enquête - Le Slog
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0123 enquête Mercredi 16 octobre 2013 21 Une valise diplomatique retrouvée sur le glacier des Bossons, le 21 août 2012, quarante-six ans après le crash du « Kangchenjunga » d’Air India. ARNAUD CHRISTMANN/AFP Patricia Jolly Troyat, La Neige en deuil, inspiré de la tragédie du Malabar-Princess. Elle s’est emparée de l’histoire des deux drames et a écrit Crash au mont Blanc, publié chez Glénat en 1991 et réédité début 2013 (éd. Le Petit Montagnard).«Il nes’agit pasd’unecontreenquête, explique-t-elle, mais d’un hommage à tous les fantômes qui poursuivent leur inexorable descente du glacier.» Elle a interviewé sauveteurs, habitants de la vallée, techniciensde l’aéronautiqueet a brièvement eu accès aux dossiers d’instruction, vite classés. Une lettre adressée au juge par un assureur agissantau nom d’un courtier en pierres précieuses et datant de juin 1966 y évoque « un petit colis de diamants» transporté par le Kangchenjunga. Les pierres retrouvées en septembre? Qu’importe,les rumeursles plus invérifiables et les fantasmes entourent depuis toujours les deux accidents. Pour le Malabar-Princess, il était question d’une cargaison de lingots d’or. Pour le Kangchenjunga, à bord duquel se trouvait le professeur Homi J. Bhabha, 57 ans, père du programme nucléaire indien, d’un attentat. Et dans les deux cas, d’hôtelset de chalets luxueux construits par des pilleurs d’épaves. Chamonix-Mont-Blanc (Haute-Savoie) Envoyée spéciale Q uand Jeannette Bollard, 78 ans, a lu dans Le Dauphiné libéré qu’une boîte remplie de sachets de pierres précieuses d’une valeur de 300 000 euros avait été découverte sur le glacier des Bossons, à Chamonix, le 9 septembre, par un jeune alpiniste savoyard qui l’avait remise à la gendarmerie de BourgSaint-Maurice (Savoie), elle a souri. Les « diamants» étaient un vieux sujetde plaisanterie entre elle et son époux, Roger, ancien gendarme du peloton de secours de haute-montagne de Chamonix, mort fin juin à l’âge de 83 ans. Il se souvenait comme si c’était hier de cette fin janvier 1966 où, jeune maréchal des logis-chef, il fouillait le glacier à la recherche de survivants du Kangchenjunga, un Boeing 707 d’Air India. L’appareil en provenance de Bombay et transportant 117 personnes avait percuté les rochers de la Tournette, dans le massif du MontBlanc, juste avant une escale à Genève. A quelque 4 700 mètres d’altitude et à 300 mètres du refuge Vallot, lui, ses collègues et les guides qui les accompagnaient n’avaientretrouvé âme qui vive.Mais tous avaient en mémoire l’image douloureuse de jeunes macaques aux petites mains roses, figés par la glace dans un mouvement de fuite. « Ils les avaient d’abord pris pour des enfants », dit Jeannette Bollard. Les gendarmes avaient aussi hérité d’une mission moins macabre. La compagnie d’assurance britannique Lloyd’s leur avait enjoint de rechercher des « cassettes de diamants » transportées à bord de ce vol. Roger Bollard avait bien mis la main sur quelque chose qui y ressemblait. « Une boîte en métal qu’il m’avait expliqué avoir ouverte difficilement à cause de ses doigts gonflés dans ses grosses moufles», se souvient Jeannette Bollard. Roger Bollard avait mis au jour des petites choses translucides, emballées dans du papier de soie. « C’était un gars de la campagne, relate sa veuve,et il n’avaitjamais vu unepierreprécieuse de sa vie. Il a pris l’emballage pour celuidesbonbonsberlingots.»D’une pichenette et en maugréant, Roger Bollard avait rejeté la boîte dans le glacier, qui l’avait engloutie. Il n’avait compris sa gaffe qu’une fois de retour dans la vallée… Puissante langue de glace qui descend du mont Blanc, le glacier des Bossons est un cimetière à ciel ouvert depuis le crash, le 3 novembre 1950, d’un autre appareil d’Air India : le Constellation Malabar-Princess, qui s’est abîmé au même endroit que le Kangchenjunga. Il comptait à son bord 48 personnes, dont une large majorité de marins pakistanais qui rejoignaient une base britannique. Les vaines tentatives de sauvetage avaient causé la mort d’un grand guide chamoniard: René Payot. Depuis, pas un jour ne passe sans que le glacier des Bossons – qui avance d’un mètrepar jour – livre des vestigesdesdeux crashs : des corps arrimés à leurs sièges d’abord, puis des dizaines de chaussures, des morceaux de carlingue, des bijoux, de l’argenterie, des manteaux… En août 2012, deux alpinistes ont redescendu une valise diplomatique datant du crash de 1966: du courrier et des journaux, qui ont été remis auxautoritésindienneslorsd’unecérémonie symbolique. Après la découverte du très honnête jeune alpiniste savoyard, qui a prudemment conservé l’anonymat, une procédure administrative a été lancée pour tenter de retrouver le destinataire des gemmes, ou plutôt ses héritiers. Plusieurs personnes de différentes nationalités se sont déjà manifestées, mais il leur faudra prouver leur lien avec le butin. Faute de quoi, l’article 716 du code civil dispose que la moitié du trésor est acquise au découvreur, l’autre au propriétaire du terrain : la communede Chamonix-Mont-Blanc.Les autorités françaises, qui parlaient au départ d’émeraudes, saphirs et rubis pour un total de 132 grammes, se gardent aujourd’hui de donner le moindre détail sur la découverteafinde nepas susciterderevendications intempestives. «Ma hantise est de trouver des restes humains. Quand ça arrive, je les dépose dans une crevasse» Josée De Vérité « La ferrailleuse des Bossons » Mont-Blanc etmerveilles Le 9septembre, une boîte de pierres précieuses a été retrouvée sur le glacier des Bossons. Chaussures, bijoux, documents… Près de cinquante ans après le crash d’un Boeing d’Air India, la montagne n’en finit pas de livrer ses secrets Le lendemain de la révélation par la presse de la trouvaille des pierres précieuses,le 27 septembre,Josée De Vérité, 62 ans, a scruté ce qu’elle appelle «[son] glacier » à la jumelle. « Pas moins d’une quinzaine de personnes s’y baladaient les yeux rivés au sol », s’amuse-t-elle. Epouse d’un pilote d’hélicoptère, cette Picarde, ancienne bergère, surnommée « la ferrailleuse des Bossons» s’est installé un petit atelier en plein air avec vue imprenable sur l’impressionnante langue de glace qui – à cause du réchauffement climatique – ne lèche plus tout à fait la vallée. Là, été comme hiver, elle sculpte, depuis 1984, les morceaux de carlingue issus des deux crashs aériens. « Pour réunir ces victimes prisonnières à jamais des glaces et qui n’ont même pas eu droit à un mémorial», explique-t-elle. La course, qu’elle effectue plusieurs fois par mois, n’a rien d’une balade. Elle exige l’équipement et l’expérience d’un alpiniste de bon niveau. Josée De Vérité dégage délicatement ses trouvailles avec son piolet et, quand elle ne peut les redescendre immédiatement sur son dos, elle y accrocheunrubanrougepourmarquerce«territoire », comme le font les plongeurs. Elle les photographie aussi. « Ma hantise est de trouver des restes humains, souffle-t-elle. Quand ça arrive, je les dépose dans une crevasse. » Elle regrette qu’il n’existe pas de mémorial pour les victimes à Chamonix, juste un carré indien de 2 mètres sur 2 au cimetière du Fayet, sur la commune de Saint-Gervais-les-Bains. Cet été, une de ses œuvres est « partie en Inde », achetée par ChrisArora,dont le jeunefrère AvtarSingh est mort à 23 ans dans le Kangchenjunga. «J’en ai pleuré », dit l’artiste. F rançoise Rey avait 29ans quand elle a découvertcet endroit, en1989. Crampons aux pieds, elle suivait son compagnon, guide de haute montagne, sur le glacier, quand elle a buté sur des débris de carlingue. « Normal », lui avait expliqué son homme, puisque deux avions s’étaient écrasés là. Elle s’était alors souvenue d’avoir lu au collège le roman d’Henri La quête de Daniel Roche, sexagénaire lyonnais, qui explique vivre de rentes immobilières, a tourné à l’obsession après avoir lu le livre de Françoise Rey. Depuis sept ans, il arpente sans relâche les versants français et italien de la montagne sur laquelle les deux avions ont répandu leursdébris. Il va jusqu’àlouer des hélicoptères pour redescendre ses trouvailles. Il estime en avoir récolté 9 tonnes, dont une partie est entreposée dans différents garages.« J’ai dépensé des milliersd’euros, assure celui qu’on surnomme dans la région « la teigne des glaciers ». Mais c’est un devoir de mémoire; j’essaie de retrouver les familles pour leur rendre ce qui appartenait à leurs défunts. » Il donne aussi des conférences en France, aux Etats-Unis, au Canada, sur des paquebots de croisière où il présente un film dans lequel il se met en scène.Ilexpose sonbutin…etle vend. Comme un moteur et une hélice du MalabarPrincess, cédés récemment à un collectionneur de Grenoble. Il a « de tout » : crânes, scalps, morceaux de carlingue, pièces de monnaie… Il a également exhumé le petit sac noir de Josette Bonnargent, seule Française à bord du Kangchenjunga. Agée de 31 ans, l’hôtesse de l’air basée à Los Angeles transportait un ticket de piscine, des cartes devisite,une factured’hôtel,des bigoudis roses, des sous-vêtements,un petit éléphant en ivoire… « Le glacier n’a pas fini de livrer sa vérité », assure Daniel Roche. Il rêve d’apporter la preuve que le Kangchenjunga a été percuté par un avion militaire. Cette thèse n’est pas nouvelle. Pour tenter de la valider,l’alpinisteRené Desmaisonavaitmonté l’opération « Chabert ». Le 22 février 1966, héliporté sur le versant italien avec des techniciens de l’ORTF, il avait photographié et redescendu à pied des restes d’un appareil de chasse. Tout fut confisqué par les carabiniers.« C’étaitune enquête officielle, avec l’autorisation du ministre français de l’information, confiait encore le célèbre alpiniste en 1992 au journaliste Alain Flamand, sur les ondes de la station de radio chamoniarde Chut FM. Mais l’affaire a été étouffée (…). On ne voulait pas que le grand public sache que c’était une collision.» Daniel Roche assure avoir confié il y a quelques semaines à la police technique et scientifique l’exploitation d’un film en noir et blanc datant de l’époque de l’accident du Kangchenjunga et qu’il a luimême déniché sur le glacier. « Sans doute des images faites depuis une caméra embarquée dans un avion militaire », ditil. Le dernier secret du glacier des Bossons. p