Jupiter-Ã -Baalbek-
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Jupiter-Ã -Baalbek-
Jupiter à Baalbek : le succès du sanctuaire d’Héliopolis à l’époque romaine par Nicolas Bel L'origine du nom de Baalbek n'est pas connue avec certitude. Le terme phénicien Baal, qui signifie « seigneur » ou « dieu », était le nom donné à une divinité céleste sémitique. Le nom de la ville pourrait donc signifier la source de Baal… Situé au cœur de plaines fertiles, Baalbek était village agricole honorant une triade de dieux de la fertilité. Situation géographique et histoire Cette cité située dans la plaine fertile de la Beqaa, là où les eaux se partagent entre le Litani qui s'écoule vers le sud et l'Oronte qui se dirige vers le nord, au pied des cimes neigeuses du mont Liban. La ville se trouve sur deux voies commerciales antiques, entre la côte méditerranéenne et l'intérieur de la Syrie, d'une part, entre le nord de la Syrie et le nord de la Palestine, de l'autre ; située à 85 km de Beyrouth, elle est aujourd'hui un important centre administratif et économique du nord de la vallée de la Beqaa. Elle est citée dans l’Itinéraire antonin mais aussi sur la Table de Peutinger (du Vè siècle dont on a une copie médiévale). Des fouilles pratiquées dans la grande cour du sanctuaire de Jupiter ont mis au jour des vestiges antérieurs à la conquête d'Alexandre et le nom de Baalbek, c'est-à-dire le « Baal de la Beqa » ou le « Baal de la source », relève d'une croyance sémitique, peut-être cananéenne. A l’âge du bronze (3200-1200), de nombreux contacts existent avec l’Egypte. Puis au 1er millénaire, elle est soumise aux différents conquérants détenant le pouvoir : les néo-assyriens, les néo-babyloniens, Cyrus et les perses, Alexandre le grand. Après la mort d’ Alexandre le Grand (336-323) et le partage de son Empire, Baalbek appartient à la Dynastie Lagides d'Égypte (les Ptolémée) et ce jusqu’en 200 av.J.C. Puis elle change de mains pour appartenir aux Rois Séleucides et enfin à Rome. La puissance romaine en Orient s'affirme avec force au temps de l’empire. En dépit de l'action des rois hellénistiques en faveur des villes, de nombreuses régions de Syrie étaient occupées par des peuples nomades ou semi-nomades indépendants et turbulents parmi lesquels les Ituréens, dont dépendait Baalbek. Un sanctuaire hellénistique construit sous la Grande cour et sous le temple de Jupiter se met en place. En 15 av. J.-C., Rome crée deux colonies, peuplées de vétérans romains, à Beryte (Beyrouth) sur la côte et à Héliopolis (Baalbek), à l'intérieur. La légion Gallica III s’installe en Phénicie, les travaux du sanctuaire romain débutent. Au début du IIIe siècle, Héliopolis appartient à la Colonia Iulia Augusta Felix Heliopolitana. La ville conserva sa fonction religieuse à l'époque Romaine où elle porte le nom d'Héliopolis "Ville du soleil" et où le sanctuaire de Jupiter Héliopolitain resta un lieu de pèlerinage. Deux sources littéraires attestent de cet ensemble : Lucien de Samosate (120-180) et Macrobe (Flavius Macrobius Ambrosius Theodosius né vers 370) écrivain, philosophe et grammairien latin qui a mentionné le temple de Zeus Héliopolitain dans les Saturnales. Les fouilles : Elles débutent avec les Allemands au début du XXe siècle, puis ce seront les Français et les Libanais. Depuis 1997, c’est une mission allemande qui est présente. Le plan de Baalbek L'ensemble monumental d'Héliopolis est l'un des plus impressionnants témoignages, et l'un des plus célèbres, de l'architecture romaine d'époque impériale. Avec ses constructions colossales, Baalbek demeure l'un des vestiges les plus imposants de l'architecture romaine impériale à son apogée. L'ensemble de temples de Baalbek est situé au pied du versant sud occidental de l'Anti-Liban, en bordure de la fertile plaine de la Bekaa et à une altitude de 1150 m. Les pèlerins affluaient au sanctuaire pour vénérer les trois divinités, connues sous le nom de triade héliopolitaine, un culte essentiellement phénicien, romanisé (Jupiter, Vénus et Mercure). Le culte de Bacchus connut un grand succès, particulièrement dans les cités de la côte phénicienne. Aux deux premiers siècles, les mystères de Bacchus conquirent Rome. L'acropole de Baalbek comprend plusieurs temples. La construction romaine fut édifiée au-dessus de ruines antérieures transformées en une place surélevée. Les travaux du complexe religieux, qui ont durée plus d'un siècle et demi, n'ont jamais été achevés. Le sanctuaire a été bâti selon un plan classique des caractéristiques architecturales religieuses Romaines. Les autels de Baalbek sont beaucoup plus importants que ceux des sanctuaires Romains et les temples comportent des escaliers, à côté de leur entrée principale, qui permettent d'accéder au toit et ce genre d'escaliers n'existe pas dans les temples Romains. Du temple de Mercure, situé sur la colline de Cheikh Abdallah, il ne reste que l'escalier taillé dans le roc (et des monnaies représentant cet escalier). L'Odéon est situé au sud de l'acropole à un endroit connu sous le nom de Boustan el Khan. Les temples de Jupiter et de Bacchus sont enfermés dans une enceinte, la Qalaa. La construction Romaine du complexe a été faite sur d'anciennes ruines et a impliqué la création d'une immense esplanade surélevée, sur laquelle ces bâtiments ont été placés. Le terrain en pente a nécessité la création de murs de soutènement sur les côtés de la Nord, Sud et Ouest de la place. Ces murs, à leur plus bas niveau, sont construits de monolithes pesant chacun environ 400 tonnes. Le mur Ouest a le plus grand mur de soutènement, il a une deuxième rangée de monolithes contenant la fameuse "Trilithe", une rangée de trois pierres pesant chacune au-delà de 1000 tonnes. On accède au sanctuaire par un propylée, un portique à douze colonnes corinthiennes encadrées de deux tours. Selon une inscription latine, des chapiteaux étaient recouverts de feuilles d’or. Les archéologues ont supposé que sur le mur de fond, des niches étaient superposées sur deux niveaux, alternant un décor de frontons triangulaires et arrondis, avec des pilastres corinthiens au premier étage et ioniques au second. Elles pouvaient contenir les bustes ou statues représentants divers dieux de la mythologie romaine ou celles d'empereurs célèbres. Le complexe de la Grande Cour, commencé sous le règne de Trajan (98-117 apr. J.-C.), renferme différents édifices religieux et autels. Trois portes permettaient l'accès, depuis les propylées, à la cour hexagonale unique par son plan dans le monde romain. Cette cour était entourée par une magnifique colonnade dans laquelle s’ouvraient quatre exèdres richement décorés Elle servait d'espace d’attente et de recueillement pour les fidèles, avant qu’ils n’accèdent à la grande cour, au-delà de laquelle il leur était interdit d’aller. De la cour hexagonale, on accède à la grande cour à colonnes de pierre, de 20 m de hauteur et 2,20 m de diamètre. Ce sont les plus grandes colonnes antiques du monde. 6 colonnes corinthiennes de granite provenant d'Assouan restent debout, sur 128 à l'origine. Les autres ayant été renversées lors de tremblements de terre ou récupérées pour d'autres constructions. La cour de 135 m x 113 m comportait en son centre deux bassins pour les ablutions et était entourée de portiques richement décorés. Devant le temple se trouvaient deux grands autels dont un était réservé aux Prêtres et devait servir aux sacrifices. Une décoration Au centre de ce vaste espace, s’élevaient un petit autel pour les sacrifices et un grand autel flanqué de deux colonnes de granit rouge et gris dont il ne reste que de rares vestiges. De la grande cour on monte un escalier à trois volets afin d'accéder au sanctuaire qui préservait la statue du dieu Jupiter-Héliopolitain Le temple de Jupiter, principal temple de la triade de Baalbek, était remarquable par ses colonnes de 20 m de hauteur qui entouraient la cella, et les pierres gigantesques de sa terrasse. Les premiers travaux, ceux du temple de Jupiter, commencèrent vers la fin du Ier siècle av. J.C.. L'immense sanctuaire de Jupiter Héliopolitain était scandé de 104 massives colonnes de granit rose importées d'Assouan, en Égypte, qui renfermaient un temple entouré de 50 autres colonnes. Le temple dédié à Bacchus qui se trouve dans la même enceinte possède une décoration riche et abondante et impressionnait par son ampleur et son portail monumental orné de motifs bachiques. L’architrave fut décorée d'une frise avec des têtes de taureaux et de lions réunis par des petites guirlandes. Le sanctuaire de Bacchus, construit au IIe siècle, est beaucoup mieux conservé. On y pénètre par un escalier à trois volées, comme dans le temple de Jupiter. Le temple lui-même est périptère. Avec des dimensions inférieures à celles du temple de Jupiter, 69x36 m, il figure, lui aussi, parmi les plus grands temples du monde romain. Il se composait d'un pronaos précédé de huit colonnes et d'une cella entourée de demi-colonnes et comportant au fond un escalier menant à un adyton, où trônait la statue du dieu. Des « sacristies » étaient réservées aux prêtres (comme dans d’autres exemples locaux)Le décor sculpté est particulièrement abondant et riche, au chambranle du portail, dans la cella et même dans le péristyle couvert de blocs à caissons sculptés. (La métamorphose d’Ambrosia et le châtiment de Lycurgue). Le temple est précédé d'un autel où l'on pouvait sacrifier des animaux. Le Temple rond, ou temple de Vénus Le temple de Vénus ne fut construit qu'au début du IIIe siècle ; on l'attribue à cette déesse en raison de son décor de coquillages, de colombes et d'autres motifs artistiques traditionnellement associés à son culte. Au cours de la période chrétienne byzantine, le temple fut utilisé comme église consacrée à une martyre chrétienne, sainte Barbe. Il se singularise par l'originalité de son plan ainsi que par le raffinement et l'harmonie de ses formes, Les traditions artistiques de la période séleucide syro-phénicienne s'y sont fondues avec la grammaire décorative classique romaine. Il en résulte une architecture d'une puissance expressive considérable qui s'est combinée, sans redondance, aux motifs décoratifs des colonnades, des niches et des exèdres, et s'exprimait également librement sur les plafonds avec leurs caissons sculptés et sur les encadrements des portes. Les divinités Le syncrétisme religieux de Héliopolis, qui a réalisé la fusion d'anciennes croyances phéniciennes avec les mythes du panthéon gréco-romain, s'est traduit par une métamorphose stylistique. Elles nous sont connues par différents objets dont le bronze Sursock (du Louvre) Le dieu Jupiter est présenté debout, sur un petit podium cubique. Il est flanqué de deux taureaux. L’ensemble repose sur une base parallélépipédique percée de plusieurs trous. Le couvre-feu du dieu Jupiter ressemble à un panier évasé ou calathos et symbolise la fertilité et l’abondance des récoltes. A l’avant du panier on distingue un disque solaire entouré de deux têtes de cobras, représentation typiquement égyptienne. La chevelure du dieu, très abondante, est organisée en 4 rangs de boucles, à la manière d’une perruque. Le visage est celui de la jeunesse, à la mode orientale. Le jeune dieu est vêtu à l’orientale. Il présente une tunique à manche courte. Une gaine en tissu propose des compartiments du torse aux chevilles. Sa poitrine semble protégée par une sorte de cuirasse dotée d’épaulières avec des bandelettes bien visibles sur la manche de la tunique. Le décor est fait de 8 compartiments sur la face, 10 au dos, un compartiment de forme verticale est aussi présent sur chaque coté. Un décor, moulé en relief, présente des bustes de divinité. Sur la largeur de la poitrine un globe porte une paire d’ailes, dérivé du disque ailé égyptien. Au dessous trois paires de portraits : • la 1ère paire représente à gauche le soleil et à droite la lune. Ce couple se retrouve souvent sur des décors gravés de figurines héliopolitaines, • la 2ème paire est composée des dieux Mars et Mercure. Mars porte casque, lance et bouclier, Mercure une paire d’ailes sur la tête. • la 3ème paire présente le dieu Jupiter en type gréco-romain, avec barbe et sceptre et Junon parée du diadème, recouverte d’un voile, accompagnée de deux étoiles. Les étoiles font peut être pencher pour Vénus (symbolisée par l’étoile du matin et l’étoile du soir) • le dernier compartiment présente le buste de Saturne, barbu et portant un voile sur la tête En dessous de la gaine, un masque de lion en médaillon est associé à Saturne, représentation du lien du dieu Jupiter avec la constellation du lion. Le podium, cubique, présente la décoration classique de Tyché, déesse mineure de la Fortune, coiffée d’une haute couronne. Elle porte une longue tunique et un manteau. Elle tenait dans sa main droite un gouvernail et dans sa main gauche une corne d’abondance. On remarque encore le regroupement de symboles solaires et stellaires. En haut un globe ailé, identique à celui sur la poitrine, mais plus ramassé, est associé aux têtes de cobras. En dessous, un aigle aux ailes à demi déployées, est tourné vers la droite. C’est le symbole traditionnel du dieu Jupiter. Il est accompagné d’une étoile à peine perceptible à droite, la planète Jupiter. Encore en dessous, deux têtes de béliers s’affrontent rappelant peut être la tradition selon laquelle le soleil est au maximum de sa puissance dans la maison astrologique du bélier. 3 paires de compartiments sont occupées par 2 étoiles à 4 branches, 2 grandes rosaces et 2 plus petites. La rosace est le symbole du soleil. Sur les deux cotés, le compartiment latéral est occupé par un foudre en spirale, symbole de la puissance du dieu Jupiter. La base est découpée d’une large ouverture ovale, de 7cm de diamètre, dont la signification n’est pas évidente (pour les oracles ?). Il y a également deux trous de chaque coté. Ces détails pose la question de l’usage que l’on a pu faire du bronze. La tradition locale syrienne est présente, avec le dieu de l’orage, de la pluie, depuis le deuxième millénaire av. JC. Mais les influences extérieures sont donc aussi très présentes. La gaine décorée par exemple vient d’Asie mineure l’Artemis d’Ephèse), le disque solaire ailé vient d’Egypte. L’emprunt est aussi romain, avec la cuirasse moulée, les épaulières, comme celles portées par les officiers ou par l’empereur lui-même, notamment sur les bustes impériaux. Enfin les symboles renvoient au ciel mésopotamien, géocentrique et zodiacal. Ciel sur lequel les prêtres héliopolitain s’appuyaient dans leurs rites, permettant peut être de faire des prédictions pour les astres et pour les hommes. Le dieu prend ainsi la main sur le destin des hommes, comme le souligne encore la Tyché sur le podium, symbole de la fortune des hommes. Toutes ces sources permettent de penser que le dieu Jupiter d’Héliopolis n’a pas existé avant l’époque romaine impériale ni après. Il est le résultat de la rencontre d’influences variées, et d’un type iconographique unique, nous présentant le résultat d’un véritable syncrétisme. C’est une adaptation locale que l’on retrouve par ailleurs dans le décor architectural du sanctuaire. Jupiter Héliopolitain, le culte et les fidèles Jupiter porte plusieurs titres : Conservator (sauveur), Dux (guide), Rex deorum (roi des dieux), Regulus (littéralement « petit roi », mais cela fait référence à l’étoile Regulus, dans la constellation du Lion) Outre les sacrifices, les cultes donnaient lieu à des pratiques de processions et de déambulations sacrées. Les voies aménagées près des bassins et des canaux offraient la possibilité aux pèlerins d’invoquer les dieux. Nombre d’ex-voto ont été ainsi trouvés (des plaquettes de plomb). Macrobe en fait part dans les Saturnales (transport de la statue sur un brancard là où le veut le dieu). Baalbek possédait un oracle célèbre. L'Empereur Romain Trajan (98-117) y a consulté fréquemment l'oracle. Trajan a demandé à Jupiter Héliopolitain s'il serait perdant dans les guerres contre les Parthes. En réponse, le Dieu lui a présenté une pousse de vigne coupée en morceaux. (Saturnales I 23, 14-16). Venus et Mercure sont également représenté selon la formule orientale ou plus romaine. L’oracle perdura bien après l’implantation du Christianisme. Le paganisme y est demeuré actif jusqu'en 554, même si Constantin y interdit la prostitution sacrée et Théodose fait construire une basilique dans la grande cour. Les pèlerinages demeurent encore actifs. Les fidèles se recueillent sur le mausolée de Sayeda Khawla, fille de l’imam Hussein, fondateur du chiisme. D’autre part, la ville accueille chaque année un festival international de musique, ballet et théâtre, sur ce site magnifique et la foule rassemblée permet de se rendre compte du nombre de personnes que Héliopolis pouvait alors accueillir ! Le Louvre invite à compléter cet exposé dans les salles de l’Orient méditerranéen (OMER)