Hors-série 2015
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Hors-série 2015
N° 1 / Mars 2015 W hors-série Wissembourg - Altenstadt - Weiler e 70 anniversaire de la Libération de Wissembourg www.wissembourg.fr Le coq qui trônait sur le monument du Geisberg, avant son dynamitage en 1940, a pu être rescapé et caché durant la guerre. Il a été fièrement exhibé le 8 mai 1945. DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Christian Gliech RÉDACTION Bernard Weigel COORDINATION Audrey Impedovo [email protected] CRÉATION MAQUETTE & MISE EN PAGE Sophie Raclot sophie.raclot.creative@ gmail.com PHOTOS ET “UNE” Archives municipales de Wissembourg IMPRESSION Valblor - Illkirch TIRAGE 500 exemplaires DÉPOT LÉGAL À parution Flashez et retrouvez ce hors-série sur notre site. 02 # édito EN COUVERTURE Mes chers concitoyens, W Soixante-dix années nous séparent de la victoire des forces alliées contre le système totalitaire nazi. Après un terrible conflit qui fit plus de 60 millions de victimes, dont une majorité de civils, l’une des pages les plus sombres de notre histoire se tournait dans un immense élan de joie, de fraternité et d’espoir. La résurgence du racisme, de la xénophobie et de la haine antisémite, à laquelle nous assistons aujourd’hui, ne doit en rien être banalisée dans nos démocraties. Comme l'a affirmé Victor Hugo, « Quand la nuit essaie de revenir, il faut allumer les grandes dates comme on allume des flambeaux ». Aujourd’hui, il était important pour nous de rendre hommage à celles et ceux qui se sont sacrifiés avec courage pour libérer l’Europe. Ce regard porté sur notre histoire appelle également une réflexion contemporaine sur la responsabilité de nos idées, de nos actes et de nos engagements. Je tiens à remercier toutes les personnes qui se sont investies pour préparer le programme de ces commémorations. En premier lieu, mon adjointe, Isabelle Matter, Jacques Chabannes, président du Souvenir Français, Bernard Weigel, archiviste, ainsi que les agents municipaux. Cordialement, Christian Gliech, Maire de Wissembourg W Le pont de la Poste dynamité par les Allemands Wissembourg d’une libération à l’autre (16 décembre 1944 et 19 mars 1945) Sous la pression des Américains, le 16 décembre 1944, les derniers Allemands quittent la ville, non sans avoir dynamité les ponts dont celui de la poste. Les Américains y font leur entrée dans le courant de la matinée. L’euphorie sera toutefois de courte durée. C’est très vite une période trouble et difficile qui commence. Au cours des jours suivants, en effet, les Wissembourgeois observent le reflux partiel des blindés et camions américains. Le jour de l’an est marqué par la reprise inquiétante des tirs d’artillerie, notamment du côté de la “Germania”, à l’angle de la rue Bannacker et de la route de Schweigen. Les Allemands reprennent le contrôle de la ville dans l’après-midi du 4 janvier et, tandis qu’à partir du 9 se livre la terrible bataille de chars de HattenRittershoffen qui durera jusqu’au 20 janvier, on entend le bruit sourd de la canonnade jusqu’à Wissembourg. Dans le nord de l’Alsace, l’occupant fait à nouveau régner la terreur ; mobilisations d’office, incorporations et réquisitions, confiscations, exécutions sont de retour. À Wissembourg, le 22 janvier, un important bombardement américain provoque de nombreuses destructions dans trois quartiers de la ville : rue des Cavaliers et rue Nationale, du côté des casernes et surtout à l’église Saint-Jean, gravement endommagée alors que l’objectif était en fait le bâtiment voisin du “Casino” (ensemble Vogelsberger) abritant la Kreisleitung. En février et mars, les tirs d’artillerie se succèdent, à un rythme accéléré après le déclenchement de l’opération “Undertone”. La deuxième Libération n’est pas loin. Auguste et Marguerite Tony, sur un char abandonné par les Allemands en 1946 (photo : Bernard Tony) Église Saint-Jean W hors-série - Mars 2015 # 03 19 MARS 1945 : SOULAGEMENT ET BONHEUR RELATIF Le 16 mars, le front nord se remet en mouvement : la moitié nord de Haguenau est enfin libérée ; troupes françaises et américaines s’engagent dès lors dans la forêt de mines qu’est la Forêt sainte, prennent un à un les villages de l’OutreForêt, Seltz, Soultz. À Wissembourg, le même jour, des attaques aériennes occasionnent destructions et incendies dans le quartier de l’abattoir (rue des Païens), route de Weiler et à l’usine de caoutchouc Kappé-Lindner. Au même moment, - incroyable, mais vrai - les Allemands réunissent encore un conseil de révision pour la Werhmacht et veulent expédier les hommes de 16 à 60 ans à Minfeld, Niederschlettenbach et Klingenmünster pour les mettre à la disposition de la division Hassler. Mais le 17, ce sont les recruteurs qui doivent commencer à plier bagage et se replier sur le Westwall. Le 18 mars, la 14e DIUS passe la nuit au Geitershof et le capitaine Benoît envoie un peloton en éclaireur vers Altenstadt. Celui-ci est obligé de se replier sous le feu ennemi. le sol allemand et le drapeau de la Division Texas flotte sur la Porte de Schweigen. En réalité, la libération de Wissembourg se sera faite dans une ville peuplée seulement d’un tiers de ses habitants, pour de multiples raisons : exode massif de janvier, incorporés de force, Volkssturm, etc. Et encore, nombre de personnes se trouvaient-elles dans les caves et abris au moment où les Américains faisaient leur entrée dans la ville. Lorsque la colonne de chars Sherman, half-tracks, GMC et autres canons d'artillerie entrent dans les rues de la ville, le bonheur est intense. Les uns après les autres, les habitants cachés viennent, le cœur bondissant de joie, saluer leurs libérateurs, se congratulent, s’embrassent. Il reste que ce bonheur semble s’être exprimé avec une certaine réserve : c’est que les Wissembourgeois n’oublient pas les années de misère, d’humiliation, de jeunesse gâchée. Ils songent aussi à toutes les victimes de la barbarie nazie, à ceux d’entre eux qui sont tombés au front, et beaucoup éprouvent de vives inquiétudes en pensant à ceux qui ne sont pas encore revenus. Cependant l’armée américaine ne traîne pas et l’essentiel de la longue cohorte de véhicules prend sans tarder le chemin de l’Allemagne. L’artillerie US prend position autour de Wissembourg, au sud essentiellement, d’où elle canonnera vigoureusement en direction du nord, jusqu’à la percée du Westwall. La guerre n’est pas finie. L’insigne de la 36ème Division d’infanterie US. Le T représente l’État du TEXAS. Le 19, les Français sont sur la Lauter et s’emparent, au prix de combats acharnés, de Scheibenhard : la tête de pont en Allemagne est établie. Sur le flanc gauche, ce sont les Américains qui avancent : tôt dans la matinée, le 142e Régiment de la 36e DIUS (”La Texas”, arrive à Wissembourg. Le 142e bascule des blocs de pierre dans la Lauter pour permettre sa traversée à hauteur de la poste et s'apprête à attaquer Bergzabern en se frayant un passage quelques kilomètres plus à l’est, libérant Altenstadt au passage. À 11 heures du matin, la 36e DIUS pénètre dans Wissembourg, un succès qui sera exploité ensuite par la 14e DBUS. En début d’après-midi, les Américains foulent 04 # Voici comment, un an plus tard, le registre du Conseil municipal de Wissembourg rend compte de cette journée mémorable du 19 mars 1945 : « Que nous apporta l’aube radieuse du 19 mars 1945 ? Les troupes ennemies, les autorités allemandes, la Gestapo enfin quittèrent la ville. Des soupirs de soulagement les détonations caractéristiques de la démolition des ponts - un silence de mort - puis vers onze heures un fol espoir se répand d’abri en abri - les premiers détachements de la 7e armée américaine commandée par le Général Patch font leur entrée en ville. La population, hésitante d’abord, sort des refuges pour accueillir ses libérateurs avec enthousiasme malgré le danger (...).» La fête ... et quelques problèmes Il faudra de fait attendre les jours suivants, avec le retour de toute la population civile ayant pour des raisons diverses quitté la ville, puis celui des soldats de la Wehrmacht, pour que, progressivement, Wissembourg prenne la mesure de la Libération et de la paix revenue. La fête, la vraie fête, ce sera le 8 mai : cette fois Wissembourg savoure réellement, collectivement la victoire et la Libération. Dès le 7 au soir, lorsque la nouvelle de la capitulation allemande se répand en ville, des tirs ainsi que la sonnerie de toutes les cloches pendant une heure saluent l’événement : un cortège improvisé escorte à travers la ville le coq du Geisberg sorti de la clandestinité et seul rescapé du monument dynamité durant l’été 1940. Le lendemain 8 mai, la Délégation municipale composée de sept membres et présidée par le Dr Joseph Ritter ainsi que le Comité de Libération présidé par Auguste Schaaf invitent à la fête place de la mairie : devant la foule en liesse, le Dr Ritter prononce une allocution dont les maîtres mots sont victoire et paix, allocution relayée par les haut-parleurs car, pour la première fois depuis de longues semaines, le courant électrique est rétabli ! Très entourées, les autorités se rendent ensuite sur la tombe du Général Douay et au Geisberg. Les 14 juillet et 4 août, dates des cérémonies traditionnelles, revêtent en cette année 1945 une solennité particulière. Viendront ensuite la visite du Général de Gaulle le 4 octobre, puis le premier anniversaire de la Libération de la ville. Le retour à une vie normale s’effectue progressivement : par-delà l’immense gâchis humain, les familles divisées, les individus traumatisés pour longtemps par les horreurs de la guerre, il reste à régler d’innombrables questions matérielles : rétablissement de la fourniture d’eau, d’électricité, des transports par rail, du courrier ; réouverture des écoles dans l’enthousiasme en dépit d’immenses problèmes matériels (les locaux sont encore jonchés de paille et autres débris laissés par les militaires). Le problème du logement, crucial, marquera la vie wissembourgeoise pendant des années : 147 logements détruits, 1384 plus ou moins endommagés. Construction de groupes de baraques (73 logements), relogement dans la caserne Abel Douay ou à « l’hôpital militaire » constituent de trop maigres réponses à des besoins immenses… le « provisoire » le restera jusque dans les années 1960, mais c’est là un autre chapitre de l’histoire de notre ville ! Souvenons-nous Wissembourg n’est pas, en Alsace du nord, la localité qui a eu à déplorer le plus de pertes de vies humaines au moment de la Libération : à cet égard, et pour ne prendre en considération que les pertes de civils, le tribut payé par Soultz, Seltz, et surtout les communes de Hatten et Rittershoffen est bien plus lourd : les pertes civiles dues à « Nordwind » du 9 au 21 janvier sont estimées à au moins 110 personnes, dont 83 à Hatten même. Ce qui ne doit en aucun cas nous empêcher de nous souvenir de ceux qui sont morts en « victimes accidentelles » de la fin de la guerre, ou en raison de leur résistance à l’ennemi : rappelons qu’à l’approche de la première Libération, la nervosité et la haine de la Gestapo allaient croissant : deux habitants de Hunspach, tirés du lit le 26 novembre 44 furent ainsi abattus au centre de leur village… POUR WISSEMBOURG MÊME, RAPPELONS LES VICTIMES EXÉCUTÉES PAR L’OCCUPANT : Le 12 décembre 1944 au matin, la Gestapo abat, au n° 2 route de Schweigen (actuelle rue de la Paix), le Dr Alfred Zimmermann de Woerth. Âgé de 67 ans, ce médecin a probablement été arrêté par suite d’une confusion avec un autre Woerthois faisant partie d’un réseau de passeurs. Modestement, le Dr Zimmermann lui-même dit au Pasteur Fehn (1), avec lequel il s’entretient longuement lorsque celui-ci vient le rencontrer la veille de l’exécution, ne pouvoir se prévaloir d’aucun acte bien significatif de résistance, mais avoir eu face à l’occupant nazi une réaction simple et normale de rejet, le rejet d’un homme sensé, se laissant aller peut-être à s’exprimer ici ou là avec quelque imprudence. Beaucoup d’entre nous connaissent le site où, le lendemain 13 décembre 44, ont péri, fusillés par la Gestapo, deux autres hommes arrêtés 4 jours plus tôt, soit le 9 décembre : l’endroit exact est rappelé par un calvaire érigé en bordure de route à la sortie d’Altenstadt vers Lauterbourg (2). Il s’agit d’Albert Schwartz (3), 35 ans, un quincaillier wissembourgeois domicilié rue Bannacker, et d’Albert Jung (4), 37 ans, entrepreneur en construction, de Hatten. Tous deux avaient été arrêtés le 9 décembre (5) précédent pour « faits de résistance ». Ayant encore eu l’occasion d’interroger récemment des membres de la famille d’Albert Jung, nous avons dû constater que les faits qui lui étaient reprochés restent mal connus : la résistance de ce père de famille (quatre enfants âgés alors de 9, 8, 7 et 2 ans) au système nazi et en particulier à son représentant local, un Bürgermeister ou Ortsgruppenleiter était résolue. Aujourd’hui encore, Mme Bernadette Mathern, la fille aînée d’Albert Jung (9 ans alors), se souvient avoir marché fièrement au côté de son père qui la tenait par la main… et avançait, ostensiblement à contresens d’un cortège nazi dans la rue du village. Peut-être, comme son compagnon d’infortune Schwartz, Albert Jung a-t-il lui aussi été impliqué dans un réseau de passeurs, mais nous ne connaissons qu’en partie les faits qui lui ont valu d’être éliminé : d’abord assurément parce que l’intéressé était d’une extrême discrétion là-dessus, ensuite parce qu’après sa mort le traumatisme subi par Dès leur découverte en 1946, les corps des deux patriotes ont été inhumés dans leurs communes respectives. La stèle à la mémoire des deux fusillés du Bienwald a été érigée en 1948. (1) Gertrud Fehn, veuve de ce courageux pasteur allemand clairement opposé au régime nazi, un pasteur qui fut unanimement apprécié par les paroissiens de St-Jean, a publié en 1989 un ouvrage consacré à son mari et intitulé Theo Fehn, Sirene und Glocke. S’agissant de Wissembourg, on y trouve la relation complète de l’entretien entre Theo Fehn et A. Zimmermann, des lettres et le journal du pasteur de la fin 1944 aux premiers jours de 1945, enfin le texte d’un sermon prononcé en chaire de St-Jean le 24.9.1944. (2) Le calvaire se trouve à gauche de la route, environ 300 m après le carrefour ancienne usine Wimétal/ hippodrome Hardt, dans une petite brèche aménagée dans la levée de terre qui borde le fossé. (3) Albert Schwartz, né le 19.4.1909, fils de Louis Schwartz et de Marie-Eve née Barthelmann, célibataire, mari de Léonie Kocher. (4) Albert Jung, né là Rittershoffen le 11.3.1907, fils de Michel Jung, charron à Hatten, et de Catherine née Walter, époux de Léonie Kocher. (5) Témoignage de Bernadette Mathern, que nous remercions ici bien chaleureusement pour son accueil : « Ce jour-là la Gestapo s’est présentée à la porte de la maison : ils ont demandé à mon père de se préparer à partir et de saluer sa famille, ont indiqué qu’ils allaient revenir, l’emmener aussitôt qu’ils seraient revenus d’une visite qu’ils devaient encore effectuer chez le Bürgermeister. Ma mère nous a dit plus tard qu’entre-temps il aurait pu s’échapper. Mais nous étions quatre enfants, âgés de 9 ans pour ce qui me concerne, de 8 et 7 ans pour mes deux frères, de 2 ans pour ma petite sœur. C’est probablement pourquoi mon père n’a pas cherché à s’enfuir. » W hors-série - Mars 2015 # 05 la famille, suivi encore par les terribles événements militaires que l’on sait, était tel qu’évoquer ces faits était devenu impossible : la mère des quatre enfants fondait en larmes aussitôt que l’un d’entre eux la questionnait. Portrait d’Albert Jung Néanmoins, quelques précisions ont été, bien après les faits, livrées occasionnellement aux enfants Jung, en particulier par Martha qui servait en tant que « bonne » dans la famille : Martha a ainsi évoqué le fait qu’Albert Jung « a sauvé la vie à plusieurs personnes » (6). Par ailleurs il lui était reproché d’écouter la radio anglaise. Ce qui est certain, c’est que divers éléments confirment son action de résistant et de FFI (7). La Gestapo avait-elle prévu d’exécuter, en ce même 13 décembre, d’autres personnes ? Gamin à l’époque, Charles Haas (8) se souvient par exemple d’un certain Georges Stephan, de Schirrhein, qui au cours des années cinquante et plus tard revenait régulièrement se recueillir au pied du calvaire de la route de Lauterbourg, parce qu’il avait échappé (comment et pourquoi ?), comme d’autres sans doute – M. Haas en est convaincu - à l’exécution à laquelle les Allemands l’avaient promis. 06 # Quant à Jung et Schwartz, ils ont été arrêtés le 9 décembre 1944 par la Gestapo « pour avoir écouté la radio anglaise ». Ont-ils été à un moment ou à un autre conduits en Allemagne, après leur arrestation ? On ne le sait pas trop : telle personne a cru apercevoir A. Jung dans un « camp de concentration », mais il semble surtout qu’ils auront bien été enfermés à la « villa Erna » (avenue de la Gare) à Wissembourg. On les a amenés devant un Standgericht (9), soit un « tribunal » d’exception, qui les condamna à une peine de 6 000 RM chacun et à 5 ans de travaux forcés. Une peine que le Kreisleiter Peter qui, s’était fait présenter le papier, estima « bien trop légère » ; il ratura donc le papier en indiquant qu’il demandait la mort et que, en tant que Kreisleiter, il ordonnait l’exécution immédiate de ce jugement (10). L’exécution des deux hommes n’allait pas traîner : dès le lendemain se présenta le peloton d’exécution que Peter avait commandité à Strasbourg, et l’escouade de SS (11) emmena les deux détenus au champ de tir militaire du Bienwald. Une fois les deux hommes passés par les armes, la même escouade se rendit encore à Haguenau et Mulhouse pour y commettre d’autres forfaits. Si nous connaissons mieux aujourd’hui les circonstances exactes de la mort de ces résistants, ainsi que de la découverte de leurs restes, nous le devons en grande part à des articles parus dans la presse locale en 1946 (12), et que J-L. Vonau a eu le mérite de trouver (13). L’article des DNA daté du 21 août en particulier apporte de précieuses indications sur les circonstances dans lesquelles ils ont été exécutés, affrontant ensemble les balles qui devaient les frapper (14). Après la guerre, Léonie Jung essaya de trouver les traces de son mari en Allemagne, en vain bien sûr. L’enquête entreprise par la gendarmerie de Wissembourg fut un échec aussi. Aussi incroyable que cela puisse sembler, les restes des deux hommes ne furent découverts dans la forêt du Bienwald que bien après l’exécution - environ 1 an et 8 mois plus tard -, presque par hasard : observant un endroit où un renard avait gratté la terre, les démineurs chargés de « nettoyer » ce secteur de la forêt du Bienwald, remarquèrent la présence d’une chaussure, puis découvrirent les restes des deux hommes (15). Les actes de décès enregistrés à la mairie d’Altenstadt l’ont été à la date du 16 août 1946 ! De fait il n’y avait eu ni procès véritable ni jugement digne de ce nom ; il est à noter que Peter, en dépit d’une conduite qui était purement et simplement celle d’un assassin, ne semble pas avoir été ni poursuivi ni inquiété après la guerre… La montre d'Albert Jung, retrouvée avec sa dépouille en août 1946 Bernadette Mathern, fille d’Albert Jung conserve précieusement deux objets de son père : la bague de mariage qui parvint à Léonie Jung, la veuve du fusillé, dix ou vingt ans après la guerre - le remords tardif d’un exécutant sans doute… (16) ; ensuite, la montre d’Albert Jung, trouvée sur sa dépouille en août 1946 et que Mme Mathern conserve aujourd’hui avec la brève notice suivante : « Montre trouvée dans la tombe de mon père fusillé le 12 décembre 1945 à Altenstadt et dont la tombe a été découverte par des démineurs qui ont vu un renard gratter le sol ». Notre relation de ces faits serait incomplète, injuste aussi, si nous n’ajoutions pas ce fait dont nous avons entendu parler quelquefois et qui est rapporté dans un article des DNA paru le 22 août 1946 (17) : quatre « gendarmes » allemands ont été fusillés à deux cents mètres de ce même site du Bienwald le 13 décembre 1944, pour avoir refusé de participer aux exécutions sommaires de Jung et Schwartz. Le fait semble donc incontestable. Cependant, n’ayant pas eu l’occasion de consulter cet article, ni surtout d’avoir d’autres preuves ou témoignages qui en confirment l’exactitude, il nous faut rester prudent, d’autant plus que les recherches que nous avons effectuées pour notre part dans les registres d’état civil de Wissembourg et Altenstadt sont restées vaines : pas la moindre allusion à ces quatre soldats (18). La question reste donc posée. Cependant, si l’information était avérée, l’attitude de ces quatre gendarmes allemands force le respect et doit être inscrite dans la mémoire collective. Aux exécutions précédentes, il faut ajouter la dernière, perpétrée par les nazis entre les deux libérations : le 6 février 1945, Philippe Jung, 40 ans, dessinateur industriel domicilié en ville (rue du Milieu) a été fusillé au cimetière de Wissembourg, après que les nazis eurent affiché à l’hôtel de ville et en d’autres lieux le jugement par lequel ils l’avaient condamné à mort. LES VICTIMES CIVILES PAR FAITS DE GUERRE À cet égard, il faut évidemment rappeler la vive émotion provoquée par le dramatique accident qui, alors même qu’il n’y avait plus de combats dans notre région, mais avant la capitulation allemande, coûta la vie à des enfants : le 4 avril 1945, à 14h30, trois enfants meurent en raison de l’explosion d’un obus que l’un d’entre eux manipulait au « Grabenloch » (19), c’est-à-dire entre Lauter et boulevard Clemenceau : Jean Carbiener, petit garçon âgé de 7 ans, sa grande sœur Yvette, âgée de 10 ans, enfin leur voisine et amie Madeleine Hergert (11 ans), tous trois domiciliés « im Hinterbruch », meurent déchiquetés. La liste des victimes civiles (bombardements, tirs d’artillerie, mitraillages) au cours de la fin de la guerre est longue, plus difficile aussi à établir avec certitude (20). Le témoignage de Hermann Gaertner, alors responsable des pompiers, et bien entendu les inscriptions dans les registres d’état civil (souvent rédigées par le même Gaertner en tant qu’il était employé de la commune…) sont à cet égard précieux. Incontestablement, ce sont les bombardements dans le secteur de la gare qui ont fait le plus grand nombre de morts : ainsi, lorsque le 21 septembre 1944, une quinzaine de chasseurs américains prennent pour cibles des routes et surtout des trains, attaqués à Kapsweyer et Riedseltz, on dénombre quatre tués. Huit jours plus tard, une nouvelle attaque sur la gare de Wissembourg occasionne, avec la destruction de 5 locomotives, de nombreux blessés. Il y aura à nouveau des morts, cinq, le 22 novembre, dont trois personnes tuées au moment où le train de Strasbourg (du reste quasiment intact) arrive à hauteur de la « Eselsbrücke » (21). Ajoutons que le centre-ville n’a nullement échappé aux « dommages » de guerre comme le montre, pour ne citer qu’elles, le cas de deux femmes (Louise Bauer et Madeleine Drescher) mortellement touchées dans leurs logements au 11 rue Neuve le 13 janvier 1945 par des tirs d’artillerie. Il conviendrait bien sûr de détailler tous ces faits, de compléter la liste des victimes, du moins celles qui sont décédées, et surtout de préciser les circonstances. S’il fallait proposer un décompte, mettons qu’il s’établisse à une vingtaine de civils morts - à Wissembourg même et sans qu’il s’agisse toujours de Wissembourgeois - en raison de la guerre, entre l’été 1944 et l’été 1945. Observons, avant de clore ces quelques lignes, qu’au cours des deux journées de libération qu’aura vécues Wissembourg (16 décembre 1944 et 19 mars 45), la ville n’a pas eu à déplorer de mort parmi la population civile. Et puis, souvenons-nous… n’oublions pas de construire la paix, pas à pas, avec une inlassable ardeur ! le dossier (6) Astrid Oberhoffer, la benjamine des enfants, 2 ans à l’époque de la mort de son père, se souvient avoir retenu un détail des quelques confidences que Martha a pu faire par la suite : parmi les personnes auxquelles il a sauvé la vie il était question « d’un homme qu’il aurait – aussi rocambolesque que cela puisse paraître aujourd’hui – sauvé en le cachant sous un attelage tiré par des bœufs ». Mme Oberhoffer se souvient également que, plusieurs années après la guerre, la famille a eu la visite de Canadiens qui étaient venus pour dire leur reconnaissance : Albert Jung avait cherché, retrouvé et caché le pilote d’un avion canadien abattu dans la région. (7) Entre autres, un certificat établi par Frédéric Matter (« Capitaine Mathieu » dans la Résistance) attestant que Jung a appartenu aux FFI d’Alsace, a été « fait prisonnier en cette qualité par les Allemands ». Diverses décorations attribuées à titre posthume confirment ces activités de résistance : Croix de guerre avec palme, Médaille de la Résistance, Médaille de Bronze de la Reconnaissance. (8) Charles Haas, habitant d’Altenstadt, fils de Ch. Haas, garde-forestier, en poste pendant des décennies à la maison forestière de la Hardt. (9) Ce tribunal d’exception, présidé par un procureur de Strasbourg ou Karlsruhe, était constitué de MM. Eberlein (chef du Finanzamt, impôts), de Booch, secrétaire de mairie, et de Kraft, recteur du Gymnasium. (10) Source : Dernières Nouvelles d’Alsace n° 196, août 1946. (11) Selon l’expression exacte employée dans la même édition des DNA. (12) Le mérite en revient au conseiller général Jean-Laurent Vonau, qui les a découverts en effectuant un dépouillement systématique de la presse d’immédiate après-guerre. (13) Cf. Saisons d’Alsace, n° 127, printemps 1995, « La délivrance » : J-L Vonau : « Le drame de l’Outre-Forêt ». (14) La position exacte dans laquelle ont été découverts les deux hommes permet de reconstituer ainsi leurs derniers instants : au matin du 13 décembre, lorsqu’est venu le moment de l’exécution, ils s’agenouillent côte à côte au bord de la tombe, peu profonde, qu’ils ont probablement dû creuser eux-mêmes juste avant. Lorsque les balles du [des ?] pistolet-mitrailleur viennent les frapper, ils se tiennent l’un l’autre, un bras passé autour du cou de leur voisin ; les deux corps basculent en avant, et c’est ainsi emmêlés qu’on les retrouvera. Puis, manifestement, les SS ont simplement comblé la tombe, « ohne weiteres » relatent les DNA. (15) Le corps d’A. Jung fut identifié par son frère et par le curé de Hatten. (16) Mme Mathern et sa sœur Astrid Oberhoffer rapportent que la bague a été remise à leur mère Léonie Jung par le curé de Hatten, lui-même chargé par un prêtre allemand de servir d’intermédiaire en vue de cette restitution. Assurément l’un des tireurs du 13 décembre 44 avait choisi de confier l’objet à cet ecclésiastique pour soulager, au moins partiellement, sa conscience. (17) Cf. Saisons d’Alsace, n° 127, printemps 1995, « La délivrance » : J-L Vonau : « Le drame de l’Outre-Forêt », p 82, note 15 : « À deux cents mètres de leur tombe, on découvrit encore celles [les dépouilles] de quatre gendarmes allemands fusillés pour avoir refusé de participer à ces exécutions sommaires. Cf. Dernières Nouvelles d’Alsace du 22 août 1946 ». (18) L’inscription du décès de Jung et Schwartz dans le registre des décès d’Altenstadt rend d’autant plus suspecte la non-inscription de la découverte de la tombe des quatre Allemands, qui selon le journal du 21.8.1946 seraient des gendarmes, alors que, nous l’avons vu plus haut, il a été question d’une escouade de SS. Il est vrai cependant que la première s’est faite à la demande expresse du tribunal de 1re instance de Strasbourg. En revanche, on peut faire observer aussi que le registre des décès de Wissembourg comporte bien la mention de la découverte en cette ville, le 28 août 1946, d’ un « militaire allemand non identifié », « dont la mort paraît remonter à dix-huit mois », découvert dans un trou d’obus en parcelle communale 92, soit dans le massif de la Scherhol. Pourquoi aurait-on enregistré cette découverte alors que l’on passe sous silence celle de quatre corps non identifiés ? (19) Mot orthographié « Krappenloch » dans le registre d’état civil. (20) Il est vrai que les documents d’état civil de l’époque sont assez précis quant aux causes des décès : sous la période d’occupation allemande, une rubrique y est même expressément réservée dans chaque acte. Reste que les documents sont souvent muets sur la durée qui s’écoule entre le moment où une personne est blessée par fait de guerre et le moment où cette personne décède. (21) Il s’agit du « petit » passage sous la ligne de chemin de fer, dans l’actuelle zone artisanale Est, près de la jardinerie Klein. W hors-série - Mars 2015 # 07 Programme des commémorations anniversaire de la Libération de Wissembourg du 70 e Jeudi 19 mars 2015 • 17h30 Cérémonie de commémoration au Monument aux morts, suivie d’une reconstitution historique avec défilé de véhicules militaires américains vers l’Hôtel de Ville. Une réplique du coq rescapé du monument du Geisberg sera à nouveau brandie place de la République, comme en 1945. En partenariat avec l’association « Véhicules Militaires toutes époques de Hatten » • 19h30 La Nef (salle Marie Jaëll) Table ronde avec des témoins de l'époque • 20h30 La Nef (salle Marie Jaëll) Conférence d’Eric Le Normand sur la résistance en Alsace du Nord Du mardi 7 avril au dimanche 10 mai 2015 Hall de l’Hôtel de Ville (aux horaires d’ouverture de l’office de tourisme) Exposition : La Libération de Wissembourg Samedi 2 mai 2015 • 18h Hôtel de Ville (salle Jean Monnet) Conférence de Lise Pommois : « Wissembourg, 16 décembre 1944 - 19 mars 1945 : pourquoi deux libérations ? » Retrouvez tous les événements sur l'agenda en ligne : www.wissembourg.fr W magazine