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77 Le statut du français au sein de la profession juridique en Ontario : Réflexions sur le droit d’exiger une audience devant des membres de panel d’audition qui s’expriment en français au Comité d’audition du Barreau du Haut-Canada PIERRE CHAMPAGNE*, DARIUS BOSSɆ ET MARK C POWER†† Dans le présent article, les auteurs engagent une réflexion sur les conséquences concrètes et pratiques des droits linguistiques des titulaires de permis devant le Comité d’audition du Barreau du HautCanada, un comité de discipline. Ils constatent certains écarts entre le statut du français et de l’anglais au sein de la profession juridique en Ontario. Les auteurs analysent d’abord le droit que possèdent les titulaires de permis de l’Ontario qui s’expriment en français d’exiger que leur audience devant le Comité d’audition du Barreau du Haut-Canada soit tenue devant des membres qui s’expriment aussi en français, sans l’aide d’un interprète ou de toute technique de traduction simultanée ou d’interprétation consécutive. Ils analysent aussi la jurisprudence interprétant ce droit pour ensuite mettre en exergue trois raisons pour lesquelles l’égalité réelle n’est pas atteinte en la matière. Finalement, ils concluent en proposant une série de réformes qui contribueraient à la progression vers l’égalité réelle entre les titulaires de permis qui s’expriment en français et qui s’expriment en anglais au sein de la profession juridique, voire aussi entre les communautés qu’ils desservent. Ces réformes portent sur la compétence linguistique des titulaires de permis, la décentralisation administrative et la gouvernance du Barreau du Haut-Canada. * † †† In this article, the authors reflect on the concrete and practical consequences of some of the language rights of licensees before the Law Society of Upper Canada’s Hearing Panel, a disciplinary panel. They note discrepancies between the status of the French and English languages within the legal profession in Ontario. The authors analyze the right of licensees to require that any hearing before the Law Society of Upper Canada’s Hearing Panel be heard by panelists who speak French without the assistance of an interpreter or any process of simultaneous translation or consecutive interpretation. They also analyze case law regarding this language right before proceeding to highlight three reasons why substantive equality has not been achieved in this area. Finally, they conclude by proposing a series of reforms that would contribute to the progression towards substantive equality between French- and English-speaking licensees in the legal profession. These reforms focus on the language skills of licensees, administrative decentralization, and the governance of the Law Society of Upper Canada. Avocat, associé et codirecteur du bureau d’Ottawa, Heenan Blaikie s.r.l. Stagiaire au bureau d’Ottawa, Heenan Blaikie s.r.l. pour l’année 2013-14, diplômé du Programme de common law en français de la Section de common law de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa et détenteur d’un Baccalauréat en sciences sociales (spécialisation en science politique) de l’Université de Moncton. Avocat et associé au bureau d’Ottawa, Heenan Blaikie s.r.l. et professeur à temps partiel au Programme de common law en français de la Section de common law de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. REVUE DE DROIT D’OTTAWA 78 44:1 OTTAWA LAW REVIEW 44:1 Table des matières 79 81 I. II. 83 87 91 94 III. 94 98 100 101 IV. INTRODUCTION LE DROIT DES TITULAIRES DE PERMIS D’ÊTRE ENTENDUS EN FRANÇAIS PAR LE COMITÉ D’AUDITION DU BARREAU DU HAUT-CANADA A. Le bilinguisme comme compétence nécessaire à la qualité de l’audience B. Le bilinguisme culturel et la légitimité des décisions du Comité d’audition C. Barrières systémiques et structurelles PROPOSITIONS POUR AMÉLIORER L’ÉGALITÉ RÉELLE ENTRE FRANCOPHONES ET ANGLOPHONES AU SEIN DE LA PROFESSION JURIDIQUE EN ONTARIO A. La compétence linguistique B. Décentralisation administrative C. Un pouvoir de gouvernance pour les membres francophones du Barreau CONCLUSION 79 Le statut du français au sein de la profession juridique en Ontario : Réflexions sur le droit d’exiger une audience devant des membres de panel d’audition qui s’expriment en français au Comité d’audition du Barreau du Haut-Canada1 PIERRE CHAMPAGNE, DARIUS BOSSÉ ET MARK C POWER I. INTRODUCTION L’union fédérale du Canada est le résultat d’un compromis politique entre le besoin des colonies de s’associer et la volonté de protéger le caractère distinct des minorités qui les constituaient2. La garantie de droits linguistiques pour les minorités est une composante essentielle du projet social canadien3. Toutefois, « le passé du Canada en matière de défense des droits des minorités n’est pas irréprochable »4. C’est seulement depuis environ le début des années 70 que l’on assiste à des avancées substantielles en matière de droits linguistiques au Canada5. Tout porte à croire 1 2 3 4 5 Une première version de cet article fut présentée dans le cadre du Colloque sur le statut du français dans la réglementation de la profession juridique, qui avait lieu à l’Université d’Ottawa le 25 mai 2012. Nous désirons remercier les organisateurs de ce colloque, soit les professeurs François Larocque et Mark C Power du Programme de common law en français, de la Section de common law, de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Nous désirons également remercier les conférenciers qui ont participé au colloque, de même que les membres de l’auditoire. Voir Réjean Pelletier, Le Québec et le fédéralisme canadien : Un regard critique, Québec, Presses de l’Université Laval, 2008 aux pp 9-21 ; Janet Ajzenstat et al, dir, Débats sur la fondation du Canada, Saint-Nicolas (Qc), Presses de l’Université Laval, 2004 [Ajzenstat et al] ; In re the Regulation and Control of Aeronautics in Canada (1931), [1932] AC 54 à la p 70, [1931] UKPC 92, tel que cité dans Renvoi : Compétence législative du Parlement du Canada relativement à la Chambre haute, [1980] 1 RCS 54 à la p 71, 102 DLR (3e) 1 ; Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217 au para 81, 161 DLR (4e) 385 [Renvoi relatif à la sécession, avec renvois aux RCS]. Voir Société des Acadiens du Nouveau-Brunswick Inc c Association of Parents for Fairness in Education, Grand Falls District 50 Branch, [1986] 1 RCS 549 à la p 564, 69 RNB (2e) 271 [Société des Acadiens avec renvois aux RCS] ; Ajzenstat et al, supra note 2 ; R c Caron, 2008 ABPC 232, 450 AR 204. Renvoi relatif à la sécession, supra note 2. Voir par ex Charte canadienne des droits et libertés, art 16-23, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte canadienne des droits et libertés] ; Loi sur les langues officielles, LN-B 2002, c O-0.5 ; Charte de la langue française, LRQ c C-11 [Charte de la langue française] ; Loi sur les services en français, LRO 1990 c F.32 [Loi sur les services en français] ; Jones c Nouveau-Brunswick (PG), [1975] 2 RCS 182, 45 DLR (3e) 583 ; Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 RCS 721, 35 Man R (2e) 83 ; Mahe c Alberta, [1990] 1 RCS 342, 68 DLR (4e) 69 [Mahé, avec renvois aux RCS] ; R c Beaulac, [1999] 1 RCS 768, 173 DLR (4e) 193 [Beaulac, avec renvois aux RCS] ; Doucet-Boudreau c Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 RCS 3. REVUE DE DROIT D’OTTAWA 80 44:1 OTTAWA LAW REVIEW 44:1 que, naturellement et nécessairement, la profession juridique se serait adaptée à la progression du statut du français. Au contraire, alors que les communautés francophones en situation minoritaire ont, en réalité, revendiqué et obtenu des droits linguistiques, la profession juridique, une profession autoréglementée par ses barreaux et responsable de la promotion de ces mêmes droits6, adoptait plutôt une attitude passive à l’égard de ces développements et face à la revendication des droits linguistiques par les juristes en situation minoritaire. Cette constatation donne lieu à de nouvelles réflexions sur le statut du français au sein de la profession juridique et au sujet des droits linguistiques que possèdent ou que devraient posséder les juristes de l’Ontario, du Québec et du Nouveau-Brunswick, ainsi que du sens que prennent ces droits dans la réalité de la pratique professionnelle7. Le présent article, dans son sens large, vise à engager une réflexion sur les conséquences concrètes et pratiques des droits linguistiques au sein de la profession juridique en Ontario. Existe-t-il une égalité réelle entre le statut du français et de l’anglais au sein de celle-ci ? Nous utiliserons comme cas d’étude le droit des titulaires de permis8 d’exiger une audience devant des membres du Comité d’audition du Barreau du Haut-Canada (ci-après, « Comité d’audition »)9 qui s’expriment10 en français11. La problématique de cet article porte sur la relation entre, d’une part, la composition du Comité d’audition et, d’autre part, l’efficacité, voire la justesse, de ses décisions. En d’autres termes, nous tenterons de comprendre comment la composition du Comité d’audition influence la qualité de ses décisions lorsqu’un 6 7 8 9 10 11 Beaulac, supra note 5 au para 24. Comme l’ont témoigné notamment les présentations lors du Colloque sur le statut du français dans la réglementation de la profession juridique, qui avait lieu à l’Université d’Ottawa le 25 mai 2012. Loi sur le Barreau, LRO 1990, c L.8, art 1(1) [Loi sur le Barreau] : S’entend […] : a) soit d’une personne pourvue d’un permis l’autorisant à pratiquer le droit en Ontario en qualité d’avocat ; b) soit d’une personne pourvue d’un permis l’autorisant à fournir des services juridiques en Ontario […]. La Loi sur le Barreau, ibid, règlemente la profession juridique en Ontario, notamment l’accès à celle-ci, la conduite des titulaires de permis, la délivrance des permis et leur révocation. Le rôle du Comité d’audition est de statuer sur les requêtes qui lui sont présentées en vertu de la Loi sur le Barreau. Il peut décider de toute question de fait ou de droit soulevée dans une instance introduite devant lui et rendre des ordonnances incluant des conditions qu’il estime appropriées. Une partie à une instance introduite devant le Comité d’audition peut interjeter appel de la décision ou de l’ordonnance définitive de celui-ci devant le Comité d’appel. Le Comité d’appel peut lui aussi décider de toute question de fait ou de droit qui est soulevée dans une instance introduite devant lui. Dans le présent article, bien que nous discutons du droit des titulaires de permis d’exiger une audience devant des membres du Comité d’audition qui s’expriment en français, ce droit s’applique aussi au Comité d’appel. Voir généralement Loi sur le Barreau, ibid, art 49.21-49.37. Bien que le verbe « parler » figure dans le libellé du paragraphe 49.24(1), nous utiliserons le verbe « s’exprimer ». Le fait de s’exprimer doit être compris comme impliquant la capacité à comprendre le locuteur dans sa langue sans l’aide d’un interprète ou de toute technique de traduction simultanée ou d’interprétation consécutive. Voir Société des Acadiens, supra note 3, juge Dickson ; (Ibid) juge Wilson ; R c Beaulac, supra note 5 au para 25. Voir toutefois R c Mercure, [1988] 1 RCS 234, 8 DLR (4e) 1 ; Société des Acadiens, supra note 3, juge Beetz. Loi sur le Barreau, supra note 8, art 49.24(1). Le statut du français au sein de la profession juridique en Ontario : Réflexions sur le droit d’exiger une audience 81 devant des membres de panel d’audition qui s’expriment en français au Comité d’audition du Barreau du Haut-Canada titulaire de permis exige une audience devant des membres qui s’expriment en français. Pour ce faire, nous allons d’abord analyser le droit que possèdent les titulaires de permis francophones12 de l’Ontario d’exiger que leur audience devant le Comité d’audition soit tenue devant des membres qui s’expriment en français, sans l’aide d’un interprète ou de toute technique de traduction simultanée ou d’interprétation consécutive, ainsi que la jurisprudence interprétant ce droit. Nous allons ensuite soulever trois raisons pour lesquelles l’égalité réelle n’est pas atteinte en la matière. Nous concluons cet article en proposant une série de réformes qui contribueraient à la progression vers l’égalité réelle entre les titulaires de permis francophones et anglophones. À cet égard, nous traiterons notamment de la compétence linguistique des titulaires de permis, de la décentralisation administrative et de la gouvernance du Barreau du Haut-Canada. II. LE DROIT DES TITULAIRES DE PERMIS D’ÊTRE ENTENDUS EN FRANÇAIS PAR LE COMITÉ D’AUDITION DU BARREAU DU HAUT-CANADA Le paragraphe 49.24(1) de la Loi sur le Barreau confère aux titulaires de permis en Ontario le droit « [d’]exiger que toute audience dans le cadre de l’instance ait lieu devant des membres qui parlent français »13. Dans Landry c Barreau du Haut-Canada14 [ci-après Landry nº 1], la requérante soutenait que ses droits linguistiques prévus au paragraphe 49.24(1) de la Loi sur le Barreau avaient été violés puisque le Barreau n’avait pas formé un panel du Comité d’appel15 dont les membres se seraient exprimés en français. Une requête demandant un arrêt permanent des procédures avait donc été présentée. Bien que les juges Reilly, Swinton et Morissette de la Cour divisionnaire de l’Ontario aient rejeté la requête, ils ont néanmoins accordé un sursis intérimaire de la suspension de la titulaire de permis. De plus, la Cour a conclu que « [l]e Barreau a une obligation positive en vertu du par. 49.24(1) de la Loi sur le Barreau, d’établir un panel francophone en temps opportun »16. Dans une affaire subséquente s’appelant aussi Landry c Barreau du Haut17 Canada [ci-après Landry nº 2], les juges Wilson, Swinton et Linhares de Sousa de la Cour divisionnaire de l’Ontario ont refusé de décrire la substance de cette obligation positive en raison du caractère prématuré de la question dont ils étaient saisis. La Cour a toutefois conclu que rendre les motifs d’une décision traduits 12 13 14 15 16 17 Par titulaire de permis francophone, nous entendons le titulaire de permis « qui emploie habituellement le français, au moins dans certaines circonstances de la communication, comme langue première ou seconde ». Voir Le nouveau petit Robert, 2008, sub verbo « francophone ». Loi sur le Barreau, supra note 8, art 49.24(1). 2010 CSON 3501, 101 RJO (3e) 793 (C div) [Landry nº 1]. En l’espèce, il était question du Comité d’appel, mais comme nous l’avons mentionné à la note 15, le régime juridique des deux comités est essentiellement le même. Landry nº 1, supra note 14 au para 13. 2011 ONSC 2947, 106 RJO (3e) 741 (C div) [Landry nº 2]. REVUE DE DROIT D’OTTAWA 82 44:1 OTTAWA LAW REVIEW 44:1 en français six semaines après avoir diffusé la version originale des motifs en anglais démontrait, de la part du Barreau, un manque de sensibilité et de respect « consternant » pour les droits linguistiques de la requérante18. Selon la Cour, le Barreau s’est comporté de façon « regrettable »19. Ce sont là des propos quelque peu timides envers un droit important pour les juristes francophones en Ontario. Quelles sont donc les obligations positives imposées par le paragraphe 49.24(1) de la Loi sur le Barreau ? La question est donc toujours sans réponse. Par exemple, le droit à une audience en français est-il respecté lorsque les délibérations entre les membres du panel d’audition se déroulent en anglais ? Par ailleurs, dans Landry n° 2, le Regroupement des étudiants de common law en français (Réclef) soutenait que la Loi sur les services en français20 et le paragraphe 49.24(1) de la Loi sur le Barreau engendrent au minimum les obligations positives suivantes : • • • • • • • • 18 19 20 21 L’obligation de faire l’offre active des services en français aux avocats qui comparaissent devant le Comité d’audition et le Comité d’appel ; L’affectation des ressources financières nécessaires pour la tenue d’audiences disciplinaires en français de qualité et de célérité égales aux audiences tenues en anglais ; L’identification et le maintien d’une liste de membres qui parlent français pouvant siéger en temps opportun sur les comités disciplinaires du Barreau du Haut-Canada ; La tenue d’audiences en français, au besoin, dans les régions de la province où les membres francophones exercent le droit afin d’assurer que les audiences aient lieu en temps opportun ; La formation des membres des comités disciplinaires en matière de droits linguistiques et, au besoin, leur offrir des cours de langue française pour assurer [que] la qualité du texte des motifs de [la] décision est égale [à] celle des décisions rendues en anglais ; La rédaction des motifs de décision en français lorsque l’audience a eu lieu en français ; La publication prioritaire des motifs de décision en français à la suite d’une audience en français, ou du moins la publication simultanée des versions française et anglaise des motifs de décision ; et La production de matériaux didactiques en français de qualité égale aux matériaux anglais [notes omises]21. Ibid au para 52. Ibid au para 53. Supra note 5. Landry nº 2, supra note 17 (mémoire du Regroupement étudiant de common law en français, intervenant au para 48). Le Réclef soutenait que sans ces obligations positives, « les obligations primaires seraient vides de sens et fondamentalement incompatibles avec le principe applicable des droits linguistiques, de la Loi sur le Barreau, et avec les consignes du Code de déontologie du Barreau du Haut-Canada ». Le statut du français au sein de la profession juridique en Ontario : Réflexions sur le droit d’exiger une audience 83 devant des membres de panel d’audition qui s’expriment en français au Comité d’audition du Barreau du Haut-Canada Il est pour le moment impossible de connaître avec certitude la pleine étendue de la substance du paragraphe 49.24(1) de la Loi sur le Barreau. Toutefois, à la lumière de la jurisprudence canadienne en matière d’égalité linguistique, il est possible d’augurer sans trop se tromper à un certain contenu minimal. En droit canadien : le concept d’égalité est un concept non pas formel, mais une idée qui renvoie à une réalité effective. Il ne suffit pas, en effet, de traiter de la même manière toutes les personnes se trouvant dans une même situation si elles ont des besoins différents. Dans la mesure où ces personnes peuvent éprouver des besoins différents, il peut être discriminatoire de les traiter de la même manière22. Nous croyons qu’il existe au moins trois raisons de conclure au caractère lacunaire de l’égalité réelle entre les titulaires de permis d’expression française et anglaise en Ontario. D’abord, les audiences sont parfois entendues par des membres du Comité d’audition dont les compétences linguistiques sont inadéquates. Ensuite, les audiences sont parfois entendues par des membres du Comité d’audition qui ne comprennent pas nécessairement les référents culturels propres aux communautés francophones de l’Ontario et d’ailleurs au Canada. Finalement, des obstacles systémiques et structurels nuisent à l’égalité réelle du français et de l’anglais devant le Comité d’audition. A. Le bilinguisme comme compétence nécessaire à la qualité de l’audience23 Malgré l’existence en Ontario d’une disposition législative conférant aux titulaires de permis francophones le droit d’être entendu par un Comité d’audition composé de membres qui s’expriment en français, plusieurs obstacles empêchent l’exercice effectif de ce droit. Dans une étude sur le bilinguisme dans les tribunaux fédéraux, Marie-Ève Hudon remarque que : 22 23 Nicole Vaz, « Le principe d’égalité des langues officielles » dans Michel Bastarache, dir, Les droits linguistiques au Canada, 2e éd, Cowansville (Qc),Yvon Blais, 2004, 657 à la p 669.Voir aussi Beaulac, supra note 5 aux para 22, 24 ; Arsenault-Cameron c Île-du-Prince-Édouard, 2000 CSC 1, [2000] 1 RCS au para 31. Cette section s’inspire considérablement de Sébastien Grammond et Mark Power, « Should Supreme Court Judges be Required to be Bilingual? » SC Working Paper 2011-02, Special Series on the Federal Dimensions of Reforming the Supreme Court of Canada, Institute of Intergovernmental Relations, Kingston, Queen’s University, 2011 [Grammond et Power]. Notons que, si le problème du bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada est réel, il n’est pas moins grave dans les tribunaux administratifs et dans les cours inférieures. Au contraire, puisque les tribunaux administratifs tels que le Comité d’audition disposent de moins de ressources, il faut croire que des erreurs judiciaires qui seraient détectées dans le cadre d’une instance à la Cour suprême du Canada ou devant une cour d’appel passent inaperçues devant ceux-ci. De plus, les tribunaux administratifs rendent des décisions quotidiennement, ce qui amplifie l’impact qu’ils ont dans la vie courante. Voir par ex Ferme Benoit Lachaine c le Dairy Farmers of Ontario (DFO) (6 septembre 2011), en ligne : Ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Affaires rurales de l’Ontario <http://www.omafra.gov.on.ca>. REVUE DE DROIT D’OTTAWA 84 44:1 OTTAWA LAW REVIEW 44:1 [l]a pénurie d’avocats et de juges ayant une connaissance suffisante du français et de l’anglais constitue l’un des principaux obstacles à l’accès à la justice dans sa langue. À cela s’ajoutent les obstacles institutionnels comme la pénurie de personnel judiciaire bilingue, le manque de ressources juridiques ou administratives bilingues, les délais associés au choix de procéder dans une langue plutôt qu’une autre. […] Malgré les obligations législatives et constitutionnelles existantes, force est de constater qu’il existe encore aujourd’hui des lacunes en matière d’accès aux tribunaux dans la langue de son choix. Bien que des dispositions législatives favorisant l’accès à la justice dans les deux langues officielles existent dans plusieurs provinces et territoires, il y a encore du travail à faire pour assurer un accès égal à l’échelle du pays24. Ces remarques sont toutes aussi pertinentes dans le contexte du Comité d’audition et de sa capacité à respecter le droit des membres francophones d’être entendus en français. La pénurie de juristes ayant une connaissance suffisante du français et de l’anglais, évoquée par Marie-Ève Hudon, explique en partie l’existence de délais non raisonnables, tels que ceux en cause dans les affaires Landry nº 125 et Landry nº 226. Cette pénurie explique aussi pourquoi, en réalité, les dossiers des titulaires de permis francophones devant le Comité d’audition sont entendus par des membres qui ne sont pas nécessairement bilingues ou qui ont une connaissance insuffisante du français27. Toute personne qui entend une audience en français doit être bilingue. Dans son ouvrage sur l’arbitrage international, Tibor Várady explique qu’il est généralement admis qu’une personne agissant en tant qu’arbitre ou juge doit être en mesure de bien maîtriser la langue du débat qu’il doit juger : « [A]rbitrators must have an adequate command of the language chosen as the language of arbitration »28. C’est d’ailleurs probablement parce qu’elle reconnait cette nécessité que l’Association internationale du barreau (International Bar Association) a adopté un code d’éthique en matière d’arbitrage international qui prescrit cette idée en ces termes : « A prospective arbitrator shall accept an appointment only if he is fully satisfied that he is competent to determine the issues in dispute, and has an adequate knowledge of the language of arbitration »29. Le bilinguisme du juge est 24 25 26 27 28 29 Marie-Ève Hudon, Le bilinguisme dans les tribunaux fédéraux, Ottawa, Bibliothèque du Parlement, 2011 à la p 9, en ligne : Parlement du Canada <http://www.parl.gc.ca/Content/LOP/ResearchPublications/ 2011-40-f.pdf> [Hudon]. Supra note 14. Supra note 14. Nous nous fondons sur la pratique considérable de Me Champagne devant le Comité d’audition. Tibor Varády, Language and Translation in International Commercial Arbitration: From the Constitution of the Arbitral Tribunal through Recognition and Enforcement Proceedings, The Hague, TMC Asser Press, 2006 à la p 49 [Varády]. International Bar Association, Rules of Ethics for International Arbitrators, art 2.2 en ligne : International Bar Association <http://www.ibanet.org/Publications/publications_IBA_guides_and_free_materials.aspx>. Le statut du français au sein de la profession juridique en Ontario : Réflexions sur le droit d’exiger une audience 85 devant des membres de panel d’audition qui s’expriment en français au Comité d’audition du Barreau du Haut-Canada une compétence intimement reliée à l’exercice efficace des tâches de l’emploi pour plusieurs raisons. D’abord, les membres du Comité d’audition doivent interpréter des lois – tant ontariennes que fédérales – dont les versions française et anglaise ont force égale. Le paragraphe 3(2) de la Loi sur les services en français stipule qu’en Ontario, « [l]es projets de loi de caractère public de l’Assemblée qui sont présentés après le 1er janvier 1991 sont présentés et adoptés en français et en anglais »30. L’article 65 de la Loi de 2006 sur la législation prévoit que « [l]es versions française et anglaise des lois édictées et des règlements pris dans les deux langues ont également force de loi »31. Le paragraphe 18(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, quant à lui, stipule que « [l]es lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux du Parlement sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur »32. Cela signifie que les membres du Comité d’audition doivent lire et appliquer des lois dont les versions françaises et anglaises ont force égale de loi. C’est pourquoi il existe, au Canada, tout un domaine de droit en matière d’interprétation de la législation bilingue33. Il est donc évident que le bilinguisme est une compétence nécessaire à l’interprétation des lois bilingues. Le contraire mène à des erreurs et à une utilisation inefficace du système judiciaire. Par exemple, dans R c Mac34, la Cour suprême du Canada devait interpréter le terme « adapted ». Dans un très bref jugement de huit paragraphes, le juge Bastarache explique qu’« [en l’espèce, toute ambiguïté décelée dans la version anglaise est résolue par le libellé clair et non équivoque de la version française de l’al. 369b) [du Code criminel, LRC 1985, c C-46] »35. D’ailleurs, afin d’éviter que ce genre d’erreurs ne se reproduise, les Règles de la Cour suprême du Canada exigent maintenant que les mémoires contiennent les : extraits des lois, règlements, règles, ordonnances ou règlements administratifs directement en cause, présentés sous forme de photocopies ou d’imprimés tirés d’une base de données électronique et reproduits dans les deux langues officielles si la loi exige la publication de ces textes dans les deux langues officielles, les textes 30 31 32 33 34 35 Supra note 5 ; voir ibid, art 4(1) qui prévoit que « [l]e procureur général fait traduire en français, avant le 31 décembre 1991, un recueil, mis à jour, des lois de caractère public et général qui ont été adoptées de nouveau au moyen des Lois refondues de l’Ontario de 1980 ou qui ont été adoptées en anglais seulement après l’entrée en vigueur des Lois refondues de l’Ontario de 1980, et qui demeurent en vigueur le 31 décembre 1990 ». Le paragraphe 4(2) prévoit l’adoption des versions traduites des lois visées par le paragraphe 4(1). LO 2006, c 21, art 65. Supra note 5, art 18(1). L’honorable Michel Bastarache et al, Le droit de l’interprétation bilingue, Montréal, LexisNexis, 2009. 2002 CSC 24, [2002] 1 RCS 856. Ibid au para 6. 86 REVUE DE DROIT D’OTTAWA 44:1 OTTAWA LAW REVIEW 44:1 volumineux étant reliés dans un volume distinct et ceux qui ne sont pas directement en cause étant inclus dans le recueil de sources36. Cette modification appuie la proposition selon laquelle la bonne administration de la justice au Canada nécessite la considération des deux versions linguistiques des lois. Ensuite, lorsqu’ils entendent une audience en français, les membres du Comité d’audition doivent lire, évaluer et comprendre la preuve documentaire qui leur sera produite en français. Un certain degré de connaissance de la langue et d’autonomie dans son utilisation est requis par les membres du Comité d’audition, qui doivent apprécier le contenu de la preuve sur laquelle ils fonderont leur décision. Finalement, les membres du Comité d’audition doivent comprendre directement le témoignage de la partie francophone lors de l’audience sans l’aide d’un interprète ou de toute technique de traduction simultanée ou d’interprétation consécutive. La possibilité de prendre la parole devant les membres du panel d’audition constitue le moyen le plus susceptible de convaincre ceux-ci du bienfondé de sa cause. Soulignons au passage le caractère inadéquat de la traduction simultanée et de sa transcription37. Maître Michel Doucet, par exemple, soulève les problèmes qu’il a lui-même encourus avec Maître Mark C Power devant la Cour suprême du Canada dans l’affaire Charlebois c St John (ville)38 : J’ai écouté l’interprétation anglaise de ma plaidoirie et je n’y ai rien compris moi-même. J’ai beaucoup de respect pour les interprètes et le travail qu’ils ont à faire. Ce doit être déjà assez compliqué de le faire dans un contexte politique, j’imagine ce que ce doit être dans un contexte judiciaire, où chaque mot compte, où l’interaction entre le banc et le plaideur joue un rôle très important, et où les questions qui sont posées au plaideur et les réponses qui sont données peuvent avoir une influence. Devant ces circonstances, si je devais plaider un autre cas devant un banc où trois juges ne comprennent pas directement la langue dans laquelle je veux plaider, je suggérerais peut-être à mon client de procéder dans l’autre langue pour s’assurer que les neuf juges sont en mesure de comprendre la plaidoirie39. 36 37 38 39 DORS/2002-156, art 42(2)(g). Voir notamment Varády, supra note 28 à la p 53 : « Experience has shown that interpretation is usually the less effective choice. Translation simply cannot fully mirror both the arguments and the art of advocacy. It cannot reflect every emphasis, gambit of persuasion, or undertone. Often, the arguments are not reflected clearly either. Interpreters are often people who do indeed have an excellent command of both languages, but do not have legal education and do not fully understand the subtleties and ramifications of the argument they are supposed to express. They may also use as synonyms terms which do not have the same meaning within a legal context. » 2005 CSC 74, [2005] 3 RCS 563. Chambre des communes, Témoignages du Comité permanent des langues officielles, 39e parl, 2e sess, n° 31 (8 mai 2008), en ligne : Parlement du Canada <http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication. aspx?DocId=3482440&Language=F&Mode=1&Parl=39&Ses=2>. Le statut du français au sein de la profession juridique en Ontario : Réflexions sur le droit d’exiger une audience 87 devant des membres de panel d’audition qui s’expriment en français au Comité d’audition du Barreau du Haut-Canada Dans Should Supreme Court Judges be Required to be Bilingual?40, les auteurs, Sébastien Grammond et Mark Power, racontent eux aussi une expérience récente, soit celle de Maître Grammond devant la Cour suprême du Canada dans l’affaire de Montigny c Brossard (Succession)41, où il s’était produit une série d’erreurs lors de la traduction. Pour toutes ces raisons et parce que les solutions telles que la traduction simultanée sont inadéquates, force est de conclure que le bilinguisme est une compétence essentielle à la bonne administration du Comité d’audition, plus généralement de la justice en Ontario et ailleurs au Canada. Ainsi, constitue une violation du principe de l’égalité réelle entre les titulaires de permis francophones et anglophones l’incapacité du Barreau du Haut-Canada de mettre en place un Comité d’audition francophone dans des délais comparables (et donc raisonnables) et que certains des membres du Comité d’audition qui entendent des affaires en français ne soient pas bilingues ou possèdent une connaissance insuffisante du français. B. Le bilinguisme culturel et la légitimité des décisions du Comité d’audition Rappelons-nous que le rôle du Comité d’audition est de statuer sur les requêtes qui lui sont présentées en vertu de la Loi sur le Barreau42. Or, plusieurs des dossiers du Comité d’audition sont entendus par des membres qui ne comprennent pas la réalité culturelle (parfois rurale ou de petits cabinets en régions et multiculturels en grands centres) des titulaires de permis francophones43. Cela peut avoir un impact non négligeable sur les décisions du Comité d’audition. Avant d’aborder ce point, notre démarche oblige un survol historique de l’évolution des théories de l’adjudication44. Au dix-neuvième siècle, la théorie de l’adjudication dominante était celle du formalisme juridique classique45. Il s’agissait d’une façon de concevoir la décision judiciaire que la plupart considèrent aujourd’hui comme vulgaire46. Selon le 40 41 42 43 44 45 46 Grammond et Power, supra note 23 aux pp 4-5. 2010 CSC 51, [2010] 3 RCS 64. Supra note 8, art 49.23(1). Statistique Canada, Portrait des minorités de langue officielle au Canada : les francophones de l’Ontario (Document analytique), nº 1, Ottawa, 14 mai 2010 aux pp 14-15, 43-46 [Portrait des minorités]. Ce développement vise à décrire l’évolution des théories de l’adjudication, c’est-à-dire des théories qui visent à analyser comment les juges décident. Nous ne discutons donc pas des théories du droit qui, elles, visent à répondre à la question : « qu’est-ce que le droit ? ». Il s’agit évidemment d’un exposé sommaire d’un sujet qui peut facilement faire l’objet d’une dense monographie. Certaines généralisations doivent donc être permises. Brian H Bix, A Dictionary of Legal Theory, Oxford, Oxford University Press, 2004, sub verbo « formalism » [Bix]. Le professeur Ronald Dworkin proposera plus tard une version plus sophistiquée du formalisme juridique. Sa théorie est formaliste dans la mesure où elle avance que le droit peut donner une réponse à toutes les questions, y compris les « questions difficiles », sans emprunter d’arguments qui ne sont pas juridiques. Toutefois, pour soutenir une telle position, Dworkin élargit l’éventail de ce qu’il considère comme étant une source de droit pour y inclure, par exemple, les principes fondamentaux. Voir généralement Ronald Dworkin, Taking Rights Seriously, Cambridge (Mass), Harvard University Press, 1977 ; Ronald Dworkin, A Matter of Principle, Cambridge (Mass), Harvard University Press, 1985 ; Ronald Dworkin, Law’s Empire, Cambridge (Mass), Belknap Press of Harvard University Press, 1986. Voir aussi Bix, supra note 45 sub verbo « interpretive theory of law », « right answer thesis ». 88 REVUE DE DROIT D’OTTAWA 44:1 OTTAWA LAW REVIEW 44:1 formalisme classique, le droit était un système de règles quasi scientifiques autonome et indépendant. Le jugement juridique était donc une question d’application mécanique des règles aux faits et le juriste était perçu comme un logicien qui, de syllogisme en syllogisme, appliquait le droit47. La culture et autres caractéristiques du juge sont sans importance dans un monde où le droit est appliqué mécaniquement aux faits. Au cours des années 1930-40, un courant de pensée surnommé « réalisme juridique américain » critiquait les prémisses du formalisme en insistant sur la nature humaine des juges48. Ceux-ci cherchaient à démystifier le droit, afin de décrire ce qu’était réellement le jugement juridique. Ils dénonçaient l’idée selon laquelle les juges rendaient une décision en ayant recours exclusivement au droit : The legal rules unquestionably have some effect on an honest judge while he is making up his mind on how to decide a “contested case”. Many of the legal rules are so unsettled that their effect on the judge’s thinking is vague; but, more important, the rules, however exact, are only one among the many kinds of influence which affect him while trying to reach his decision. The judges’ knowledge of the rules combines with his reactions to the conflicting testimony, with his sense of fairness, with his background of economics and social views, and with that complicated compound loosely named his “personality”, to form an incalculable mixture out of which comes the court order we call his decision [nous soulignons]49. Des mouvements néo-réalistes ont découlé du réalisme juridique, notamment la théorie féministe du droit50, la « critical race theory »51 et le mouvement du « critical legal studies »52. Ceux-ci remettent en question les vertus du libéralisme. Partant de la prémisse du réalisme juridique selon laquelle le droit n’est qu’une composante parmi d’autres dans la prise de décision judiciaire, la critique féministe fait du genre l’un des facteurs déterminants de la prise de décision judiciaire et la « critical race theory » soutient que l’ethnie (la race) constitue le facteur déterminant 47 48 49 50 51 52 Voir Richard H Pildes, « Forms of Formalism » (1999) 66 : 3 U Chi L Rev 607 aux pp 607-09 ; Brian Leiter, « Positivism, Formalism, Realism » (1999) 99 : 4 Colum L Rev 1138 aux pp 1144-47 [Leiter] ; Bix, supra note 45, sub verbo « autonomy of law ». Voir Leiter, supra note 47 aux pp 1147-49 ; Bix, supra note 45, sub verbo « American legal realism ». Jerome Frank, « Are Judges Human? Part One: The Effect on Legal Thinking of the Assumption that Judges Behave Like Human Beings » (1931-32) 80 U Pa L Rev 17 à la p 47. Voir aussi Oliver W Holmes, « The Path of the Law » (1896-97) Harv L Rev 458 à la p 465 : « The fallacy to which I refer is the notion that the only force at work in the development of the law is logic […] the notion that a given system, ours, for instance, can be worked out like mathematics from some general axioms of conduct ». Bix, supra note 45 sub verbo « feminist legal theory ». Ibid, sub verbo « critical race theory ». Ibid, sub verbo « critical legal studies ». Le statut du français au sein de la profession juridique en Ontario : Réflexions sur le droit d’exiger une audience 89 devant des membres de panel d’audition qui s’expriment en français au Comité d’audition du Barreau du Haut-Canada de la décision judiciaire53. Ces courants de pensée ont en commun la revendication d’une diversité au sein de la magistrature. Rares sont les auteurs qui ont appliqué le cadre analytique qu’ont en commun les écoles néoréalistes à la problématique minoritaire francophone. Pourtant, des juges incapables de s’exprimer en français entendent des francophones et rendent des décisions ayant un impact dans leur vie. Toutefois, les propos de Rose Voyvodic, qui plaide en faveur d’une prise de conscience de la réalité culturelle changeante du Canada, sont utiles. Essentiellement, l’auteure argumente que la profession juridique devrait encourager le développement de la « compétence culturelle »54 de ses membres, notamment par l’entremise de l’éducation55. Elle met en garde contre l’adoption d’une définition trop limitative du concept de culture : « Social or cultural contexts are not capable of being reduced to checklists of sets of practices, beliefs or meanings. Instead, they may be seen as a combination of these things, together with cultural identifications, life experiences and histories »56. Plutôt, elle défend la thèse selon laquelle la culture inclut une variété d’éléments, dont la tradition religieuse, les croyances, l’ethnie, les institutions57, la nationalité, la profession, le statut socioéconomique, l’accent, la couleur, la géographie, etc58. La culture influence la perception individuelle de la réalité et des idées59. Ce qui est intéressant pour la présente réflexion, c’est lorsque Voyvodic note que pour bien exercer la profession, les avocats doivent recourir à un 53 54 55 56 57 58 59 Richard Devlin, A Wayne Mackay et Natasha Kim, « Reducing the Democratic Deficit: Representation, Diversity and the Canadian judiciary, or Towards a “Triple P” Judiciary » (2000) 38 Alta L Rev 734. Voir aussi Isabel Grant et Lynn Smith, « Gender Representation in the Canadian Judiciary » dans Ontario Law Reform Commission, Appointing Judges: Philosophy, Politics and Practices, Toronto, Ontario Law Reform Commission, 1991, 57 ; Errol P Mendes, « Promoting Heterogeneity of the Judicial Mind: Minority and Gender Representation in the Canadian Judiciary » dans Appointing Judges: Philosophy, Politics and Practices, Toronto, Ontario Law Reform Commission, 1991 à la p 91. Ce concept peut être défini de la façon suivante : « [A] set of congruent behaviors, attitudes, and policies that come together in a system, agency, or group of professionals and enable that system, agency or group to work effectively in cross-cultural situations » ; voir Ellen Hemley, « Representing the Whole Client » dans Poverty Law Manual for the New Lawyer, Boston, National Center for Poverty Law, 2004, 190 à la p 192 [Hemley]. Rose Voyvodic, « Lawyers Meet the Social Context: Understanding Cultural Competence » (2006) 84:3 R du B can 563 [Voyvodic]. Ibid à la p 568. Voir aussi Robert J Smith, « Culture as Explanation, Neither All Nor Nothing » (1989) 22:3 Cornell Int’l LJ 425. Il est intéressant de constater que l’auteure considère l’institution comme faisant partie de la culture. En effet, l’institution est un concept clé en droit linguistique. Dans Lalonde c Ontario (Commission de restructuration des services de santé) (2001), 56 RJO (3e) 577, 208 DLR (4e) 577 (CA) [Lalonde], la Cour d’appel de l’Ontario reconnait l’impact positif des institutions sur la vitalité communautaire. Voir aussi Fédération franco-ténoise c Canada (PG), 2006 NWTSC 20 aux para 612-13, 625 (disponible sur CanlII) ; Commission scolaire francophone duYukon no 23 c Territoire duYukon (PG), 2011 YKSC 57 aux para 96, 110 (disponible sur QL) ; Raymond Breton, « Institutional Completeness of Ethnic Communities and the Personal Relations of immigrants » (1964) 70:2 American Journal of Sociology 193. Voyvodic, supra note 55 aux pp 569-70. Ibid à la p 570. Voir aussi Hemley, supra note 54 à la p 191. 90 REVUE DE DROIT D’OTTAWA 44:1 OTTAWA LAW REVIEW 44:1 « jugement contextuel », c’est-à-dire à un jugement qui laisse place à diverses considérations, dont la culture. Or, elle remarque ceci : [L]awyer competence is not described in a contextual way in the various Canadian rules for professional conduct, although it may be considered to require “communicating at all stages of a matter in a timely and effective manner that is appropriate to the age and abilities of the client.” However, what is meant by “an effective manner” of communication is left to the discretion (and resources) of the individual lawyer [notes omises]60. L’auteure soulève ainsi un paradoxe entre le caractère littéral des codes de conduites et la contextualisation nécessaire des dispositions de ceux-ci. En pratique, l’avocat, qui utilise nécessairement son jugement contextuel et dont les décisions sont influencées par la culture, adoptera parfois un comportement autre que celui qu’adopterait un avocat dont le bagage culturel et linguistique est très différent et qui comprend donc moins la réalité culturelle de certaines parties. Le problème est le suivant : il arrive que le comportement de l’avocat ayant exercé son jugement contextuel dans des circonstances précises soit remis en question et jugé par des membres d’un panel du Comité d’audition qui ne comprennent pas les implications et les nécessités propres aux circonstances en question. Ce genre de situation se produit en Ontario lorsque, par exemple, un titulaire de permis qui représente des individus moins fortunés ou dont la pratique se déroule exclusivement dans une région rurale est entendu par un panel du Comité d’audition dont les membres proviennent d’un grand centre urbain, sont des experts du droit s’appliquant aux personnes morales ou interagissent presque uniquement avec des particuliers mieux nantis et sophistiqués61. Ce même type de situation se manifeste lorsqu’un panel du Comité d’audition composé uniquement d’hommes rend une décision sur une question qui nécessite une compréhension de la réalité féminine de la pratique juridique62, ou encore quand un panel du Comité d’audition composé uniquement de membres de race blanche évalue la pratique d’un titulaire de permis qui fait partie d’un groupe racialisé63. Finalement, la même 60 61 62 63 Voyvodic, supra note 55 aux pp 576-77. Voir par ex Barreau du Haut-Canada, Final Report of the Sole Practitioner and Small Firm Task Force, 2005, en ligne : Barreau du Haut-Canada <http://www.lsuc.on.ca/media/convmar05solepractitioner. pdf> ; Association du Barreau de l’Ontario, Ontario Bar Association Response to the Final Report of the Law Society’s Sole Practitioner and Small Firm Task Force, en ligne : Ontario Bar Association <http://www. oba.org/en/pdf/ResponsetoLSUC.pdf>. Voir par ex John Hagan et Fiona Kay, « Hierarchy in Practice: The Significance of Gender in Ontario Law Firms » dans Carol Wilton, dir, Essays in the History of Canadian Law: Inside the Law - Canadian Law Firms in Historical Perspectives, vol 7, Toronto, University of Toronto Press, 1996, 530. Voir par ex F M Kay, C Masuch et P Curry, Diversity and Change: The Contemporary Legal Profession in Ontario - A Report to The Law Society of Upper Canada, Toronto, Barreau du Haut-Canada, 2004, en ligne : Barreau du Haut-Canada <http://rc.lsuc.on.ca/pdf/equity/diversityChange.pdf>. Le statut du français au sein de la profession juridique en Ontario : Réflexions sur le droit d’exiger une audience 91 devant des membres de panel d’audition qui s’expriment en français au Comité d’audition du Barreau du Haut-Canada situation se produit lorsqu’un titulaire de permis francophone est entendu par un panel dont les membres ne sont pas francophones et ne comprennent donc pas les référents culturels propres aux communautés francophones en situation minoritaire. N’oublions pas que l’expression « les deux solitudes »64 de Hugh MacLennan n’est pas devenue symbolique sans témoigner, de façon inquiétante, d’une différence marquée entre deux perceptions de la réalité canadienne, française et minoritaire d’un côté, anglaise et majoritaire de l’autre. Il « est essentiel que non seulement justice soit rendue, mais que justice paraisse manifestement et indubitablement être rendue »65. Il en découle qu’il soit préférable que justice soit rendue par des personnes bilingues et dont les référents culturels sont diversifiés, ne serait-ce que par souci de protéger ou d’améliorer la légitimité du système de justice. C. Barrières systémiques et structurelles Certaines des difficultés évoquées jusqu’à présent sont aggravées par l’existence de barrières systémiques et structurelles. Ces barrières ne sont pas intentionnellement érigées en tant qu’obstacles, mais entravent néanmoins l’accès à la gouvernance du Barreau du Haut-Canada par et pour les francophones. Nous invoquons deux exemples en particulier. Premièrement, l’emplacement par défaut des audiences du Comité d’audition est Toronto66. Cela signifie que les francophones du Nord et de l’Est ontarien qui 64 65 66 Hugh MacLennan, Two solitudes, Toronto, Collins, 1945. The King v Sussex Justices, Ex parte McCarthy (1923), [1924] 1 KB 256, à la p 259 [1923] All ER Rep 233 tel que cité dans R c S(RD), [1997] 3 RCS 484 au para 110, 151 DLR (4e) 193. Voir Ontario, Règles de pratique et de procédure (visant les instances du Comité d’audition du Barreau), r 17.0(1) « Lieux des audiences », en ligne : Barreau du Haut-Canada <http://www.lsuc.on.ca/ media/rulespractprocedurefullfr.pdf> : 17.01 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), toutes les audiences se tiennent dans les bureaux du Barreau à Toronto. (2) Si toutes les parties y consentent, l’audience se tient ailleurs que dans les bureaux du Barreau à Toronto, à l’endroit dont elles ont convenu. (3) Sur motion d’une partie, la formation peut ordonner que l’audience se tienne ailleurs que dans les bureaux du Barreau à Toronto. (4) Lorsqu’elle décide s’il convient d’ordonner qu’une audience se tienne ailleurs que dans les bureaux du Barreau à Toronto, la formation peut peser ce qui suit : a) la facilité pour les parties de se conformer à l’ordonnance ; b) le coût et l’efficience de l’instance dans le cadre de laquelle se tient l’audience, ainsi que le respect des délais ; c) le fait d’éviter les retards ou toute prolongation inutile de l’instance ; d) l’équité du processus ; e) l’accès du public à l’audience ; f) le fait que le Barreau puisse remplir la mission que lui confie la Loi ; g) toute autre question qu’elle considère pertinente dans ses efforts visant à en arriver à un règlement juste et rapide de l’instance dans le cadre de laquelle se tient l’audience. (5) L’ordonnance disposant qu’une audience se tienne ailleurs que dans les bureaux du Barreau à Toronto ne doit être rendue qu’après consultation du greffe du tribunal. 92 REVUE DE DROIT D’OTTAWA 44:1 OTTAWA LAW REVIEW 44:1 doivent se déplacer à Toronto subissent des contraintes additionnelles, de temps et d’argent. Cela fait violation au concept d’offre active67. Bien qu’il soit possible pour un titulaire de permis de présenter une motion demandant le déplacement du lieu d’audition, il s’agit d’un investissement monétaire important dont le résultat n’est évidemment pas garanti. Conséquemment, l’emplacement par défaut des audiences du Comité d’audition décourage les titulaires de permis francophones du Nord et de l’Est ontarien à entendre une audience du Comité d’audition. Il faut se rappeler que le bilinguisme judiciaire en Ontario a d’abord été introduit comme projet pilote dans la région de Sudbury en raison de sa forte concentration de francophones, puis étendu l’année suivante à Ottawa, L’Orignal, Hawkesbury et Rockland68. Ainsi, bénéficiant d’un accès privilégié à l’emplacement par défaut des audiences du Comité d’audition, ce sont davantage des membres du centre urbain de Toronto, secteur majoritairement anglophone, qui forment les panels du Comité d’audition. Deuxièmement, le processus électoral déterminant la composition du Conseil du Barreau du Haut-Canada rend les postes élus difficiles d’accès pour les membres de la minorité francophone69. Le ou la titulaire de permis dispose d’un maximum de quarante voix, qu’il ou elle doit distribuer également entre les candidats des deux régions électorales70, sans voter deux fois pour la même personne. L’Ontario est divisé en deux régions électorales, la première correspondant à la Ville de Toronto et la seconde au reste de l’Ontario, qui est à son tour divisé en sept zones71. La gouvernance du Barreau est assurée par un Conseil de quarante personnes élues, soit vingt membres du Conseil pour chacune des deux régions électorales. Huit membres régionaux sont élus en recueillant une majorité des votes dans leur zone respective (Toronto et les sept zones hors Toronto), alors que les 67 68 69 70 71 Ontario, Commissariat aux services en français, L’accès aux solutions : Rapport annuel 2009-2010, Toronto, Imprimeur de la Reine pour l’Ontario, 2010 aux pp 11-14. Voir Louise Bélanger-Hardy et Gabrielle St-Hilaire, « Bilinguisme judiciaire et enseignement de la common law en français en Ontario : un bilan historique » (2009) 34 Revue du Nouvel-Ontario 5 aux pp 17-18. Voir aussi Peter Annis, Le bilinguisme judiciaire en Ontario : théorie et réalité, Ottawa, Association des juristes d’expression française de l’Ontario, 1985 ; Linda Cardinal et al, Un état des lieux : Les services en français dans le domaine de la justice en Ontario, Toronto, 2005, en ligne : Ministère du Procureur général : <http://www.attorneygeneral.jus.gov.on.ca/french/justice-ont/french_ language_services/studies/default.asp>. Au moment de signer cet article, aucun membre du Conseil du Barreau du Haut-Canada n’a le français comme langue maternelle. Autant que nous sachions, cela ne s’est produit qu’une seule fois avec l’élection de Me Pierre Genest. À l’heure actuelle, l’élection de francophiles est le mieux que les communautés francophones de l’Ontario puissent faire. Ainsi, les membres francophones qui siègent au Comité d’audition sont nommés provisoirement en vertu de la Loi sur le Barreau, supra note 8, art 49.24.1(1). Barreau du Haut-Canada, Règlement administratif nº 3 – Les conseillers, le Conseil et les Comités, art 22, en ligne : Barreau du Haut-Canada <http://www.lsuc.on.ca/with.aspx?id=1070&languagetype=103 6&langtype=1036>. L’article 16 du règlement précise qu’« [a]ux fins de l’élection des conseillers et des conseillères, ont droit de vote les titulaires de permis dont le permis n’est pas suspendu le quatrième vendredi de mars ». Ibid, art 6(1)-6(2). Le statut du français au sein de la profession juridique en Ontario : Réflexions sur le droit d’exiger une audience 93 devant des membres de panel d’audition qui s’expriment en français au Comité d’audition du Barreau du Haut-Canada autres membres du Conseil (dix-neuf à Toronto et treize dans le reste de l’Ontario) sont élus si ils ou elles reçoivent le nombre le plus élevé de voix dans l’ensemble de leur région électorale72. Le fonctionnement et les effets des systèmes électoraux sont des sujets qui font couler beaucoup d’encre73. Dans sa monographie sur les systèmes électoraux et les modes de scrutins, Pierre Martin explique que « tous les modes de scrutin tendent plus ou moins à sous représenter les minorités »74. Bien entendu, certains modes de scrutin sont plus néfastes pour les minorités que d’autres. Par exemple, concernant le mode de scrutin uninominal à un tour (le mode par lequel les huit membres régionaux du Conseil du Barreau du Haut-Canada sont élus), Martin note que ce mode de scrutin a pour effet d’amplifier la victoire du premier candidat sur le second et d’entrainer un « écrasement de la représentation des autres »75. Seules les minorités localement concentrées réussiront normalement à élire certains de leurs membres. En effet, Martin précise que « [q]uand on est minoritaire, le fait d’être localement majoritaire peut permettre de compenser une sous-représentation générale ailleurs »76. Or, ce n’est pas le cas des francophones en Ontario, qui ne forment pas la majorité dans ni l’une ni l’autre des deux régions électorales, ni dans les sept zones qui sous-divisent l’Ontario (excluant Toronto). Dans le meilleur des mondes, les titulaires de permis francophones réussiraient à élire l’un ou l’une des leurs si cette personne franchissait au moins le treizième rang dans la région électorale de l’Ontario (excluant Toronto). Or, l’objectif d’une représentation proportionnelle des francophones au Conseil du Barreau du Haut-Canada ne serait atteint que si au moins un à deux membres francophones étaient toujours 72 73 74 75 76 Ibid, art 6(3)-6(4). Par exemple, en 2006, le gouvernement de l’Ontario mandatait une assemblée de citoyens d’évaluer le système électoral en Ontario et ses alternatives et de recommander si l’Ontario devrait conserver son système électoral actuel ou en adopter un autre. L’année suivante, le gouvernement de l’Ontario faisait adopter la Loi de 2007 sur le Référendum relatif au système électoral, LO 2007, c 1 afin de demander aux Ontariens de décider s’ils acceptaient la proposition de réforme du système électoral mise de l’avant par l’assemblée de citoyens. Cette tentative de réforme s’est ultimement soldée en échec. Voir Assemblée de citoyens sur la réforme électorale, Règl de l’Ont 82/06 ; Ontario, Assemblée des citoyens sur la réforme électorale de l’Ontario, La démocratie à l’œuvre : l’Assemblée des citoyens sur la réforme électorale de l’Ontario : Rapport sur le processus de la première Assemblée des citoyens de l’Ontario, Toronto, Imprimeur de la Reine pour l’Ontario, 2007 ; Ontario, Assemblée des citoyens sur la réforme électorale de l’Ontario, Un bulletin, deux votes : une nouvelle façon de voter en Ontario : Recommandation de l’Assemblée des citoyens sur la réforme électorale de l’Ontario, Toronto, Imprimeur de la Reine pour l’Ontario, 2007 ; Lawrence LeDuc, « Electoral Reform and Direct Democracy in Canada: When Citizens Become Involved » (2011) 34:3 West European Politics 551 ; Laura B Stephenson et Brian Tanguay, « Ontario’s Referendum on Proportional Representation:Why Citizens Said No » (septembre 2009) 15:10 IRPP 1. Pierre Martin, Les systèmes électoraux et les modes de scrutin, 3e éd, Paris, Montchrestien, 2006 à la p 137 [Martin].Voir aussi Linda Cardinal, Rapport d’expert dans l’Affaire d’un renvoi relatif au projet de réforme du Sénat, CA QC, n° de greffe 500-09-022626-121 (pour l’intervenante Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada) aux pp 55-59 [Cardinal]. Supra note 74 à la p 38. Ibid à la p 137. Voir aussi Karen Bird, « The Political Representation of Women and Ethnic Minorities in Established Democracies: A Framework for Comparative Research », Academy of Migration Studies in Denmark (AMID), Aalbord University, 2003 ; Cardinal, supra note 74 aux pp 55-59. REVUE DE DROIT D’OTTAWA 94 44:1 OTTAWA LAW REVIEW 44:1 élus à ce Conseil77. Cela étant dit, même une représentation proportionnelle, à elle seule, ne saurait assurer une représentation utile et efficace des intérêts propres aux communautés francophones de l’Ontario auprès du Conseil du Barreau du Haut-Canada78. III. PROPOSITIONS POUR AMÉLIORER L’ÉGALITÉ RÉELLE ENTRE FRANCOPHONES ET ANGLOPHONES AU SEIN DE LA PROFESSION JURIDIQUE EN ONTARIO Il est possible d’améliorer de façon importante l’égalité réelle entre les titulaires de permis francophones et anglophones par le biais de quelques réformes mineures. Par exemple, la sélection des membres du Comité d’audition qui entendent les audiences en français pourrait résulter d’un processus plus objectif et donc plus efficace. Aussi, il serait sûrement utile de décentraliser l’administration du Comité d’audition. Enfin, il faudrait améliorer l’accès à la gouvernance du Barreau du Haut-Canada pour les titulaires de permis francophones. A. La compétence linguistique Le Comité d’audition est composé d’au moins trois personnes nommées par le Conseil du Barreau du Haut-Canada, dont au moins une n’est pas titulaire de permis79. Le Conseil nomme un des membres du Comité d’audition à la présidence et un autre à la vice-présidence de celui-ci80. C’est le président, ou en son absence, le vice-président, qui affecte les membres du Comité d’audition aux audiences81. De plus, afin de se conformer aux exigences de la Loi sur le Barreau, notamment à son paragraphe 49.24(1) ou aux exigences réglementaires82, le président du Comité d’audition, ou en son absence, le vice-président, peut nommer une ou plusieurs personnes membres provisoires du Comité d’audition aux fins d’une audience83. Rappelons au passage que l’encadrement législatif et réglementaire du Comité d’appel est très similaire à celui du Comité d’audition84. En somme, sous réserve des quelques exigences législatives85 et réglementaires86, l’affectation d’un membre à une audience du Comité d’audition est un processus laissé à la discrétion du 77 78 79 80 81 82 83 84 85 86 Voir Portrait des minorités, supra note 43 à la p 11. Comparer Mahé, supra note 5 à la p 377. Les questions de savoir quel degré de pouvoir de gestion les francophones devraient avoir au sein du Barreau du Haut-Canada et comment il s’incarnerait concrètement méritent d’être étudiées davantage. Voir Loi sur le Barreau, supra note 8, art 49.21(2). Ibid, art 49.22(1). Ibid, art 49.23(2). Audiences tenues par les comités d’audition et d’appel, Règl de l’Ont 167/07 [Règlement sur les audiences]. Loi sur le Barreau, supra note 8, art 49.24.1(1). Ibid, art 49.29-49.37 ; Règlement sur les audiences, supra note 82. Loi sur le Barreau, supra note 8, art 49.21-49.28. Règlement sur les audiences, supra note 82. Le statut du français au sein de la profession juridique en Ontario : Réflexions sur le droit d’exiger une audience 95 devant des membres de panel d’audition qui s’expriment en français au Comité d’audition du Barreau du Haut-Canada président, ou en son absence, du vice-président, du Comité d’audition. Il n’existe pas de procédure formelle en matière de désignation des membres du Comité d’audition qui soit connue des titulaires de permis ou du public. Afin d’encadrer le pouvoir discrétionnaire dont jouit présentement le président du Comité d’audition, et afin d’améliorer l’administration de la justice en français en Ontario, il serait évidemment avantageux de créer une liste de candidats qui, en raison de leur compétence linguistique, seraient préqualifiés pour devenir membres du Comité d’audition affectés à une audience en français. Cette liste serait générée en appliquant divers critères objectifs. Par exemple, les résultats obtenus par les candidats lors d’un test linguistique pourraient être pris en compte87. Le Comité consultatif de la magistrature et du barreau sur les services en français auprès du procureur général de l’Ontario, coprésidé par le juge Paul Rouleau et Paul LeVay, dresse des conclusions et des recommandations similaires au sujet de la composition de la magistrature : [L]es aptitudes linguistiques, le nombre et le placement des juges et juges de paix bilingues ne sont pas nécessairement déterminés en fonction du besoin d’assurer un accès à la justice pour les francophones. Dans chaque région et à chaque échelon du système judiciaire en Ontario, des juges et juges de paix bilingues doivent être disponibles pour entendre des instances et rendre des décisions en temps opportun en français. Les compétences linguistiques d’un juge ou d’un juge de paix qui préside une instance bilingue ou en français devraient être équivalentes à celles d’un juge ou d’un juge de paix qui préside une instance en anglais. Une évaluation objective des candidats bilingues permettrait de mesurer clairement les compétences linguistiques88. Aussi, après avoir conclu qu’il doit y avoir un nombre suffisant de juges linguistiquement qualifiés pour desservir la communauté francophone dans toutes les régions de l’Ontario et qu’il n’existe pas de définition claire de ce que constitue un juge bilingue89, le Comité propose que : 87 88 89 Dans son étude sur le bilinguisme dans les tribunaux fédéraux, Marie-Ève Hudon résume les positions sur le bilinguisme obligatoire des juges de la Cour suprême du Canada. Il est intéressant de constater que même les opposants du bilinguisme obligatoire argumentent que dans la mesure où « [i]l est difficile de déterminer le niveau exact de compétence souhaité, que ce soit en matière de lecture, d’écriture, d’expression ou de compréhension orale. Il faudrait instaurer des tests pour évaluer la compétence linguistique des juges et déterminer si un bilinguisme passif est suffisant pour répondre à la norme » voir Hudon, supra note 24 à la p 14. Comité consultatif de la magistrature et du barreau sur les services en français auprès du procureur général de l’Ontario, Accès à la justice en français, 2012 à la p 8, en ligne : Ministère du procureur général <http://www.attorneygeneral.jus.gov.on.ca/french/about/pubs/bench_bar_advisory_ committee/Default.asp>. Ibid aux pp 33-34. REVUE DE DROIT D’OTTAWA 96 44:1 OTTAWA LAW REVIEW 44:1 [l]es tribunaux profite[nt] d’un processus officiel servant à évaluer pleinement et objectivement la capacité bilingue et les compétences linguistiques réelles des candidats à la magistrature lorsqu’un juge doit être nommé. Bien que la pratique actuelle de consultation sur le besoin de juges et de juges de paix bilingues soit utile, elle ne permet pas de régler complètement les problèmes que le Comité a identifiés. La suffisance et le placement des juges et juges de paix bilingues doivent être évalués de façon plus formelle, compte tenu de l’objectif d’assurer l’accès égal à la justice en temps opportun et d’une manière économique, dans l’ensemble de la province90. Les professions juridiques ne sont pas étrangères aux tests linguistiques. Par exemple, au Québec, en raison de la Charte de la langue française, « [l]es ordres professionnels ne peuvent délivrer de permis qu’à des personnes qui ont de la langue officielle une connaissance appropriée à l’exercice de leur profession »91. L’une des façons de témoigner du niveau de connaissance approprié de la langue officielle est « [d’]obtenir une attestation délivrée par l’Office québécois de la langue française ou [de] détenir une attestation définie comme équivalente par règlement du gouvernement »92. C’est pourquoi il existe déjà une structure institutionnelle administrant un régime de tests de compétence linguistique en français au Québec93. Aussi, les postes dans la fonction publique du Canada sont désignés en fonction de la compétence linguistique requise pour l’exercice du poste en question. La compétence linguistique des candidats est évaluée au moyen de tests94. Il existe donc au moins deux structures institutionnelles administrant des régimes 90 91 92 93 94 Ibid à la p 35. Supra note 5, art 35. Le Barreau du Québec est un ordre professionnel au sens de la Charte de la langue française. Voir Code des professions, LRQ, c-26, art 1, ann I ; Charte de la langue française, supra note 5, ann ; Loi sur le Barreau, LRQ, c B-1, art 4. Charte de la langue française, supra note 5, art 35. Aussi, toujours en vertu de l’article 35 : « [u]ne personne est réputée avoir cette connaissance si : 1° elle a suivi, à temps plein, au moins trois années d’enseignement de niveau secondaire ou postsecondaire dispensé en français ; 2° elle a réussi les examens de français langue maternelle de la quatrième ou de la cinquième année du cours secondaire ; 3° à compter de l’année scolaire 1985-1986, elle obtient au Québec un certificat d’études secondaires ». Il va donc sans dire que la simple détention d’un permis d’exercice de la profession d’avocat du Québec par un membre du Comité d’audition devrait témoigner de sa compétence à siéger sur une audience en français du Comité d’audition. Règlement sur la délivrance d’attestations de connaissance de la langue officielle en vue de l’admission aux ordres professionnels et sur certains équivalents à ces attestations, D 1757-93, (1993) GOQ II, 8895 ; Gouvernement du Québec, « Vivre en Français – Vos obligations – Membres des ordres professionnels – Renseignements et conseils » (14 juin 2011), en ligne : Office québécois de la langue française <http://www.oqlf.gouv.qc.ca/francisation/ordres_prof/ordres.html>. En français, voir Gouvernement du Canada, « ELS - Renseignements à l’intention des candidats » (juillet 2012), en ligne : Commission de la fonction publique du Canada <http://www.psc-cfp. gc.ca/ppc-cpp/sle-els/cand-info-cand-fra.htm>. En anglais, voir Gouvernement du Canada, « SLE - Information for Candidates » (juillet 2012), en ligne : Public Service Commission of Canada <http://www.psc-cfp.gc.ca/ppc-cpp/sle-els/cand-info-cand-eng.htm>. Le statut du français au sein de la profession juridique en Ontario : Réflexions sur le droit d’exiger une audience 97 devant des membres de panel d’audition qui s’expriment en français au Comité d’audition du Barreau du Haut-Canada de tests de compétence linguistique au Canada, dont l’une qui s’étend au Barreau du Québec. Ces structures sont très bien établies. Au minimum, le Barreau du HautCanada devrait s’inspirer des meilleures pratiques développées par ces deux institutions. Les titulaires de permis à priori aptes à être affectés à une audience du Comité d’audition en français pourraient être identifiés en fonction de leur diplôme universitaire. Par exemple, pour être diplômé du Programme de common law en français de l’Université d’Ottawa, l’étudiant doit : a) suivre tous les cours de première année en français et obtenir la note de passage dans chacun ; b) obtenir 75 p. 100 des crédits de deuxième et troisième année dans des cours en français ; c) suivre les cours CML 2713. Droit constitutionnel II (partage des pouvoirs) et CML 2709. Procédure civile I et tout autre cours obligatoire en français et obtenir la note de passage dans chacun ; d) satisfaire à l’exigence du tribunal-école en français ; e) rédiger un mémoire de recherche en français dans un cours suivi en français ; f) rédiger en français tous les travaux et les examens exigés dans les cours suivis en français ; g) satisfaire à toutes les exigences de la promotion du programme de LL.B. énoncées à la règle 19 du présent règlement95. Le programme de droit canadien de l’Université d’Ottawa96 et le programme de Juris Doctor de l’Université de Moncton97 imposent des exigences similaires à leurs étudiants diplômés. Les titulaires de permis ontarien sont tenus de remplir un rapport annuel98. Dans ce rapport, le Barreau du Haut-Canada ne fait qu’encourager les avocats à faire une déclaration volontaire concernant leur appartenance à différentes communautés. Cette déclaration volontaire inclut des questions sur la compétence linguistique des avocats. Cette déclaration est non seulement volontaire, mais aussi anonyme. Ainsi, le Barreau du Haut-Canada, bien qu’il possède déjà des données concernant la compétence linguistique de ses membres, ne pourrait pas utiliser ces renseignements 95 96 97 98 Université d’Ottawa, Faculté de droit, Section de common law, « Règlements scolaires », art 20.2, en ligne : Université d’Ottawa <http://www.commonlaw.uottawa.ca/fr/academics-affairs/policies-andprocedures/academic-regulations.html>. Ces règlements sont adoptés en application du paragraphe 18(2) de la Loi concernant l’Université d’Ottawa, SO 1965, c 137 [Loi concernant l’Université d’Ottawa]. Université d’Ottawa, Faculté de droit, Programme de droit canadien, « Exigences générales », en ligne : Université d’Ottawa <http://www.droitcanadien.uottawa.ca/fr/programs/droit-canadien/ general-requirements.html>. Ces règlements sont adoptés en application du paragraphe 18(2) de la Loi concernant l’Université d’Ottawa, supra note 95. Université de Moncton, Faculté de droit, Programme de Juris Doctor, « Droit - Règlements particuliers », art 3.0-3.2, en ligne : Université de Moncton <http://www.umoncton.ca/repertoire/1er_cycle/ faculte_droit_reglements.htm>. Ces règlements sont adoptés en application du paragraphe 8(1) de la Loi sur l’Université de Moncton, LN-B 1986, c 94. Ce rapport doit être soumis avant le 31 mars de chaque année. Voir Barreau du Haut-Canada, Règlement administratif no 8 – Divulgations et déclarations obligatoires, art 5-6, en ligne : Barreau du HautCanada <http://www.lsuc.on.ca/with.aspx?id=1070&langtype=1036>. 98 REVUE DE DROIT D’OTTAWA 44:1 OTTAWA LAW REVIEW 44:1 pour créer la liste de candidats qui, en raison de leur compétence linguistique, seraient capables d’être membres du Comité d’audition affectés à une audience en français. Au minimum, le Barreau doit, dès maintenant, modifier la déclaration volontaire incluse au rapport annuel et ajouter une section dans laquelle les titulaires de permis autoévaluent et déclarent solennellement leurs compétences linguistiques. B. Décentralisation administrative Nous avons évoqué précédemment les problèmes découlant du fait que les audiences du Comité d’audition sont tenues presque uniquement à Toronto. Cette exigence érige des barrières additionnelles qui découragent sûrement les francophones plus éloignés de participer activement à la gouvernance de leur Barreau, notamment en tant que membres du Comité d’audition. Il est préférable d’administrer ce type d’affaires localement. Il est peu efficace d’imposer à une majorité de gens d’Ottawa de se déplacer à Toronto pour une audience alors que celle-ci pourrait tout autant avoir lieu à Ottawa. Par exemple, lors d’une audience urgente devant le Comité d’audition tenue à Toronto où le Barreau cherchait l’obtention d’une ordonnance pour suspendre le permis d’exercice d’un titulaire de permis francophone, les trois membres du panel du Comité d’audition, le sténographe bilingue, le titulaire de permis lui-même, son procureur et l’enquêteur du Barreau étaient tous en provenance d’Ottawa. Seules la greffière et l’avocate du Barreau étaient en provenance de Toronto99. Rappelonsnous que lorsque ce fut dans l’intérêt du public, l’Ontario a traditionnellement décentralisé l’administration de la justice et créé des cours itinérantes100. Encore aujourd’hui, la Cour divisionnaire de l’Ontario se déplace dans la province pour entendre les appels portés devant elle101. C’est aussi vrai dans le cas de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale102, la Cour d’appel de la cour martiale103, du Tribunal de la concurrence104 et la Cour canadienne de l’impôt105. Cela signifie que des juges des Cours fédérales et des juges exerçant une juridiction inhérente se 99 100 101 102 103 104 105 Barreau du Haut-Canada c Trudel, 2010 ONLSHP 139 aux para 5, 37 (disponible sur QL). C’était d’ailleurs le cas dans Landry nº 1, supra note 14 et Landry nº 2, supra note 17. Voir par ex Margaret A Banks, « The Evolution of the Ontario Courts 1788-1981 » dans David H Flaherty, dir, Essays in the History of Canadian Law, vol 2, Toronto, University of Toronto Press, 1983, 492 aux pp 501-02, 527 ; Ontario, Ministère du Procureur général, Report of the Ontario Courts Inquiry, Toronto, Imprimeur de la Reine pour l’Ontario, 1987 (Président : Honorable TG Zuber) aux pp 2425, 43-44, 105-09, 174. Loi sur les tribunaux judiciaires, LRO 1990, c C.43, art 20(1). Voir Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, art 15(1), 16(3) ; Règles des Cours fédérales, DORS/98106, art 28. Voir Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N-5, art 235(1) ; Règles de la Cour d’appel de la cour martiale, DORS/86-959, art 4.1(1). Loi sur le Tribunal de la concurrence, LRC 1985, c 19 (2e supp), art 15 ; Règles du Tribunal de la concurrence, DORS/2008-141, art 40(1). Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, LRC 1985, c T-2, art 14(1), 24 ; Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688a, art 66(1), 123. Le statut du français au sein de la profession juridique en Ontario : Réflexions sur le droit d’exiger une audience 99 devant des membres de panel d’audition qui s’expriment en français au Comité d’audition du Barreau du Haut-Canada déplacent pour entendre les appels portés devant eux. Pourtant, alors qu’il serait dans l’intérêt du public que les audiences du Comité d’audition du Barreau du Haut-Canada aient lieu dans la région du titulaire de permis convoqué devant celuici, la norme à l’heure actuelle est que ces audiences soient entendues à Toronto. Il est aussi injuste de soumettre un titulaire de permis et sa pratique, qui pourrait s’être presque uniquement déroulée dans un contexte rural, aux normes et aux standards professionnels torontois. S’il existe des différences importantes entre les cultures professionnelles de Toronto et d’Ottawa106, il existe certainement des différences entre les cultures professionnelles de Toronto et d’une région rurale plus éloignée des centres urbains. La conformité d’un comportement avec la norme professionnelle sera donc mieux évaluée localement, par des pairs. Une telle décentralisation aurait aussi le mérite de respecter le principe de subsidiarité, reconnu par la Cour suprême du Canada, qui veut que la meilleure gestion publique soit celle qui est mise en œuvre par l’entité apte la « plus proche des citoyens touchés et, par conséquent, [la] plus sensible à leurs besoins, aux particularités locales et à la diversité de la population »107. C’est sûrement parce qu’ils reconnaissent cette valeur sociale ajoutée que certains ordres professionnels laissent libre le choix de l’emplacement à la présidence du comité de discipline plutôt que prescrire un emplacement par défaut108. Le Barreau pourrait imiter cette pratique. Il pourrait aussi s’inspirer de la Directive de pratique sur la tenue d’audiences dans les centres régionaux du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, qui s’engage à rendre ses audiences et ses conférences de médiation accessibles en se déplaçant dans une série de centres régionaux à travers l’Ontario109. 106 107 108 109 Voir par ex Julie Macfarlane, The New Lawyer: How Settlement is Transforming the Practice of Law, Vancouver, UBC Press, 2008 aux pp 36, 213-14, 235. 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c Hudson (Ville), 2001 CSC 40 au para 3, [2001] 2 RCS 241. Par exemple, la Loi sur les ingénieurs, LRO 1990, c P.28, art 27(5)d) prévoit que le président du Comité de discipline peut « fixer la date, l’heure et le lieu de l’audience ». Voir aussi Certified Management Accountant (Ontario), Discipline Committee Rules of Procedure, art 13.1, en ligne : CMA Ontario <http://www.cma-ontario.org/> ; Ordre des travailleurs sociaux et des techniciens en travail social de l’Ontario, Rules of Practice and Procedure of the Discipline Committee, art 5.01(3), en ligne : OCSWSSW <http://www.ocswssw.org/fr/default.htm>. Celle-ci est énoncée sur le site web du Tribunal. Voir Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, « Directive de pratique sur la tenue d’audiences dans les centres régionaux » (mars 2010), en ligne : Tribunal des droits de la personne de l’Ontario <http://www.hrto.ca/hrto/?q=fr> : Le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (TDPO) a établi l’approche suivante relativement aux centres régionaux. La procédure ici décrite l’est uniquement à titre d’information. Elle ne constitue pas une règle au sens des Règles de procédure du TDPO. L’approche du TDPO peut varier au besoin. Le TDPO s’est engagé à rendre ses audiences et ses conférences de médiation accessibles. Le TDPO tiendra des audiences dans les centres régionaux suivants : Toronto, Kingston, London, North Bay, Ottawa, Sarnia, Sault Ste. Marie, St. Catharines, Sudbury, Timmins, Thunder Bay et Windsor. Le TDPO peut tenir des audiences dans des lieux autres que ceux énumérés plus haut afin de satisfaire aux besoins spéciaux prévus par le Code ou à d’autres besoins des parties ou de leurs témoins.Toute demande de changement de lieu doit être présentée par écrit au greffier dans les plus brefs délais. REVUE DE DROIT D’OTTAWA 100 44:1 OTTAWA LAW REVIEW 44:1 Il existe un problème d’offre active avec la structure actuelle. Une politique d’offre active militerait en faveur d’une décentralisation des audiences du Comité d’audition. Les francophones auraient activement la chance d’entendre les affaires du Comité d’audition. En plus d’être efficace, la décentralisation des audiences du Comité d’audition est revêtue d’une valeur sociale ajoutée. C. Un pouvoir de gouvernance pour les membres francophones du Barreau Nous avons évoqué précédemment les problèmes reliés au processus électoral au sein du Barreau du Haut-Canada. Entre autres, il empêche les francophones d’avoir accès à la gouvernance de leur Barreau. Il est d’une importance fondamentale que les francophones aient accès à la gouvernance du Barreau qui les régit. Lors du Colloque sur le statut du français dans la réglementation de la profession juridique tenu à l’Université d’Ottawa le 25 mai 2012, certaines des conférences ont évoqué l’idée d’une réforme du processus électoral au sein du Barreau du Haut-Canada visant à réserver un siège au Conseil pour la communauté de titulaires de permis francophones110. Il ne s’agit pas d’une idée extravagante. Bien au contraire, dans son étude des systèmes électoraux et des modes de scrutin, Martin nous explique qu’il « existe dans certains parlements des sièges réservés » et qu’une telle mesure existe « en général pour permettre la représentation de catégories spécifiques de la population, souvent des minorités linguistiques ou religieuses, ou encore des groupes socialement défavorisés »111. La démocratie et la protection des minorités sont deux principes constitutionnels fondamentaux en droit canadien qui doivent cohabiter l’un avec l’autre112. Une réforme du processus électoral au sein du Barreau du Haut-Canada qui réserverait un siège pour les francophones est un exemple d’incarnation que peut prendre la cohabitation de ces deux principes fondamentaux. Une telle mesure aurait pour effet d’accroître la compétence décisionnelle des membres francophones du Barreau, sans porter atteinte au caractère démocratique de l’institution. De plus, bien qu’une telle réforme soit une solution au problème systémique causé par la structure électorale au Barreau, il s’agit aussi d’un moyen de régler les autres problèmes soulevés dans cet article. En effet, avec une voix assurée au 110 111 112 Darius Bossé et Mathieu Demilly, « Colloque sur le statut du français dans la réglementation de la profession juridique » (juillet 2012), en ligne : La Clef – Bulletin de la Conférence des juristes d’expression française de common law <http://www.cba.org/abc/nouvelles-sections/2012/ PrintHTML.aspx?DocId=49091>. Martin, supra note 74 à la p 26. Lors du Colloque sur le statut du français dans la réglementation de la profession juridique, tenu à l’Université d’Ottawa le 25 mai 2012, Maître Ingride Roy, au cours d’une présentation intitulée « Les droits de gouvernance des minorités dans la réglementation de la profession juridique : perspectives comparées internationales », dressait un portrait inquiétant des droits de participation à la vie publique que possèdent les minorités en Ontario. Voir aussi Cardinal, supra note 74 ; Bird, supra note 76 ; Marc Weller et Katherine Nobbs, dir, Political Participation of Minorities: A commentary on International Standards, Oxford, Oxford University Press, 2010. Renvoi relatif à la sécession du Québec, supra note 2 aux para 79-82. Voir aussi Lalonde, supra note 57. Le statut du français au sein de la profession juridique en Ontario : Réflexions sur le droit d’exiger une audience 101 devant des membres de panel d’audition qui s’expriment en français au Comité d’audition du Barreau du Haut-Canada sein du Barreau, il serait possible de faire connaître les problèmes existants au sein de la réglementation linguistique de la profession juridique en Ontario, mais aussi les solutions appropriées à ces problèmes. Il faut croire qu’avec un meilleur accès à la gouvernance du Barreau, les membres francophones pourraient soulever les problèmes relatifs au statut du français au sein du Barreau, notamment dans l’administration des audiences du Comité d’audition. IV. CONCLUSION Le présent article se veut une analyse du droit que possèdent les titulaires de permis francophones de l’Ontario d’exiger que leur audience devant le Comité d’audition soit tenue devant des membres qui s’expriment en français, sans l’aide d’un interprète ou de toute technique de traduction simultanée ou d’interprétation consécutive. On constate que trois problèmes nuisent particulièrement à la mise en œuvre de ce droit et généralement au statut du français au sein de la profession juridique en Ontario. Ces problèmes sont reliés au bilinguisme comme compétence nécessaire à la qualité de l’audience, au bilinguisme culturel comme garant de la légitimité du processus décisionnel du Comité d’audition et aux barrières d’ordre systémique et structurel. Le présent article visait aussi, dans un deuxième temps, à proposer une série de réformes qui contribueraient à la progression vers l’égalité réelle entre les titulaires de permis francophones et anglophones. À cet égard, nous avons traité, notamment, de la compétence linguistique des titulaires de permis, de la décentralisation administrative et de la gouvernance du Barreau du Haut-Canada. Concluons en faisant remarquer que la profession juridique étant autoréglementée, très peu de facteurs pratiques militent contre la possibilité d’apporter les réformes que nous avons évoquées. Cela étant dit, il est évident que la solution la plus pérenne soit l’éducation. L’éducation change les mœurs et la culture professionnelle. Il s’agit d’une solution lente, mais très efficace. Nous devons continuer à encourager les gens à développer leur connaissance de l’autre langue officielle. Comme le suggère Voyvodic, nous devons aussi miser sur le développement de la « compétence culturelle » des juristes. À cet égard, le Barreau peut et doit jouer un rôle d’avant-garde.