Approche Humaniste et sélection

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Approche Humaniste et sélection
Présentation
Loïc Guiheneuf est Psychologue du Travail, Psychothérapeute, Professeur d’Arts Martiaux et pianiste. Ses
différentes activités et sensibilités sont des ressources qui alimentent au quotidien sa pratique professionnelle.
Il travaille actuellement dans une organisation pour laquelle il occupe les fonctions de Consultant en Ressources
Humaines et a exercé dans la Formation, le Recrutement, l’Audit d’organisation et le Développement Personnel.
S’il croît en la Théorie, il pense qu’elle n’existe qu’à travers la Sensation et cite Carl ROGERS pour qui « la
sensation guide la vie » avant de conclure sur l’échange comme seule source d’enrichissement.
Approche Humaniste et sélection en recrutement
Lors d’un entretien pour un poste de responsable de recrutement dans lequel nous étions le sujet de
l’évaluation, le recruteur nous interrompt au milieu de notre présentation :
-
Vous ne pourrez pas passer beaucoup de temps avec les candidats !
Un peu surpris, nous nous arrêtons et probablement devant notre air intrigué il ajoute :
-
Arriverez-vous à faire la différence ?
-
Et nous, toujours les yeux dans le flou, de répondre :
-
Avec quoi ?
-
Vous êtes psychothérapeute, vous ne serez pas là pour aider les gens.
Nous comprenions enfin son raisonnement : comment allez vous gérer le hiatus entre l’approche «sélection »
et «relation d’aide» ? Autrement dit votre mission consiste à sélectionner en un temps limité des candidats et
non à les aider.
Ce fut une révélation car nous nous étions jamais posé la question : à la fois psychologue du travail et
psychothérapeute formé à l’approche centrée sur la personne, comment concilier ;
-
-
le fait de refuser un travail à des personnes dont on peut penser que l’accès à une activité
professionnelle va participer à leur épanouissement personnel soit directement par la nature même
de l’activité soit par une certaine aisance pécuniaire, toujours relative, qui en découlera ou encore par
la quiétude qu’apporte un contrat d’emploi sur le long terme.
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avec l’approche rogérienne , humaniste s’il en est, qui vise à faire grandir la personne.
Les outils dont nous disposons en entretien de relation d’aide et de sélection sont proches. Le pré requis pour
mener les deux types d’entretiens leur est commun : établir une relation de confiance qui permettra
l’établissement d’un échange «vrai ».
Nous entendons par échange «vrai » la mise en place d’une communication vraie permettant d’échanger audelà d’un rôle convenu de recruteur/recruté ou thérapeute/client.
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Pour rappel, l’attitude, préconisée par Carl ROGERS (2005) à conserver lors d’un entretien de relation d’aide
repose sur la congruence, l’accueil positif inconditionnel et l’empathie. Cette attitude favorise l’expression plus
libre des sentiments et des émotions de la part du «client » (terme Rogérien qui désigne la personne venant en
thérapie) et les prises de conscience nécessaires à sa progression.
En entretien de sélection, seule l’établissement d’une relation de confiance permet le recueil d’informations
suffisantes pour comprendre le candidat dans une dimension autre que superficielle ou convenue. Dialoguer
avec un candidat qui ne se départit jamais de sa méfiance ne permet pas d’avoir accès à un niveau d’échange
de qualité suffisante pour avoir des éléments exploitables et juger de son adéquation avec un emploi. Seule
une relation « vraie » peut permettre de créer un véritable échange.
Utiliser l’attitude préconisée par ROGERS (2005) dans un entretien de sélection permet plus facilement
d’accéder à une relation de confiance.
C’est l’étape qui fait suite à la mise en confiance qui diffère entre thérapie et évaluation : le client cherche à se
comprendre via le thérapeute et le recruteur à comprendre le candidat.
Le professionnel doit mettre des limites aux domaines explorés : soit parce qu’il dépasse sa propre capacité
d’accompagnement ou d’accueil du client, soit parce que le psychologue entre dans des sujets intimes, hors de
propos avec l’évaluation professionnelle. Le respect de cette limite relève de sa responsabilité. C’est pour nous
la même responsabilité qu’un professeur expert dans les arts martiaux qui assume, lorsqu’il choisit dans un
combat d’entraînement, de faire progresser son partenaire ou d’user de sa puissance pour le rosser.
De même le recruteur peut soit user de son pouvoir pour porter un jugement sans tenir compte de l’autre, soit
faire participer le candidat aux conclusions qui s’imposent. La relation « vraie » inclue donc de la part du
recruteur la prise en compte de la dimension humaine du candidat : à la fois son ressenti mais aussi son
raisonnement.
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Nous ne pouvons souscrire à l’universalité de la célébrissime phrase de Nietzsche et pensons que pour tout
quidam, ce qui ne le tue pas ne le rend pas forcément plus fort.
Il nous est arrivé plusieurs fois d’être remercié à la fin d’un entretien par un candidat non retenu. C’est pour
nous le signe que l’entretien s’est déroulé à travers une relation « vraie ». Nous constatons que la plupart des
candidats apprécie hautement une sincérité bienveillante à l’égard de leur adéquation avec un poste.
Nous pouvons nous demander si instaurer la confiance pour, in fine, en tirer des informations qui peuvent
s’avérer nuisibles au candidat dans sa perspective de trouver un emploi n’est pas tout simplement un procédé
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de manipulation digne du Prince . A titre d’exemple, un candidat à qui nous demandions …
-
Vous vous énervez facilement ?
Oui.
Et alors, comment ça se termine …?
En bagarre.
… ne devrait-il pas, à la réflexion, se repentir de sa franchise ?
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Pour BRETON (1997) la manipulation consiste à « entrer par effraction dans l’esprit de quelqu’un pour y
déposer une opinion ou provoquer un comportement sans que ce quelqu’un sache qu’il y a eu effraction ». La
manipulation sous tend un stratagème caché.
Là encore, la responsabilité du psychologue est engagée : si le choix de la relation établie avec le candidat est
celui d’une communication « vraie », elle est sans manipulation. Cela signifie par conséquent que le recruteur
s’investit pour expliquer son raisonnement, ses doutes, ses conclusions et donner au candidat le moyen de
comprendre les implications de ce qui se passe en entretien.
Pour cela, il s’agit de considérer le candidat comme un être d’émotions et de raison. L’expression du
raisonnement du recruteur doit être formulée de façon à pouvoir être entendue par la raison et supportable
par sa sensibilité.
Le problème est des plus épineux avec les personnes qui ont vraiment besoin d’un emploi car la
compréhension des raisons d’un refus pour un poste s’efface devant les sévères nécessités financières.
Nous avons souvenir d’un grutier avec 20 ans d’expérience qui devait être muté d’une usine en cours de
fermeture vers un autre site. Ses résultats aux tests d’aptitudes psychomotrices pour la conduite de grue
ressortirent comme insuffisants. Cela signifie qu’il risquait de ne plus pouvoir exercer son métier dans le site
d’accueil pour des raisons de sécurité. C’était un père de six enfants dont trois à charge. Seule l’absence totale
de considération pour l’humain pourrait conduire au détachement des problèmes de cet homme.
Il nous semble que la condition pour que se développe une approche humaniste en entretien de recrutement
est, au-delà de la volonté du recruteur, l’état d’esprit du candidat de ne pas considérer son futur emploi
comme un simple gagne pain mais comme un élément de son épanouissement personnel. Il est alors dans une
disposition d’esprit qui lui permettra d’apprécier les conséquences d’un choix néfaste d’emploi sur sa vie.
Pour pallier la difficulté de recueil d’informations dans cette situation, certains évaluateurs cherchent à créer
une relation de confiance à sens unique c’est-à-dire, à mettre en place les bases d’une relation de confiance qui
vise une relation « vraie » à sens unique, du candidat vers l’évaluateur.
Ce dernier conserve alors par-devers lui ses pensées réelles et les réserve pour son compte-rendu. C’est une
approche plus simple car elle dispense d’un retour au candidat. Elle est aussi plus lâche et, accessoirement,
anti-déontologique.
Même s’il n’est pas inscrit de facto dans cette perspective, nous soutiendrons que l’entretien de sélection peut
se mener, avec la collaboration du candidat, de façon humaniste. Dans le cas où ce n’est pas possible, il peut se
mener au moins humainement.
Loïc Guiheneuf, juillet 2012
Bibliographie
1
Carl ROGERS, Psychologue humaniste américain (1902-1987)
ROGERS, C. (2005). Le développement de la personne. Editions Dunod, Paris.
3
NIETZSCHE, F., Première Edition (1889) Réédition (2002). Le crépuscule des idoles. Editions Folio, Paris.
4
MACHIAVEL, N., Première Edition (1532), Réédition (2000). Le Prince. Editions PUF, Paris.
5
BRETON, P. (1997). La parole manipulée. Editions Boréal, Paris.
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Remerciements
Notre groupe de travail pour le Master II PSTO de l’Université Aix-Marseille tient à remercier M.
Guiheneuf pour sa disponibilité, son intérêt porté à notre travail, son accessibilité et plus
particulièrement, pour le temps qu’il nous a consacré dans l’échange et pour la rédaction de cet
article.
M. Allou, C. Barberi, C. Billard, N. Calamote, et A. Horvilleur