la constellation du Lièvre

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la constellation du Lièvre
Randonnées hivernales
La constellation du Lièvre
Dans le numéro de décembre de Galactée, je vous avais conviés à une randonnée à
travers la splendide constellation d’Orion. Lors de la Nocturne de ce 24 janvier, le grand
Chasseur était au rendez-vous, et c’est avec un plaisir certain que nous nous sommes amusés à
redécouvrir les différents attributs du géant : la tête, les épaules, la ceinture, l’épée, le gourdin,
le bouclier, etc.
Cependant, la présence d’étoiles sous la constellation d’Orion nous a interpellés : à
quelle figure du Ciel ces astres appartiennent-ils ? À la constellation méconnue du Lièvre,
Lepus, plus intéressante qu’on pourrait le croire à première vue !
1. Origine mythologique
La constellation du Lièvre s’étend sous les pieds d’Orion, Saïph et Rigel. Elle contient
quatorze étoiles plus brillantes que la cinquième magnitude. Il est difficile de trouver des
informations précises sur ses origines mythologiques qui auraient été oubliées. Les
témoignages les plus anciens remontent au IVe siècle avant J.-C, et sont dus à Eudoxe de
Cnide : le Lièvre serait la proie du Géant et de ses deux fidèles chiens de chasse, représentés
par les constellations du Petit Chien (Canis Minor) et du Grand Chien (Canis Major).
D’après la mythologie grecque, c’est le Messager des dieux, Hermès, qui aurait placé
le Lièvre sur la Voûte Céleste pour honorer sa rapidité ; et comme le lièvre est effrayé par
l’aigle, Lepus se couche lorsque Aquila se lève !
Selon une autre tradition, Lepus trouverait son origine sur l’île de Léros, non loin des
rivages de l’Asie Mineure. Un jeune homme, passionné par les lièvres, aurait introduit sur
l’île une hase qui allait mettre bas. La naissance des levrauts déclenche chez les habitants de
Léros une véritable passion pour cette espèce qui n’existait pas sur l’île : tout le monde désire
ardemment posséder un lièvre ! Rapidement, les lièvres prolifèrent, et ils finissent par envahir
la totalité de l’île ; affamés, ils s’attaquent aux cultures et dévorent tout sur leur passage.
Frappés par le désastre et la famine, les habitants décident de se débarrasser une fois pour
toutes de ce fléau, ce qu’ils arrivent à faire après bien des difficultés. Ce serait pour ne pas
oublier qu’il peut être dangereux de trop désirer quelque chose que les habitants de Léros
auraient placé la figure du lièvre dans le ciel.
D’après un mythe anglo-saxon plus tardif, c’est à la déesse du printemps, Ostara (aussi
appelé Eostre), que l’on doit l’origine de la constellation du Lièvre : Lepus représenterait
l’oiseau qu’Ostara a transformé en lièvre, lui donnant la faculté de se déplacer aussi vite qu’il
volait. Une fois par an, le lièvre est autorisé à pondre des œufs, en souvenir de sa forme
première. Il semble que cette histoire explique la tradition des œufs de Pâques, puisqu’en
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anglais, Pâques se dit Easter, terme qui serait dérivé du nom de la déesse Ostara. En effet, au
Moyen-Âge, la date de la fête de Pâques avait été choisie de manière à coïncider avec
l’ancienne fête païenne liée à l’Équinoxe de Printemps, dédiée à cette déesse, qui aurait aussi
donné son nom au mot Est, car Ostara était aussi la divinité associée à l’Aube.
Les Arabes considéraient que les quatre étoiles les plus brillantes de la constellation du
Lièvre formaient « le Trône du Géant », en référence à Orion. Au Xe siècle, l’astronome
persan Al Sufi appelle ces astres Al Nihal, « les Chameaux qui se désaltèrent », probablement
à cause de leur proximité de la Voie Lactée, considérée comme la rivière céleste. Nihal est
aujourd’hui le nom donné à β Leporis. Quant à α Leporis, elle est connue sous le nom
d’Arneb, d’après le vocable Al Arnab, qui n’est autre que le nom de la constellation en arabe.
La constellation du Lièvre, avec à gauche le Grand Chien, et dans le coin inférieur droit la Colombe.
2. Étoiles doubles en série
Les étoiles du Lièvre ont une déclinaison négative – elles sont situées sous l’Équateur
céleste. Elles font partie de cette portion du ciel du Sud qui est encore visible depuis nos
contrées boréales, mais elles ne s’élèvent jamais beaucoup au-dessus de l’horizon Sud. Il faut
donc attendre le passage de la constellation au méridien pour tenter une observation. Nous
avons pu observer le Lièvre en détail lors de notre Nocturne du 31 janvier. Six étoiles sont
facilement visibles, dont quatre ne posent aucun problème. Chose curieuse, les quatre étoiles
les plus brillantes de la constellation ne sont pas, comme on aurait pu s’y attendre, α, β, γ et δ,
mais bien α, β, ε et µ, qui forment un trapèze bien reconnaissable. On trouve γ et δ à la
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gauche d’α et de β ; la différence d’éclat entre ces deux paires d’étoiles est assez marquée. Un
petit truc pour repérer rapidement la constellation du Lièvre : lorsque Lepus passe au
méridien, on trouve α et β en partant de l’épée d’Orion (qui porte la Grande Nébuleuse), et en
descendant verticalement vers l’horizon.
L’étoile la plus brillante de la constellation, α Leporis, a une magnitude de 2,6. C’est
une étoile supergéante située à plus de 1 000 années-lumière de la Terre et près de six mille
fois plus brillante que notre Soleil ! Arneb cache donc bien son jeu sous ses apparences
d’étoile de seconde zone… Et ce n’est pas tout, puisque α Leporis est double : son
compagnon, de magnitude 11,1, est nettement moins brillant, et est séparé de l’étoile
Carte de la constellation du Lièvre, tirée de l’ouvrage « The Night Sky Observer’s Guide ».
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principale de 36’’ d’arc, soit à peu de choses près le diamètre apparent de Jupiter.
β Leporis a une magnitude de 2,8 et, elle aussi, est double. Le compagnon a une
magnitude de 7,3, et l’écart entre les composantes du couple est de seulement 2,8’’. Lors de
notre dernière Nocturne, nous avons réussi à le séparer, mais l’observation est assez difficile ;
la turbulence affecte en effet particulièrement ces étoiles qui ne s’élèvent jamais beaucoup audessus de l’horizon. Nihal est beaucoup plus proche de nous qu’Arneb, puisqu’elle n’est
distante que de 160 années-lumière.
γ Leporis offre un couple d’étoiles très joli à observer ; la composante principale, de
magnitude 3,7, apparaît jaune brillant dans les instruments de petit diamètre, alors que son
compagnon, de magnitude 6,3, semble plutôt orange pâle, voire mauve pour certains
observateurs. Les deux astres sont séparés dans le Ciel d’un angle de 96,3’’ ; un grossissement
très faible, de l’ordre de 50 × est donc déjà suffisant pour les distinguer. γ Leporis constitue
donc une cible de choix pour les petits instruments. Nous avons tous été séduits par la beauté
de ce couple céleste : nul doute que nous la réobserverons !
Poursuivons notre périple avec une étoile double particulièrement appréciée par
William Hershell, h3750, dont les composantes, de magnitudes 4,7 et 8,4, sont séparées de
seulement 4,2’’. Les deux astres sont de couleur jaune-blanc et bleu. Un grossissement de
100 × sur de petits instruments (2 ou 3 pouces de diamètre) est suffisant pour cette
observation.
Citons encore h3752, couple d’étoiles de magnitudes assez proches (5,4 et 6,6),
séparées de 3,2’’ d’arc, de couleurs jaune et bleu-blanc. Un troisième compagnon, de
magnitude 9, est distant de 60’’ des deux composantes principales. Comme pour h3750, cette
observation est à la portée d’un petit instrument. Nous n’avons pas encore eu l’occasion de
tenter l’observation de ces deux dernières étoiles multiples.
La constellation du Lièvre contient d’autres étoiles doubles remarquables, comme κ
(difficile à séparer avec un télescope de 200 mm de diamètre), S473 ou S476 (toutes deux
séparables avec de petits instruments, voire de simples jumelles).
3. L’Étoile cramoisie de Hind
La « star » incontestée de la constellation du Lièvre est sans aucun doute l’Étoile
Cramoisie de Hind, connue officiellement sous le nom de R Leporis. C’est en effet John Hind
qui découvre cet astre étrange en 1845. R Leporis est une « étoile à carbone », célèbre pour
son extraordinaire couleur rouge. Hind décrit R Leporis comme « une étoile d’un cramoisi
intense rappelant une goutte de sang sur l’arrière-plan du Ciel ».
Cet astre géant est en effet très froid (sa température de surface n’est que de 2 600°C),
et il contient dans son atmosphère des composés carbonés qui absorbent efficacement les
courtes longueurs d’onde, ce qui renforce encore la couleur rouge de l’étoile.
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R Leporis est une remarquable étoile variable, de type Mira (la première étoile de ce
type à avoir été observée est Mira Ceti, « la Merveilleuse », dans la constellation de la
Baleine). Sa magnitude passe de 6 à 11,5 sur une période d’environ 430 jours : l’étoile est, à
son minimum, près de trois cents fois moins brillante qu’à son maximum ! L’intensité du
maximum de luminosité est également cyclique, puisque la magnitude minimale (qui
correspond donc à la luminosité maximale) oscille entre 5,5 et 6,5 en 40 ans.
Mais ce qui fait de l’Étoile de Hind un astre aussi particulier, c’est aussi sa variation
de teinte au cours du temps : sa couleur au maximum de luminosité n’est pas la même qu’au
minimum, elle passe d’une « teinte cuivre » à une teinte « rouge cramoisi », du plus bel effet !
Lors de la Nocturne du 31 janvier, notre ami Sébastien Francq, extraordinaire
« navigateur céleste », a réussi à nous montrer R Leporis à l’oculaire de son télescope de
280 mm de diamètre. Actuellement, la luminosité de cet astre est vraiment très faible, puisque
elle semblait être environ de magnitude 9. Toutefois, la couleur rouge était assez marquée. Il
sera intéressant de l’observer à nouveau dans quelques temps !
4. L’amas globulaire M79
Si l’on observe le Ciel profond à travers la fenêtre de la constellation du Lièvre, on
peut notamment y découvrir un amas globulaire, M79.
L’amas globulaire M79 (NGC1904) a été
découvert par Pierre Méchain le 26 octobre 1780, mais
il semblerait que ce soit l’astronome sicilien Hodierna
qui l’ait observé le premier, puisque dans son catalogue
de 1654 il cite la présence d’une nébulosité entre les
constellations du Lièvre et de la Colombe, mais ne
donne pas plus d’informations.
Messier observe l’amas le 17 décembre 1780 et
décrit l’objet de la manière suivante : « une nébuleuse
sans étoile, située sous le Lièvre et sur le même
parallèle qu’une étoile de sixième magnitude… La
L’amas globulaire M79 dans la
constellation du Lièvre.
nébuleuse est jolie, son centre brillant, la nébulosité un
peu diffuse. Sa position est déterminée à partir de l’étoile ε Leporis, de quatrième
magnitude. ».
William Hershell ne se trompe pas sur la nature réelle de l’objet : « Magnifique amas
dans un télescope de vingt pieds, globulaire de presque trois minutes de diamètre et
extrêmement riche. ».
Shapley a estimé en 1930 la distance de M79 à 20,4 kiloparsecs, soit plus de
60 000 années-lumière. Des déterminations plus récentes ont permis de revoir à la baisse la
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distance de l’amas du Lièvre qui ne serait en fait distant que de 43 000 années-lumière. Le
diamètre réel de M79 est de plus de 60 années-lumière.
Pour débusquer M79 (magnitude 7,9), il suffit de reporter le segment Arneb-Nihal en
direction de l’horizon. Malheureusement, la latitude élevée de notre pays ne permet pas des
observations très fines de cet objet. Seuls les observateurs situés sous la latitude de 40°N – en
Sicile par exemple ! – peuvent espérer résoudre en étoiles le pourtour de l’amas. À l’oculaire
du télescope de 254 mm du Cercle, M79 se présentait sous la forme d’une nébulosité très
marquée, assez granuleuse, typique d’un amas globulaire.
Même une région aussi peu connue que le Lièvre peut cacher de véritables merveilles !
Francesco Lo Bue (UMH)
La constellation du Lièvre photographiée par Naoyuki Kurita. L’étoile très brillante dans le
coin supérieur droit n’est autre que Rigel !
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