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Régis Singer, Secrétaire de la section AMOPA Paris XVIII, expert pour le patrimoine campanaire auprès du ministère de la Culture et de la Communication HISTORIQUE DE LA TOUR DE L'HORLOGE ET DE L'HORLOGE DU PALAIS DE LA CITÉ A Tour de l’Horloge participait primitivement au système de défense du Palais; elle fut construite sous le règne de Philippe IV le Bel (1268-1314), mais l'on ne saurait dire à quelle époque on commença à la dénommer ainsi. Ce qui est certain, c'est l'existence d'une horloge au Palais, fabriquée pour le roi, en 1299-1300, par Pierre Pipelart. C'est sous Philippe le Bel qu'une première horloge semble avoir été placée. Le roi, d'après le « Journal inédit du Trésor », la commanda au mois d'octobre 1299, et il fallut six mois de travail pour qu'elle fût achevée. Il s'agit, à cette époque, d'une installation très coûteuse et, en même temps, assez nouvelle en France. Mais peut-être aussi faut-il voir dans l'arrivée de cet instrument, au Palais, ou ailleurs, autre chose qu'un goût de luxe : l'installation d'horloges dans les mêmes années dans différentes résidences royales construites ou remaniées par ce même roi, dans divers beffrois urbains ou dans certains établissements religieux, a aussi une nouvelle signification, celle de scander les heures et la liturgie. Par extension, une autre fonction de ces horloges publiques ou semi-publiques apparaît très vite : organiser et diviser la journée de travail dans la ville. C'est peut-être en 1370, que Charles V, qui venait de placer une horloge au Louvre, en voulut une nouvelle pour le Palais. Ce serait celle-là, faite par l'allemand Henri Vic, qui aurait remplacé celle du temps de Philippe le Bel. Cet Henri Vic, ou de Vic ou de Bie ou Bic, vint par ordre de Charles V, il était un spécialiste reconnu des mécanismes d'horloge. Située au milieu de Paris et servant à tous les passants, elle était considérée comme publique et tout d'abord entretenue aux frais de la ville jusqu'au jour où la municipalité réclama et obtint gain de cause (1418) : c'est l'époque où on l'agrémenta d'un cadran. De bonne heure, un fonctionnaire, souvent logé au Palais, eut la charge spéciale de cette horloge : on en connaît treize noms, depuis 1428 jusqu'en 1792. Comme toutes les horloges médiévales, celle du Palais était fragile et devait être entretenue et réparée très souvent. En octobre 1621, le feu prit de nuit au Pont des Marchands (audessous du Pont des Changeurs, les deux ponts se touchaient presque). Le feu se propagea et se déclara dans les charpentes du campanile. LA TOUR DE L'HORLOGE Les fondations et le gros œuvre furent repris en 1843. La toiture et le couronnement ont été refaits en 1848 et le lanternon octogonal a été rétabli sur le modèle d'un clocher de l'ancienne chapelle du Collège de Lisieux (de la rue Jean-deBeauvais) : il s'élève sur une base percée de trèfles, est orné sur chaque face d'arcades à ogives trilobées et coiffé d'un toit conique couvert de plomb, à dessins chevronnés, portant au sommet un épi de clochettes épanouies et en pointe une girouette. La hauteur totale de la tour est de 47,50 m; l'épaisseur moyenne des murailles est de 1m Vue, depuis la Tour de l'Horloge, sur le Pont-Neuf. Cette construction massive et dépourvue d'ornementation est faite de pierres appareillées de moyenne grandeur provenant des carrières du faubourg Saint-Marcel. Les fenêtres rectangulaires, encadrées de doucines et traversées par un ou deux meneaux, ont été modifiées au moment de la restauration de 1844, car le système de défense du Moyen-Âge préférait une série de baies irrégulières et non correspondantes. L'ANCIENNE CLOCHE DE LA TOUR DE L'HORLOGE Cette cloche, dite « Cloche d'argent » ou « Tocsin du Palais » fut fondue en 1371 par Jehan Jouvente. En plus de la sonnerie de 1'horloge, elle carillonnait dans les grandes circonstances, par exemple, l'élection du duc d'Anjou au Trône de Pologne (1573); pour la naissance du Dauphin (1601); du duc d'Orléans (1607); du duc d'Anjou (1608). Sous prétexte qu'elle avait servi à donner le signal de la « Saint-Barthélemy » -ce qui a été reconnu faux- on décida sa destruction en août 1792. La cloche du Palais devait vraisemblablement mesurer autour de 125 cm de diamètre et faire entendre le do de l'octave 3e; son poids était d'environ 1900 kg. Sur la cloche se trouvaient six vers de huit pieds, vraisemblablement en lettres onciales (comme les cloches encore existantes de Jehan Jouvente). Les trois premiers contiennent le chrono gramme (2), les trois derniers l'expliquent : charles roi volt en ce clocher cette noble cloche acrocher faitte povr sonner chacvne hevr. la date esdits trois vers d'asseur par jean jouvenet fut montee qui de cet art ot renommee Calcul du chronogramme: C: 100; L: 50; V: 5; L: 50;,C: 100; c. 100; L: 50; C. 100; C. 100; L: 50; C. 100; L: 50; C 100; C. 100; C 100; I: 1; V: 5; C. 100; C. 100; V: 5; V: 5 - total: 1371. Autrefois les lettres numérales étaient du même volume que celles du reste du chrono gramme ; mais pour simplifier, on a pensé mettre en couleur rouge les lettres numérales. À remarquer l'inversion de Jouvenet pour Jouvente. Traduction : Le roi Charles voulut accrocher en ce clocher, cette noble cloche, faite pour sonner chacune des heures. La date est indiquée, assurément, en trois vers. Elle fut montée par Jean Jouvente, qui de cet art a haute renommée. LA CLOCHE ACTUELLE DE LA TOUR DE L'HORLOGE Il faut attendre la restauration de la tour en 1843 (pour le gros œuvre) et 1848 (restauration de la toiture, du couronnement et du lanternon polygonal), par MM. Duc, Dommey et Albert Lenoir, architectes, pour qu'une cloche soit réinstallée en haut de la Tour M1'Horloge. La première cloche, fondue par Jehan Jouvente, demeura dans la. Tour de l'Horloge de 1371 à 1792, soit pendant une durée de 421 ans. La tour resta sans cloche, de 1792 à 1848, soit durant 56 ans La cloche actuelle, fondue par Amédée-Ernest Cavillier, a un diamètre de 137,5 cm; son poids est de 1517 kg, sa note est le do# de l'octave 3. Elle porte dans ses inscriptions les noms des membres du Gouvernement provisoire, dont Arago, Louis Blanc, Lamartine, LedruRollin, etc. Elle a été classée parmi les monuments historiques par arrêté du 21 mars 1996. LES DIFFÉRENTS MOUVEMENTS D'HORLOGERIE Le mouvement d'Henri Vic (1370) a été refait sous Henri III, en 1585. En 1848, un mouvement fut installé par l'horloger Henry Lepaute, il fut retouché en 1909. Tous ces mouvements ont malheureusement disparu. C'est actuellement un mouvement électrique qui entraîne les aiguilles du cadran et commande un marteau électrique de tintement égrenant les heures sur la cloche. LE CADRAN DE L'HORLOGE DU PALAIS En 1472, Philippe Brillé touche une forte somme pour avoir peint et doré « la table du carré du cadran de l'horloge avec les quatre évangélistes qui sont autour ». Henri II, en 1558, le repeint et y fait apposer son monogramme en lettre d'or (lettres H, D et C entrelacées: Henri, Diane de Poitiers et Catherine de Médicis). C'est surtout sous le règne de Henri III qu'une réfection fut ordonnée, celui-ci reprit donc le travail qu'il ne trouvait sans doute pas assez magnifique. Il voulut, pour 1'horloge, les plus riches ornements, les plus belles sculptures. Il confia ce travail à Germain Pilon (ca 1537 - = 1590), on lui doit aussi, les mausolées de François Ier et d'Henri II, à SaintDenis, ainsi que le groupe des Trois Grâces. E cadran d'horloge est apposé sur la façade nord de la Tour de l'Horloge. De section ronde, il est inscrit dans un encadrement carré avec décors de feuilles de laurier et de fleurs à cinq pétales. En partant du centre du cadran, nous trouvons une étoile à cinq raies contenant le trou de passage des deux aiguilles (heures et minutes). Cette étoile est placée dans un cercle portant un décor de cinq motifs floraux stylisés et encadrés d'un rang de perles. Une autre zone (à fond rouge brun) contient un soleil avec vingt-quatre rayons dorés, alternés droits et flamboyants. Une couronne dorée avec entrelacs sert de séparation avec la zone des chiffres romains. Ces chiffres, dorés, sont séparés par un petit motif à trois pointes. L'emplacement des minutes est indiqué: pour les douze chiffres, par un petit losange, pour les minutes intermédiaires, par un tiret: il y a donc un total de douze losanges et de quarante-huit tirets. Enfin, un dernier anneau, également doré, est garni de godrons ouvrage fut terminé en février 1595. Le cadran fut historié et colorié, le sculpteur l'agrémenta de deux grandes figures allégoriques représentant, à droite, la Justice tenant la balance et le glaive, et à gauche, la Loi ou la Pitié, tenant d'une main un livre ouvert sur lequel se trouve la phrase latine : SACRA DEI CELEBRARE PIVS REGALE TIME JVS (Pieux envers les choses sacrées, respecte aussi le droit royal) On plaça les armoiries d'Henri III et de Catherine de Médicis dans un médaillon entouré du collier de l'Ordre du Saint-Esprit et du Collier de l'Ordre de Saint-Michel et soutenu par deux anges, on peignit, au-dessous du cadran, ce distique : MACHINA QVAE BIS SEX TAM JVSTE DIVIDIT HORAS JVSTITIAM SERVARE MONET LEGES VE TVERI (L'horloge qui fait aux douze parts si justes, enseigne à protéger la Justice et à défendre les Lois) Une plaque posée au-dessus du même cadran contient une autre inscription qui fait allusion aux deux couronnes de France et de Pologne sur la tête du roi : QVI DEDIT ANTE DVAS TRIPLICEM DABIT ILLE CORONAM (Celui qui déjà lui donna deux couronnes, lui donnera une troisième) De chaque côté de cette devise latine se trouvent les monogrammes d'Henri II. Ces textes ont pour auteur Jean Passera. La date (1585) se trouve en haut de l'auvent, refait à la même époque. Une nouvelle restauration dut être effectuée en 1686 et en 1793, le cadran fut mis en pièces en raison des emblèmes qui y étaient représentés. Empâté d'un épais badigeon à l'époque de la Révolution, il en reparut quelques teintes lorsqu'en 1843, un travail de réparation et de nettoyage fut fait à la Tour de l'Horloge. La restauration complète, terminée en 1852, fut faite par MM. Dommery, Duc et Albert Lenoir, architectes; MM. Flandrin et Toussaint ont reconstitué les sculptures de Germain Pilon qui se trouvaient dans un état déplorable; M. Vivet a été chargé de refaire les peintures et les dorures et M. Henry Lepaute, le mouvement de l'horloge. Une autre restauration fut effectuée en 1909. La dernière date de 1952. Les dates des diverses restaurations (1686, 1852 et 1952) se trouvent inscrites sur les côtés droit et gauche de la base du cadran. Lieu de passage, située dans l'Île de la Cité sur l'un des grands axes nord/sud, la Tour de l'Horloge mérite qu'on s'y arrête pour admirer le cadran rénové de ce qui fut la première horloge publique de Paris. (1) Campaniste : installateur de cloche et de leurs accessoires. Le nom vient de la province italienne de la Campanie, région de Naples où, au IVe siècle, saint Paulin, évêque de Nole aurait fait installer des cloches dans les églises, d'où leur nom latin de campanae. On trouve la même racine dans les mots : campanile, campanographie, campanologue, campanule. (2) Un chronogramme est une inscription, soit en prose, soit en vers, dont les lettres numérales du chiffre romain forment la date ou l'année d'un événement.