les plateformes pétrolières se mettent au vert

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les plateformes pétrolières se mettent au vert
grand angle I futur
les plateformes
pétrolières
se mettent au vert
Symboles industriels des années 1980, de nombreux sites
d’extraction en mer arrivent en fin de vie. Architectes et
ingénieurs proposent de les transformer en îlots écologiques.
par alexandre hiélard
Projet Oil Rig Resort & Spa
Cet hôtel, alimenté par des panneaux
solaires et des éoliennes, possède sur
un de ses pieds un module de plongée
qui descend les touristes vers
les fonds marins du golfe du Mexique.
4 000 sites d’extraction sont en voie d’extinction
faute de pétrole, selon Alcen, Fondation d’entreprise
pour la connaissance des énergies. Un vrai casse-tête
financier et environnemental que des architectes et
ingénieurs proposent de résoudre avec des solutions
innovantes.
Bâtir un hôtel autonome en énergie
Le cabinet américain Morris Architects envisage
ainsi de recycler une plateforme offshore du golfe
du Mexique en un complexe hôtelier mêlant luxe
et écotourisme. Leur projet Oil Rig Resort & Spa a
été récompensé en 2008 lors du concours Radical
Innovation in Hospitality, qui promeut chaque
année les futures formes d’hébergement. Selon
les calculs du cabinet, le golfe du Mexique offrirait
dans les années à venir plus de 7 millions de mètres
carrés habitables. Equipé de panneaux solaires
et d’éoliennes, leur futur hôtel vise l’autonomie
en énergie. Une marina permettra d’accueillir les
bateaux de croisière en transit. Les visiteurs pourront alors grimper sur le toit et profiter d’une plage
de sable blanc au bord d’une piscine, ou descendre
dans les profondeurs, grâce à un module de plongée
fixé à l’un des piliers de la plateforme, pour admirer
les récifs coralliens.
illustration © morris architect
h
uldra, née en 2001 au milieu de la
mer du Nord, mort annoncée en
2015 après de bons et loyaux services, cherche acquéreur. Début des
enchères : 13 centimes d’euros. »
C’est sous la forme d’une petite
annonce qu’en 2011, le groupe pétrolier norvégien
Statoil a annoncé la vente de l’une de ses plateformes offshore (en mer), bientôt obsolète. Faute
d’acheteur, Huldra devra être démantelée. Cette
mesure est notamment imposée par la Convention
de Genève relative au droit de la mer, signée en
1958. Et Huldra n’est pas la seule à se trouver dans
cette situation. La plupart des plateformes pétrolières offshore, montées au cours des années 19701980, voient aujourd’hui leurs gisements se tarir et
devront être démantelées d’ici à 2040.
L’enjeu est important pour l’industrie pétrolière tant
les coûts s’annoncent élevés. Une étude conjointe des
cabinets Deloitte et Douglas-Westwood, publiée en
novembre 2011, estimait à près de 56 milliards d’euros la facture pour la seule mer du Nord, qui compte
près de 500 plateformes. Une goutte d’eau pourtant
par rapport aux 15 000 à 20 000 installations répertoriées à l’échelle mondiale. Dans le golfe du Mexique,
zone d’exploration la plus dense au monde, près de
grand angle I futur
l’électricité. Les essais en bassins, réalisés en septembre et octobre, ont permis d’obtenir « des résultats meilleurs que les prévisions calculées », se réjouit
Alain Larivain. Il cherche désormais des investisseurs pour bâtir un démonstrateur constitué d’un
mono-pieu, dans des profondeurs allant de 25 à
50 mètres et muni d’une bouée de 15 mètres de diamètre. Estimé à 8 millions d’euros, il sera placé sur un
site d’essai en bordure européenne de l’Atlantique.
D’autres projets prennent un tour plus écologique. Ancien ingénieur pétrolier, Alain Larivain
a accompagné les premiers forages offshore il y a
plus de trente ans. Il est aujourd’hui à la tête de l’entreprise Hydrocap Energy, fondée en 2004. Son
ambition ? Produire de l’électricité grâce à l’énergie
houlomotrice, aussi appelée énergie des vagues, en
réutilisant notamment des plateformes laissées à
l’abandon. Il compte ainsi passer de l’énergie fossile aux énergies renouvelables. Son projet, baptisé
Seacap, est « directement inspiré des technologies
pétrolières offshore », assure-t-il. L’objectif est de
réduire les coûts du démantèlement par de nouvelles
utilisations. On ne conservera pas toute la structure,
mais uniquement la partie sous-marine. »
Des essais en bassin prometteurs
L’ancienne installation servira de noyau central.
Autour, de nouveaux pieux y seront rattachés, encastrés à la verticale dans le fond marin. « On ne peut
pas garder les piliers de la plateforme, souligne Alain
Larivain. Ils sont souvent inutilisables car légèrement
inclinés et entrecroisés. » Impossible donc d’y fixer les
flotteurs qui, grâce à l’oscillation des vagues, doivent
coulisser librement le long de ces longues colonnes
d’acier pour alimenter une turbine et produire de
Autour des piliers
de la plateforme
Seacap, des
bouées oscilleront
au rythme des
vagues. L’énergie
capturée servira
à produire
de l’électricité.
Après validation du prototype, le concept pourra
être développé « sur des plateformes opérationnelles
constituées de pieds multiples, chacun étant équipé de
sa bouée ». A terme, Seacap se présentera sous la forme
de fermes houlomotrices, avec plusieurs plateformes
reliées entre elles, et atteindra une puissance de plusieurs centaines de mégawatts », soit l’équivalent d’un
champ d’éoliennes offshore, assure Alain Larivain.
Mais l’ingénieur voit plus loin que la seule production
d’électricité. « Sur le deck (partie supérieure émergée),
dont la surface peut aller jusqu’à plusieurs centaines
de mètres carrés, on pourra développer d’autres activités industrielles utilisant directement l’énergie
marine, comme la production d’hydrogène ou la fabrication d’eau douce. »
D’autres usages, plus inattendus, pourraient voir le
jour. « On peut très bien imaginer des prisons, des
villages-vacances ou l’installation d’usines à l’activité bruyante, prophétise Alain Quénelle, professeur à l’IFP School, une école d’ingénieur française
spécialisée dans les énergies. Le gros problème de
la réutilisation, c’est le financement. La durée de vie
des gisements correspond à celle des plateformes.
Celles-ci sont abîmées par la corrosion et nécessitent de gros travaux d’inspection et de renforcement. Cela coûte cher ! » Le salut pourrait venir
d’une nouvelle génération de plateformes : les FPSO
(Floating Production Storage and Offloading). Ces
unités flottantes, simplement ancrées au plancher
marin, ont été développées à partir de 2000 pour
exploiter des gisements en eaux très profondes.
« Elles pourraient être plus facilement reconverties
pour d’autres fonctions, souligne le chercheur. Mais
il faut attendre 2040 pour le savoir ! »
Un nouveau paradis pour plongeurs
Depuis 2010, une ancienne
plateforme offshore, rebaptisée
« Seaventures Dig Dive Resort »
et située au large de Bornéo, dans
le Sud-Est asiatique, est devenue
un hôtel équipé de 25 chambres.
Le confort est spartiate, mais les
86
touristes viennent surtout admirer
la riche faune tropicale et les
récifs coralliens qui ont pris place
sous la structure. Aujourd’hui,
il s’agit du seul centre de plongée
sous-marine au monde situé
sur un ancien site pétrolier.
magazine du vendredi 22 novembre 2013
photo © shamser/seaventures illustration © hydrocap energy
Installer des prisons
ou des villages-vacances