Son sac est posé tout près de sa tasse. Elle joue avec la

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Son sac est posé tout près de sa tasse. Elle joue avec la
Son sac est posé tout près de sa tasse. Elle joue avec la chaîne accrochée au fermoir. J’entends le
cliquetis des maillons qui passent vivement entre ses doigts. Elle la lâche, la laisse s’écraser contre le
marbre de la table.
Un geste de la main. Elle retient son souffle. Une jeune femme est entrée. Démarche souple et
ondulante. Ses talons l’annoncent bruyamment. Sa silhouette déliée contraste avec l’anxiété palpable
de son amie. Manteau d’astrakan gris, si clair que les reflets en sont presque blancs. Un col de
fourrure fauve. Sourire débordant. « Anaïs, ma chérie ! Vous m’attendez depuis longtemps ? J’en suis
désolée, il y avait un monde fou, mais me voilà ! »
Anaïs sourit, mais reste mutique, disparaissant presque sous l’exubérance de son amie. Le ruban bleu
qui souligne le col de sa robe de lainage clair est le seul élément d’elle encore en mouvement. L’air
venu de la porte entrouverte le soulève par à-coups.
« Comment allez-vous ma chérie ? Il faut que je vous raconte. Quelle soirée, mais quelle soirée ! Si
vous aviez vu ! Ce scandale ! Comme nous avons ri avec Hector de voir la salle se soulever en
entendant la musique, peut-on même appeler cela de la musique ? On s’entiche des russes, et on crée
une révolution au cœur même de Paris ! »
« Jeanne ? » « Mais oui ma chérie, cette soirée était folle ! Quel chahut ! Figurez-vous que j’y ai croisé
Gabrielle!»
« Jeanne ? » « Il faut que vous veniez nous voir quand nous retournerons à Menton ma chérie, ne
dites rien, c’est décidé. »
« Jeanne ? » « Bien sûr les amis d’Hector seront là, ils sont assommants, je vous comprends, mais nous
ferons des promenades toutes les trois, ce sera délicieux. »
« Jeanne, je ne viendrai pas à Menton. » L’ouragan de paroles qui envahissait la pièce depuis l’arrivée
de Jeanne se brise brusquement face au son tranquille et ferme de la voix d’Anaïs. Silence, pour un
temps. Jeanne reprend doucement :
«Etes-vous certaine ?
-
oui.
Vous nous quittez. »
Le regard d’Anaïs s’éclaire et tout son corps paraît revivre, se faisant écho à cette courte déclaration,
libéré. Sa peau, ses yeux, toute sa personne semble prendre des couleurs, devenir large, puissante,
tandis que l’ardeur de Jeanne s’éteint, se rembrunit, s’attriste. Jeanne se lève, d’un mouvement calme
et doux, si feutré que je crois percevoir des battements de cœurs malgré le bruissement des étoffes.
Un sourire, elle se penche, dépose un baiser sur la joue d’Anaïs. « Bonne chance ma chérie. Ne nous
oubliez pas. »

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