Hors-série 2015

Transcription

Hors-série 2015
N° 1 / Mars 2015
W
hors-série
Wissembourg - Altenstadt - Weiler
e
70
anniversaire
de la Libération de
Wissembourg
www.wissembourg.fr
Le coq qui trônait
sur le monument du
Geisberg, avant son
dynamitage en 1940,
a pu être rescapé et
caché durant la guerre.
Il a été fièrement
exhibé le 8 mai 1945.
DIRECTEUR
DE LA PUBLICATION
Christian Gliech RÉDACTION
Bernard Weigel
COORDINATION
Audrey Impedovo
[email protected]
CRÉATION MAQUETTE
& MISE EN PAGE
Sophie Raclot
sophie.raclot.creative@
gmail.com
PHOTOS ET “UNE”
Archives municipales
de Wissembourg
IMPRESSION
Valblor - Illkirch
TIRAGE
500 exemplaires
DÉPOT LÉGAL
À parution
Flashez et retrouvez ce
hors-série sur notre site. 02 #
édito
EN COUVERTURE
Mes chers concitoyens,
W
Soixante-dix années nous séparent
de la victoire des forces alliées
contre le système totalitaire nazi.
Après un terrible conflit qui fit plus
de 60 millions de victimes, dont une
majorité de civils, l’une des pages
les plus sombres de notre histoire se
tournait dans un immense élan de
joie, de fraternité et d’espoir.
La résurgence du racisme, de
la xénophobie et de la haine
antisémite, à laquelle nous assistons
aujourd’hui, ne doit en rien être
banalisée dans nos démocraties.
Comme l'a affirmé Victor Hugo,
« Quand la nuit essaie de revenir,
il faut allumer les grandes dates
comme on allume des flambeaux ».
Aujourd’hui, il était important pour
nous de rendre hommage à celles
et ceux qui se sont sacrifiés avec
courage pour libérer l’Europe. Ce
regard porté sur notre histoire
appelle également une réflexion
contemporaine sur la responsabilité
de nos idées, de nos actes et de nos
engagements.
Je tiens à remercier toutes les
personnes qui se sont investies
pour préparer le programme de
ces commémorations. En premier
lieu, mon adjointe, Isabelle Matter,
Jacques Chabannes, président du
Souvenir Français, Bernard Weigel,
archiviste, ainsi que les agents
municipaux.
Cordialement,
Christian Gliech, Maire de Wissembourg
W
Le pont de la Poste dynamité par les Allemands
Wissembourg
d’une libération à l’autre
(16 décembre 1944 et 19 mars 1945)
Sous la pression des Américains, le 16 décembre 1944, les derniers Allemands quittent la ville,
non sans avoir dynamité les ponts dont celui de la poste. Les Américains y font leur entrée dans
le courant de la matinée. L’euphorie sera toutefois de courte durée. C’est très vite une période
trouble et difficile qui commence.
Au cours des jours suivants, en effet,
les Wissembourgeois observent le
reflux partiel des blindés et camions
américains. Le jour de l’an est marqué
par la reprise inquiétante des tirs
d’artillerie, notamment du côté de
la “Germania”, à l’angle de la rue
Bannacker et de la route de Schweigen.
Les Allemands reprennent le contrôle
de la ville dans l’après-midi du 4 janvier
et, tandis qu’à partir du 9 se livre la
terrible bataille de chars de HattenRittershoffen qui durera jusqu’au
20 janvier, on entend le bruit sourd
de la canonnade jusqu’à Wissembourg.
Dans le nord de l’Alsace, l’occupant
fait à nouveau régner la terreur ;
mobilisations d’office, incorporations
et réquisitions, confiscations, exécutions
sont de retour.
À Wissembourg, le 22 janvier, un
important bombardement américain
provoque de nombreuses destructions
dans trois quartiers de la ville : rue des
Cavaliers et rue Nationale, du côté des
casernes et surtout à l’église Saint-Jean,
gravement endommagée alors que
l’objectif était en fait le bâtiment voisin
du “Casino” (ensemble Vogelsberger)
abritant la Kreisleitung.
En février et mars, les tirs d’artillerie
se succèdent, à un rythme accéléré
après le déclenchement de l’opération
“Undertone”. La deuxième Libération
n’est pas loin.
Auguste et Marguerite Tony, sur un char abandonné par les Allemands en 1946 (photo : Bernard Tony)
Église Saint-Jean
W hors-série - Mars 2015 # 03
19 MARS 1945 : SOULAGEMENT
ET BONHEUR RELATIF
Le 16 mars, le front nord se remet en
mouvement : la moitié nord de Haguenau
est enfin libérée ; troupes françaises et
américaines s’engagent dès lors dans
la forêt de mines qu’est la Forêt sainte,
prennent un à un les villages de l’OutreForêt, Seltz, Soultz.
À Wissembourg, le même jour, des
attaques aériennes occasionnent
destructions et incendies dans le quartier
de l’abattoir (rue des Païens), route de
Weiler et à l’usine de caoutchouc
Kappé-Lindner. Au même moment,
- incroyable, mais vrai - les Allemands
réunissent encore un conseil de révision
pour la Werhmacht et veulent expédier
les hommes de 16 à 60 ans à Minfeld,
Niederschlettenbach et Klingenmünster
pour les mettre à la disposition de la
division Hassler. Mais le 17, ce sont les
recruteurs qui doivent commencer à plier
bagage et se replier sur le Westwall.
Le 18 mars, la 14e DIUS passe la nuit au
Geitershof et le capitaine Benoît envoie
un peloton en éclaireur vers Altenstadt.
Celui-ci est obligé de se replier sous le feu
ennemi.
le sol allemand et le drapeau de la Division
Texas flotte sur la Porte de Schweigen.
En réalité, la libération de Wissembourg
se sera faite dans une ville peuplée
seulement d’un tiers de ses habitants,
pour de multiples raisons : exode
massif de janvier, incorporés de force,
Volkssturm, etc. Et encore, nombre
de personnes se trouvaient-elles dans
les caves et abris au moment où les
Américains faisaient leur entrée dans la
ville.
Lorsque la colonne de chars Sherman,
half-tracks, GMC et autres canons
d'artillerie entrent dans les rues de la ville,
le bonheur est intense. Les uns après les
autres, les habitants cachés viennent,
le cœur bondissant de joie, saluer leurs
libérateurs, se congratulent, s’embrassent.
Il reste que ce bonheur semble s’être
exprimé avec une certaine réserve : c’est
que les Wissembourgeois n’oublient
pas les années de misère, d’humiliation,
de jeunesse gâchée. Ils songent aussi à
toutes les victimes de la barbarie nazie,
à ceux d’entre eux qui sont tombés au
front, et beaucoup éprouvent de vives
inquiétudes en pensant à ceux qui ne sont
pas encore revenus.
Cependant l’armée américaine ne traîne
pas et l’essentiel de la longue cohorte
de véhicules prend sans tarder le chemin
de l’Allemagne. L’artillerie US prend
position autour de Wissembourg, au
sud essentiellement, d’où elle canonnera
vigoureusement en direction du nord,
jusqu’à la percée du Westwall. La guerre
n’est pas finie.
L’insigne de la 36ème Division d’infanterie
US. Le T représente l’État du TEXAS.
Le 19, les Français sont sur la Lauter et
s’emparent, au prix de combats acharnés,
de Scheibenhard : la tête de pont en
Allemagne est établie.
Sur le flanc gauche, ce sont les Américains
qui avancent : tôt dans la matinée, le
142e Régiment de la 36e DIUS (”La Texas”,
arrive à Wissembourg. Le 142e bascule
des blocs de pierre dans la Lauter pour
permettre sa traversée à hauteur de la
poste et s'apprête à attaquer Bergzabern
en se frayant un passage quelques
kilomètres plus à l’est, libérant Altenstadt
au passage.
À 11 heures du matin, la 36e DIUS
pénètre dans Wissembourg, un succès qui
sera exploité ensuite par la 14e DBUS. En
début d’après-midi, les Américains foulent
04 #
Voici comment, un an plus tard, le registre
du Conseil municipal de Wissembourg
rend compte de cette journée mémorable
du 19 mars 1945 : « Que nous apporta
l’aube radieuse du 19 mars 1945 ?
Les troupes ennemies, les autorités
allemandes, la Gestapo enfin quittèrent
la ville. Des soupirs de soulagement les détonations caractéristiques de la
démolition des ponts - un silence de
mort - puis vers onze heures un fol espoir
se répand d’abri en abri - les premiers
détachements de la 7e armée américaine
commandée par le Général Patch font
leur entrée en ville.
La population, hésitante d’abord, sort des
refuges pour accueillir ses libérateurs avec
enthousiasme malgré le danger (...).»
La fête ...
et quelques problèmes
Il faudra de fait attendre les jours
suivants, avec le retour de toute la
population civile ayant pour des raisons
diverses quitté la ville, puis celui des
soldats de la Wehrmacht, pour que,
progressivement, Wissembourg prenne
la mesure de la Libération et de la paix
revenue. La fête, la vraie fête, ce sera le
8 mai : cette fois Wissembourg savoure
réellement, collectivement la victoire et
la Libération.
Dès le 7 au soir, lorsque la nouvelle de
la capitulation allemande se répand
en ville, des tirs ainsi que la sonnerie
de toutes les cloches pendant une
heure saluent l’événement : un cortège
improvisé escorte à travers la ville le coq
du Geisberg sorti de la clandestinité et
seul rescapé du monument dynamité
durant l’été 1940.
Le lendemain 8 mai, la Délégation
municipale composée de sept membres
et présidée par le Dr Joseph Ritter ainsi
que le Comité de Libération présidé par
Auguste Schaaf invitent à la fête place
de la mairie : devant la foule en liesse,
le Dr Ritter prononce une allocution dont
les maîtres mots sont victoire et paix,
allocution relayée par les haut-parleurs
car, pour la première fois depuis de
longues semaines, le courant électrique
est rétabli ! Très entourées, les autorités
se rendent ensuite sur la tombe du
Général Douay et au Geisberg.
Les 14 juillet et 4 août, dates des
cérémonies traditionnelles, revêtent
en cette année 1945 une solennité
particulière. Viendront ensuite la visite
du Général de Gaulle le 4 octobre, puis
le premier anniversaire de la Libération
de la ville.
Le retour à une vie normale s’effectue
progressivement : par-delà l’immense
gâchis humain, les familles divisées, les
individus traumatisés pour longtemps par
les horreurs de la guerre, il reste à régler
d’innombrables questions matérielles :
rétablissement de la fourniture d’eau,
d’électricité, des transports par rail, du
courrier ; réouverture des écoles dans
l’enthousiasme en dépit d’immenses
problèmes matériels (les locaux sont
encore jonchés de paille et autres débris
laissés par les militaires).
Le problème du logement, crucial,
marquera la vie wissembourgeoise
pendant des années : 147 logements
détruits, 1384 plus ou moins
endommagés. Construction de groupes
de baraques (73 logements), relogement
dans la caserne Abel Douay ou à
« l’hôpital militaire » constituent de
trop maigres réponses à des besoins
immenses… le « provisoire » le restera
jusque dans les années 1960, mais c’est là
un autre chapitre de l’histoire de notre
ville !
Souvenons-nous
Wissembourg n’est pas, en
Alsace du nord, la localité
qui a eu à déplorer le plus de
pertes de vies humaines au
moment de la Libération : à cet
égard, et pour ne prendre en
considération que les pertes de
civils, le tribut payé par Soultz,
Seltz, et surtout les communes
de Hatten et Rittershoffen est
bien plus lourd : les pertes civiles
dues à « Nordwind » du 9 au
21 janvier sont estimées à au
moins 110 personnes, dont 83
à Hatten même.
Ce qui ne doit en aucun
cas nous empêcher de nous
souvenir de ceux qui sont morts
en « victimes accidentelles » de
la fin de la guerre, ou en raison
de leur résistance à l’ennemi :
rappelons qu’à l’approche
de la première Libération, la
nervosité et la haine de la
Gestapo allaient croissant : deux
habitants de Hunspach, tirés
du lit le 26 novembre 44 furent
ainsi abattus au centre de leur
village…
POUR WISSEMBOURG
MÊME, RAPPELONS LES
VICTIMES EXÉCUTÉES PAR
L’OCCUPANT :
Le 12 décembre 1944 au matin,
la Gestapo abat, au
n° 2 route de Schweigen
(actuelle rue de la Paix),
le Dr Alfred Zimmermann
de Woerth. Âgé de 67 ans, ce
médecin a probablement été
arrêté par suite d’une confusion
avec un autre Woerthois
faisant partie d’un réseau de
passeurs. Modestement, le Dr
Zimmermann lui-même dit au
Pasteur Fehn (1), avec lequel il
s’entretient longuement lorsque
celui-ci vient le rencontrer la
veille de l’exécution, ne pouvoir
se prévaloir d’aucun acte bien
significatif de résistance, mais
avoir eu face à l’occupant nazi
une réaction simple et normale
de rejet, le rejet d’un homme
sensé, se laissant aller peut-être
à s’exprimer ici ou là
avec quelque imprudence.
Beaucoup d’entre nous
connaissent le site où, le
lendemain 13 décembre 44,
ont péri, fusillés par la Gestapo,
deux autres hommes arrêtés
4 jours plus tôt, soit le
9 décembre : l’endroit exact
est rappelé par un calvaire
érigé en bordure de route
à la sortie d’Altenstadt vers
Lauterbourg (2). Il s’agit
d’Albert Schwartz (3), 35 ans,
un quincaillier wissembourgeois
domicilié rue Bannacker, et
d’Albert Jung (4), 37 ans,
entrepreneur en construction,
de Hatten.
Tous deux avaient été arrêtés
le 9 décembre (5) précédent
pour « faits de résistance ».
Ayant encore eu l’occasion
d’interroger récemment
des membres de la famille
d’Albert Jung, nous avons
dû constater que les faits qui
lui étaient reprochés restent
mal connus : la résistance
de ce père de famille (quatre
enfants âgés alors de 9, 8, 7
et 2 ans) au système nazi et en
particulier à son représentant
local, un Bürgermeister ou
Ortsgruppenleiter était résolue.
Aujourd’hui encore, Mme
Bernadette Mathern, la fille
aînée d’Albert Jung (9 ans
alors), se souvient avoir marché
fièrement au côté de son père
qui la tenait par la main… et
avançait, ostensiblement à
contresens d’un cortège nazi
dans la rue du village.
Peut-être, comme son
compagnon d’infortune
Schwartz, Albert Jung a-t-il
lui aussi été impliqué dans un
réseau de passeurs, mais nous
ne connaissons qu’en partie
les faits qui lui ont valu d’être
éliminé : d’abord assurément
parce que l’intéressé était d’une
extrême discrétion là-dessus,
ensuite parce qu’après sa
mort le traumatisme subi par
Dès leur découverte en 1946, les corps des deux patriotes ont
été inhumés dans leurs communes respectives. La stèle à la
mémoire des deux fusillés du Bienwald a été érigée en 1948.
(1) Gertrud Fehn, veuve de ce courageux pasteur allemand
clairement opposé au régime nazi, un pasteur qui fut
unanimement apprécié par les paroissiens de St-Jean, a
publié en 1989 un ouvrage consacré à son mari et intitulé
Theo Fehn, Sirene und Glocke. S’agissant de Wissembourg,
on y trouve la relation complète de l’entretien entre Theo
Fehn et A. Zimmermann, des lettres et le journal du pasteur
de la fin 1944 aux premiers jours de 1945, enfin le texte
d’un sermon prononcé en chaire de St-Jean le 24.9.1944.
(2) Le calvaire se trouve à gauche de la route, environ 300 m
après le carrefour ancienne usine Wimétal/ hippodrome
Hardt, dans une petite brèche aménagée dans la levée de
terre qui borde le fossé.
(3) Albert Schwartz, né le 19.4.1909, fils de Louis Schwartz et de
Marie-Eve née Barthelmann, célibataire, mari de Léonie
Kocher.
(4) Albert Jung, né là Rittershoffen le 11.3.1907, fils de Michel
Jung, charron à Hatten, et de Catherine née Walter, époux
de Léonie Kocher.
(5) Témoignage de Bernadette Mathern, que nous remercions
ici bien chaleureusement pour son accueil : « Ce jour-là la
Gestapo s’est présentée à la porte de la maison : ils ont
demandé à mon père de se préparer à partir et de saluer sa
famille, ont indiqué qu’ils allaient revenir, l’emmener aussitôt
qu’ils seraient revenus d’une visite qu’ils devaient encore
effectuer chez le Bürgermeister. Ma mère nous a dit plus
tard qu’entre-temps il aurait pu s’échapper. Mais nous étions
quatre enfants, âgés de 9 ans pour ce qui me concerne,
de 8 et 7 ans pour mes deux frères, de 2 ans pour ma petite
sœur. C’est probablement pourquoi mon père n’a pas cherché à s’enfuir. »
W hors-série - Mars 2015 # 05
la famille, suivi encore par
les terribles événements
militaires que l’on sait, était
tel qu’évoquer ces faits était
devenu impossible : la mère
des quatre enfants fondait
en larmes aussitôt que l’un
d’entre eux la questionnait.
Portrait d’Albert Jung
Néanmoins, quelques
précisions ont été, bien
après les faits, livrées
occasionnellement aux
enfants Jung, en particulier
par Martha qui servait en
tant que « bonne » dans
la famille : Martha a ainsi
évoqué le fait qu’Albert Jung
« a sauvé la vie à plusieurs
personnes » (6). Par ailleurs
il lui était reproché d’écouter
la radio anglaise. Ce qui
est certain, c’est que divers
éléments confirment son
action de résistant et de
FFI (7).
La Gestapo avait-elle prévu
d’exécuter, en ce même
13 décembre, d’autres
personnes ? Gamin à
l’époque, Charles Haas (8) se
souvient par exemple d’un
certain Georges Stephan, de
Schirrhein, qui au cours des
années cinquante et plus
tard revenait régulièrement
se recueillir au pied du
calvaire de la route de
Lauterbourg, parce qu’il
avait échappé (comment et
pourquoi ?), comme d’autres
sans doute – M. Haas en est
convaincu - à l’exécution
à laquelle les Allemands
l’avaient promis.
06 #
Quant à Jung et Schwartz,
ils ont été arrêtés le 9
décembre 1944 par la
Gestapo « pour avoir écouté
la radio anglaise ». Ont-ils
été à un moment ou à un
autre conduits en Allemagne,
après leur arrestation ? On
ne le sait pas trop : telle
personne a cru apercevoir
A. Jung dans un « camp
de concentration », mais
il semble surtout qu’ils
auront bien été enfermés à
la « villa Erna » (avenue de
la Gare) à Wissembourg.
On les a amenés devant
un Standgericht (9), soit un
« tribunal » d’exception, qui
les condamna à une peine de
6 000 RM chacun et à
5 ans de travaux forcés.
Une peine que le Kreisleiter
Peter qui, s’était fait
présenter le papier, estima
« bien trop légère » ; il
ratura donc le papier en
indiquant qu’il demandait
la mort et que, en tant
que Kreisleiter, il ordonnait
l’exécution immédiate de
ce jugement (10).
L’exécution des deux
hommes n’allait pas traîner :
dès le lendemain se présenta
le peloton d’exécution que
Peter avait commandité à
Strasbourg, et l’escouade
de SS (11) emmena les deux
détenus au champ de tir
militaire du Bienwald. Une
fois les deux hommes passés
par les armes, la même
escouade se rendit encore
à Haguenau et Mulhouse
pour y commettre d’autres
forfaits. Si nous connaissons
mieux aujourd’hui les
circonstances exactes de
la mort de ces résistants,
ainsi que de la découverte
de leurs restes, nous le
devons en grande part à
des articles parus dans la
presse locale en 1946 (12),
et que J-L. Vonau a eu le
mérite de trouver (13). L’article
des DNA daté du 21 août
en particulier apporte de
précieuses indications sur les
circonstances dans lesquelles
ils ont été exécutés,
affrontant ensemble les
balles qui devaient les
frapper (14).
Après la guerre, Léonie Jung
essaya de trouver les traces
de son mari en Allemagne,
en vain bien sûr. L’enquête
entreprise par la gendarmerie
de Wissembourg fut un
échec aussi. Aussi incroyable
que cela puisse sembler, les
restes des deux hommes
ne furent découverts dans
la forêt du Bienwald que
bien après l’exécution
- environ 1 an et 8 mois plus
tard -, presque par hasard :
observant un endroit où
un renard avait gratté la
terre, les démineurs chargés
de « nettoyer » ce secteur
de la forêt du Bienwald,
remarquèrent la présence
d’une chaussure, puis
découvrirent les restes des
deux hommes (15). Les actes
de décès enregistrés à la
mairie d’Altenstadt l’ont été
à la date du 16 août 1946 !
De fait il n’y avait eu ni
procès véritable ni jugement
digne de ce nom ; il est à
noter que Peter, en dépit
d’une conduite qui était
purement et simplement
celle d’un assassin, ne
semble pas avoir été ni
poursuivi ni inquiété après la
guerre…
La montre d'Albert Jung,
retrouvée avec sa dépouille
en août 1946
Bernadette Mathern, fille
d’Albert Jung conserve
précieusement deux objets
de son père : la bague de
mariage qui parvint à
Léonie Jung, la veuve du
fusillé, dix ou vingt ans
après la guerre - le remords
tardif d’un exécutant sans
doute… (16) ; ensuite, la
montre d’Albert Jung,
trouvée sur sa dépouille
en août 1946 et que
Mme Mathern conserve
aujourd’hui avec la brève
notice suivante : « Montre
trouvée dans la tombe
de mon père fusillé le
12 décembre 1945 à
Altenstadt et dont la tombe
a été découverte par des
démineurs qui ont vu un
renard gratter le sol ».
Notre relation de ces faits
serait incomplète, injuste
aussi, si nous n’ajoutions
pas ce fait dont nous avons
entendu parler quelquefois
et qui est rapporté dans
un article des DNA paru
le 22 août 1946 (17) :
quatre « gendarmes »
allemands ont été fusillés
à deux cents mètres de ce
même site du Bienwald le
13 décembre 1944, pour
avoir refusé de participer
aux exécutions sommaires
de Jung et Schwartz. Le fait
semble donc incontestable.
Cependant, n’ayant pas
eu l’occasion de consulter
cet article, ni surtout
d’avoir d’autres preuves
ou témoignages qui en
confirment l’exactitude,
il nous faut rester prudent,
d’autant plus que les
recherches que nous avons
effectuées pour notre part
dans les registres d’état
civil de Wissembourg et
Altenstadt sont restées
vaines : pas la moindre
allusion à ces quatre
soldats (18). La question reste
donc posée. Cependant, si
l’information était avérée,
l’attitude de ces quatre
gendarmes allemands force
le respect et doit être inscrite
dans la mémoire collective.
Aux exécutions précédentes,
il faut ajouter la dernière,
perpétrée par les nazis
entre les deux libérations :
le 6 février 1945, Philippe
Jung, 40 ans, dessinateur
industriel domicilié en
ville (rue du Milieu) a été
fusillé au cimetière de
Wissembourg, après que les
nazis eurent affiché à l’hôtel
de ville et en d’autres lieux
le jugement par lequel ils
l’avaient condamné à mort.
LES VICTIMES CIVILES
PAR FAITS DE GUERRE
À cet égard, il faut
évidemment rappeler la
vive émotion provoquée
par le dramatique accident
qui, alors même qu’il n’y
avait plus de combats dans
notre région, mais avant
la capitulation allemande,
coûta la vie à des enfants :
le 4 avril 1945, à 14h30,
trois enfants meurent
en raison de l’explosion
d’un obus que l’un
d’entre eux manipulait
au « Grabenloch » (19),
c’est-à-dire entre Lauter et
boulevard Clemenceau :
Jean Carbiener, petit garçon
âgé de 7 ans, sa grande
sœur Yvette, âgée de 10 ans,
enfin leur voisine et amie
Madeleine Hergert
(11 ans), tous trois domiciliés
« im Hinterbruch », meurent
déchiquetés.
La liste des victimes civiles
(bombardements, tirs
d’artillerie, mitraillages) au
cours de la fin de la guerre
est longue, plus difficile aussi
à établir avec certitude (20).
Le témoignage de Hermann
Gaertner, alors responsable
des pompiers, et bien
entendu les inscriptions
dans les registres d’état
civil (souvent rédigées par
le même Gaertner en tant
qu’il était employé de la
commune…) sont à cet
égard précieux. Incontestablement, ce sont
les bombardements dans le
secteur de la gare qui ont
fait le plus grand nombre
de morts : ainsi, lorsque le
21 septembre 1944, une
quinzaine de chasseurs
américains prennent pour
cibles des routes et surtout
des trains, attaqués à
Kapsweyer et Riedseltz,
on dénombre quatre tués.
Huit jours plus tard, une
nouvelle attaque sur la gare
de Wissembourg occasionne,
avec la destruction de
5 locomotives, de nombreux
blessés. Il y aura à nouveau
des morts, cinq, le 22
novembre, dont trois
personnes tuées au moment
où le train de Strasbourg
(du reste quasiment
intact) arrive à hauteur
de la « Eselsbrücke » (21).
Ajoutons que le centre-ville
n’a nullement échappé aux
« dommages » de guerre
comme le montre, pour
ne citer qu’elles, le cas de
deux femmes (Louise Bauer
et Madeleine Drescher)
mortellement touchées dans
leurs logements au 11 rue
Neuve le 13 janvier 1945 par
des tirs d’artillerie.
Il conviendrait bien sûr
de détailler tous ces faits,
de compléter la liste des
victimes, du moins celles qui
sont décédées, et surtout de
préciser les circonstances.
S’il fallait proposer un
décompte, mettons
qu’il s’établisse à une
vingtaine de civils morts - à
Wissembourg même et sans
qu’il s’agisse toujours de
Wissembourgeois - en raison
de la guerre, entre l’été 1944
et l’été 1945. Observons,
avant de clore ces quelques
lignes, qu’au cours des
deux journées de libération
qu’aura vécues Wissembourg
(16 décembre 1944 et 19
mars 45), la ville n’a pas eu
à déplorer de mort parmi la
population civile.
Et puis, souvenons-nous…
n’oublions pas de construire
la paix, pas à pas, avec une
inlassable ardeur !
le dossier
(6) Astrid Oberhoffer, la benjamine des enfants, 2 ans à
l’époque de la mort de son père, se souvient avoir retenu
un détail des quelques confidences que Martha a pu
faire par la suite : parmi les personnes auxquelles il a
sauvé la vie il était question « d’un homme qu’il aurait
– aussi rocambolesque que cela puisse paraître
aujourd’hui – sauvé en le cachant sous un attelage tiré
par des bœufs ». Mme Oberhoffer se souvient également
que, plusieurs années après la guerre, la famille a eu la visite de Canadiens qui étaient venus pour dire leur
reconnaissance : Albert Jung avait cherché, retrouvé et
caché le pilote d’un avion canadien abattu dans la région.
(7) Entre autres, un certificat établi par Frédéric Matter
(« Capitaine Mathieu » dans la Résistance) attestant que
Jung a appartenu aux FFI d’Alsace, a été « fait prisonnier
en cette qualité par les Allemands ». Diverses décorations
attribuées à titre posthume confirment ces activités
de résistance : Croix de guerre avec palme, Médaille de
la Résistance, Médaille de Bronze de la Reconnaissance.
(8) Charles Haas, habitant d’Altenstadt, fils de Ch. Haas,
garde-forestier, en poste pendant des décennies à la maison forestière de la Hardt.
(9) Ce tribunal d’exception, présidé par un procureur de Strasbourg ou Karlsruhe, était constitué de MM. Eberlein
(chef du Finanzamt, impôts), de Booch, secrétaire de
mairie, et de Kraft, recteur du Gymnasium.
(10) Source : Dernières Nouvelles d’Alsace n° 196, août 1946.
(11) Selon l’expression exacte employée dans la même édition
des DNA.
(12) Le mérite en revient au conseiller général Jean-Laurent
Vonau, qui les a découverts en effectuant un
dépouillement systématique de la presse d’immédiate
après-guerre.
(13) Cf. Saisons d’Alsace, n° 127, printemps 1995, « La
délivrance » : J-L Vonau : « Le drame de l’Outre-Forêt ».
(14) La position exacte dans laquelle ont été découverts les deux hommes permet de reconstituer ainsi leurs derniers instants : au matin du 13 décembre, lorsqu’est venu le moment de l’exécution, ils s’agenouillent côte à côte
au bord de la tombe, peu profonde, qu’ils ont
probablement dû creuser eux-mêmes juste avant. Lorsque
les balles du [des ?] pistolet-mitrailleur viennent les
frapper, ils se tiennent l’un l’autre, un bras passé autour
du cou de leur voisin ; les deux corps basculent en
avant, et c’est ainsi emmêlés qu’on les retrouvera. Puis,
manifestement, les SS ont simplement comblé la tombe,
« ohne weiteres » relatent les DNA.
(15) Le corps d’A. Jung fut identifié par son frère et par le curé
de Hatten.
(16) Mme Mathern et sa sœur Astrid Oberhoffer rapportent que la bague a été remise à leur mère Léonie Jung par
le curé de Hatten, lui-même chargé par un prêtre
allemand de servir d’intermédiaire en vue de cette
restitution. Assurément l’un des tireurs du 13 décembre 44 avait choisi de confier l’objet à cet ecclésiastique pour soulager, au moins partiellement, sa conscience.
(17) Cf. Saisons d’Alsace, n° 127, printemps 1995, « La délivrance » : J-L Vonau : « Le drame de l’Outre-Forêt »,
p 82, note 15 : « À deux cents mètres de leur tombe,
on découvrit encore celles [les dépouilles] de quatre
gendarmes allemands fusillés pour avoir refusé de
participer à ces exécutions sommaires.
Cf. Dernières Nouvelles d’Alsace du 22 août 1946 ».
(18) L’inscription du décès de Jung et Schwartz dans le
registre des décès d’Altenstadt rend d’autant plus suspecte la non-inscription de la découverte de la tombe des quatre Allemands, qui selon le journal du 21.8.1946
seraient des gendarmes, alors que, nous l’avons vu plus haut, il a été question d’une escouade de SS. Il est vrai cependant que la première s’est faite à la demande expresse du tribunal de 1re instance de Strasbourg. En revanche, on peut faire observer aussi que le registre des décès de Wissembourg comporte bien la mention de
la découverte en cette ville, le 28 août 1946, d’ un
« militaire allemand non identifié », « dont la mort paraît
remonter à dix-huit mois », découvert dans un trou d’obus
en parcelle communale 92, soit dans le massif de la
Scherhol. Pourquoi aurait-on enregistré cette découverte
alors que l’on passe sous silence celle de quatre corps non
identifiés ?
(19) Mot orthographié « Krappenloch » dans le registre d’état civil.
(20) Il est vrai que les documents d’état civil de l’époque sont assez précis quant aux causes des décès : sous la période d’occupation allemande, une rubrique y est
même expressément réservée dans chaque acte. Reste que les documents sont souvent muets sur la durée qui s’écoule entre le moment où une personne est blessée par fait de guerre et le moment où cette personne décède.
(21) Il s’agit du « petit » passage sous la ligne de chemin de fer, dans l’actuelle zone artisanale Est, près de la jardinerie Klein.
W hors-série - Mars 2015 # 07
Programme des
commémorations
anniversaire
de la Libération
de Wissembourg
du 70
e
Jeudi 19 mars 2015
• 17h30
Cérémonie de commémoration
au Monument aux morts, suivie d’une
reconstitution historique avec défilé de véhicules
militaires américains vers l’Hôtel de Ville.
Une réplique du coq rescapé du monument
du Geisberg sera à nouveau brandie
place de la République, comme en 1945.
En partenariat avec l’association
« Véhicules Militaires toutes époques de Hatten »
• 19h30
La Nef (salle Marie Jaëll) Table ronde avec des témoins de l'époque
• 20h30
La Nef (salle Marie Jaëll) Conférence d’Eric Le Normand
sur la résistance en Alsace du Nord
Du mardi 7 avril au dimanche 10 mai 2015
Hall de l’Hôtel de Ville
(aux horaires d’ouverture de l’office de tourisme)
Exposition : La Libération de Wissembourg
Samedi 2 mai 2015
• 18h
Hôtel de Ville (salle Jean Monnet)
Conférence de Lise Pommois :
« Wissembourg, 16 décembre 1944 - 19 mars 1945 :
pourquoi deux libérations ? »
Retrouvez tous les événements
sur l'agenda en ligne :
www.wissembourg.fr
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