PORT ET AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE EN CÔTE D`IVOIRE

Transcription

PORT ET AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE EN CÔTE D`IVOIRE
PORT ET AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE EN CÔTE
D’IVOIRE : BILAN ET PERSPECTIVES, À PARTIR DE
SAN-PEDRO
N’GUESSAN Atsé Alexis Bernard
Institut de Géographie Tropicale
Université Félix Houphouët Boigny
Abidjan-Cocody
Email : [email protected]
RÉSUMÉ
Le port est un puissant outil d’aménagement du territoire. Cette vérité bien
perçue et appliquée par le colonisateur a été reprise par les autorités de la Côte
d’Ivoire indépendante. Ainsi, après le port d’Abidjan ouvert en février 1951, le port
de San-Pedro a vu le jour en 1972. Il était le point focal du projet ARSO, qui fut un
ambitieux programme de développement de la région Sud-ouest de la Côte d’Ivoire,
restée longtemps en marge du développement national.
A partir de l’exemple du port de San-Pedro, cet article montre de façon
pratique comment l’outil portuaire entraîne à sa suite l’aménagement de tout un
espace, aussi vaste soit-il. A travers ce germe de changement « injecté » dans le Sudouest ivoirien, c’est toute une région, jadis fermée, qui a été profondément
transformée aussi bien au plan naturel, humain qu’économique.
Mots clés : aménagement, projet ARSO, Port, San-Pedro, Côte d’Ivoire
ABSTRACT
Port and planning in Côte d’Ivoire: results and prospects from port of San Pedro
The port is a powerful territory development tool. That truth well perceived by the
colonizer has been also used by the Ivorian authorities at the country independence.
So, after the port of Abidjan built in February 1951, the port of San-Pedro was
created in 1972. It was the focus point of ARSO project which was an ambitious
program of development of the south-western region of Côte d’Ivoire, part of the
country which remained for a long time out of the national development.
From the example of San-Pedro port, that document shows in the practical way how
the harbour tool can drag after him the setting of a complete space as bigger as it is.
Through that germ of change "injected" in the south-west of Côte d’Ivoire, it’s a
entire area closed in the past which has been now deeply changed, both in the
natural, human and economic level.
Key words: Development, ARSO project, Port, San-Pedro, Côte d’Ivoire
Revue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N°002 - Septembre 2013
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INTRODUCTION
L’aménagement du territoire désigne les actions menées en vue de
favoriser le développement des régions. Il porte sur la disposition spatiale des
hommes et des activités, et allie donc le développement économique,
l’habitat, les transports et autres infrastructures de communication.
Le Port est un endroit situé sur le littoral maritime et destiné à accueillir
des bateaux et des navires. Comment peut-t-il alors participer à
l’aménagement du territoire ? Cette interrogation principale peut être déclinée
ainsi : Quelles ont été les actions menées dans le cadre de l’aménagement de
la région Sud-Ouest avec l’ouverture du port? Quel bilan peut-on faire de ces
actions? Quelles perspectives de développement pour le port et la région Sudouest aujourd’hui ?
Pour comprendre cette question, il existe, par rapport aux études de
géographie portuaire, trois espaces d’étude (Vigarié, 1974) : le port lui-même,
l’arrière-pays ou hinterland et l’avant-pays ou foreland.
L’aventure du port de San-Pedro commence par l’intérêt que le
président feu Félix Houphouët-Boigny porte à toute cette partie Sud-ouest de
la Côte d’Ivoire encore vierge, presque inhabitée avec quelques petits villages
et villes isolées. L’Etat va alors mener concomitamment deux opérations
complémentaires : l’AVB1 (avec la construction du barrage de Kossou) et
l’ARSO2 (avec la construction d’un port).
L’ARSO est une société de développement à compétence régionale
rattachée directement à la présidence de la république, créée par le décret n°
69-546 du 22 décembre 1969. Pour parvenir à ses fins, elle a mis en place un
programme de développement pour toute la région, en collaboration avec les
ministères et organismes d’Etat concernés. La somme de 200 milliards de
FCFA est octroyée pour l’aménagement de la ville.
La mise en œuvre de cet article a fait appel à plusieurs sources de
données :
- les thèses et autres mémoires réalisés sur la zone Sud-ouest, de la
bibliothèque de l’Institut de Géographie Tropicale (IGT) ont apporté
de nombreuses informations ;
- les archives et autres documents trouvés au port de San-Pedro au
cours de séjours effectués dans la localité en 2007, 2008 et 2010 ont
contribué significativement à réunir les données nécessaires ;
- l’outil Internet a été largement mis à contribution dans la recherche
d’informations ;
1
2
Aménagement de la vallée du Bandama
Autorité pour l’aménagement de la Région du Sud-ouest
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-
les ressources virtuelles mises en ligne par divers sites ont été
exploitées ;
- les données primaires sont issues des échanges avec des interlocuteurs
divers (autorités administratives, portuaires, opérateurs économiques,
transporteurs, etc.)
Les données primaires et secondaires collectées ont fait l’objet de
traitement à l’aide de l’outil informatique à partir de logiciels spécifiques
(Word, Excel, ArcView). Ce traitement a abouti à des résultats sous forme de
synthèses, de tableaux, de graphiques et de cartes.
1. LES ACTIONS POSEES DANS L’AMENAGEMENT DU SUDOUEST
La stratégie adoptée par l’Etat ivoirien dans la politique d’aménagement
du territoire de la période 1971-1975 repose sur le développement régional à
travers la création des pôles nationaux de développement.
Le pôle de développement du Sud-Ouest s’est organisé autour du port
de San-Pedro dont la construction a été programmée dès la fin des années
1960 par l’étude des perspectives décennales. La création de cette zone de
développement visait d’une part à réaliser un équilibre entre l’Est et l’Ouest
forestier et, d’autre part, à assurer une meilleure mise en valeur des
potentialités de cette région. Pour ce faire, on a assisté au peuplement de la
région avec l’arrivée de migrants, à l’aménagement de périmètres agricoles et
d’infrastructures routières et à la construction de la ville nouvelle de SanPedro et son port.
1.1.
Le peuplement de la région du Sud-ouest
Le Sud-ouest se présente dans les années soixante comme une sorte de
vide démographique. Ce vaste territoire, que limite à l’ouest, par le fleuve
Cavally, une frontière de 200 km avec le Libéria, s’ouvre au sud sur 300 km
de façade maritime sur l’océan Atlantique. Il couvre une superficie de 37 000
km², soit 11% du territoire national, pour une population qui ne compte
cependant guère plus de 120 000 individus, soit 2,5% de la population
ivoirienne en 1968 (Schwartz, 1993).
Le Sud-ouest est peu peuplé. Les sites habités sont dispersés et de très
petite taille. A cela s’ajoute l’extrême pauvreté des populations Kroumen dont
l’horizon économique est beaucoup plus maritime qu’agricole. Le revenu
annuel moyen par habitant est inférieur à 15 000 francs CFA (Tahoux, 1993).
L’arrivée massive de population dans le Sud-ouest a relancé la logique
de peuplement de la région. L’ARSO chargée de conduire l’action régionale,
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définit alors trois plateformes ou périmètres de peuplement pour réaliser cette
opération de recasement. On assiste dès lors à une nouvelle dynamique
1.2. De nouveaux paysages agraires et de nouvelles infrastructures
Les exploitants forestiers vont attaquer en premier le couvert végétal
dense, compte tenu de la présence de nombreuses essences de bois dans la
région. A l’aide de tronçonneuses, bulldozers et camions remorques, ils
abattent les arbres et transportent les billes à San-Pedro, soit directement pour
l’exportation en grumes, soit pour l’exportation en débités ou en ouvrages,
après une semi-transformation.
Les populations paysannes suivent les traces des premiers, mettant en
valeur les terres conquises sur le couvert forestier dense. Dans le même
temps, des structures agro-industrielles s’installent. Ainsi naissent
d’importants périmètres agricoles s’étendant sur des dizaines, voire des
centaines d’hectares. Les principales spéculations vouées à l’exportation par
le port de San-Pedro sont le café, le cacao, l’hévéa et le palmier à huile.
En ce qui concerne les infrastructures routières, on assiste à l’ouverture
de nouvelles voies, mettant en communication la région avec le reste du pays.
Cette zone jadis enclavée et difficilement accessible est alors arrimée au
réseau routier national. Cette politique a contribué aussi à désenclaver les
localités et à faciliter l’acheminement des productions vers les principaux
centres de collecte et vers le port.
1.3. La création d’une ville nouvelle et d’un port
Jadis, hameau d’une quarantaine d’habitants, San-Pedro va subir une
profonde transformation avec le projet ARSO. Le choix de développement de
la région Sud-Ouest opérée par l’Etat ivoirien s’appuie sur cette localité
comme pôle de développement.
Le site de la ville correspond à un triangle délimité par le fleuve SanPedro, la lagune Digboué et l’océan. Il s’agit d’une vaste zone lagunaire
entourée de collines. Il apparaît comme divisé en "compartiments"
urbanisables séparés par un système "lagunaire" plus ou moins remblayé.
2. BILAN DES ACTIONS D’AMENAGEMENT DE LA REGION SUDOUEST
Il concerne le peuplement où dominent les déplacements des
allochtones et des étrangers. De nouveaux périmètres agricoles (familiaux ou
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industriels) dominent le paysage. L’économie agricole de la région s’organise
autour du port, le pôle régional d’attraction.
2.1 Une nouvelle dynamique de peuplement
2.1.1. Le relogement des sinistrés du barrage de Kossou
Le transfert des sinistrés de Kossou, suite à l’ennoiement d’une vaste
zone rurale dans le centre du pays, a été fait dans des conditions spéciales
d’accueil avec l’aménagement des terroirs sur de vastes plateformes et la
création de nouveaux villages modernes dotés d’importantes réserves
forestières (Boignykro, Grobonou Dan, Do Sakasssou, Nonoua). C’est au
total plus de 4 000 personnes qui ont été accueillies dans les villages et le
périmètre P1bis, apprêtés par l’ARSO.
2.1.2 Le relogement des sinistrés du barrage de Buyo
Dans le cadre de la mise en eau du barrage, un programme de
relogement est conduit par l’ARSO. Les nouveaux villages ont été créés sur
le périmètre P3. On leur a donné le nom de V. On en dénombre 19, dont 14
au nord de Taï et 5 du côté d’Issia. Le programme des V a donné lieu à de
nombreuses polémiques, en raison des particularités de la conception et du
niveau d’équipement des logements. Les griefs faits à l’ARSO découlent de
la supériorité qualitative des équipements réalisés sur P1 bis. On trouve
injustes les faveurs accordées aux déplacés baoulé.
2.1.3 Le peuplement du périmètre P1
Ce périmètre qui fait l’objet d’un programme particulier concerne les
populations autochtones. Ici, l’ARSO ne construit pas de logements en faveur
des populations. Elle procède à des regroupements de villages pour en
faciliter la modernisation. Quatre villages sont concernés : Gabiadji,
Tokoranidi, Biahou et Dimoulé. Cette opération de regroupement et de
modernisation n’a pas véritablement modifié le paysage de l’habitat, du fait
de la faible participation des paysans au programme de construction de
maisons en dur. Ce sera l’une des causes des contestations dont l’action de
l’ARSO sera la cible, surtout de la part des intellectuels de la région qui
soutiennent que les moyens financiers importants dégagés par l’Etat ne
bénéficient pas, comme annoncé, à leurs parents.
A la suite du développement des programmes ARSO, Burkinabé et
Maliens venus nombreux d’abord comme ouvriers ou ravitailleurs en produits
de consommation de première nécessité, sont entrés dans un jeu autonome qui
a fini par faire d’eux, des acteurs de taille dans le processus de changement.
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Ces populations étaient attirées par cet eldorado, tant les activités
étaient prospères, surtout avec l’ouverture du port qui va davantage attirer des
personnes intéressées par les emplois saisonniers. Dans les faits, la création
du port s’est accompagnée de l’exploitation des forêts dans l’hinterland avec
la coupe de bois, la création de plantations de café et cacao, de palmier et
d’hévéa. La production, le conditionnement et l’exportation de ces produits
utilisent une main d’œuvre abondante.
Ce cosmopolitisme de la population se vérifie dans la figure n° 1 qui
donne la part des différents groupes ethniques dans la région administrative
du Bas-Sassandra, à la suite du recensement général de la population de 1998.
Figure n° 1 : Les différents groupes ethniques dans la région du BasSassandra en 1998
Source : RGPH, 1998
Dans cette région administrative, les étrangers dominent largement
(44%) suivis des Akan (31%) et des Krou dont les composantes autochtones
Kroumen et Bakwé sont en principe peu nombreuses sur le plan national.
L’importance numérique du groupe Akan hors de leur berceau traditionnel
provient de leur transfert au Sud-ouest par l’Autorité pour l’Aménagement de
la Vallée du Bandama (AVB.), lors de la mise en eau du barrage de Kossou.
La répartition plus équilibrée des autres groupes, confirme le statut de région
d’immigration qu’a été au milieu des années 1970, l’actuelle région du BasRevue de Géographie de l’Université de Ouagadougou, N°002 - Septembre 2013
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Sassandra. Les populations étrangères sont surtout constituées de pêcheurs
Fanti venus du Ghana, dans les "ports de pêche" de Sassandra et de SanPedro. Les autres originaires des pays de la CEDEAO (Burkinabè et Maliens)
travaillent dans les plantations du Sud-ouest en tant que propriétaires ou
manœuvres agricoles ou dans la ville de San-Pedro en tant qu’ouvriers au port
et dans les nombreuses scieries de la ville.
2.2 Aménagements de périmètres agricoles et d’infrastructures routières
2.2.1. La création de plantations villageoises
A la suite des exploitants forestiers, les populations déplacées et
réinstallées dans la région vont mettre en valeur les terres. Ce sont d’abord
des plantations de caféiers et de cacaoyers de toutes tailles, puis des
palmeraies et des plantations d’hévéas qui remplacent la forêt. On assiste dès
lors à la mise en place d’une économie de plantation qui va profondément
transformer l’économie de la région. A la fin de la première décennie de
l’indépendance, le revenu annuel moyen des paysans bété, bakwé et kroumen
était à peine supérieur à 15 000 FCFA. Grâce aux nombreux programmes
animés par l’ARSO et les grandes sociétés agricoles et forestières, à l’activité
de milliers de paysans infiltrés, les données ont changé. On estime
aujourd’hui ce revenu moyen à 60 000 FCFA, avec des variations
intercommunautaires importantes (Tahoux, 1993) :
- 40 000 FCFA chez les paysans autochtones et ;
- 100 000 FCFA chez les immigrés.
L’apparition de gros planteurs dans cette région est un autre signe du
changement. En 1980, l’économie de plantation bat son plein et enregistre des
résultats spectaculaires, surtout chez les immigrés car certains d’entre eux ont
jusqu’à 50 millions de FCFA sur leurs comptes d’épargne à la BNDA3.
La révolution cacaoyère et caféière dans le Sud-ouest s’est
accompagnée d’une exploitation des cultures vivrières. Ici, la participation
des migrants étrangers (burkinabé et maliens surtout) est déterminante.
L’activité féminine s’impose dans ce secteur, tant au niveau des cultures que
de la commercialisation des produits.
2.2.2. La création des plantations agro-industrielles
La richesse de la région attire également les industriels qui
interviennent dans le domaine agricole. On assiste alors à la création de vastes
plantations agro-industrielles prenant en compte les cultures de palmier à
3
Banque Nationale pour le Développement Agricole
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huile et d’hévéa. La création des plantations est accompagnée de celle
d’unités industrielles et de villages intégrés pour loger les employés. On peut
citer entre autres les opérations menées par la PALMINDUSTRIE4, la
SOGB5, la SAPH6. Cette production des plantations agro-industrielles vient
renforcer les milliers de tonnes d’hévéa et de régimes de palme produites par
les paysans qui alimentent le trafic du port naissant, remplaçant ainsi peu à
peu les exportations de grumes.
L’exploitation des richesses du Sud-ouest a emporté une grande partie
du couvert forestier. Les aménagements agricoles effectués par les
populations se situent le long des axes routiers ouverts à cet effet.
2.2.3. L’ouverture des voies et le désenclavement de la région
C’est le préalable au développement de l’ensemble du programme
ARSO. La route en est l’instrument. Le bilan routier se présente de façon
modeste de 1969 à 1981 :
- les routes bitumées passent de 15 km en 1969 à 228 km en 1981,
- les routes en terre et les pistes, de 1579 km à 3107 km au cours de la
même période.
L’ARSO a directement participé à la construction de quelques
tronçons :
- San-Pedro- La Méné : 37,8 km ;
- La Méné- Pont Weygrand : 47,1 km ;
- San-Pedro- Néro : 34,5 km ;
- La Méné- Soubré : 93,8 km ;
- Soubré- Issia : 73,4 km.
Les deux derniers tronçons ont l’avantage particulier de mettre en
liaison la ville de San-Pedro avec les riches provinces bété de Soubré, d’Issia
et de Daloa. En créant environ 300 km de routes bitumées, l’ARSO apporte
une contribution notable à l’effort d’extension et d’amélioration des voies de
desserte de cette région pleine de potentialités.
2.3. La ville nouvelle de San-Pedro et le port
2.3.1 La ville de San-Pedro
La ville occupait en 2004 quelque 600 ha, dont 500 ha environ au cœur
de la zone alluviale entre le fleuve San-Pedro et la lagune Digboué (Bardo,
Séwéké, zones industrielles nord et sud, Sonouko) et une centaine d'hectares
4
Palmier et Cocotier et Industrialisation des Oléagineux et des corps gras.
Société des Caoutchoucs de Grand-Béréby
6
Société Africaine de Plantations d’Hévéa
5
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au sud, sur les collines de quartzite (Mohikakro, la Corniche, Balmer). Elle
est construite tout en longueur de part et d'autre de la route qui s'étire sur sept
km environ, du port à la colline du Musée. Les contraintes du site naturel de
San-Pedro ont ainsi conditionné la forme et l'organisation de la ville actuelle.
Démarrés en 1969, en même temps que ceux du port, les travaux
d’infrastructures urbaines dits de première tranche permettent de créer une
ville de 6000 habitants. Cependant, vu le nombre sans cesse croissant des
populations immigrantes, l’ARSO décide en 1970 de l’étendre et d’aménager
un espace pour 25000 habitants. En 1975, les aménagements vont se
poursuivre pour que la ville puisse accueillir plus de 100000 habitants. Aussi,
de grands travaux d’écrêtement des collines, de remblaiement des marécages
et de déblais, seront-ils entrepris.
En fonction de leur situation géographique et de leurs fonctions, les
quartiers seront regroupés en cinq grandes zones. En 1972 déjà, "San-Pedro
bis" occupait un espace plus vaste qu’en 1969. Les implantations par vagues
successives dévoraient la forêt. Le plan d’urbanisme arrêté dans ses grandes
lignes en 1969 est révisé. C’est ainsi que les quartiers A, B et C ont été
dénommés quartiers Poro, Sonouko et Nitoro. Des programmes de
lotissement ont été en partie réalisés. Au début de 1973, l’équivalent d’un
millier de lots de 300 m² chacun a été attribué aux sociétés immobilières
SICOGI7 et SOGEFIHA8 (Loba, 2010). Plusieurs logements ont été ainsi
construits et mis à la disposition d’une population toujours croissante dans les
différents quartiers aux noms évocateurs.
2.3.2 Le port de San-Pedro
Le port situé à 350 km à l’ouest d’Abidjan, a été mis en service le 04
mai 1971 et inauguré officiellement le 04 décembre 1972 par le Président de
la République. Directement ouvert sur la mer (figure n° 2), le port de SanPedro est l’un des ports les plus profonds de la côte occidentale d’Afrique,
capable de recevoir tout type de navire en toute marée. Premier port mondial
d’exportation de cacao, il développe divers trafics compte tenu de la diversité
des richesses de son hinterland. Du point de vue géographique, c’est une
plateforme intermodale pouvant offrir une facilité d’utilisation du système
multimodal aux pays enclavés (Mali, Burkina Faso) et à certaines régions de
la Guinée et du Libéria.
Le port a également l’avantage d’avoir un tirant d’air illimité facilitant
ainsi son accès. Il dispose d’un important domaine de 2 000 ha dont
7
8
Société Ivoirienne de Construction et de Gestion Immobilière.
Société de Gestion et de Financement de l’Habitat.
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seulement le quart est occupé, offrant ainsi de grandes possibilités
d’extension et de développement industriel.
Il est doté d’infrastructures et d’équipements modernes lui permettant
d’assurer le bon fonctionnement des activités qui se déroulent sur ses deux
sites : le port de commerce (photo n° 1) et le port de pêche. Le Port
Autonome de San-Pedro a la charge de l’ensemble des fonctions portuaires
(opérations d’exploitation, de services aux navires, d’entretien, de
renouvellement et d’extension des infrastructures). Cependant, les activités à
caractère industriel et commercial (consignation, manutention, transit) sont
assurées par le secteur privé. L’autorité portuaire a en outre concédé au privé
les activités de remorquage, de pilotage et de lamanage des navires. Le port
de San-Pedro se présente comme une organisation de type « port propriétaire
foncier ».
Le trafic est en pleine diversification. A l’origine, ce trafic composé
essentiellement de bois, a vu s’ajouter au cacao et au café un relatif trafic de
caoutchouc et d’huile de palme.
Photo n° 1: Une vue du port de San-Pedro (port de commerce)
Source : Akpoué, 2008
Dans l’opération baptisée "ARSO", la construction du port et de la ville
de San-Pedro ont été les lignes maîtresses. Si la ville a presque conservé son
aspect, le port a connu divers aménagements qui l’ont transformé de manière
significative. Un accent particulier est mis sur l’espace portuaire qui joue le
rôle de catalyseur du développement de la région sud-ouest.
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Les principaux aménagements réalisés
Les principaux aménagements réalisés au port de San-Pedro relèvent de
la vision des autorités portuaires, de faire du port de San-Pedro, " un port
moderne, outil de développement de la Côte d’Ivoire et moteur de
l’intégration régionale". Ces aménagements prennent en compte quatre
secteurs :
- la réhabilitation des terre-pleins sous douane menée en zone sous
douane ;
- le bitumage des voies d’accès portuaires ;
- la réhabilitation et le renforcement des infrastructures et
équipements ;
- l’acquisition d’une grue mobile à quai servant à la manutention à quai.
Par rapport à l’actualisation du plan de développement adopté en 1978,
une première phase d’exécution de ce projet est en cours. Il s’agit de la
construction du terminal à conteneurs. Le Port Autonome de San-Pedro et le
Groupe suisse Mediterranean Shipping Compagny (MSC) ont signé, le 18
septembre 2008, à Genève, le contrat de concession pour l’aménagement,
l’équipement et l’exploitation du terminal à conteneurs pour une durée de
quinze ans.
Les trafics du port
On distingue le trafic général et le trafic à l’exportation et à
l’importation.
Le trafic général du port
Depuis sa mise en service en 1971, le port de San-Pedro a accueilli
plusieurs types de trafics. Le trafic du port, déséquilibré au plan structurel, est
largement dominé par les exportations au détriment des importations (figure
n°2).
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Figure n° 2 : Évolution du trafic au port de San-Pedro entre 1972 et 2012
Source : PASP (2012)
Les trafics à l’exportation et à l’importation
Dans l’ensemble, le bois et ses dérivés dominent largement les
exportations (figure n° 2). Cela se justifie par le fait que les ressources
ligneuses sont à portée de main, et ont été dans un premier temps
massivement exploitées. Les exportations de café, cacao, huile de palme et
dérivés témoignent de ce que les plantations encore jeunes sont en pleine
production. Ce trafic dans l’ensemble connaît une variation controversée,
surtout pour ce qui est du bois.
Les importations au port de San-Pedro connaissent des fluctuations
assez importantes sur la période indiquée. Elles sont en premier lieu le fait
des hydrocarbures et des marchandises diverses en 1972. Cependant, le trafic
des hydrocarbures cesse en 1987, compte tenu du fait que le trafic de
cabotage n’était plus compétitif par rapport au trafic routier. Les années
suivantes, le trafic se diversifie avec l’apparition des produits cimentiers et
des produits alimentaires. Cette situation s’explique par la présence de deux
unités de transformation desdits produits au port de San-Pedro (GMA9 pour le
blé et SOCIM10 pour les produits de ciment). Celles-ci ravitaillent
l’hinterland en produits finis que sont le ciment et la farine de blé.
9
Grands Moulins d’Abidjan.
Société des Ciments du Sud-ouest.
10
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3. LES PERSPECTIVES DE DEVELOPPEMENT DE LA REGION
SUD-OUEST
Dans le processus d’aménagement du territoire, l’Etat ivoirien a
développé le principe d’une meilleure répartition territoriale des
investissements publics. On note également le volet concernant la mise en
place des infrastructures et des équipements structurants devant servir de
support aux actions de développement économique, notamment les ports,
aéroports, les voies routières et ferroviaires, de manière à diversifier les
modes de transport et à améliorer les échanges commerciaux internes et
externes.
Avec l’opération ARSO, il y eut certes des avancées notables, mais des
efforts restent encore à faire tant au niveau du port que de la ville de SanPedro et de la région.
3.1 La vision de l’autorité portuaire
Les perspectives de développement du port de San-Pedro sont induites
par la nouvelle vision stratégique. Celle-ci s’articule autour de trois axes
principaux, à savoir : la création de valeur en tant que société publique de
service ; l’amélioration de la compétitivité du port de San-Pedro ; la mutation
de la place portuaire de San-Pedro vers un « pôle d’attraction » du
développement. D’autres éléments sont à considérer dans la logique de
développement du port.
La vision stratégique s’assigne pour priorités de consolider les acquis et
d’ouvrir de nouvelles perspectives de modernisation et de développement du
port. Ceci dans le but de permettre au port de San-Pedro de jouer pleinement
le rôle de pôle de développement qui a présidé à sa création, tout en offrant
aux pays frontaliers sans littoral les moyens de participer au commerce
international dans des conditions de compétitivité et d’efficacité accrues.
Le volet création de valeur en tant que société publique de service
répond au souci de sécurisation et de développement des ressources propres
du port, condition nécessaire à l’équilibre global du projet d’entreprise. Il
intègre par ailleurs l’optimisation de la gestion et le développement des
ressources humaines, l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique
commerciale et marketing, le développement d’un système d’information
intégré et performant et l’émergence d’une culture d’amélioration continue.
La deuxième option stratégique vise à achever le programme de
réhabilitation des infrastructures et équipements, à rendre l’outil portuaire
plus performant afin de consolider sa compétitivité.
La troisième et dernière vision stratégique affiche la problématique de
la durabilité du développement au cœur de la démarche de l’autorité
portuaire.
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La réalisation de ce projet d’entreprise devrait conduire
irréversiblement à la croissance, à la modernisation et au développement du
port. Le port de San-Pedro dans un avenir proche prévoit avec les acquis cidessous projetés par le schéma directeur de 1983, de nouvelles
performances qui favoriseront aussi l’implantation des industries pied dans
l’eau :
- un plan d’eau de 200 ha,
- un linéaire de quai de 10 km lui permettant d’augmenter sa capacité
d’accueil de navires en opération commerciale simultanée,
- 200 ha de terre-pleins commerciaux,
- 650 ha de zone industrielle portuaire,
- des terminaux et des quais spécialisés,
- des scanners et ponts bascules,
- des plates-formes logistiques intégrées.
Le site actuel du port ne semble souffrir d’aucune limitation de fond et
ne perturbe pas outre mesure les activités de la ville même de San-Pedro.
C’est peut-être bien ainsi. Mais les concepteurs du port auraient pu choisir le
site de la lagune Digboué et les marécages environnants (figure n° 3). Cela
donnerait un port en pleine ville, plus grand, avec d’énormes possibilités de
quais sur les deux rives. Le dragage des marécages et de la lagune que
nécessiterait le choix de ce site débarrasserait du coup la ville de l’un de ses
handicaps saisonniers, à savoir les inondations en saison des pluies.
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Figure n° 3 : Site potentiel d’un port à San-Pedro
Source : Image Google Earth (2009)
Dessin : N’GUESSAN Alexis
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3.2 Les perspectives de développement
Les espoirs du port de San-Pedro reposent sur un certain nombre
d’opérations qui accélérerait son développement. On peut citer entre
autres l’agroforesterie et les entreprises agricoles, la poursuite et la réalisation
effective des opérations identifiées et l’amélioration des liaisons routières.
3.2.1 L’agroforesterie et les entreprises agricoles
Le bois garde toujours le 1er rang des exportations, malgré une baisse
régulière et inévitable. Si les grumes ne sont plus, les bois débités connaissent
une embellie. Il y a donc un gain pour l'économie nationale.
Les entreprises agricoles connaissent trois distinctions : les plantations
industrielles, les plantations de café cacao, et les industries de transformation
des produits agricoles. L’hévéa, le palmier à huile sont les deux cultures
faisant l’objet des plantations industrielles, après le déclin du cocotier et des
agrumes. Les industries intégrées aux plantations s’occupent de raffinage de
latex, et de production d’huile brute de palme. L’importance de l’activité
agricole dans le Sud-ouest se remarque bien dans l’aménagement de l’espace
rural et sur l’environnement socio-économique du port de San-Pedro.
3.2.2 La poursuite et la réalisation effective des opérations identifiées
La mise en route des projets majeurs identifiés n’est pas encore
effective. Il s’agit de l’extraction du minerai de fer du mont Klahoyo. Cet
important gisement était l’un des fondements même de la création du port de
San-Pedro. En effet, il était surtout question de transformer à la longue le port
en un port industriel et commercial, grâce à ce minerai de fer. Avec des
réserves estimées à un milliard de tonnes, concentrées à 69 %, il était prévu
une production moyenne annuelle de 12,5 millions de tonnes. Le démarrage
de cette industrie lourde devait permettre à l'ensemble du pays d'accéder à un
développement intégré.
3.2.3. L’amélioration des liaisons routières de San-Pedro avec l’hinterland
Une des voies de salut de la ville et du port de San-Pedro réside dans
l'infrastructure routière. Celle-ci pourrait raccorder la ville aux différentes
régions qui constituent son arrière-pays aussi bien national (autoroute SanPedro-Issia) qu'international (connexions avec les pays voisins tels que la
Guinée, le Mali et le Liberia). Etant donné que ces trois pays représentent un
potentiel commercial remarquable, seules de bonnes liaisons routières
peuvent permettre de le valoriser au profit du port. C'est pourquoi il serait
souhaitable que soit relancée la stratégie visant à bitumer les tronçons en
direction des frontières.
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Une fois ce réseau routier national et international réalisé et les
habitudes de certains opérateurs économiques tendant à préférer Abidjan à
San-Pedro disparues, le port de San-Pedro devrait bénéficier d'un important
trafic tant à la sortie qu'à l'entrée, d'autant plus que le problème de fret retour
ne se poserait plus. Les opérateurs économiques qui viendront décharger au
port pourront au retour charger des produits locaux (de la farine, du riz, du
ciment, des engrais, etc.)
CONCLUSION
Les actions menées par l’ARSO dans le processus de développement du
Sud-ouest ont déclenché un mouvement qui se poursuit pour le bienfait de
l’économie nationale. Les populations installées continuent de livrer des
tonnages importants de produits utiles au fonctionnement du port. La ville de
San-Pedro est aujourd’hui la deuxième ville côtière de Côte d’Ivoire, et
surtout grâce au port la région est devenue le pôle régional auquel avait rêvé
le concepteur politique de cette action.
Le port étant un activateur dans le processus d’aménagement du
territoire, le système conçu par le pouvoir politique et mis en place par
l’ARSO s’entretient. Quelques aménagements portant notamment sur des
infrastructures routières seront nécessaires pour redynamiser le système, et
rendre performant le port de San-Pedro.
L’absence d’audit de l’ARSO au terme de sa mission est regrettable. En
rappel, l’opération San-Pedro a mobilisé plus de 200 milliards de FCFA, de
l’Etat ivoirien appuyé par le Fonds Européen de Développement et des crédits
octroyés par la France, l’Italie et la République Fédérale d’Allemagne. Ce
montant est d’autant plus élevé que l’absence d’audit après le projet suscite
des interrogations. Au vu des résultats escomptés et vu la situation de SanPedro, la question demeure. Il n’y n’a nulle part la trace d’une telle tentative
en dehors des thèses des universitaires qui voudraient mieux comprendre le
choix des types de construction selon l’origine des bénéficiaires. Par ailleurs,
les villes locales qui n’ont pu bénéficier d’aucun appui et bien d’autres faits,
qui sont autant sources de frustration des autochtones, ne peuvent rester sans
élucidation.
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