Vivre, penser, écrire entre deux langues
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Vivre, penser, écrire entre deux langues
32 24 heures | Mercredi 30 janvier 2013 La der Akira Mizubayashi, auteur Vivre, penser, écrire entre deux langues Jacques Poget Texte Claude Gassian Photo Q uel plaisir d’écouter* ce français parfait, châtié, que sa douce mélodie situerait du côté de Toulouse! Mais Akira Mizubayashi naît au Japon et n’étudie le français qu’à l’âge de 19 ans. A 60 ans, il publiera son premier livre dans cette langue. Lycéen sensible, grand lecteur, il découvre un jour la prose «inédite et magnifique» d’Arimasa Mori. Or ce philosophe avait tout abandonné à l’âge mûr pour reprendre à Paris l’étude du français, humblement, «comme un enfant de 6 ans». Quelle est cette langue libératrice et inspirante? Le jeune Mizubayashi s’enflamme pour le français, et même il y «prend refuge» contre «l’étouffement linguistique» dû au japonais usuel de ces années, «étiolé, usé» par le Mai 68 nippon. Il dissout dans l’étude de l’idiome de la liberté son mal-être face à l’extrême codification sociale. Quatre décennies plus tard, chez son éditeur parisien, l’universitaire tokyoïte raconte avec simplicité et humour son destin d’étranger ici et là-bas. Il évoque avec une pudique émotion son père, luimême brimé dans ses aspirations, qui soutint avec abnégation ses deux fils pour qu’ils réalisent les leurs. Une langue venue d’ailleurs (Gallimard 2011, Folio 2013) montre l’enseignant impécunieux emmenant son aîné à Tokyo pour son cours hebdomadaire de violon, huit heures de train de nuit. Se saignant pour offrir un des premiers magnétophones Sony à Akira. Qui réécoutera ainsi, inlassablement, toutes les émissions en français de la radio japonaise, jusqu’à maîtriser les finesses de cette «langue paternelle»… Le fils sera à la hauteur; bourse pour Montpellier, carrière universitaire, articles érudits, sept ouvrages, dont deux thèses. La seconde traite du processus de civilisation et l’écriture littéraire: le droit fil de sa préoccupation permanente pour l’émancipation de la pensée. Donc pour la démocratie dans tous les aspects de la vie, en particulier dans l’enseignement. Dans un pays où «on ne fournit aux élèves aucun outil pour penser par eux-mêmes, c’est-à-dire penser contre». L’œil de Mizubayashi pétille lorsqu’il mentionne sa collection pour les lycéens, trente petits livres qui abordent les grands «Machienneaété monmaître.Alafaçon desmaîtresjaponais: ilsneparlentpas, àl’élèved’observer» classiques au ras du texte. Une idée née quand éclate la guerre d’Irak: lâchant son cours, le professeur Mizubayashi catapulte ses élèves dans Candide et Le voyage au bout de la nuit. La littérature est la vie. Mais, pour que l’universitaire saute par-dessus son ombre et ose un livre non académique, il lui faut son Socrate. Rencontrant le philosophe français Jean-Bertrand Pontalis chez Daniel Pennac, dont il traduit Chagrin d’école, Mizubayashi reçoit l’injonction d’écrire un texte pour la collection de Pontalis chez Gallimard, justement baptisée L’un et l’autre. Carte d’identité Né le 5 avril 1951, à Sakata (Japon). Cinq dates importantes 1970 Commence à étudier le français au Japon. 1973 Premier séjour à Montpellier. 1976 Michèle le rejoint à Tokyo. 1979 Etudie à Paris, Normale sup’. 1986 Naissance de Julia-Madoka. Il se lance, «sculpte la matière de la langue française», mêle le Mozart des Noces de Figaro à ses réflexions sur ce que signifie s’approprier une langue «venue d’ailleurs» et vivre entre les deux, aux structures mentales si dissemblables. Le succès du livre l’émeut. Pontalis, mort le 15 janvier, avait accueilli le suivant, Mélodie. Un tombeau littéraire à sa chienne. Douze ans de vie commune, et la golden retriever hante encore ses rêves. «Elle fut mon maître de vie. A la façon des maîtres traditionnels japonais: ils ne parlent pas, à l’élève d’ob- server et de s’approprier leur savoir.» Mémoire aussi du père disparu, méditation militante sur la condition animale, «et par conséquent sur la condition humaine», Mélodie salue au passage l’épouse Michèle, qui enseigne le français à Tokyo, leur fille Julia-Madoka, et éclaire avec candeur la vie ordinaire d’une famille particulière. * Samedi 9 février (16 h), lecture et entretien, Librairie Naito, rue Louis-de-Savoie 47, à Morges (rés. au 021 803 52 34). Lundi 11 (11 h), sur Espace2, Entre les lignes. http://mizubayashi.urdr.weblife.me/ Ce jour-là Elle fait l’actualité le 30 janvier… 1913 La sainte du jour Tiré de la Feuille d’Avis de Lausanne du 30 janvier 1913 Rita Sacchetto triomphe à Lausanne Martine a emprunté sa biographie à Tatienne Corcelles-sur-Chavornay Fièvre aphteuse Le gendarme détaché à Corcelles-sur-Chavornay, à l’occasion de la fièvre aphteuse, n’a pas quitté mardi cette localité. Il sera probablement licencié un de ces jours. Zurich Les apaches Le quartier du Rigi ayant été, dans l’espace d’un mois, le théâtre de cinq agressions, la police prit des mesures et déclara qu’il était désormais impossible que des faits pareils se renouvelassent. Mais, quelques jours plus tard, deux femmes qui rentraient du travail étaient attaquées par un individu qui se tenait tapi dans un massif de la Rigistrasse. (…) Les habitants réclament des mesures énergiques, une réorganisation de la police et, surtout, un meilleur éclairage des routes. Nouvelles suisses Une famille suisse massacrée La famille d’un contremaître, du nom de Schaechli, qui avait émigré il y a quelques années dans les colonies allemandes de l’Afrique occidentale, a été massacrée par les indigènes. Bâle L’épingle à chapeau blessante Dans un bazar de Bâle, une dame a été grièvement blessée à l’œil par une épingle à chapeau non protégée par une capsule. On craint que l’organe ne soit perdu. VC3 Contrôle qualité La danseuse allemande à la «parfaite décence» fait salle comble «La grande renommée de Rita Sacchetto avait attiré au Théâtre [de Lausanne] un public nombreux et élégant. Rarement on vit salle remplie à ce point. On connaissait la parfaite décence de l’artiste, aussi plusieurs pensionnats jetaient-ils dans l’assistance la note claire de leurs toilettes. (…) Chez la danseuse extraordinaire acclamée hier soir, tout est grâce et légèreté. L’agréable artiste, au corps souple et à la tête spirituellement jolie, fait preuve dans toutes ses créations d’une rare compréhension de la musique et de la mimique. (…) Ce qui porta le public aux nues, ce furent ses «Danses espagnoles». Jamais on n’aurait cru qu’on pût tirer tant d’expression des castagnettes. Rita Sacchetto les fait tantôt chanter avec douceur, tantôt claquer avec colère. Bref, ce fut un succès éclatant pour la grande artiste et tout le monde eut l’impression d’une véritable vision d’art.» Article paru dans la Feuille d’Avis de Lausanne le 30 janvier 1913. Danseuse et actrice, Rita Sacchetto (1880-1959) s’était fait une spécialité des «tableaux vivants», interprétés sur des musiques classiques ou populaires. ED. HERM. LEISER BERLIN-WILMERSDORF/DS Martine est une sainte romaine qui a peut-être existé, car une ancienne église de Rome à son nom est attestée dès le VII siècle. Le problème, c’est que sa biographie ressemble à s’y méprendre à celle de deux autres saintes, également vierges et martyres de Rome, Prisque, fêtée le 18 janvier, et Tatienne ou Tatiana, célébrée le 12 janvier. Seul le nom de l’empereur persécuteur change de l’une à l’autre. La plus ancienne biographie semble bien être celle de Tatienne. Il s’ensuit que celle de Martine est plus que douteuse. Néanmoins, lorsque, en 1634, sous une église du forum de Rome, on découvre un sarcophage dans lequel se trouve une femme, la tête séparée du corps, le pape Urbain VIII est convaincu qu’on a redécouvert sainte Martine et en fait même une patronne de Rome. En 1969, lors de la révision du calendrier par le Vatican, le culte de Martine est confiné à sa seule basilique romaine. Une sorte de dégradation qui s’explique par le caractère douteux de sa biographie. Selon ce récit, Martine est la fille d’un ancien consul. Elle s’est vouée à la religion chrétienne. Vers 226, elle est arrêtée et conduite devant l’empereur Alexandre Sévère. On veut l’obliger à sacrifier dans le temple d’Apollon. Sainte Martine par le Greco, vers 1597 (détail). CORBIS Par sa prière, elle brise la statue du dieu et provoque un tremblement de terre qui détruit le temple en ensevelissant les prêtres païens. On l’emmène alors dans le temple de Diane. Même scénario. Sûrs qu’il s’agit d’une magicienne, les juges la font accabler de coups de bâton; elle survit à ce traitement. Ils la font déchirer avec des ongles de fer; en vain. On la jette aux lions puis dans un bûcher ardent, sans résultat. Finalement, elle est décapitée. J.FD Autres saints du jour: Aldegonde, Armentaire, Bathilde, Bertille, Jacinthe.