L’action civile, en
revanche, est un contentieux subjectif, bien que porté devant la juridiction répressive et bien
que l’action publique ait sur elle des influences à plusieurs égards… ».
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en la matière. Les enjeux à la connaissance de la notion sont légions
alors que les critères dégagés en doctrine de formulation d’une prétention et de participation à l’instance restent largement insuffisants.
Au civil, la difficulté est palpable dès lors qu’il est question d’une
pluralité de parties (49). Pour élargir l’autorité de la chose jugée, il est
parfois fait recours à la notion branlante de communauté d’intérêt et
de représentation mutuelle. Lorsqu’il est question d’action de groupe,
la question de savoir si le porteur de l’action est ou non partie pose
difficulté, avec des enjeux concrets que sont la délimitation de l’autorité de chose jugée ou la litispendance. Admettre leur étendue revient
ainsi à adopter une notion souple de partie dans la mesure où elle est
étendue à toute autre association qui aurait pu agir.
Au pénal, la difficulté est également réelle et tient à la qualification du Ministère public, autre autorité judiciaire et partie. L’avantprojet de réforme du Code de procédure pénale amenait d’ailleurs à
une reconnaissance de sa qualité de partie même si le déséquilibre
patent entre protagonistes du procès n’était alors pas compensé. Il
nous semble qu’il est une partie qualifiée de « partie nécessaire » (50),
qui émet une prétention qui ne lui est pas personnelle et participe au
lien d’instance. H. Motulsky se demandait ainsi si « la personne qui
déclenche l’impératif de la règle de droit, donc le demandeur, est une
véritable partie au sens procédural du terme » (Hauriou l’a contesté
tant pour le Ministère public que pour le requérant en matière d’excès
de pouvoir). De cette qualification découle la nécessité d’assurer une
égalité des armes que la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l’homme a parfaitement perçue. La confrontation des procédures pourrait peut-être amener à préciser les critères de la notion de
partie, ce que M. J. Théron et M. F. Fourment développeront.
13. Les notions d’objet et de cause malheureusement ne sont pas
plus éclairantes. D’abord, parce que le Code de procédure civile a
même renoncé à utiliser le vocable de cause pour éviter des difficultés qui se posent néanmoins du fait, notamment, de la persistance du
vocable dans le Code civil. Ensuite, parce que les notions d’objet et
de cause sont absentes de la procédure pénale. Le vocabulaire a été
développé ici de « façon quasi insulaire par les diverses branches de
la procédure » (51). La comparaison des procédures laisse à penser
(49) S. AMRANI MEKKI, « Les notions de pluralité de partie », Troisièmes rencontres de
procédure civile, L. CADIET et D. LORIFERNE (dir.), IRJS, 2014, à paraître.
(50) L. CADIET, J. NORMAND et S. AMRANI MEKKI, op. cit., spéc. no 209.
(51) W. BARANES, M.-A. FRISON ROCHE et J.-H. ROBERT, op. cit.
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ici que « la matière pénale prend les allures de contentieux objectif où l’objet se confond avec la cause. » Au-delà du vocabulaire et
des notions mobilisées, c’est bien l’équilibre de l’office du juge et des
parties qui est ici en cause. « Si la distinction entre l’office du juge
et des parties est didactique, elle peut apparaître artificielle en matière pénale » (52). Alors que les parties déterminent l’objet du litige,
ce qu’elles demandent, et sa cause, pourquoi elles le demandent, le
Ministère public réclame la constatation d’une infraction et une sanction. Aussi, le défendeur ne participe pas à la détermination de l’objet.
Les demandes reconventionnelles n’existent évidemment pas. Le juge
est saisi in rem et in personam, le litige ne peut évoluer que sur réquisitoire supplétif, ce qui pourrait correspondre au principe dispositif si on veut bien admettre que le Ministère public est une partie.
Cependant, le juge a toute liberté sur la détermination de la sanction.
« Il convient donc de distinguer, d’une part, la reconnaissance d’une
infraction pour laquelle le juge est en principe lié et, d’autre part, la
détermination de la sanction applicable qui lui laisse plus de libertés. Il n’est pas anodin que la décision pénale se distingue en deux
temps. La sanction pénale appartient à la société et non aux parties,
pas même au Ministère public » (53). Les notions d’objet et de cause
peuvent permettre de mieux comprendre l’office du juge en matière
pénale en même temps qu’elles peuvent mieux renseigner sur la délimitation de l’autorité de la chose jugée au civil. Sur ces notions, M. Y.
Strickler et Mme C. Ginestet nous font le plaisir d’intervenir.
Les notions sollicitées sont ainsi difficiles de compréhension, souvent parce qu’elles ont été étudiées au gré des besoins propres à
chaque procédure. Leur analyse comparée pourrait permettre de
mieux les renseigner et d’apporter en retour quelques clés de compréhension à des problèmes très actuels spécifiques à chaque contentieux. C’est en tout cas l’ambition affichée de cette matinée d’étude.
Mais ce n’est pas tout car « le droit processuel peut aboutir à deux
résultats, l’un de nature scientifique, l’autre de nature pragmatique,
entretenant entre eux des rapports de progrès dialectiques » (54).
Les pratiques processuelles méritent alors attention.
14. Les pratiques processuelles. Pour comprendre leur intérêt, il
est possible de partir d’une étude faite dès 1988 par un magistrat
concernant l’informatique juridique, qui soulignait qu’il s’agissait d’un
(52) L. CADIET, J. NORMAND et S. AMRANI MEKKI, op. cit., spéc. no 219, p. 761.
(53) Ibid., spéc. no 219, p. 762.
(54) W. BARANES, M.-A. FRISON ROCHE et J.-H. ROBERT, op. cit.
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enjeu de droit processuel (55). En effet, quelle que soit la procédure
en cause, les nouvelles technologies mais aussi les contraintes administratives, budgétaires, la nécessité de passer des contrats d’objectifs
sont autant de contraintes qui modèlent les procédures. Identiques
au fond même si elles prennent des formes variées, elles influencent
la procédure de manière insidieuse. Loin d’être des outils neutres procéduralement parlant, les NT IC par exemple, façonnent la manière
de juger, font évoluer la notion même de mise en état et bousculent
au pénal les droits de la défense. Toute étude de droit processuel ne
peut se faire sans s’attarder sur l’administration de la justice, ce que
Mme N. Fricero et Mme C. Viennot s’emploieront à faire.
15. Les représentations processuelles. La question se pose enfin de
savoir si les acteurs du procès se représentent les procédures de manière identique, non qu’elles leur imposent les mêmes formalités mais
peut-être la même démarche processuelle. Les magistrats et avocats
ont naturellement vocation à pratiquer les deux types de procédure.
La question se pose de savoir s’ils se les représentent de manière
identique. La doctrine qualifiée de « séparatiste », qui distingue nettement procédures civile et pénale, considère ainsi que le juge civil
est « un logicien » qui dit et applique le droit alors que le juge pénal
est un « clinicien » qui doit scruter la psychologie des parties pour
prendre les mesures adéquates (56). Vitu s’interrogeait même sur la
possibilité de scinder les professions : « Le principe d’unité ne peut
permettre d’ignorer les différences considérables existant dans la
structure des juridictions civiles et des juridictions pénales, aussi bien
que dans l’attitude des magistrats statuant au civil et au pénal. Ces
différences sont tellement frappantes qu’elles ont souvent conduit à
se demander s’il ne conviendrait pas d’abandonner le principe d’unité
et de consacrer une spécialisation complète du juge pénal » (57). Audelà, c’est évidemment la question de la scission entre juges du siège
et du Parquet qui se pose aussi. D’où l’intérêt d’un travail sur les
représentations et pratiques des procédures fait par deux sociologues,
M. B. Bastard et Mme L. Dumoulin de l’Institut des sciences sociales
du politique. On peut en effet se demander si les acteurs du procès se
représentent pareillement les différentes procédures. Cette question
(55) P. ESTOUP, « Informatique, droit processuel et professions judiciaires », JCP, 1988, I,
3368 : « telle un cheval de Troie, là où elle s’est insinuée, l’informatique provoque des modifications tangibles dans les méthodes de travail, les comportements et les structures. Elle réagit sur
les pratiques et le milieu, et menace d’altérer notablement tant le contenu et la mise en œuvre du
droit processuel que l’exercice de certaines professions judiciaires ou leur organisation ».
(56) A. VITU, op. cit., spéc. p. 816.
(57) Ibid., spéc. p. 815.
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rebondit sur la formation des acteurs du procès. Questionnant le directeur de l’École nationale de la magistrature, il m’avouait ne pas se
poser la question tant la formation professionnelle est tournée autour
des savoir-faire et savoir-être, délaissant les procédures stricto sensu
abandonnée aux bons soins de l’université (58).
16. Synthèse. On a ainsi parfois le sentiment que l’étude de droit
comparé interne des procédures est prise en étau entre d’une part,
un socle commun processuel attractif et d’autre part une administration de la justice difficile à appréhender. Il appartiendra à M.
L. Cadiet de tenter de synthétiser ces pistes allant en tous sens,
qui ont principalement pour but d’inciter à la recherche scientifique
sur le droit comparé interne des procédures dans son sens originel.
Le temps est lointain où la procédure pénale était conçue comme
un droit dérogatoire au droit commun constitué de la procédure civile (59). S’il n’y avait rien de honteux à y puiser des règles parce
que l’objectif de bonne justice est le même (60), « il y a une autonomie totale de la procédure pénale, elle n’est plus dans l’ombre de la
procédure civile ou un rameau de celle-ci ». La procédure civile n’est
plus la « souche mère » (61). Certes, mais cette autonomie, cette
branche particulière ne remet pas en cause le fait qu’elles aient les
mêmes racines et des pratiques contraintes également communes.
(58) A. BOIGEOL, « Quel droit pour quel magistrat ? Évolution de la place du droit dans la
formation de magistrats français », 1958-2005, Dr. et sociétés, 2013, pp. 24 et s. Dès 1969, le
nouveau directeur de l’École avait transformé le fondement des unités pédagogiques de base,
en les orientant vers la pratique judiciaire. La formation est organisée en directions d’études,
que les nouveaux « maîtres de conférences » se sont efforcés de forger, organisées autour de
l’apprentissage des différentes fonctions judiciaires : siège, Parquet, juge d’instruction, juge
des enfants, etc. Il s’agit d’une formation essentiellement pratique où l’on y apprend la mise
en œuvre du droit et de la procédure. Les « grands principes du droit » ne sont évoqués que
s’ils sont nécessaires à la compréhension des cas pratiques, à partir de dossiers réels. L’objectif
est de faire acquérir « une méthode d’analyse et de synthèse », non de donner des « recettes ».
(59) R. MERLE et A VITU, Traité de droit criminel, t.2, Procédure pénale, 4e éd., Cujas, 1989,
spéc. no 7. ; H. LALOU. « Le Code de procédure civile et la procédure pénale », D., 1951, Chr.
33. ; B. BOULOC, op. cit. spéc. p. 370 ; A. VITU, op. cit., spéc. p. 512. Voy. par ex., Cass Crim,
25 mai 1971, JCP, 1971, IV, p. 173 qui applique le principe dispositif. Voy. cep. Cass. crim.,
5 nov. 1970, GP 1971, 2, somm. 5 qui s’y refuse : « Attendu que c’est à bon droit que la Cour
d’appel a ainsi écarté l’application de l’article 156 du Code procédure civile ».
(60) H. LALOU, « Le Code de procédure civile et la procédure pénale », D., 1951, Chr. 33,
spéc. pp. 36 et p. 33 : « l’intrusion du Code de procédure civile dans la procédure pénale peut
se trouver justifié par deux causes : la première est la présence de la partie civile à l’instance,
présence qui, dans le silence du Code d’instruction criminelle sur certains de ses droits et
obligations, pose la question de savoir s’il ne faudrait pas avoir recours au Code de procédure
civile pour les régir ; la seconde est que les juges pénaux sont les mêmes magistrats qui
siègent au civil et qu’il existe, en ce qui les concerne, dans le Code de procédure civile, des
dispositions qui font défaut dans le Code d’instruction criminelle ».
(61) W. BARANES, M.-A. FRISON ROCHE et J.-H. ROBERT, op. cit.
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