manifeste pour une agriculture respectueuse

Transcription

manifeste pour une agriculture respectueuse
MANIFESTE POUR UNE AGRICULTURE RESPECTUEUSE
DE LA NATURE ET DES HOMMES
ANALYSE des PRATIQUES et des ENJEUX
PREAMBULE
SOMMAIRE
1.
Le sol, 80 % de la biomasse terrestre : une production irremplaçable de l’activité biologique.
2.
Les espaces non exploités inclus dans l’espace et la propriété agricoles
2.1. Les haies et le maillage bocager
2.1.1. Fonction climatique
2.1.2. Fonction biocoenotique
2.1.3. Fonction dans la production agricole
2.2. Les banquettes
2.3. Les fossés
2.4. Les mares
2.5. Etat des lieux
3.
L’exploitation de l’espace en agriculture et ses modalités
3.1. L’exploitation des milieux à l’état naturel en agriculture
3.1.1. La prairie naturelle permanente
3.1.2. Etat des lieux
3.2. L’exclusion momentanée ou partielle de l’exploitation de sols soumis aux intrants
3.2.1. Les jachères
3.2.2. Les bandes enherbées
3.2.3. Etat des lieux
3.3. Les milieux cultivés
3.3.1. Modalité conventionnelle
3.3.2. Modalité à faibles intrants de chimie de synthèse et d’importations
3.3.2.1 Réseau d’Agriculture Durable
3.3.2.2 Agriculture Intégrée
3.3.3. Modalité sans intrants de la chimie de synthèse ou Agriculture Biologique
3.3.4. Modalité agrologique ou agroécologique
3.3.5. Bilan
Les labours profonds
a.
b. Les engrais minéraux
c.
Les pesticides
4.
Les enjeux de l’agriculture du XXIème siècle
4.1. Climat et effet de serre
4.1.1. Haie et maillage bocager
4.1.2. Labour et séquestration du carbone
4.1.3. Minéralisation des engrais minéraux
4.2. Biodiversité et services de la biodiversité
4.2.1. Biodiversité, humus et effet de serre
4.2.2. Biodiversité, humus et conservation des sols
4.2.3. Biodiversité et reconstitution de la ressource en eau
4.2.4. Biodiversité et production agricole
Manifeste pour une agriculture respectueuse de la nature et des hommes – LPO - 1 -
4.3. Conserver et étendre le choix des variétés cultivées et des mélanges
4.4. Biodiversité : effets de toxicité directe et effets biocoenotiques de l’usage des toxiques
4.4.1. Effets de l’usage des pesticides sur les sols
4.4.2. Effets de l’usage des pesticides sur la flore indigène
4.4.3. Effets de l’usage des pesticides sur les invertébrés dont les pollinisateurs
4.4.4. Effets de l’usage des pesticides sur les vertébrés
4.5. Alimentation, contamination par les pesticides et santé publique
4.5.1. Effets de l’usage des pesticides sur la santé des agriculteurs
4.5.2. Effets de l’usage des pesticides sur la santé des consommateurs
5.
Les outils de mise en oeuvre d’une agriculture respectueuse des hommes et de la biodiversité
5.1. Des pratiques agricoles respectueuses de la santé des hommes et de la biodiversité
5.1.1.
Les espaces exploités en milieux cultivés
5.1.2.
Les espaces exploités à l’état naturel
5.1.3.
Milieux cultivés
a. Proscrire les labours profonds
b. Sortir de l’usage des pesticides
c. Réduire au minimum l’usage des engrais minéraux
d. Généraliser l’usage des rotations des cultures
e. Tenir compte de la biodiversité dans les travaux de récoltes
5.2. Mettre en oeuvre des outils pédagogiques et réglementaires pertinents et efficaces
5.2.1.
Formations agricoles
5.2.2.
Les Zones Agricoles Protégées (Loi d’Orientation Agricole 05/01/06, art. : 36)
5.2.3.
Mettre en oeuvre le plan Ecophyto tout en soulignant ses faiblesses
5.2.4.
Réorienter le rôle de la SAFER vers une agriculture durable
5.2.5.
Mettre en oeuvre des outils d'acquisition foncière
5.2.6.
Renforcer les MAET
5.2.7.
Faire évoluer la PAC vers le soutien prioritaire aux pratiques
agricoles à faibles externalités négatives et fortes externalités
positives
5.2.8.
Participer au réseau inter-associatif dans le cadre de l’évolution
de la PAC
6.
Conclusion
Manifeste pour une agriculture respectueuse de la nature et des hommes – LPO - 2 -
MANIFESTE POUR UNE AGRICULTURE RESPECTUEUSE
DE LA NATURE ET DES HOMMES
ANALYSE des PRATIQUES et des ENJEUX
PREAMBULE
Pour l’heure, parmi toutes les planètes et exo-planètes connues, la Terre se caractérise par l’apparition de la vie datée aujourd’hui
de 4,1 milliards d’années. Si la vie est une, le vivant est hautement divers. La diversité, génétique au niveau des individus,
spécifique au niveau des espèces, biocoenotique au niveau des écosystèmes, forment le triptyque de la biodiversité. Le biotope
(ensemble des conditions physiques du milieu) et les biocoenoses (ensemble des êtres vivants du milieu) sont les 2 composantes
des écosystèmes. Une notion, bien que très employée mais délicate à préciser, l’habitat, se définit comme l’ensemble des
« éléments » biotiques et abiotiques nécessaires à satisfaire aux besoins d’une espèce. Aujourd’hui, en terme de perte d’espèces,
cette biodiversité naturelle régresse d’un facteur entre 1 000 et 10 000 fois supérieur à la perte « naturelle » qui a prévalu jusqu’à
ème
la fin du XIX siècle ! Néanmoins, de par le monde, cette régression contemporaine a deux origines bien différentes. Dans les
régions intertropicales, où prévaut un fort taux d’endémisme, la déforestation, et donc la perte d’habitats originels, est la cause
principale de la disparition d’espèces animales et végétales. Dans nos contrées plus septentrionales, il n’en va pas de même. La
destruction des espaces forestiers au profit des espaces agricoles y est aussi ancienne que l’invention de l’agriculture. Ainsi, dans
l’espace européen, entre le néolithique et le moyen-âge, 70 % de la forêt a disparu. Cette disparition ne fut évidemment pas sans
conséquence majeure sur les espèces. Les espèces forestières ont été autrefois, ici comme elles le sont actuellement dans les
milieux tropicaux, les principales victimes de la régression de la forêt due aux activités humaines (agriculture et métallurgie).
Néanmoins, l’agriculture, jusqu’aux années 1950, entre le naturel et le cadastré, avait su composer. De sorte que cet effacement de
la forêt au profit d’espaces semi-ouverts (bocages), ou ouverts (plaines), avait donné naissance à de nouveaux habitats, sources
d’écosystèmes diversifiés toujours riches d’une flore et d’une faune elles-mêmes fort diverses. Les changements de pratiques dans
nos régions agricoles, à l’oeuvre depuis la fin de la seconde Guerre Mondiale, s’ils ont modifié certains habitats, atteignent
néanmoins directement les biocoenoses par des modifications drastiques des caractéristiques des biotopes sans nécessairement de
modification des habitats en raison de l’usage d’intrants tels les engrais, les pesticides, l’irrigation.
Après la Seconde Guerre Mondiale, une profonde mutation de l'agriculture a été opérée sur fond d’intensification des pratiques :
Plan Marshall puis plan Manscholt en Europe de l’ouest, Révolution Verte ailleurs. Un agrandissement des structures, associé à une
concentration des surfaces, une réduction drastique des marges non cultivées (haies, fossés, banquettes, mares), une diminution
drastique (encouragée) du nombre d’agriculteurs (de 5,5 millions en 1950 à 400 000 voire seulement 250 000, selon les sources,
aujourd’hui) en a été la règle. Cette baisse du nombre d’agriculteurs a été compensée par un recours à la technologie et l’énergie
fossile : engrais minéraux, pesticides, semences à haut rendement et exploitation maximale des surfaces de production. Deux
1,2
Expertises Collectives majeures (INRA et CEMAGREF, 2005, puis INRA seule, 2008), à la demande des ministères de l’agriculture
et de l’écologie, ont dressé un état des lieux du rapport agriculture et biodiversité sans complaisance. L’une de leurs conclusions est
citée en exergue.
Occupant près des 2/3 du territoire français (32 millions d’ha), l'agriculture détient une place importante dans notre société dans
nombre de domaines : paysager (plaines, bocage, marais, pelouse sèche...), économique (3,5 % du PIB ; 770 000 personnes
3
employées en 2007 ), écologique (biocoenoses dépendantes des milieux agricoles, qualité des eaux, microbiologie des sols, climat
régional...), sanitaire (santé du monde agricole et des consommateurs en général)...
Parallèlement à cette évolution des pratiques et à la place qu’occupe l’agriculture en France, on constate dans tous les pays
occidentaux une chute de la biodiversité tant des invertébrés que des oiseaux dépendants des invertébrés dans les milieux
4
agricoles. Entre 1989 et 2004, par exemple, on observe en France une chute de 27 % des oiseaux liés aux milieux agricoles . Entre
2001 et 2009, la situation s’est encore aggravée, notamment dans l’ouest (Bretagne et Pays de la Loire), ces deux régions voyant
5
les populations d’oiseaux des milieux agricoles et bâtis régresser respectivement de -34 % et -20 % . La crise actuelle concernant
les pollinisateurs s’étend en réalité à la quasi-totalité des insectes (34000 espèces en France dont 1000 espèces d’abeilles). Les
microbiologistes des sols, quant à eux, s’inquiètent grandement de la mort des sols dont les invertébrés et les microorganismes ne
représentent pas moins de 80 % de la biomasse, véritable système digestif à ciel ouvert indispensable au bon fonctionnement des
cycles biogéochimiques. Ainsi, la perte de fertilisation organique associée aux labours profonds, à l’usage des pesticides (en
particulier les fongicides), à l’usage des engrais minéraux, conduit à une chute du taux d’humus. Or, cet humus est indispensable à
la formation du complexe absorbant argilo-humique, processus à la base même de la naissance des sols, d’où une érosion
entrainant une perte irréversible de terre arable de 10 à 40T/ha/an.
L’agriculture a pour fonction de nourrir les hommes. A bien des égards, l’agriculture des pays occidentaux considère qu’elle a
vocation à nourrir le « monde ». La réalité montre, tout au contraire, qu’elle exerce une farouche concurrence aux productions
6
locales des pays du Tiers-monde. D’ailleurs, un récent document du MEEDD : « Pour une politique agricole durable en 2013 » ne
dit pas autre chose. Deux mécanismes majeurs jouent en défaveur de ces pays. La plupart d’entre eux, en raison du
remboursement de la « dette » aux pays du nord, (considérée comme « dette odieuse » par Jean Ziegler ex Rapporteur pour le
7
Droit à l’Alimentation de l’ONU), ont eu à subir les Plans d’Ajustement Structurel du FMI et de la Banque Mondiale, plans qui leur
1
INRA,CEMAGREF.(2005) Pesticides, agriculture et environnement. Chapitre III
INRA. (2008). Agriculture et biodiversité. Favoriser les synergies.
source : Bimagri HS, n°23, janvier 2010
4
source : MNHN- données STOC
5
STOC Eps 2009
6
MEEDDM (2010). Pour une politique agricole durable en 2013.
7
FMI = Fonds Monétaire International
2
3
Manifeste pour une agriculture respectueuse de la nature et des hommes – LPO - 3 -
ont imposé une disparition des barrières douanières en même temps qu’une interdiction de subventionner leur propre agriculture,
y compris l’agriculture vivrière. Simultanément, s’est imposée l’obligation de pratiquer des cultures d’exportation pour rembourser
la « Dette ». A l’opposé, les agricultures occidentales, notamment européennes, sont très largement subventionnées (PAC en
8 9 , 10
pour « liquider » les stocks d’excédents de
Europe), subventions auxquelles viennent s’ajouter des subventions de l’OCDE ’
production. Ainsi, un produit européen arrive-t-il sur les marchés du Tiers-monde au tiers du prix de revient du même produit
local. L’idée que l’agriculture européenne « doit » nourrir le monde est, dans l’état actuel, une contre-vérité aussi nocive pour les
pays du Tiers-monde que pour les pays occidentaux. En conséquence l’objectif de l’agriculture ne doit pas être d’épuiser les sols
dans le monde occidental pour nourrir « le monde » mais de donner à tous les agriculteurs du monde les moyens techniques de
produire LOCALEMENT les aliments de base destinés aux populations. C’est très exactement le projet défendu par Olivier de
Schutter, Rapporteur Spécial auprès de l’ONU pour le Droit à l’Alimentation. La nourriture, défend-il, doit être « Disponible » (les
besoins sont couverts par la production), « Accessible » (à toutes personnes dont les plus vulnérables, enfants, personnes âgées,
handicapées… et donc économiquement abordable), « Adéquate » (la nourriture correspond aux besoins) mais « Sans
compromettre sa capacité à satisfaire les besoins futurs. La perte de biodiversité, l’utilisation déraisonnable de l’eau et la pollution
des sols et de l’eau font que les ressources naturelles risquent de ne pas pouvoir continuer à soutenir l’agriculture ». « La plupart
des efforts consentis dans le passé se sont concentrés sur l’amélioration des semences et la fourniture aux agriculteurs d’un
ensemble d’intrants capables d’accroître les rendements, sur le modèle des processus industriels dans lesquels les intrants externes
sont utilisés pour obtenir des produits selon une mode de production linéaire ». Il défend au contraire l’Agroécologie, chère à
Pierre Rabhi et Claude Bourguignon. « L’Agroécologie cherche à améliorer la durabilité des écosystèmes en imitant la nature plutôt
que l’industrie. Le présent rapport suggère que le développement des pratiques agroécologiques peut simultanément accroître la
productivité agricole et la sécurité alimentaire, améliorer les revenus et les moyens de subsistance ruraux et renverser la tendance
vers la disparition d’espèces et l’érosion génétique ».
AGRICULTURE, BIODIVERSITE
Les ENJEUX
L’espace agricole, même si cette réalité tend à disparaître, ne se confond pas avec l’espace exploité. L’espace agricole comprend
l’espace cultivé et les marges incluses non exploitées telles les haies, fossés, banquettes, mares. Dans la part exploitée on peut
également opérer trois subdivisions : (1) l’espace est exploité à l’état naturel (prairies naturelles permanentes avec sa flore et sa
faune indigènes), (2) l’espace est momentanément non exploité telles les jachères ou, pour la protection des eaux, les bandes
enherbées, mais reste sous l’influence des intrants (apports de l’extérieur au système) (3), la part cultivée en elle-même par
ensemencement régulier, avec, dans l’immense majorité des cas, labours. Après avoir opéré ces descriptions en formulant les
enjeux pour le paysage, la biodiversité, l’environnement et la santé publique, seront formulées, dans chacun des cas, les mesures
qui apparaissent nécessaires ou des choix à opérer dans les propositions faites. Néanmoins s’impose un rappel essentiel au
préalable : le sol est une production de l’activité biologique.
1.
Le sol, 80% de la biomasse terrestre : une production irremplaçable de l’activité biologique
11 12 , 13 , 14 , 15
L’étude des sols forestiers, ou de savanes, montre une organisation étagée de la vie du sol. En surface vit une faune épigée
(littéralement vivant sur le sol), en profondeur une faune endogée (littéralement vivant dans la terre). Circulant sans cesse de haut
en bas, vit une faune anécique (vers de terre). La faune de la surface dégrade les litières et produit des boulettes fécales. Dans le
même temps, dans ces conditions idéales, au travers des galeries créées, elle perméabilise le sol dans l’ordre des 80 %. Cette
porosité assure ainsi les échanges gazeux et l’infiltration des eaux pluviales. Les champignons prennent ensuite le relais de la
faune épigée et consomment en particulier la lignine, partie des plantes herbacées âgées et du bois, pourtant très indigeste, riche
en carbone, dont résultent des « déchets », des composés organiques non entièrement minéralisés, qui se combinent entre eux
dans le sol pour former des macromolécules : l’humus. Pendant ce temps, au contact de la roche mère, les bactéries et les racines
des plantes prélèvent des minéraux et délaissent les argiles. Entre ces deux extrêmes, circulant de haut en bas, les vers de terre
vont quérir en surface des matériaux des litières qu’ils redescendent dans leur galerie. Ce faisant, en « avalant » le sol, au cours de
ces déplacements, ils remontent les argiles des profondeurs et les associent aux humus de l’horizon supérieur dans leur tube
digestif. Grâce à leur glande de Morren, et au calcium qu’elle contient, les argiles et l’humus se lient pour former le Complexe
absorbant argilo-humique, très visible en surface du sol, sous forme de turricules stables même en cas de forte pluie. Ainsi
naît le sol. Les vers de terre peuvent faire transiter dans leur tube digestif entre 300 et 1 000T/ha/an de terre soit une épaisseur de
10 cm environ. Cette activité peut conduire à séquestrer dans le sol 2,5T/ha/an de carbone. La faune endogée a pour rôle de
digérer les racines mortes. Elle crée de la sorte 60 % de porosité dans l’horizon inférieur du sol assurant par-là la continuité des
échanges gazeux et de l’infiltration des eaux pluviales vers les profondeurs. Le sol est alors une éponge filtrante alimentant les
nappes phréatiques. Globalement, il faut entre 100 et 400 ans pour former 1 cm de sol.
Mais ce n’est pas tout. De nombreuses synergies s’établissent entre les microorganismes du sol et les racines des plantes. Des
bactéries spécialisées du sol (les azotobacters) capturent l’azote en circulation dans la porosité du sol, d’autres bactéries (le
rhizobium) s’associent directement aux racines des plantes dans les nodosités de certaines d’entre elles (légumineuses), qu’elles
provoquent. Elles peuvent ainsi fixer 400 kg/ha/an d’azote sous forme d’ion ammonium assimilable par la plante. De la même
manière, des champignons vivent à leur contact, ou au sein des racines, les mycorhizes. Ainsi, les bactéries transforment des
éléments atomiques en éléments biodisponibles et assimilables par la plante, les hyphes fongiques, beaucoup plus fins que la plus
fine des racines des plantes (le soixantième), apportent directement aux plantes ces éléments atomiques dont elles ont besoin mais
8
OCDE, Organisation pour la Coopération et le Développement Economique en Europe.
Ziegler Jean. 2005. L’empire de la honte. Le livre de poche. (ex rapporteur du droit à l’alimentation de l’ONU).
Wargenhofer Erwin & Annas Max. 2007. Le marché de la faim. Actes sud.
11
Schutter Olivier, Rapport du Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation. Nations Unies. A/HRC/16/49
12
Bourguignon Claude et Lydia. 2008. Le sol, la terre te les champs. Le sang de la terre.
13
Pacteau Christian. 2010. Un Pacte Toxique. Amalthée.
14
Ramade François. 2007. Introduction à l’écotoxicologie. Lavoisier.
15
Dans ce qui suit, l’immense majorité des données non référencées systématiquement est issue de ces trois auteurs
9
10
Manifeste pour une agriculture respectueuse de la nature et des hommes – LPO - 4 -
qu’elles ne peuvent prélever seules. Ces hyphes fongiques leur apportent aussi de l’eau. En échange, ils reçoivent des plantes des
sucres issus de la photosynthèse. Quant aux besoins de la plante, à 94 % ils sont constitués des éléments atomiques légers aériens
qu’elle puise essentiellement par ses feuilles (carbone, hydrogène, oxygène, azote). 6 % seulement de ses besoins sont des atomes
lourds qu’elle puise dans le sol. Ils lui sont pourtant indispensables. Nombre d’entre eux ont un rôle d’oligoélément, mais ils
peuvent aussi être des toxiques en cas de carence ou d’excès (hormétiques). Ce sont eux qui font le goût et la « qualité » de la
plante. La plante a ainsi besoin de 34 éléments atomiques et non pas des seuls azote, phosphore, potassium (NPK) des agronomes
des années 50.
2.
Les espaces non exploités inclus dans l’espace et la propriété agricole
2.1. Les haies et le maillage bocager
Les haies originelles remplissent au moins trois fonctions capitales : une fonction climatique, une fonction biocoenotique
(communautés animales et végétales), une fonction dans la production agricole.
2.1.1. Fonction climatique
Les rideaux d’arbres ont une fonction « brise-vent » qui a un rôle tant sur la vitesse du vent que sur les pluies. Les brise-vent
réduisent la vitesse du vent. La « rugosité » des paysages bocagers joue un rôle semblable à celui du relief en provoquant un
freinage du vent au sol conduisant à la formation de turbulences verticales. Ces turbulences provoquent l’ascension des particules
hygrophiles sur lesquelles se fixe l’eau, particules qui en atteignant une altitude élevée, en raison des conditions plus froides, se
condensent. Les paysages bocagers ont donc une influence sur le régime des pluies. L’arbre est par ailleurs la seule plante capable
de mettre en relation « l’eau du ciel et l’eau du sous-sol ». Sa racine pivotante peut atteindre 150m. En tant que tel, l’arbre est la
seule plante en mesure d’évapotranspirer de la vapeur d’eau en période sèche au bénéfice les plantes cultivées. En comparaison
avec les arbres, l’enracinement des plantes herbacées est infiniment plus limité, ne dépassant pas quelques mètres, voire une
dizaine de mètres (luzerne...) pour celles qui ont l’enracinement le plus profond. Cette évotranspiration tempère la température, ce
dont chacun a fait l’expérience en milieu forestier ou bocager, et donc diminue le stress hydrique lié aux conditions climatiques
extrêmes.
2.1.2. Fonction biocoenotique
Les haies originelles recèlent l’ensemble des espèces floristiques et faunistiques indigènes des écotones forestiers/milieux ouverts.
Elles constituent ainsi des réservoirs spécifiques et génétiques tant floristiques que faunistiques naturelles aux conditions
pédoclimatiques locales. Elles sont le plus souvent, soit pour des raisons trophiques soit de gîtes, indispensables, en particulier, aux
insectes auxiliaires de l’agriculture.
2.1.3. Fonction dans la production agricole
De par sa physiologie, toute plante présente un optimum de production relevant de sa capacité à opérer les échanges gazeux :
évapotranspiration de la vapeur d’eau d’un côté, pénétration du gaz carbonique de l’autre. Si la disponibilité en eau joue un rôle
important, le vent joue un rôle tout aussi capital. S’il est trop fort, la demande d’évapotranspiration est supérieure à la capacité de
pompage de la plante. Pour éviter le flétrissement, elle ferme ses stomates (pores des feuilles). Ce faisant, les échanges gazeux sont
arrêtés, elle cesse donc de produire. En réduisant la vitesse du vent, les brise-vent jouent donc un rôle important en assurant un
allongement de la durée de croissance de la plante par rapport aux situations non bocagères.
L’eau évapotranspirée par les arbres en période de sécheresse permet de tamponner les facteurs physiques tels que la température
et le taux d’humidité. La présence des arbres de haut-jet a donc une importance dans la production végétale, voire animale, en
atténuant la rigueur des conditions climatiques.
Les haies sont également un frein s’opposant à la migration latérale de ravageurs aériens se laissant dériver par le vent (doryphores
par exemple). De la même manière, en freinant la vitesse du vent, elles diminuent les micro blessures, dont la violence du vent est
l’agent, et donc les voies de pénétration des microorganismes pathogènes.
Les haies sont aussi les zones refuges, en particulier des espèces pollinisatrices telles les abeilles (1 000 espèces en France), les
bourdons, des diptères, des coléoptères, des lépidoptères... dont dépendent 80 % des espèces de plantes à fleurs et aussi des
espèces d’insectes « auxiliaires de l’agriculture » qui participent de la lutte contre les ravageurs.
2.2. Les banquettes
Ce sont les marges extérieures, ou bordures herbacées non cultivées au sein des parcelles cultivées. Elles sont le lieu d’une richesse
floristique et faunistique indigène, notamment le site de nidification pour certains oiseaux nicheurs au sol telles la perdrix et
l’alouette des champs, mais pas seulement.
2.3. Les fossés
Selon la nature du sol, et en particulier de son caractère hydromorphe (sol gorgé d’eau), ou non, les fossés ont été associés à
l’élaboration des haies. Ils ont pour rôle d’abaisser la nappe perchée au niveau de la parcelle tout en permettant une circulation
lente de l’eau dans un réseau anastomosé (multiples interconnexions entre les différents bras). Si la lenteur est favorable à
l’infiltration, et donc au rechargement des nappes, l’abaissement de la nappe en surface est favorable à l’enracinement des plantes
limité par la nappe perchée.
Dans les zones de marais, le réseau de fossés est particulièrement dense. (Par exemple, plus de 24 000km tous réseaux confondus
en Marais poitevin, dont 6 000 de moyenne à grande importance). Ces voies d’eau jouent un rôle particulièrement important pour
la faune et la flore spécifiques qu'ils abritent (poissons, libellules, amphibiens...). Associés à des roselières linéaires, ils sont un lieu
de nidification privilégié de nombreuses espèces paludicoles. Ce réseau joue également un rôle important en drainant des
ressources alimentaires vers les nurseries aquatiques marines côtières.
2.4. Les mares
Eléments sporadiques, parfois denses, témoignant le plus souvent de la présence d’anciens abreuvoirs, voire de fonds très argileux,
ces mares jouent un rôle considérable, pour les amphibiens en particulier, en maintenant des populations d’invertébrés et de
vertébrés, y compris d’espèces non stricto sensu aquatiques mais dont un stade de développement au moins est aquatique.
Manifeste pour une agriculture respectueuse de la nature et des hommes – LPO - 5 -
2.5. Etat des lieux
Dans une large mesure, la fin de la seconde Guerre Mondiale a sonné le glas des bocages. Pas moins de 2, peut-être 3 millions de
kilomètres, de cet écotone majeur, auraient été sacrifiés au cours des travaux connexes aux remembrements, voire de travaux
individuels. Si la largeur moyenne d’une haie est de 3 m, ce gain en surface se situe, à l’échelle française, entre 60 000 et 90
000ha. Ce n’est pas négligeable mais le bilan entre gain en espace cultivé et perte en termes de « services de la biodiversité »,
hydrologique et climatique, n’a jamais été fait. Les réseaux de haies, banquettes, fossés, formaient un tout ayant des effets majeurs
tant climatique, sanitaire, hydrologique que sur la biodiversité. Depuis, il est vrai, des haies ont été replantées. Si du point de vue
climatique elles peuvent un jour remplir le même rôle, leur rôle du point de vue de la reconstitution de la ressource en eau comme
de la biodiversité ne peut être, par contre, qu’amoindri voire négatif. En effet, le réseau anastomosé de fossés n’est pas
reconstitué, l’infiltration en est donc fortement diminuée d’autant que les sols labourés se sont eux-mêmes tassés et voient leur
conductivité hydraulique (infiltration) s’effondrer. Les espèces plantées sont parfois exotiques. La pratique (malheureuse) des
plantations sous plastique, et autres géo-membranes, interdit toute colonisation d’espèces floristiques indigènes, notamment
muscinales, herbacées et arbustives – en particulier buissonneuses telles les ronces – ce qui diminue considérablement leur intérêt
tant pour les invertébrés que les vertébrés. L’absence de vieux arbres est particulièrement défavorable aux espèces cavernicoles.
Si l'entretien des fossés, en marais, est nécessaire pour éviter l'envasement, les travaux de curage réalisés sont souvent effectués de
manière brutale : surcreusement, élimination de la végétation rivulaire, pentes abruptes... D’une manière générale les recalibrages
des rus et petits ruisseaux, en supprimant des habitats, les ''stérilisent'' biologiquement et paradoxalement, contribuent à
accentuer la dégradation physique en favorisant l’érosion des berges et donc l’envasement du lit.
La déprise agricole sur certains secteurs ainsi que les méthodes modernes d'acheminement de l'eau aux prés (pompes à museaux)
ont participé au désintérêt des mares qui ont été en partie abandonnées et, le plus souvent, comblées.
3.
L’exploitation de l’espace en agriculture et ses modalités
3.1. L’exploitation des milieux à l’état naturel en agriculture
3.1.1. La prairie naturelle permanente
La prairie naturelle représente, avec les landes, les tourbières et les dunes, l’une des rares formes d’exploitation directe d’un milieu
« naturel », riche en alliances végétales adaptées aux conditions pédoclimatiques locales, par l’agriculture, qu’il s’agisse des
pelouses sèches oligotrophes (pauvres en éléments nutritifs) de montagne ou des prairies humides des vallées alluviales ou de
marais. De cette richesse en espèces floristiques diversifiées en naît une seconde, la richesse en invertébrés, notamment en
insectes, dont nombre d’espèces sont associées à une ou quelques plantes hôtes indigènes seulement. Mais c’est au niveau du sol
que l’effet est le plus spectaculaire. Les microbiologistes des sols, tels Lydia et Claude Bourguignon, affirment qu’une telle prairie
favorise grandement les microorganismes de la rhizosphère (ensemble des champignons et bactéries qui vivent soit au contact soit
à l’intérieur même des racines), si importants pour une nourriture équilibrée des plantes cultivées. Avec la prairie, un sol malmené
voit les mycorhizes réoccuper l’espace sol-racine très rapidement.
3.1.2. Etat des lieux
Les prairies naturelles permanentes en France, notamment dans l’ouest, ont fortement régressé depuis les années 1970 (entre 4 et
5 millions d’hectares), au profit, soit de cultures pour le bétail (maïsiculture en particulier), soit de prairies mono-spécifiques
cultivées, en particulier le ray-grass en vue de l’ensilage, soit de la production de céréales ou de protéagineux de vente. Du point
de vue de la biodiversité, ces pratiques nouvelles ne représentent évidemment pas l’extraordinaire diversité floristique associée à
une non moins extraordinaire diversité en invertébrés des prairies naturelles.
De plus, sur les territoires où la prairie naturelle permanente reste dominante, cet habitat subit de plein fouet les effets de
l'agriculture ''moderne'' qu’il s’agisse de l’assèchement des prairies humides de marais, en raison du drainage, du recalibrage des
fossés ou de la surfertilisation. Ces modifications entraînent une banalisation de la flore et du cortège faunistique dépendant. Ces
pratiques sont parfois réalisées à tort... Les prairies humides de marais ont une excellente productivité primaire et il s'y développe
des espèces à forte valeur fourragère. De même l’assèchement d’une prairie maritime d’obione est, en raison de sa productivité
(20t/ha/an) un non sens absolu. De plus, l’usage de certains vermifuges, très rémanents (avermectines), peut être très préjudiciable
à la faune des décomposeurs particulièrement utiles à l’agriculture.
3.2. L’exclusion momentanée ou partielle de l’exploitation de sols soumis aux intrants
3.2.1. Les jachères
Les jachères, au sens moderne du terme, désignent les terres laissées en repos de façon momentanée (une année ou plus). Elles
sont surtout associées à la mesure d'ordre économique instaurée par la réforme de la PAC de 1992, obligeant chaque agriculteur à
geler 5 à 15 % de leur SCOP (Surfaces en Céréales, Oléagineux et Protéagineux).
Les jachères ont un intérêt certain pour la biodiversité, notamment dans les grandes régions céréalières où elles sont des zonesrefuges pour la flore et la faune (oiseaux, mammifères, invertébrés...).
3.2.2. Les bandes enherbées
Bien que déjà pratiquées autrefois dans un but de performance agronomique, on associe aujourd’hui les bandes enherbées à
l'obligation réglementaire visant à limiter la concentration en nitrates et en pesticides des eaux superficielles. Ces bandes de tailles
variées sont ainsi souvent situées le long de cours d'eau. Elles peuvent être exploitées par l'agriculteur (pâturage, fauche) sous
certaines conditions. Ces bandes enherbées jouent en réalité de multiples rôles. Elles permettent effectivement de réduire la
pollution de l'eau, la végétation « absorbant » en partie l’azote et le phosphore apportés par les engrais (principalement les engrais
minéraux, apportés de manière fractionnée, donc en grande partie lessivés) et les bactéries du sol pouvant dégrader une partie des
pesticides. Mais leur rôle biologique peut être également important. Lorsqu’elles sont fauchées tardivement (et non gyrobroyées)
elles sont un refuge pour des espèces auxiliaires de l’agriculture et participent, au même titre que les haies et les cours d'eau, au
maillage de corridors écologiques nécessaire pour la recolonisation locale, d’un site à un autre, de la faune. Elles font partie des
éléments constituant la trame verte et bleue définie par le Grenelle de l'Environnement. Néanmoins, comme nous allons le voir, ces
bandes enherbées peuvent ne pas avoir que les vertus bien vite accordées.
3.2.3. Etat des lieux
Manifeste pour une agriculture respectueuse de la nature et des hommes – LPO - 6 -
A l’évidence, les jachères comme les bandes enherbées, en tant que milieux « abandonnés » momentanément ou à long terme aux
enjeux environnementaux, peuvent présenter des avantages mais aussi des inconvénients dont il est nécessaire de mesurer les
effets. Résultant d’un abandon momentané d’exploitation ou ayant pour rôle de retenir les toxiques lessivés avant qu’ils ne
regagnent les eaux de surfaces, nombre de toxiques rémanents peuvent polluer les plantes indigènes colonisatrices. Les poisons
16
systémiques , souvent rémanents, se retrouvent dans les plantes sauvages, lesquels contribuent à empoisonner les consommateurs
notamment invertébrés, certes à faible dose, mais ces poisons ont une toxicité chronique de l’ordre du dixième de milliardième de
gramme/gramme. Autre inconvénient, alors qu’elles peuvent représenter une zone refuge propice à la reproduction, elles sont
souvent soumises à un gyro-broyage précoce qui les transforme en véritable piège tant pour les invertébrés que pour les vertébrés.
Cette pratique est, comparativement à une simple fauche, désastreuse. Enfin, il s’agit d’espaces non pérennes dont l’éventuel
intérêt s’estompe avec la remise en culture.
L’abandon de l'obligation réglementaire de gel de terres agricoles (définie par la réforme de la PAC de 1992) a fait place à une
mise en oeuvre volontaire de jachères. La forte diminution que l'on peut craindre de ces espaces dans les grandes plaines
céréalières inquiète sur la survie de certaines espèces. L'Outarde canepetière, par exemple, en danger d'extinction, d’ailleurs déjà
ème
disparue dans de nombreuses régions alors qu’elle était le troisième oiseau le plus chassé eu début du XX siècle, dépend
aujourd'hui du maintien des jachères ou de prairies en milieu de grandes cultures.
3.3. Les milieux cultivés
Les milieux cultivés sont fort variés. Si intuitivement ce mot suggère labours, ce n’est pas toujours le cas. Arboriculture, vignoble,
luzernière, jardin public... sont aussi des milieux cultivés qui peuvent ne pas subir de travail du sol.
3.3.1. Modalité conventionnelle
L’agriculture conventionnelle repose sur 1 premier pilier composé de 3 éléments de base indissociables et un second pilier associé
composé de 3 éléments complémentaires. Le premier pilier s’appuie sur l’usage (1) des semences à haut rendement, (2) des engrais
minéraux, (3) des produits pesticides. Le second pilier groupe les pratiques associées (1) la concentration des surfaces qui va de
paire avec l’agrandissement du parcellaire et la disparition des marges interstitielles non cultivées tels que haies, banquettes, fossés,
et mares (2) les labours profonds, (3) une forte mise à contribution de l’énergie fossile (laquelle remplace les hommes dans un
contexte d’effondrement, voulu et organisé, de la population agricole depuis 60 ans de l’ordre des 9/10). Dans de nombreux cas,
cette modalité s’affranchit de la pratique des rotations et des assolements.
3.3.2. Modalité à faibles intrants de chimie de synthèse et d’importations
3.3.2.1. Réseau d’Agriculture Durable
Le Réseau d’Agriculture Durable a intégré une préoccupation majeure : s’affranchir de la dépendance autant aux intrants liés à la
production végétale (engrais minéraux et pesticides) qu’aux intrants liés à l’élevage (importation des protéagineux tel le soja en
provenance d’Amérique du Nord et du Sud, par exemple). Par ailleurs, dans ses pratiques elle utilise, pour diminuer drastiquement
17
le recours aux pesticides, les rotations longues qui rompent les cycles des pathogènes, elle associe, pour éviter les apports
d’engrais minéraux, des plantes qui enrichissent le sol en azote grâce aux bactéries (rhizobium), fixées dans les nodosités des
racines des légumineuses, ou aux bactéries du sol (azotobacter). Elle associe aussi les prairies sur de longues périodes, assurant
ainsi un enrichissement en microorganismes associés aux racines (mycorhizes) qui jouent un rôle majeur dans la nutrition équilibrée
de la plante.
3.3.2.2. Agriculture Intégrée
Marginale en France, elle représente 70 % de l’agriculture suisse. Pour protéger les plantes des « ravageurs » et des pathogènes,
elle utilise aussi les rotations, les variétés résistantes, les techniques de faux-semis, le maintien d’ensemble paysager (haies) assurant
la présence de gîtes ou de ressources nécessaires au maintien et à l’épanouissement des ennemis des ravageurs (auxiliaires de
l’agriculture). Mais elle associe aussi le semis sous couvert végétal (voir ci-après : agroécologie). L’ensemble de ces pratiques a donc
pour but de prévenir l’envahissement par les plantes adventices autant que le contrôle des ravageurs. Comme précédemment, si
l’usage des pesticides n’est pas interdit, il en est drastiquement diminué eu égard aux pratiques conventionnelles.
3.3.3. Modalité sans intrants de la chimie de synthèse ou Agriculture
Biologique
L’agriculture biologique, née en Autriche, Steiner, et en Inde de l’observation des pratiques indiennes par l’anglais Howard a, dès
18
l’origine, refusé l’usage des engrais minéraux . Par principe, elle a ainsi refusé d’utiliser une pratique qui s’apparente à une
« perfusion » et qui, par-là même, s’oppose au fonctionnement naturel de l’alimentation de la plante. S’interdire l’usage des
19
20
pesticides de la chimie de synthèse allait tout naturellement de pair avec ce refus d’une alimentation de « forçage » chimique
de la plante. L’Agriculture Biologique est sans doute la modalité agricole qui, de ce point de vue, a le cahier des charges le plus
3, 21
précis et le plus rigoureux en matière de pratique sans intrants de la chimie de synthèse . L’agriculture biologique respecte donc
la « physiologie sol-plante » en nourrissant, au moyen d’engrais verts et de composts, la faune des invertébrés du sol et la flore
des microorganismes (champignons et bactéries), lesquels nourrissent la plante et, dans le même temps, « créent le sol ».
3.3.4. Modalité agroécologique ou agrologie et agroécologie
16
Poisons systémiques. La graine est pelliculée (« semences enrobées ») au moyen du produit. Au cours de sa croissance la plante puise dans le sol par ses racines le
poison qui se répartit ainsi dans toutes ses parties. La plante devient ainsi une plante-pesticide.
Si de mêmes plantes sont régulièrement cultivées aux mêmes endroits, des bactéries ou des champignons pathogènes se développent et s’accroissent d’année en
année. D’où la nécessité de traitements pour protéger les plantes. Les agriculteurs ont très tôt compris ce mécanisme sans en connaître l’origine et l’ont contourné en
opérant des rotations plus ou moins longues (jusqu’à plus de 10-12 ans), rompant ainsi les cycles des pathogènes. Le drainage et l’irrigation, par souci de rentabilité, ont
conduit les agriculteurs du temps présent à s’affranchir de ces bonnes pratiques mais c’est au prix de poisons coûteux qui ne sont pas sans risques pour la faune, la flore
et la santé humaine. La mise en pratique des rotations et une bonne connaissance des assolements sont donc des atouts pour une production agricole saine, auxquelles
il faut revenir.
18
L’utilisation des nitrates en agriculture est née de la reconversion des usines de production comme explosif durant la première Guerre Mondiale (principe Haber-Bosch)
après que Liebig eut découvert le mode de nutrition des plantes. Il fut effrayé de l’usage fait de sa découverte.
19
Nés eux aussi de la Première Guerre mondiale : gaz moutarde ou Ypérite.
20
Chevassus-Au-Louis Bernard. 2006. Biodiversité un nouveau regard. Refonder la recherche agronomique. Leçons inaugurales du Groupe ESA.
21
Aubert Claude (2007). Quelle agriculture pour quelle alimentation. Terre sauvage.
17
Manifeste pour une agriculture respectueuse de la nature et des hommes – LPO - 7 -
(Bourguignon, Rhabi)
L’agrologie et l’agroécologie ajoutent au principe précédent une révolution dans la pratique agricole : l’absence totale de labour.
Par nature le labour est destructeur de sol. Il l’expose aux rayons ardents du soleil, lesquels le stérilisent à partir de 40°. Il l’expose
aussi aux pluies battantes qui le lessivent. Il tue, en les enfouissant dans la profondeur du sol, les champignons de surface seuls
aptes à fabriquer de l’humus à partir de la lignine. Tous les sols vivants naturels ont un couvert végétal protecteur. Dans cette
22
pratique, la récolte est associée à un semis , lequel a pour but de fournir une matière végétale le plus souvent écrasée au sol tant
pour éviter l’émergence d’adventices que pour servir d’engrais verts. Le semis est ainsi un Semis direct sous Couvert Végétal (SCV).
Imitant les sols forestiers ou les prairies naturelles de parcours des ongulés, à aucun moment le sol n’est à nu. Par ailleurs, l’apport
régulier de matière organique âgée (pailles diverses, fumiers, bois raméal fragmenté... riches en carbone) est source d’humification
par les champignons de surface et l’apport régulier de végétation verte (engrais verts, riches en azote), est, par la minéralisation
bactérienne, source d’azote.
3.3.5. Bilan
L’Agriculture Biologique, l’agroécologie ou l’agrologie sont fondées sur un usage des « services de la biodiversité », et par là, elles
satisfont grandement aux objectifs défendus par les naturalistes et les agronomes des temps nouveaux. Le RAD et l’Agriculture
Intégrée tendent à des pratiques qui sont proches des précédentes.
Dans le domaine de l’agriculture conventionnelle, « réduire le sol à un substrat, réaliser une classification basée essentiellement sur
les propriétés physicochimiques et le caractériser par des capacités de rétention en eau ou d’engrais minéraux a été une démarche
classique de la recherche agronomique, conduisant à l’élaboration de « supports de cultures » inertes pour les cultures hors sols » a
été une constante constate l’agronome Chevassus-Au-Louis, (Op. c.). Cette démarche a ainsi occulté, par nature, le rôle de la
biodiversité des sols et conduit à leut mort lente. Trois pratiques ont des conséquences plus particulièrement néfastes : les labours
profonds, l’usage des engrais minéraux, l’usage des pesticides.
a. Les labours profonds
Les labours profonds, en enfouissant les champignons aérobies, associés, situation aggravante, à l’usage des fongicides, tendent à
faire disparaître les seuls êtres vivants capables, à partir de la lignine, de produire le précieux humus. Par ailleurs, cette pratique
contribue à favoriser le rôle des bactéries minéralisatrices au détriment du rôle des champignons humificateurs. D’où un
affaiblissement généralisé du taux d’humus des sols en France, lequel taux devrait être de 2 % à 4 % minimum et n’est plus que
de 1,4 %. Or, moins d’humus, c’est moins de complexe absorbant argilo-humique, donc des sols plus sensibles au lessivage,
retenant moins l’humidité, plus sensibles à l’érosion mais aussi séquestrant en moindre quantité le carbone.
b. Les engrais minéraux
L’usage des engrais minéraux, en remplacement des litières organiques, d’une part soumet les êtres vivants épigés à une disette
alimentaire drastique, disette alimentaire qui réduit dans les mêmes proportions la présence des invertébrés du sol, et donc, par
voie de conséquence, la porosité des sols. D’autre part, l’apport, même fractionné, d’engrais minéraux dépasse largement les
capacités momentanées d’assimilation de la plante, ainsi, au moins 50 % sont lessivés et donc contribuent à polluer les milieux
aquatiques et donc aussi à augmenter les coûts de potabilisation de l’eau. De plus, ces engrais à forte charge en azote favorisent
les plantes nitrophiles et donc jouent le rôle d’un herbicide sélectif en éliminant les plantes plus frugales en azote.
c. Les pesticides (aperçu sommaire)
L’usage, depuis les années 1970, à grande échelle, des herbicides engendre une disparition rapide de la flore indigène et donc,
dans le même temps, des invertébrés pour lesquels ces plantes sont des plantes hôtes indispensables. Cette chute des invertébrés
consécutive à l’usage des herbicides fut, dès la fin les années 90 par Campbell, considérée comme l’origine même de la chute des
populations d’oiseaux dépendants, à un stade ou un autre, des invertébrés.
L’usage des fongicides joue un rôle important dans la disparition de l’humification des sols. En effet, ils détruisent les
champignons seuls aptes à dégrader la lignine dont les fragments de polymère se recomposent en humus comme il a été précisé.
En Europe, le détournement de la production de protéagineux (plantes riches en azote), toutes des plantes à fleurs, au profit de
plantes importées (soja et tourteaux de soja), contribue grandement également à soustraire des sources de nectar aux
pollinisateurs, les céréales occupant l’essentiel des surfaces cultivées en Europe.
Quant aux insecticides, depuis leur introduction dans les années 40-50, ils ont frappé systématiquement les espèces non-cibles,
23
du DDT des années 40-70 aux substances systémiques des années 90-2010 en passant par les organophosphorés, les carbamates
et les pyréthroïdes. Les premiers, en raison de perturbation endocrinienne chez les espèces en haut de chaîne alimentaire (rapaces,
félins...), les derniers en date en raison d’effets neurotoxiques létaux (mortels) ou sublétaux à très faibles doses chez les insectes.
L’effondrement des insectes en particulier et des invertébrés en général, ressource alimentaire de très nombreuses espèces, tant des
insectes prédateurs eux-mêmes que des oiseaux, est responsable d’une « famine » qui engendre de très faibles taux de
reproduction, taux insuffisants pour assurer le renouvellement des générations.
Globalement, l’agriculture conventionnelle mise en place par les agronomes des années 1950, à la fois par ses pratiques et l’usage
de toxiques, porte des atteintes autant à la biodiversité, par effets directs de toxicité aiguë ou sublétale ou par effets indirects
biocoenotiques en générant une disette alimentaire récurrente, qu’à la santé humaine. Les effets sur les sols sont, à terme, tout
particulièrement inquiétants puisqu’ils engagent un processus de mort des sols offrant un boulevard à l’érosion et donc leur
ème
destruction, ou, dit autrement, la désertification. Ainsi, si un milliard d’ha ont été détruits entre l’origine de l’agriculture et le XIX
ème
siècle et un autre milliard ont été détruits au XX siècle, cette destruction massive confirme le constat de Chateaubriand : « la
forêt précède les hommes, les déserts les suivent ». Il est donc urgent de repenser l’agriculture en réintroduisant les « services de la
biodiversité » dans sa pratique afin de sauvegarder les sols.
4.
ème
Les enjeux de l’agriculture du XXI
siècle
22
Lydia et Claude Bourguignon recommandent d’adjoindre un peu d’azote pour le démarrage de ces plantes en pleine période de sécheresse et après que la récolte
précédente ait « épuisé » le sol en azote.
Les insecticides systémiques sont utilisés essentiellement sous forme d’enrobage de semence, mais aussi en pulvérisation (fruitiers…
) en traitement des sols ou en tant
que biocides (usage domestique). Ces pesticides migrent dans les plantes (préfigurant ainsi les OGM). La plante, de sa racine à ses fleurs, contient ainsi des quantités,
certes faibles, mais suffisantes pour perturber le comportement d’orientation des abeilles ou entrainer leur mort par contamination répétée durant quelques jours.
23
Manifeste pour une agriculture respectueuse de la nature et des hommes – LPO - 8 -
4.1. Climat et effet de serre
4.1.1. Haie et maillage bocager
On a pu montrer, au Congo, qu’une forêt primaire produit par évapotranspiration 80 % de la quantité d’eau qui retombe sous
forme de pluie localement. Nos pays occidentaux ont détruit les forêts primaires depuis le néolithique (mais surtout au Moyen-âge)
et parachevé la destruction en réduisant à néant des siècles de construction de bocages jouant un rôle non négligeable dans la
rugosité des paysages et donc au niveau pluviale et climatique. Un tel état d’aplasie forestière prédit un assèchement climatique
anticipant son réchauffement. L’ouest français en témoigne déjà. Il est donc urgent d’encourager la recréation de ces écotones à
partir d’essences locales, avec paillage et en bannissant les géo-membranes interdisant toute évolution floristique naturelle, pour
« tamponner » le climat local.
4.1.2. Labour et séquestration du carbone
Les labours profonds, associés à de faibles retours de la matière organique au sol et à l’usage des fongicides, défavorisent
l’humification au profit de la minéralisation bactérienne, donc de la production de gaz carbonique. L’agriculture conventionnelle est
ainsi actuellement responsable d’une perte d’1t/ha/an de CO2, alors que, en agriculture sans labour, la séquestration du carbone
sous forme de litière permanente et d’humus peut atteindre 2,5t/ha/an. Le différentiel est ainsi de 3,5t/ha/an entre ces pratiques
opposées. L’urgence dans laquelle nous sommes de réduire le retour du carbone sous forme de CO2 dans l’atmosphère commande
un changement radical de pratique. Respecter le fonctionnement biologique des sols c’est redonner la capacité aux sols de
séquestrer le carbone.
4.1.3. Minéralisation des engrais minéraux.
Les bactéries du sol, en minéralisant une partie de l’excès d’engrais azotés, rejettent du protoxyde d’azote dont le pouvoir d’effet
de serre est 320 fois celui d’un même volume de gaz carbonique. Trois enjeux relèvent de l’usage des engrais minéraux : l’excès
d’apports conduit à une dénitrification incomplète donc une pollution des milieux aquatiques, la dénitrification est productrice de
protoxyde d’azote, les ressources en minerai, en particulier en phosphore, diminuent. Selon François Ramade, cet excès de
nitrification sur la dénitrification serait multiplié par 2 chaque année.
4.2. Biodiversité et services de la biodiversité
4.2.1. Biodiversité, humus et effet de serre
L’humus est ainsi le principal composé macromoléculaire de séquestration à long terme du carbone dans le sol. Les champignons
en sont les acteurs incontournables. L’équilibre entre l’activité bactérienne assurant une minéralisation partielle nécessaire à la
croissance des plantes et une activité de séquestration est donc tout aussi essentiel. Cette séquestration peut être de l’ordre de 0,1
% à 0,3 %/an. Un sol peut ainsi séquestrer entre 1,5t et 300t/ha ! En France, cette séquestration pourrait être de l’ordre de
35millions/t/an soit le 1/5 du pétrole consommé. Tout doit donc être entrepris pour favoriser l’humification des sols : apports de
matière organique, abandon des labours profonds et de l’usage des fongicides, restriction importante des engrais minéraux (ne pas
24
dépasser 50kg/ha recommandait le pédologue Bernard Boullard ).
4.2.2. Biodiversité, humus et conservation des sols
L’un des deux composants majeurs, comme il a été expliqué, du complexe absorbant argilo-humique, l’humus, est donc l’un des
composants majeurs de la stabilité des sols. Sans humus, pas de complexe argilo-humique, donc fragilisation des sols,
accroissement de leur sensibilité au lessivage et donc érosion. Le retour à un usage « intensif » de la matière organique (non
polluée donc issue du seul tri « à la source » en matière de fermentescibles urbains), est donc un impératif tant pour le retour des
faunes épigées et anéciques que pour l’enrichissement en humus et donc en complexe absorbant argilo humique.
4.2.3. Biodiversité et reconstitution de la ressource en eau
La vie du sol est rigoureusement essentielle à l’économie en eau. Un sol vivant est un sol spongieux dans lequel la porosité occupe
un volume important (80 % en surface, 60 % en profondeur). Ainsi, un sol forestier tropical a une conductivité hydraulique de
300mm/h, capacité supérieure aux apports des plus fortes pluies. De même, dans nos pays tempérés, la conductivité, d’un degré
moindre, est de l’ordre de 150 mm/h. Un sol limoneux respectueux de la biodiversité du sol a, lui, une conductivité de l’ordre de
25
80mm/h. Un sol battant limoneux voit sa conductivité hydraulique s’effondrer et ne pas dépasser 1mm/h. Autant dire que ce sol
n’offre guère plus de perméabilité que le macadam ou le béton. D’où un mauvais rechargement des nappes phréatiques, un
ruissellement intense, des inondations et donc des phénomènes d’érosion de l’ordre de 40t/ha/an en France actuellement. La vie
des sols est donc une composante incontournable de la ressource en eau.
4.2.4. Biodiversité et production agricole
Un sol vivant est donc un sol poreux qui non seulement est filtrant mais permet dans le même temps les échanges gazeux. Dans de
mêmes conditions pédologiques, une plante cultivée comme le maïs peut être incapable de descendre en-dessous de 90cm alors
que dans un sol spongieux elle peut descendre jusqu’à 1,50 m, d’où une capacité à puiser dans les réserves hydriques plus
conséquentes ainsi qu’à s’alimenter aux dépens d’un volume de sol exploité accru. La vie du sol favorise la production à la fois en
raison d’une meilleure exploitation du volume de terre accessible et en raison des services rendus par les microorganismes lesquels
« préparent » ou « apportent » à la plante des substances inaccessibles ou encore non biodisponibles sans eux (Bactéries et
mycorhizes).
4.3. Conserver et étendre le choix des variétés cultivées et des mélanges
L’une des lois fondamentales de l’écologie autant que de l’évolution est la diversité. De tout temps, grâce à la « sélection
massale », les agriculteurs ont cherché à adapter les plantes aux sols. Ils ont ainsi constitué un capital de diversité génétique des
semences, considérable. Malheureusement, confrontée aux pratiques récentes, cette richesse génétique variétale a été largement
ème
26
dilapidée au XX . Les 3/4 en ont été perdues, affirme la FAO . Sur 6 300 variétés restantes, 20 % seraient également en sursis. Le
24
Boullard Bernard, 1967. La vie intense et cachée du sol. La Terre Flammarion.
Limon : sédiment, souvent d’origine éolienne, défini par sa granulométrie comprise entre celle des argiles et celle des sables. Les sols battants limoneux ont tendance,
sous l’effet de la battance des gouttes de pluie, à former une croûte en surface et à se colmater, ce qui limite les levées et la survie des plantes et des invertébrés et
microorganismes du sol.
26
FAO. La biodiversité au service de la sécurité alimentaire. Journée mondiale de l’alimentation. 16 octobre 2004.
25
Manifeste pour une agriculture respectueuse de la nature et des hommes – LPO - 9 -
monde contemporain, au contraire des pratiques anciennes, a cherché à laboratiser le monde, « trouver le meilleur génotype et
trouver le meilleur environnement possible » (Michel Callon 27 cité par Chevassus-Au-Louis, Op. c.). Autrement dit, on cherche à
adapter les conditions locales aux conditions définies dans les laboratoires pour produire les plantes. Cet aspect n’est pas sans
présenter de très graves inconvénients. Ainsi, les maïs « hybrides » sont issus de deux souches dépressives résultant d’une très forte
« consanguinité ». Lorsque l’on croise ces souches, par effet d’hétérosis on obtient d’excellents rendements sur la génération F1,
mais c’est la seule. Or, il n’en reste pas moins, que les pères d’un côté, et les mères de l’autre, sont ainsi quasi des « clones ». Or,
cette homogénéité génétique, ou standardisation du « type idéal » qui exclut toute diversité, est à l’opposé radical d’une mesure
de précaution quant à l’avenir. La précaution est au contraire, conformément aux processus naturels, de conserver une diversité
maximale, source d’adaptations possibles. Accorder une place prépondérante au souci de l’hétérogénéité et de la variété constitue
une « assurance vie » quant aux évolutions climatiques et donc à l’arrivée probable de nouvelles espèces de ravageurs ou de
dangers de toute autre nature.
4.4. Biodiversité : effets de toxicité directe et effets biocoenotiques de l’usage des pesticides
4.4.1. Effets de l’usage des pesticides sur les sols
Les pesticides, quels qu’ils soient, exercent des actions négatives sur, non seulement l’espèce cible, mais aussi sur un très grand
nombre d’espèces appartenant indifféremment aux deux grands règnes animal et végétal. Les invertébrés comme les
microorganismes du sol peuvent ainsi être gravement endommagés par leur usage. D’où la perte de leur fonction et des bénéfices
non immédiatement perceptibles et marchands, mais pourtant bien réels sur le long terme. Si les végétaux constituent les
producteurs, bases des chaînes alimentaires, les invertébrés et microorganismes des sols assurent une fonction tout aussi essentielle
et indispensable du retour à la forme minérale, ou à une forme organique assimilable, des éléments ou composés biochimiques
issus de la matière organique morte de la litière. Les cycles biogéochimiques des minéraux sont ainsi tributaires de ces actions de
décompositions comme de la naissance des sols. L’usage des pesticides, en compromettant la pérennité de ces processus cycliques,
compromet le fonctionnement de ces cycles et la stabilité des sols. Pour préserver la leur durabilité, et donc favoriser leur vie, le
bon sens commande de ne plus utiliser de poisons.
4.4.2. Effets de l’usage des pesticides sur la flore indigène
La flore indigène est actuellement en très grand danger. La perte des espaces marginaux non cultivés dans l’espace cultivé ainsi que
l’usage généralisé des herbicides (accru et aggravé avec les OGM) sont responsables d’une perte importante d’espèces (50 % dans
une étude de l’INRA) et donc, par voie de conséquence, d’un effondrement des invertébrés. Il est urgent de retrouver des espaces
interstitiels au profit des plantes indigènes.
4.4.3. Effets de l’usage des pesticides sur les invertébrés dont les
pollinisateurs
Les invertébrés sont ainsi à la fois victimes d’une intoxication directe par les pesticides divers, en particulier depuis les années 95 en
raison de substances systémiques aux effets toxiques d’une puissante colossale (l’imidaclopride est ainsi 7 297 fois plus toxique que
le DDT interdit en 1972, il est aussi environ de 10 000 à 33 000 fois plus toxique pour les insectes que pour les vertébrés à sang
chaud) mais aussi d’effets indirects biocoenotiques par disette. L’absence de litière, la disparition des plantes indigènes, en un
mot la diminution, voire la disparition, de populations, tant d’espèces végétales qu’animales, sont autant de diminution de
ressources alimentaires pour d’autres... Les pollinisateurs sont, depuis la fin des années 90 et le début des années 2000, les
28
victimes emblématiques de ces poisons mais ils ne sont pas les seuls. Buglife a organisé en Angleterre un « Big Bug Count » en
plaçant sur les plaques minéralogiques des petits rectangles de carton divisés en six parties sur fond plastique transparent en
impliquant 40 000 conducteurs. Au total, 1 seul impact d’insecte volant au 8km (5 miles) fut relevé ! C’est donc bien l’ensemble
des populations d’insectes, voire des invertébrés, et non les seules abeilles, qui s’effondre. Globalement, les insecticides ont
toujours été responsables d’effets non cibles. Seul le non usage offre donc des perspectives d’avenir pour la biodiversité non cible.
4.4.4. Effets de l’usage des pesticides sur les vertébrés
Si l’on retient les bio-indicateurs que sont les oiseaux, on peut relever 3 grandes crises systémiques dont une seule est derrière
nous.
Années 50-70, les grands rapaces voient leur succès reproductif s’effondrer. Le DDT, un perturbateur endocrinien, en est
responsable. Interdit en 72, ses effets se sont fait sentir pendant 20 ans. Aujourd’hui, en ajoutant leur protection acquise en 1972,
une partie d’entre eux a repris vigueur.
Années 70-80, introduction des herbicides. Les plantes indigènes disparaissent, et avec elles des invertébrés dépendants. Les
populations des oiseaux des espaces agricoles s’effondrent.
Milieu des années 90-2000, les insectes subissent des effets non cibles des neurotoxiques systémiques, la chute des populations
des oiseaux des paysages agricoles s’accélère.
Dans ces deux derniers cas, les effets sur les oiseaux sont d’abord biocoenotiques. Les fongicides, herbicides et les neurotoxiques
systémiques les atteignent peu de manière directe par toxicité aiguë ou sublétale semble-t-il. Par contre, l’effondrement des
populations d’invertébrés, ressources alimentaires de nombreux oiseaux, notamment durant le stade de croissance des poussins,
entraîne la chute de populations, en particulier en diminuant le taux de reproduction, ce taux ne permettant plus aux populations
9
d’assurer le renouvellement des générations. Ainsi, Ramade rapporte une expérience montrant qu’en présence de fongicides et
d’herbicides, le taux de reproduction de la perdrix grise est de 50 % de la normale en raison de l’absence des invertébrés préférés
des poussins. On ne restaurera les populations des espèces dépendantes des invertébrés, à un stade ou un autre de leur cycle,
qu’en bannissant définitivement les insecticides trop efficaces responsables de l’effondrement des populations de ces derniers.
4.5. Alimentation, contamination par les pesticides et santé publique
4.5.1. Effets de l’usage des pesticides sur la santé des agriculteurs
Les preuves d’effets sanitaires graves, sur les populations d’agriculteurs, de l’usage des pesticides ne sont plus à faire. Certains
mécanismes concernant la manière dont une exposition aux pesticides conduisait aux lymphomes non Hodgkiniens ont même été
décrits. Ce cancer n’est cependant pas le seul. Cancers cérébraux, leucémies, cancers des lèvres, mélanomes... sont aussi en excès
27
28
Callon Michel et al. (2001). Agir dans un monde incertain. Seuil
Kindemba Vicky. 2009. The impact of neonicotinoids inseticides on bumblebees, Honey bees and other non-target invertebrates (revised version). Buglife.
Manifeste pour une agriculture respectueuse de la nature et des hommes – LPO - 10 -
de cas dans cette population. Mais l’épidémiologie montre aussi des effets de malformations congénitales et des effets
neurotoxiques (Alzheimer, maladie de Parkinson) pendant que des expérimentations sur le monde animal démontrent des atteintes
au système immunitaire et, que, objectivement, notre système immunitaire se dégrade ce dont témoigne la multiplication par 2 en
20 ans des allergies et la montée en puissance des maladies auto-immunes.
4.5.2. Effets de l’usage des pesticides sur la santé des consommateurs
Les consommateurs sont moins exposés que les agriculteurs. Néanmoins, plusieurs études montrent des impacts très probables de
la contamination à faibles doses sur la population générale non exposée du fait du métier. Cependant, un manque cruel d’études
épidémiologiques de grande ampleur interdit toute évaluation précise de la situation. Remarquons que nous sommes des
mammifères et, à ce titre, susceptibles d’être, au moins par la contamination à faibles doses, des victimes « sublétales » de ces
toxiques.
Le poids économique de cette invention diabolique risque de peser très lourd sur les générations futures tant en terme de pertes
de biodiversité, de qualité des sols que de santé humaine. Il est nécessaire de promouvoir les formes d’agricultures qui se sont
engagées résolument dans des pratiques respectueuses du vivant.
5.
Les outils de mise en oeuvre d’une agriculture respectueuse des hommes et de la biodiversité
5.1. Des pratiques agricoles respectueuses de la santé des hommes et de la biodiversité
5.1.1.
Les espaces non exploités en milieux cultivés
Haies, fossés, bosquets, mares... autant de composantes des milieux qui ont une grande importance dans le maintien de la
diversité biologique. Ce sont en particulier des réservoirs d'auxiliaires des cultures et, dans le cas de la haie, un régulateur
climatique en raison des effets brise-vent (cf. 2.1).
Les bandes enherbées, aujourd'hui réglementaires, jouent également un rôle important notamment pour la qualité de l'eau,
l'érosion des sols et la biodiversité.
Les jachères, engagées dans une rotation culturale, sont aussi d'un fort intérêt biologique.
Afin d'atteindre un bon équilibre agro-écologique des exploitations agricoles, 10 % de la SAU (Surface Agricole Utile) devraient
être réservés en surface de compensation écologique (haies, bosquets, mares mais également toute surface sans labour, sans
pesticide, sans engrais).
5.1.2.
Les espaces exploités à l’état naturel
Les milieux agricoles exploités à l’état « naturel » existants (prairies naturelles, landes, tourbières...) doivent être conservés en l'état.
Ces espaces doivent faire l'objet d'une gestion agricole adaptée, valorisée par l'élevage extensif (pâturage et fauche). Ils doivent
être soutenus financièrement eu égard à leurs rôles écologiques :
o Par une date de fauche adaptée aux exigences écologiques des espèces locales,
o Par un chargement moyen annuel limité,
o Par une limitation voire une absence de fertilisation, certaines espèces étant très sensibles à l'apport de fertilisants
(minéraux ou organiques), par exemple les orchidées (Orchis des marais, à fleurs lâches) ou les légumineuses (trèfles,
lotiers...).
Le caractère humide des prairies doit également être conservé (pas de drainage ni de rigole d'écoulement) afin de respecter les
exigences écologiques des plantes hygrophiles et de la faune inféodée à de tels milieux (Vanneau, Chevalier gambette etc... en
marais).
Les substances chimiques, telles les avermectines, (interdites sur le site gouvernemental E-Phy mais autorisées en médecine
vétérinaire) sont un véritable désastre pour les populations de coprophages (consommateurs des déjections) et autres
décomposeurs, pourtant base du retour de la matière organique dans la chaîne alimentaire par le biais de l’alimentation des
plantes. Les solutions alternatives passent principalement par des méthodes préventives (gestion appropriée du pâturage pour
limiter l'infestation), le développement de l'auto-immunité des animaux et l'emploi de traitements « doux » (homéopathie, huiles
essentielles...).
5.1.3.
Milieux cultivés
En milieux cultivés, la modalité agricole la plus respectueuse de l'environnement repose sur le triptyque : tendre à faire disparaître
les labours profonds, voire les labours – tendre vers le « zéro » pesticide au plus tôt – réduire au minimum l’usage des engrais
minéraux.
a. Proscrire les labours profonds
Technique de lutte contre les adventices, le labour profond entraîne une érosion importante des sols. La couleur des cours d'eau
après une averse en zone de grande culture illustre parfaitement cette perte considérable de sol. De plus, cette technique favorise
la production de CO2 (en partie responsable de l'effet de serre) par minéralisation des matières organiques et des humus par les
bactéries (cf. 4.1.2).
La technique moderne de semis direct sans labour constitue une alternative sérieuse permettant de conserver la structure verticale
des sols (pas de retournement des strates préjudiciable au développement de la faune épigée, endogée et anécique) en maintenant
un couvert végétal permanent qui limite l'érosion et favorise le développement des invertébrés et des microorganismes des sols.
b. Diminuer drastiquement et proscrire l’usage des pesticides
L'utilisation des pesticides (80 000 t/an en France), à toxicité de plus en plus élevée, inquiète à juste titre. De quelque nature qu'ils
soient, les pesticides stérilisent les espaces agricoles, en particulier le sol et son travailleur de l'ombre, aussi appelé « ingénieur du
sol » : le lombric. Mobiles, ils contaminent l'air, l’eau, les aliments.
Il est urgent que l'agriculture intègre de nouvelles solutions pour lutter contre les adventices et les ravageurs des cultures (travail du
sol mécanique, auxiliaires de culture, rotation, choix des semences, CSV...). Ces techniques doivent être présentées aux agriculteurs
dans le cadre de formations spécifiques : en lycées agricoles (pour les futurs agriculteurs), dans le cadre du plan Ecophyto
(cf.5.2.1), sur le terrain par les techniciens agricoles des Chambres d'Agriculture.
Manifeste pour une agriculture respectueuse de la nature et des hommes – LPO - 11 -
c. Réduire au minimum l’usage des engrais minéraux
Même apportés de manière fractionnée, une grande partie des engrais minéraux est lessivée, d’où une pollution des cours d'eau
conduisant à une eutrophisation des milieux naturels dont les phosphates surtout sont responsables.
L'apport de matière organique (fumier, compost, engrais verts...) fournit une litière, lieu de vie des micoorganismes, de
champignons, d'invertébrés qui en la dégradant, d’une part permettent la constitution d’un « capital humus », l’une des deux
sources du complexe argilo-humique garant de la stabilité d'un sol, et d’autre part, restitue aux plantes, à partir de la
minéralisation de ce complexe, les éléments nécessaires à leur croissance harmonieuse, au rythme de leurs besoins. Un sol forestier,
même extrêmement riche, ne produit aucune pollution et il produit en moyenne au moins 2 fois plus de matière sèche/ ha que la
meilleure des productions agricoles.
d. Généraliser les rotations et assolements
La rotation des cultures est une technique qui offre de multiples avantages :
o elle peut améliorer les caractéristiques physiques du sol et donc sa structure,
o elle « casse » le cycle vital des espèces pathogènes réduisant ainsi les besoins en produits phytosanitaires,
o comprenant une légumineuse, elle permet d'enrichir le sol en azote, réduisant ainsi les besoins en fertilisants.
o Comprenant un cycle « prairie », elle « recharge » le sol en mycorhizes si importantes pour l’alimentation de la plante
o Les assolements, fruits d’une expérience agricole séculaire, permettent d’organiser la succession des cultures au profit de
chacune d’elles.
e. Tenir compte de la biodiversité dans les travaux de récoltes
Les pertes de biodiversité des vertébrés, liées aux travaux de récolte, peuvent être considérablement limitées en respectant
quelques modalités simples : une fauche centrifuge, un réglage de la hauteur des barres de coupe, l’installation de barres
d'effarouchement...
Pour certaines espèces devenues emblématiques (Busard cendré, Râle des genêts…), un travail en partenariat agriculteurs /
associations de protection de la nature permet de localiser précisément les nichées et d'intervenir le cas échéant par une
matérialisation visuelle, un déplacement du nid...
5.2. Mettre en oeuvre des outils pédagogiques et réglementaires pertinents et efficaces
5.2.1.
Formations agricoles
Les formations doivent introduire ou conforter les formations portant sur l’histoire des civilisations et le rôle de l’épuisement des
sols dans leur effondrement, la genèse des sols et les facteurs de dégradation, le rôle de l’agriculture dans la dégradation de la
biodiversité tant sauvage que cultivée et son rôle dans la restauration de ces deux formes de biodiversité, la formation aux
agricultures alternatives telles l’agriculture biologique, l’agroécologie, l’agriculture intégrée, les techniques du Réseau d’Agriculture
Durable.
5.2.2.
Les Zones Agricoles Protégées (Loi d’Orientation Agricole 05/01/06, art. : 36)
Les établissements publics des SCoT, peuvent, en raison de la pression urbaine sur l’espace agricole, créer une servitude d’intérêt
public permettant de sauvegarder les espaces agricoles. Cet outil est, par nature, destiné à limiter l’expansion de l’espace urbain.
5.2.3.
Mettre en oeuvre le plan Ecophyto tout en soulignant ses faiblesses
« Le plan Ecophyto, mis en place par le ministère de l'agriculture et de la pêche à la suite du Grenelle de l'environnement, vise à
réduire de 50 % l'usage des produits phytosanitaires en agriculture, à l'horizon 2018, (si possible). Il comprend un volet formation
destiné à renforcer la compétence de l'ensemble des acteurs de la chaîne pour réduire et sécuriser l'usage des produits
phytosanitaires : la certification Certiphyto.
L'objectif, bien que très insuffisant, à défaut d’un engagement dans une réelle pratique respectueuse de la santé publique et de la
biodiversité, doit être considéré comme un minimum. Pour évaluer l'incidence des mesures proposées, un indicateur appelé NODU
(pour Nombre de Doses Utilisées) doit être appliqué. L'agriculture conventionnelle ne peut cependant se « priver » de l'usage des
produits phytosanitaires si les pratiques n’évoluent pas. Gorgées d’engrais, les semences à haut rendement, par nature fragiles et
génétiquement très homogènes, « privées » de pesticides, ne peuvent résister aux ravageurs. Le plan Ecophyto doit comprendre,
pour accompagner les agriculteurs dans la démarche, un volet de formation destiné à proposer des techniques alternatives : travail
léger du sol, rotation des cultures, auxiliaires de cultures, choix des variétés...
La formation Certiphyto, aujourd'hui uniquement destinée aux vendeurs ou acheteurs à titre professionnel (chef d'exploitation) de
produits phytosanitaires, doit également être dispensée à l'ensemble des salariés des exploitations agricoles.
L'implication de structures privées fabricant des pesticides comme l'UIPP (Union des Industries de la Protection des Plantes) dans les
modules de formation n'est pas acceptable. Pour être objective, la formation doit être dispensée par des fonctionnaires
indépendants.
29
5.2.4.
Renforcer les MAET
Les premières Mesures AgroEnvironnementales ont vu le jour en 1991 avec les OGAF 30 . Tour à tour devenues OLAE, CTE, CAD et
aujourd'hui MAE territorialisés (MAET), elles proposent aux agriculteurs volontaires une rémunération en l'échange de pratiques
plus vertueuses pour l'environnement.
Si le fait de faire bénéficier d'aides les agriculteurs en fonction des services qu'ils rendent à la nature paraît primordial et
parfaitement justifié, le système MAE tel qu'il est bâti actuellement a perdu de sa pertinence face aux enjeux de conservation de la
nature. L’Expertise collective INRA-CEMAGREF confirme que : « Au total, le bilan à mi-parcours du RDR (Règlement du
Développement Rural) admet que les effets des MAE sur la préservation de l’environnement sont probablement très limités ».
Le Programme de Développement Rural Hexagonal (PDRH) qui, entre autres, liste les engagements à la base de la construction des
différentes mesures, prévoit une rémunération de l'agriculteur en fonction de la perte de production liée à l'engagement. Cette
29
30
MAET Mesures AgroEnvironnementales Territorialisées
Opérations Groupées d'Aménagement Foncier
Manifeste pour une agriculture respectueuse de la nature et des hommes – LPO - 12 -
voie est peu pertinente car difficilement transposable d'un territoire à l'autre et conforte une dualité entre la nature et l'agriculture.
Protéger la nature n’est perçu qu’en tant que contrainte pour l'agriculteur. Une rémunération basée sur une obligation de résultats
plus que de moyens nous semble plus pertinente. Elle permet, tout en atteignant des objectifs environnementaux, de soulager
l'agriculteur de contraintes (souvent mal vécues et à la base d'un refus de participation aux MAE) et de l'impliquer concrètement
dans la préservation du vivant qui l'entoure : l'agriculteur s'approprie la biodiversité de son exploitation.
Tous les ans, les enveloppes budgétaires destinées à financer les MAE ne peuvent satisfaire l'ensemble des demandes déposées.
En vingt ans, pas moins de 6 types de MAE se sont succédés. Ces transitions, souvent réalisées dans la précipitation, ne sont pas
cohérentes avec un objectif de préservation de la biodiversité à long terme (différence d'accessibilité aux mesures, de
rémunérations, de fonctionnement). Les agriculteurs se désintéressent de ce système complexe sans cesse changeant.
Sur certains territoires, les mesures de base dites de niveau 1 n'ont plus aucun intérêt environnemental. Les MAE ne permettent
pas non plus de maintenir les systèmes d’élevage les plus extensifs, le nombre d’éleveurs ne cessant de décroître. La LPO souhaite
que les mesures les plus vertueuses pour l'environnement soient satisfaites en priorité.
31
5.2.5.
Réorienter le rôle de la SAFER vers une agriculture durable
Antérieurement, la SAFER avait une seule mission : stocker le foncier afin de palier les inconvénients de la spéculation foncière et
donc de réserver ce foncier à l’agriculture.
Aujourd’hui la SAFER a une double mission. Sa mission d’origine rappelée ci-dessus, et une mission nouvelle : préserver
l’environnement, la biodiversité, l’espace périurbain.
Liant ces deux missions, la SAFER devrait devenir, notamment dans l’espace périurbain, mais pas seulement, un outil favorisant
l’installation des agriculteurs dont les externalités de pratiques développées reconnues sont positives tant sur le plan social
qu’environnemental, telle l’agriculture biologique et celles qui s’en approchent.
5.2.6.
Mettre en oeuvre des outils d'acquisition foncière
Les milieux agricoles et naturels subissent des pressions de destruction grandissantes, les principales étant l'extension urbaine et la
création de nouvelles infrastructures. C'est pourquoi la LPO préconise une intervention foncière permettant la conservation
des milieux sensibles se situant dans des zones vulnérables.
Ces zones doivent permettre de conserver des milieux remarquables ainsi que l'agriculture qui a permis leur maintien. La
contractualisation de baux agricoles à clauses environnementales entre l'agriculteur et le propriétaire permet de maintenir cette
compatibilité.
La LPO préconise le développement des achats du conservatoire du Littoral, d'Espace Naturel Sensible géré par l'agriculture,
d'achats de terrains par les collectivités, les associations...
Le développement de l'utilisation de la préemption environnementale doit permettre l'accroissement des acquisitions.
L'application du principe de compensation d’un impact environnemental négatif doit aussi être un outil permettant d'augmenter
les opérations d'acquisitions.
La contribution de ces espaces dans les démarches publiques de constitution des trames verte et bleue est primordiale.
5.2.7.
Faire évoluer la PAC vers le soutien prioritaire aux pratiques agricoles faibles en externalités
négatives et fortes en externalités positives
La PAC représente actuellement un peu moins de la moitié du budget de l'Union européenne (43 % en 2008). Ce qui représente
pour la France 10 milliards d'euros versés chaque année aux agriculteurs. Contrairement à de nombreux pays de l’UE, dont
l’Allemagne, la France bénéficie dans ce domaine d’un solde globalement très largement positif de plusieurs milliards d’euros
annuellement.
La conditionnalité mise en place depuis 2005 avait pour but de garantir une agriculture plus durable et de favoriser une « meilleure
acceptation de la politique agricole commune par l'ensemble des citoyens ». Bref de légitimer les aides. Ce dispositif soumet le
versement de certaines aides communautaires au respect d'exigences de base en matière d'environnement, de bonnes conditions
agricoles et environnementales (BCAE), de santé (santé publique, santé des animaux, santé des végétaux) et de protection animale.
er
Les exploitants agricoles qui bénéficient d'aide à la production, issues du 1 Pilier de la PAC, et/ou d'aides Agro-environnementales
issues du 2nd pilier (ICHN, MAE, Aides au boisement.), sont ainsi soumis à la conditionnalité. Néanmoins la logique interne de ces
aides doit être revue. L'attribution d'aides à la production conditionnée à des critères « d'antécédents historiques » fondés sur la
seule production, doit être soumise au principe « d'une éco-conditionnalité » et donc offrir des externalités positives tant sur l’eau,
les paysages, la biodiversité, les sols que la qualité de l’alimentation.
L’enjeu de la PAC est ainsi de première importance. La PAC est, par nature, un excellent outil d’orientation agricole. De ce point de
vue, le financement du Pilier 1 (90% à la production) et du Pilier 2 (10% au « Développement Rural » dont les mesures agroenvironnementales), doit être purement et simplement inversé. Les externalités négatives autant que positives des différentes
pratiques agricoles doivent être prises en compte, celles qui offrent simultanément le moins d’externalités négatives et le plus
d’externalités positives doivent être favorisées. Les impôts des européens doivent être mis au service d’une production qui s’appuie
sur les services de la biodiversité, restaure la biodiversité, restaure la qualité de l’eau, restaure la qualité de l’air, restaure la qualité
des aliments, réduit les émissions de CO2, réduit la facture énergétique, garantit une planète Terre en bon état en héritage pour les
générations futures.
La combinaison d’un rééquilibrage, au moins à l’échelle locale, des productions animales et végétales et, dans le domaine des
pratiques agricoles, d’un usage limité d’intrants, voire de pratiques sans intrants de synthèse, tout autant que la limitation de la
taille des exploitations devraient, dans ce cadre, être des outils d’une agriculture respectueuse de la nature et des hommes.
5.2.8.
Participer au réseau inter-associatif dans le cadre de l’évolution de la PAC
L’évolution de la PAC représente un tournant majeur pour un retour vers une situation dans laquelle la nature n’est plus considérée
comme un simple « support de production » et les pratiques ne génèrent plus des externalités négatives nombreuses et couteuses
pour la société et l’environnement. La LPO s’engage à faire des propositions solidairement en intégrant si possible des syndicats
31
SAFER Société d’aménagement foncier et d’établissement rural
Manifeste pour une agriculture respectueuse de la nature et des hommes – LPO - 13 -
agricoles et des représentants de pratiques agricoles aux externalités positives.
6.
Conclusion
En n’utilisant pas, ou en réduisant au minimum l’usage de l’énergie fossile et des intrants (pesticides, engrais minéraux et
alimentation animale importée), certaines formes d’agriculture, tels l’Agriculture Biologique, l’Agroécologie, l’Agrologie mais aussi
le Réseau d’Agriculture Durable et l’Agriculture Intégrée, sont soutenables.
L’agriculture conventionnelle, pour diverses raisons, reste dominante. Pourtant, en raison du gaspillage énergétique (de 7 à 10
calories sont nécessaires pour produire 1 calorie. Chevassus-Au-Louis, Op. c.), en raison de l’usage de toxiques qui stérilise les sols,
endommage la biodiversité, porte atteinte à la santé humaine, en raison de l’usage d’engrais minéraux de « forçage » aux effets
sélectifs tant sur la flore que sur la faune et leur responsabilité dans la pollution du milieu aquatique, en raison des labours
profonds aux effets délétères sur la microbiologie des sols, cette modalité agricole n’est pas soutenable. Qu’advienne un ultime
choc pétrolier, privée de l’apport d’intrants, en présence de sols moribonds, elle s’effondre. En l’absence de nouveau choc pétrolier,
s’accroîtront lentement mais surement la mort ses sols, les surfaces érodées stériles et les conflits sociaux.
L’agriculture, au travers des semences (« hybrides » et OGM), des engrais et des produits phytosanitaires (pesticides) est devenu un
enjeu industriel où ce que les « services de la biodiversité » non marchands peuvent produire (capture de l’azote atmosphérique,
nitrification, alimentation de la plante par les hyphes fongiques, minéralisation bactérienne des engrais verts au profit des plantes,
dégradation partielle des lignines par les champignons produisant l’humus, élaboration du complexe argilo-humique par les vers de
terre...) a été remplacé par des produits marchands industriels. Certes, le plan Ecophyto 2018 se donne pour but une réduction de
50 % de l’usage des pesticides d’ici 2018. Mais retirer 50 % de ce qui permet aux plantes déséquilibrées de produire dans des
conditions proches de l’asepsie est-il seulement envisageable ? Les expériences conduites en agriculture conventionnelle montrent
que non. C’est donc le système de production dans son ensemble qui se doit d’être repensé dans une perspective soutenable.
C’est cette révolution agricole, comme en témoigne la démarche vers le bio et les techniques sans labour, qui est en marche sous
nos yeux. Pour être soutenable, cette démarche ne peut s’appuyer que sur les « services de la biodiversité » non marchands. Ces
services n’ont-ils pas été évalués à 33 000 milliards de dollars soit 2 fois le produit mondial brut ?! La soutenabilité de la production
agricole en symbiose avec les services de la biodiversité, c’est un renversement de mentalité autant que de pratiques. C’est aussi là
tout l’enjeu de la réforme de la PAC 2013 qui se doit d’être « Responsable » dans ses pratiques vis-à-vis des sols, la biodiversité, la
santé publique, « Equitable » entre tous les agriculteurs européens ou Français, « Solidaire » et non concurrentielle de l’agriculture
des pays du Tiers-monde.
Les agriculteurs, en première ligne, en mesurent de plus en plus les enjeux, témoin en 2010, le doublement de conversion en
agriculture biologique. C’est aussi au monde naturaliste d’accompagner une telle réorientation par une maîtrise précise des enjeux
autour de l’avenir des sols dont, comme le fait remarquer Denis Couvet (en exergue), dépend l’avenir de la biodiversité dans sa
totalité tout autant que de l’humanité qui en est, stricto sensu, dépendante.
Christian Pacteau,
Corentin Barbier, Patrick Berthelot, Jean-Pierre Guéret,
Erwan Guillou, Denise Mazeau, Mickaël Potard,
Frédéric Signoret, Théophane You, Sophie Raspail.
Avec la complicité de Martine Prodhomme pour ses corrections et ses suggestions.
2011
Manifeste pour une agriculture respectueuse de la nature et des hommes – LPO - 14 -

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