ANALYSE DU CONSTRUCTIVISME POUR LA PRATIQUE EN

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ANALYSE DU CONSTRUCTIVISME POUR LA PRATIQUE EN
ANALYSE DU CONSTRUCTIVISME POUR LA PRATIQUE EN MILIEU
SCOLAIRE
par Richard Gagné, psychologue
Commission scolaire du Val-des-Cerfs
Périodiquement, en éducation, des mouvements de réforme apparaissent qui viennent se
poser en réaction aux pratiques existantes et, le plus souvent, reçoivent un accueil
enthousiaste davantage parce qu’ils semblent intuitivement intéressants que parce qu’ils ont
été validés par des recherches rigoureuses. Souvent il s’agit d’une tentative de traduction
en activités scolaires d’une philosophie complexe d’éducation. La présente mode est au
constructivisme. Cette approche vient en partie en réaction aux approches pédagogiques
ayant conçu l’éducation à partir de la métaphore de l’ordinateur comme modèle
d’apprentissage. Alors que plusieurs chercheurs publient des textes théoriques sur le
constructivisme dans de nombreux journaux scientifiques, il reste que très peu de
recherches empiriques sont venues appuyer ce mouvement de réforme. Ce qui n’a pas
empêché un très grand nombre d’écoles de se lancer à toute vapeur dans ce modèle.
Pour les psychologues scolaires, il importe de se familiariser avec les concepts du
constructivisme et avec ses conséquences dans la classe afin de pouvoir répondre aux
questions qui se poseront (et se posent déjà) dans les milieux scolaires, surtout qu’il y a
risque pour des enfants en difficultés d’apprentissage avec certains concepts du
constructivisme (par exemple, le recours à la négociation sociale des connaissances). Le
présent texte tente de donner aux psychologues scolaires des informations qui leur seront
utiles pour pouvoir utiliser des approches validées scientifiquement. Bien qu’elles ne tirent
pas leur conception dans la théorie constructiviste, elles peuvent être utilisées dans des
milieux scolaires qui ont choisi une telle approche.
LES DIFFÉRENTES PERSPECTIVES DU CONSTRUCTIVISME
La plupart des milieux scolaires ignorent que le constructivisme n’est pas une théorie
unifiée mais est fait de différentes approches théoriques qui ne disent pas toutes les mêmes
choses et n’offrent pas les mêmes recommandations pour l’enseignant. Toutes ces théories
partagent cependant deux croyances fondamentales. La première est que celui qui apprend
construit ses apprentissages plutôt qu’il ne reçoit simplement les informations ou
connaissances. La deuxième est que pour permettre cela, les activités d’enseignement, le
curriculum et la dynamique de la classe exigent des modifications significatives par rapport
à ce qui se fait traditionnellement.
On peut retracer quatre courants pédagogiques distincts dans le mouvement constructiviste
qui chacun émet des recommandations différentes dans la classe. Dans la suite du texte, ils
seront comparés et distingués. Jean Piaget et Lev Vygotsky ont développé deux de ces
courants, les deux autres sont appelés le constructivisme social et le mouvement
«holistique».
Tableau 1
Comparaison de quatre modèles constructivistes
Caractéristiques
principales
La classe selon
Piaget
But
Développement de la Développement de
pensée logique
l’attention
volontaire, de la
pensée conceptuelle,
de la mémoire
logique.
L’organisation Expérimentation
spontanée, dirigée
de la classe
pour favoriser par l’enfant
:
La classe selon
Vygotsky
La classe selon le
constructivisme
social
La classe selon la
perspective
holistique
Construire et
reconstruire les
contextes, les
connaissances et
les significations à
travers des
communautés
d’échanges
L’appropriation
par l’enfant du
processus
d’apprentissage et
de ses buts
Interaction avec les
concepts rencontrés
dans les différentes
matières afin de
développer des
habiletés cognitives
avancées
Émergence d’une
communauté de
participants qui
recréent ensemble
la connaissance
Tâches de
communications
tirées de situations
réelles qui se
construisent sur les
forces et les
intérêts des enfants
Le rôle de
l’enseignant
Créer et organiser
des situations
stimulantes; poser
des questions qui
facilitent chez
l’enfant la remise en
question de ses idées
Modeler, expliquer,
corriger et exiger des
explications de
l’enfant
Créer des
communautés
d’échanges (?)
«discourse
communities»
Générer et faciliter
des tâches adaptées
aux besoins de
chaque enfant dans
chaque situation
d’apprentissage
Le rôle de
l’enfant (de
celui qui
apprend)
Manipuler les objets
et les idées;
percevoir le conflit
cognitif entre ses
idées, les résultats de
l’expérimentation et
les questionnements
de l’enseignant;
réorganiser sa pensée
Interagir avec
l’enseignant lors des
leçons dans le but de
développer une prise
de conscience et la
maîtrise de sa
réflexion; apprendre
à penser avec les
concepts des
matières enseignées
Participer dans un
système de
pratiques qui sont
elles-mêmes en
constante
évolution;
participer dans la
«co-construction»
de la connaissance
Interagir à
l’intérieur d’une
diversité de
contextes dans le
but d’apprendre
activement et de
communiquer
Exemple
Certains programmes Enseignement
en mathématiques et réciproque
en sciences
Quelques classes
de mathématiques
et de science au
primaire
«Whole language»
LE MODÈLE DE PIAGET
Au cœur de la théorie de Piaget se retrouve le concept des étapes de reconstruction de la
pensée de l’enfant dans sa saisie de la réalité, à mesure qu’il se développe. Ces
reconstructions s’élaborent à partir des manipulations d’objets ou de concepts que fait
l’enfant et des prises de conscience engendrées par les conflits cognitifs entre ses
perceptions ou attentes et les données observées. Graduellement, il abandonne ses manières
erronées ou illogiques de penser pour aboutir, en fin de processus, à la pensée formelle
abstraite. Dans cette perspective, la scolarisation devrait favoriser les expérimentations
spontanées de l’enfant, qu’elles soient individuelles ou collectives (voir tableau 1). Les
situations de groupe, où les points de vue de l’enfant seront contestés et devront être
défendus, contribueront au développement de sa pensée.
Le rôle de l’enseignant pour Piaget est de (a) créer et organiser des situations
d’apprentissage qui vont provoquer la réflexion des enfants, (b) rester attentif aux processus
de réflexion spontanés des enfants placés devant des problèmes, (c) donner des exemples et
des indices qui aideront les enfants à questionner leurs jugements trop hâtifs.
LE MODÈLE DE VYGOTSKY
Tout comme Piaget, Vygotsky a cherché à comprendre le développement cognitif et les
processus responsables de son développement. Il a identifié des habiletés complexes
particulières différentes de celles de Piaget comme but du développement cognitif. Ces
fonctions (ou habiletés) cognitives supérieures sont : la perception des catégories, la pensée
conceptuelle (verbale et mathématique), la mémoire logique et l’attention volontaire. Le
développement de ces fonctions cognitives dépend de deux facteurs inter-reliés. Il s’agit (a)
de l’apprentissage de la signification du langage écrit et des autres symboles de sa culture et
(b) de l’apprentissage de la maîtrise de ces symboles pour pouvoir exécuter des tâches
cognitives. C’est ce que permettent les interactions entre l’adulte et l’enfant. Vygotsky a
lui-même peu écrit sur le rôle de l’école dans le développement des fonctions cognitives
supérieures. Les échanges entre l’enseignant et l’enfant servent à apprendre à penser en
concepts : «l’enseignant, en travaillant avec l’enfant, explique, informe, questionne, corrige
et force l’enfant à lui-même expliquer». Certains attribuent les approches dites
d’échafaudage de la pensée (scaffolding) à Vygotsky bien que lui-même n’ait pas utilisé ce
concept comme méthode d’enseignement. Il référait davantage au modelage et aux
explications de l’enseignant. Un exemple de constructivisme à la Vygotsky est la méthode
d’enseignement réciproque qui consiste à amener de petits groupes d’enfants (4 à 6) avec
des troubles de lecture à prendre contrôle de leur pensée en apprenant à se poser des
questions de compréhension sur ce qu’ils avaient à lire. Une lecture silencieuse d’un
paragraphe est suivie par un modelage de l’enseignant qui se questionne sur ce qu’il vient
de lire motive et piste l’enfant qui tente de l’imiter par la suite.
LE MODÈLE SOCIAL
Le constructivisme social diffère des deux modèles précédents à propos (a) de la définition
de la connaissance, (b) de la définition de l’apprentissage, (c) du foyer d’apprentissage
(locus of learning). Premièrement, le constructivisme social interprète la position de
Vygotsky sur la construction de la connaissance s’élaborant à travers la culture et les
valeurs de la société en concevant la classe comme étant la société elle-même. Celle-ci
devient le véhicule culturel à qui incombe la responsabilité de développer la connaissance.
Deuxièmement, la conception de Vygotsky sur la connaissance socialement construite se
traduit par l’élève qui imite, pratique et intègre les éléments importants de sa relation avec
l’enseignant. Avec le constructivisme social, l’apprentissage est davantage un partage, une
«co-construction» à l’intérieur d’une communauté de participants. Ici, les connaissances
deviennent donc inséparables des activités qui les produisent. Les différentes formes de
participation en classe (petites équipes, grand groupe, équipes de recherche) sont la manière
de faire du constructivisme social. L’apprentissage ne se limite pas aux connaissances
purement théoriques et cognitives développées dans la tête d’un enfant mais se distribue
entre les participants. Cela s’applique même à la relation entre l’enseignant et l’enfant où,
chacun possédant une part de l’expertise, personne ne peut prétendre la posséder à lui seul.
LE MODÈLE DES CLASSES «HOLISTIQUES»
L’approche la plus connue est celle du «whole language» qui s’est développée au cours des
vingt dernières années et qui s’apparente au constructivisme social. Un postulat de cette
approche est que les enfants doivent débuter avec une compréhension globale de la tâche
plutôt que de partir avec ses différents éléments constitutifs. Les défenseurs du «whole
language» croient que toutes les formes de langage, y compris la langue écrite,
s’apprennent mieux à partir d’une utilisation en contexte réel. L’alphabétisation exige donc
l’immersion dans des situations d’apprentissage et de communication dites signifiantes.
Dans cette perspective, le passage à des éléments constitutifs vient par la suite
(l’orthographe par exemple) et est rendu plus facile parce que l’enfant, plus motivé à le
faire, a une meilleure vue d’ensemble de ses apprentissages. On est convaincu ici que les
enfants apprennent mieux quand ils sont en contrôle de ce qu’ils ont à apprendre et qu’ils
en sont conscients. On postule aussi que le sens réside dans l’interaction entre l’individu et
le texte plutôt que dans l’écrit lui-même. Il importe peu d’enseigner l’orthographe précise
puisque les enfants vont y arriver par eux-mêmes graduellement, par découverte
personnelle, passant de «l’invention à la convention».
Cette approche insiste pour que l’apprentissage se fasse à travers les forces et les intérêts
des étudiants dans le but de leur laisser plus de contrôle. Ainsi, plutôt que d’évaluer une
lecture en posant des questions factuelles, on devrait encourager l’enfant à élaborer sur
certains aspects ou personnages qui l’ont plus intéressé. Les intérêts des enfants et leurs
passions sont des ingrédients essentiels à l’apprentissage en constructivisme holistique. Il
n’y aurait pas de méthodes formelles d’enseignement. On encourage plutôt les enseignants
à devenir des facilitateurs qui créent des contextes d’apprentissage authentiques, qui
stimulent les enfants à répondre à leurs propres besoins nécessairement variables d’un
enfant à l’autre.
ANALYSE
Les quatre modèles partagent la conviction que l’enfant construit activement ses
apprentissages mais ils diffèrent sur plusieurs dimensions. Le tableau 2 tente d’illustrer ces
distinctions. Piaget et Vygotsky sont centrés sur les finalités : ce qui importe, ce sont les
buts à atteindre. Pour Piaget, il s’agit du développement de modes de raisonnement
logiques qui s’appliquent à l’analyse des événements de la vie et pour Vygotsky, de
certaines capacités cognitives. Les deux autres modèles ne visent pas tant les finalités que
le développement de processus d’apprentissage dans la classe. Le constructivisme social
met l’accent sur la création de communautés de réflexion (discourse communities) et
l’approche holistique tente de développer l’appropriation par l’enfant de ses processus
d’apprentissage.
L’école de Piaget, le constructivisme social et le constructivisme holistique prennent pour
acquis que l’enfant est conscient et en contrôle de ses apprentissages. Vygotsky croyait
qu’on devait enseigner à l’enfant l’autonomie qui ne pouvait que graduellement émerger
durant l’âge scolaire et exigeait en cela l’intervention active des adultes.
Dans les quatre modèles, la maîtrise des matières à enseigner par les enseignants est
indispensable mais pour des raisons différentes. Piaget et Vygotsky jugent que cette
maîtrise est fondamentale pour pouvoir poser les bonnes questions qui vont permettre aux
enfants de passer à des formes de pensée supérieures; pour les deux autres modèles,
davantage orientés sur le processus que sur les buts, l’expertise de l’enseignant dans les
matières sert plutôt à choisir ce qui sera enseigné selon les habiletés à développer en classe.
Tous, sauf Vygotsky, attendent de l’enseignant une expertise particulière à pouvoir exercer
d’instant en instant un jugement clinique qui permet de savoir quand intervenir de manière
appropriée de façon à maintenir des interactions fécondes dans la classe.
Dans la perspective constructiviste, et les recherches semblent le démontrer, la qualité des
processus utilisés par les élèves dans la classe varie en fonction des habiletés de
l’enseignant à créer une communauté de réflexion et des capacités des enfants (ce ne sont
donc pas des processus universels). Ainsi, les normes et attentes développées chez les
élèves de la classe, le type d’explications ou de questions jugées acceptables par exemple,
définissent le niveau et la qualité du discours intellectuel et de la participation.
L’enseignante moins habile à questionner les incohérences dans les réponses des élèves
risque de créer un climat moins stimulant. Dans la classe d’orientation non constructiviste,
on conçoit que l’expertise de l’enseignant s’appuie davantage sur sa maîtrise du matériel
didactique. Aussi, dans les classes constructivistes où les enfants sont sensés se former
mutuellement, les progrès vont être dépendants des habiletés très variables des enfants.
Finalement, dans l’environnement constructiviste, on s’attend à ce que l’enseignant adapte
les tâches aux besoins de chaque enfant, ce qui n’est pas toujours facile tenant compte du
nombre d’enfants, de leurs cultures propres et de leurs habiletés.
Certains ont prétendu que les outils d’évaluation des programmes, souvent construits selon
l’approche empirique habituelle des recherches, rendent moins justice aux approches
constructivistes parce que celles-ci se centrent davantage sur les processus que sur les
résultats. Dans l’analyse des systèmes d’éducation, les effets de l’enseignement sur les
résultats scolaires restent d’une importance capitale. Or, les recherches sur l’alphabétisation
qui ont utilisé des mesures objectives d’habiletés à lire ont montré à maintes reprises la
supériorité des approches d’enseignement explicite (non constructivistes) de la lecture chez
les jeunes lecteurs, surtout avec les enfants issus de milieux défavorisés. Dans l’ensemble,
l’efficacité des modèles constructivistes reste à être démontrée, même dans la mesure des
changements et de la généralisation des processus (apprendre à apprendre) qui sont des
apprentissages jugés importants dans cette orientation.
Tableau 2
Analyse comparative des attentes selon les quatre modèles constructivistes
ATTENTES
MODÈLES
Piaget
Vygotsky
Social
Holistique
1- Le choix des objectifs
A)
Objectifs centrés sur les résultats
X
X
B) Objectifs centrés sur les processus
X
X
2- Conception de l’apprenant comme étant
conscient et autonome
X
X
X
X
X
X
3-
Habiletés essentielles de l’enseignant
a) Maîtrise des connaissances dans les
matières enseignées
X
b) Expertise dans les interactions de groupe au
fur et à mesure qu’elles se déroulent
X
c) Expertise à pouvoir échanger dans des
«communautés d’échanges»
d) Diagnostic des besoins de chaque apprenant
X
X
X
POUR LE PSYCHOLOGUE SCOLAIRE
Malgré le peu de recherches appuyant jusqu’ici le modèle constructiviste, le psychologue
scolaire peut puiser dans les recherches menées dans des classes plus traditionnelles pour
identifier les meilleures pratiques transférables à ce type de pratique pédagogique.
L’expertise du psychologue habitué à la résolution de problèmes dans différents contextes
peut fort bien s’appliquer ici.
L’INTERVENTION ET LA CONSULTATION DU PSYCHOLOGUE SCOLAIRE
EN LIEN AVEC LES APPROCHES CONSTRUCTIVISTES
Puisqu’il existe différents modèles constructivistes avec des buts et des orientations
différentes et qu’il n’est pas toujours évident à l’enseignant de nommer à quel modèle il se
rattache, le psychologue peut aider à l’identifier à travers les activités et les objectifs de la
classe. De là, il peut tenter d’identifier les problèmes qui peuvent survenir avec un tel
modèle. L’enseignant pourrait ne pas réaliser toutes les exigences et prérequis de certaines
activités, comme par exemple celles qui demandent à l’enfant, habitué à des consignes
directes, d’avoir recours à des modes de réflexion de groupe où les enfants doivent
développer des questionnements devant les travaux des pairs et proposer des solutions
alternatives à celles qui sont suggérées. Aussi dans les classes constructivistes, on s’attend à
ce que les enfants soient conscients et autonomes. Plusieurs enseignants ne réalisent pas les
exigences cognitives de telles attentes qui nécessitent du façonnement et du modelage pour
être développées. Le psychologue scolaire peut aussi être utile en suggérant des stratégies
d’enseignement dont l’efficacité a déjà été validée empiriquement et en proposant celles où
un plus grand nombre d’enfants peuvent vivre du succès. Il peut agir au plan motivationnel
en encourageant les enfants à attribuer leurs erreurs à un manque d’effort ou au choix d’une
mauvaise stratégie plutôt qu’à une absence d’habiletés. Dans le même sens, il peut
encourager l’enseignant à choisir des objectifs spécifiques et à court terme et à amener les
enfants à développer l’auto-évaluation de leurs réflexions et de leurs résultats. Il peut aussi
amener l’enseignant à identifier des stratégies de renforcement de comportements désirés
chez les élèves dans plusieurs occasions. Puisque plusieurs classes constructivistes
fonctionnent à partir de discussions de groupe, le psychologue peut jouer un rôle de support
dans tout ce qui regarde la dynamique du groupe et dans les techniques de façonnement de
la pensée par l’apprentissage de l’expression manifeste de la pensée (think aloud).
LES BESOINS DES ENFANTS EN DIFFICULTÉS D’APPRENTISSAGE
Les enfants moins habiles posent un défi aux approches constructivistes. D’abord, plusieurs
modèles de ce type mettent beaucoup d’importance sur l’enfant qui construit ses
connaissances dans un contexte signifiant, qui apprend à extraire le sens et à tirer les
conclusions qui permettent des généralisations. Ce type de tâches peut être pénalisant pour
certains enfants moins doués parce qu’ils ont plus tendance à se centrer sur des détails, à ne
pas faire les liens qui permettraient d’en extraire les idées principales, etc. Bref, ils ont
moins d’efficacité avec les habiletés métacognitives. Deuxièmement, dans plusieurs classes
constructivistes on s’attend à beaucoup d’autonomie de la part des enfants. Pour un bon
nombre toutefois, les exigences d’autocontrôle sont trop grandes pour qu’ils puissent y
réussir. En troisième lieu, l’exigence dans les classes de constructivisme social de
participer activement aux discussions de groupe fait que les enfants moins habiles
cognitivement ou défavorisés culturellement encourent le risque de ne pas être considérés
par leurs pairs comme des participants valables.
Plusieurs enfants lents ou en trouble d’apprentissage ont besoin d’enseignement plus
explicite que les autres. Les consignes et les attentes doivent être mieux définies avec eux.
Les recherches récentes ont d’ailleurs bien démontré l’importance de l’automatisation de
plusieurs habiletés dans le développement de la lecture. Or, c’est justement à ce niveau que
plusieurs enfants en difficultés d’apprentissage trébuchent, de sorte qu’ils ne développent
pas la fluidité nécessaire qui permettrait par la suite d’accéder à la compréhension plus
complexe des textes.
Ces élèves ont besoin de plus de support de l’enseignant que les autres. Pourtant les
recherches ont démontré que les adultes en classe ont plus tendance à interagir avec les
élèves qui réussissent mieux. Cela place l’enfant qui connaît des difficultés d’apprentissage
en situation particulièrement délicate puisqu’il doit se débrouiller avec un contenu qui lui
est plus difficile d’accès en même temps qu’il reçoit moins d’attention de son enseignant.
Le psychologue scolaire peut jouer un rôle important ici en identifiant les besoins de ces
enfants. Les approches constructivistes peuvent répondre à ces situations mais il faut bien
choisir les activités qui vont en tenir compte de manière explicite.
L’ÉVALUATION EN CONTEXTE CONSTRUCTIVISTE
La perspective constructiviste modifie fondamentalement la conception de l’évaluation. On
doit évaluer le plus «réalistement» possible et évaluer le processus au moins autant que le
contenu d’apprentissage. On parle de création de portfolio par exemple. Les enseignants
sont parfois mal à l’aise avec ce type d’évaluation et le psychologue, qui a une expertise
d’évaluateur, peut offrir son aide. Le courant théorique de l’évaluation fonctionnelle du
comportement, de conception théorique comportementale, s’accorde très bien avec
l’approche constructiviste.
CONCLUSION
Les modèles constructivistes exercent depuis quelque temps une influence significative en
éducation malgré leurs maigres appuis empiriques. C’est à travers ces approches que les
écoles exigent maintenant des apprentissages plus «signifiants» et moins d’accumulation de
connaissances décrochées de toute référence au vécu des jeunes. Sans devoir devenir des
défenseurs de ces orientations, les psychologues scolaires gagneraient à mieux en connaître
les fondements théoriques. Ils pourront par la suite puiser dans des approches non
constructivistes mais appuyées par la recherche et en tirer des éléments transférables à
l’école intéressée à implanter ces nouveaux modèles.
Titre: A Review and Analysis of Constructivism for School-Based Practice
Auteurs: Green, Suzan K. et Gradler, Margaret E.
Année : 2002
Source : School Psychology Review, Vol.31, p.53-70