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L’Encéphale (2009) Supplément 2, S53–S57 j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e m - c o n s u l t e . c o m / p r o d u i t / e n c e p Biologie et génétique des rythmes circadiens F. Bellivier Pôle de Psychiatrie, CHU de Créteil, Hôpital Henri Mondor, Université Paris 12 MOTS CLÉS Rythmes circadiens ; Gènes circadiens ; Anomalies des rythmes circadiens KEYWORDS Circadian rhythms ; Circadian genes ; Circadian rhythm abnormalities Résumé La connaissance des mécanismes moléculaires des horloges biologiques connaît un essor exponentiel ces dernières décennies. Ceci permet de guider le choix des gènes étudiés pour expliquer les variations inter-individuelles observées dans les rythmes circadiens. Ainsi, l’analyse de gènes circadiens connaît, ces dernières années un développement important dans l’étude des rythmes circadiens pathologiques chez l’homme. Ces données, associées aux données obtenues dans l’étude de souris invalidées pour des gènes circadiens, permettent de démontrer le rôle de facteurs génétiques dans les rythmes circadiens. Une synthèse de ces données est présentée dans cette revue de la littérature. Audelà de la compréhension du fonctionnement de ces horloges biologiques, ces connaissances seront très utiles pour l’analyse des facteurs génétiques impliqués dans les entités morbides comprenant des anomalies des rythmes circadiens. Abstract In recent decades our knowledge of the molecular mechanisms of biological clocks has grown expontentially. This has helped to guide the choice of genes studied to explain inter-individual variations seen in circadian rhythms. In recent years analysis of circadian rhythms has advanced considerably into the study of pathological circadian rhythms in human beings. These findings, combined with those obtained from studying mice whose circadian genes have been rendered incapable, have revealed the role of genetic factors in circadian rhythms. This literature review presents an overview of these findings. Beyond our understanding of the functioning of these biological clocks, this knowledge will be extremely useful to analyse genetic factors involved in morbid conditions involving circadian rhythm abnormalities. Les rythmes physiologiques circadiens sont le témoin d’une adaptation de l’homme à son milieu. À ce titre, les mécanismes de ces rythmes résultent d’un héritage phylogénétique très ancien puisqu’on retrouve les traces de ces rythmes biologiques chez les invertébrés. Chez un individu donné, l’environnement joue un rôle important dans la mise en place des horloges biologiques au cours du développement, * Auteur correspondant. E-mail : [email protected] Conflits d’intérêts : none. © L’Encéphale, Paris, 2009. Tous droits réservés. et chez l’adulte (une fois ces horloges mises en place), les facteurs environnementaux jouent un rôle dans le maintien de la synchronisation sur une période de 24 h. On sait encore peu de chose sur le rôle des gènes dans la mise en place des rythmes circadiens au cours du développement mais le corpus de données qui démontrent le rôle de certains gènes dans les rythmes circadiens chez l’adulte est en S54 F. Bellivier plein développement. En effet, le rôle des différents acteurs moléculaire au niveau cellulaire, de ces horloges est de mieux en mieux connu. Ainsi les études animales, en particulier chez des souris invalidées pour des gènes circadiens, ont permis d’illustrer très clairement le rôle de certains gènes dans le fonctionnement de ces horloges moléculaires. Enfin, chez l’homme, des mutations de gènes circadiens ont été identifiées chez des sujets présentant un chronotype pathologique. Au total, les rythmes circadiens sont très biologiquement inscrits ; à ce titre, les gènes exercent un contrôle important sur le fonctionnement des rythmes circadiens. Dans cet article, nous passerons d’abord en revue les différents acteurs moléculaires des horloges circadiennes, afin d’illustrer les multiples sites possibles de régulation des rythmes circadiens. Nous décrirons ensuite les données obtenues chez l’animal puis chez l’homme, qui illustrent le rôle des gènes dans ces horloges circadiennes. Dans cette revue, nous entendrons par « rythmes circadiens », l’ensemble des processus physiologiques rythmiques ayant une période d’environ 24 h. L’horloge moléculaire des mammifères L’étude du fonctionnement moléculaire de ces horloges circadienne, fait apparaître l’intervention de nombreuses protéines impliquées dans des boucles régulatrices de l’expression de nombreux gènes faisant intervenir donc des transferts noyau → cytoplasme et cytoplasme → noyau. Ceci fait apparaître un nombre de lieux de régulations potentielles extrêmement importants : au niveau des protéines elles-mêmes, de leur site d’action, de la production d’ARN messagers, des sites de transfert des ARN messagers vers le cytoplasme, de leur traduction en protéine, des sites de transfert des protéines vers le noyau, etc. L’horloge repose sur deux gènes clés codant pour deux protéines essentielles (Bmal1 et Clock), qui, en se dimérisant, ont la capacité de fixer des séquences spécifiques d’ADN (E-box) et d’activer la transcription d’une grande variété de gènes. Parmi ces gènes, ceux codant pour les protéines Per et Cry, en rentrant dans le noyau, exercent un rétrocontrôle négatif sur l’action activatrice de la transcription du dimère Bmal1-Clock. Outre ce rétrocontrôle inhibiteur, il existe d’autres boucles de rétro-contrôle négatif, avec la fixation de récepteurs nucléaires. Cette horloge contrôle l’expression d’une grande variété d’autres gènes, dits « Clock Controlled Genes », dont les protéines effectrices ont de multiples fonctions centrales et périphériques ; l’horloge centrale génère ainsi des rythmes métaboliques dans nombreux domaines du cycle cellulaire, ainsi que dans le fonctionnement de nombreux organes périphériques (foie, cœur, muscle squelettique, os, tissu adipeux…) (Fig. 1). Le caractère rythmique de ces métabolismes, centraux et périphériques, est également illustré par la production rythmique d’ARN messagers de ces gènes circadiens, par exemple au niveau du système nerveux central, mais également au niveau périphérique. Il s’agit donc bien d’une oscillation métabolique centrale et périphérique. L’horloge biologique la mieux connue est celle des noyaux supra-chiasmatiques de l’hypothalamus. Il en existe toutefois de nombreuses autres, comme celles des noyaux para-ventriculaires, de la glande pinéale, du bulbe olfactif, et de divers organes périphériques. Feedback négatif Cycle cellulaire Per Apoptose Cry E-boxes Clock Controlled Genes Rev-Erba Bmal1 Angiogénèse RORE Clock Activation Metabolic rhythms Nucleus Cytoplasm Figure 1 L’horloge moléculaire des mammifères [6]. Expression de CCGs Biologie et génétique des rythmes circadiens S55 Cytoplasm Nucleus RORα REV-ERBβ RORα RRE Bmal1 BMAL1 REV-ERBβ CLOCK E-box Rorα E-box REV-erbα CK1 ε/δ De nombreux autres partenaires : HOMOLOGUES : NPAS2/BMAL2 RÉCÉPTEURS NUCLEAIRES REV-ERBα et REV-ERBβ TIMELESS DEC1 et DEC2 PERs BMAL1 E-box Per1/Per2 E-box Cry1/Cry2 CRYs CLOCK PER CRY CK1 ε/δ E-box BMAL1 Clock output/ Rhythmic Biological Processes Ccg CLOCK Takahashi, 2006 Figure 2 Horloge circadienne dans le SNC [17]. L’architecture globale de fonctionnement de cette horloge accorde un rôle central au noyau supra-chiasmatique, qui exerce son influence sur les horloges accessoires du SNC et sur les horloges périphériques, principalement en en assurant la régularité et de la synchronisation. Ces horloges sont également sous l’influence de facteurs environnementaux : la lumière, l’alimentation, la température. Ces stimuli jouent également un rôle dans la régularité et la synchronisation sur une phase de 24 heures. On dispose donc d’un schéma aujourd’hui admis du fonctionnement de l’horloge circadienne au sein du système nerveux central (Fig. 2). Les nouveaux acteurs de la régulation circadienne L’horloge circadienne telle que décrite dans le schéma précédent est très stable sur le plan phylogénétique, comme le montre le degré élevé d’homologie entre les gènes circadiens de l’homme et des vertébrés inférieurs. Il existe même des similitudes pour certains gènes avec ceux du nématode. Il apparaît donc peu probable que s’opèrent sur ces acteurs principaux de l’horloge des variations génétiques qui contribueraient à expliquer les variations phénotypiques des rythmes circadiens chez l’homme. En revanche, d’autres gènes, au rôle moins central, pourraient être des candidats à des variations génétiques contribuant à expliquer des variations du chronotype. Parmi ces autres gènes, les gènes homologues ont été bien étudiés durant les dernières années, par exemple le gène codant pour la protéine NPAS2 : il s’agit d’une protéine d’action similaire à Clock, capable également de dimériser avec la protéine Bmal1. La compétition qui s’opère entre NPAS2 et Clock pour dimériser avec Bmal1 pourrait être un premier site de régulation chronobiologique. Autre homologie intéressante : le complexe NPAS2Bmal1 subit le même rétrocontrôle négatif de son action par le dimère Per-Cry que le complexe Clock-Bmal1, mais ces rétrocontrôles pourraient différer légèrement, ce qui sous-tendrait des régulations ou des variations de fonctionnement de l’horloge. Un autre homologue est le Bmal2, capable également de dimériser avec Clock, les rétrocontrôles négatifs légèrement différents pour Clock-Bmal1 et Clock-Bmal2 pouvant également entrer en jeu dans les régulations de l’horloge biologique. Ces diverses redondances moléculaires (les homologues) joueraient un rôle dans les réglages fins de l’horloge, et pourraient également être impliquées dans les variations inter-tissulaires des fonctionnements de l’horloge. Par S56 exemple, NPAS2 n’est pas exprimé dans le noyau suprachiasmatique, Bmal2 ne l’est que très peu, alors que les deux sont exprimés largement au niveau périphérique. D’autres gènes candidats pour des variations génétiques contribuant à des modifications des phénotypes circadiens sont les récepteurs nucléaires, comme par exemple les gènes Rev-erb α et Rev-erb β. Ces deux récepteurs nucléaires sont principalement impliqués dans les fluctuations de l’expression de Bmal1, eux-mêmes sous la dépendance de l’activation du dimère Clock-Bmal1 : ceci jouerait un rôle important dans la synchronisation par la lumière. Le gène de la protéine Timeless est également un acteur probablement important, cette protéine régulant la réentrée du dimère Per-Cry dans le noyau, et pouvant être le siège de modifications de l’horloge en fonction de variations génétiques traductionnelles ou transcriptionnelles. DEC1 et DEC2 sont deux autres partenaires sans doute importants : ils subissent une expression rythmique dans le noyau suprachiasmatique et font donc partie, à ce titre, des gènes contrôlés par l’horloge. Les protéines DEC1 et DEC2 ont un effet de type Per-Cry, exerçant un rétrocontrôle de même type mais sans doute légèrement différent. D’autre part, elles peuvent dimériser avec Bmal1, réalisant des dimères qui n’ont pas cette action activatrice de la transcription, entrant donc en compétition avec la protéine Clock. Au total, la mécanique moléculaire de régulation de l’horloge biologique est donc extrêmement complexe, du fait du nombre d’acteurs qui peuvent être le siège de variations génétiques, mais également du fait des mécanismes mis en jeu : exportation des ARN-m du noyau vers le cytoplasme, demi-vie des ARN-m, ré-entrée des protéines dans le noyau pour exercer leurs actions moléculaires. Il en résulte un nombre très élevé de gènes-candidats pour la régulation des rythmes circadiens. Ces données sont détaillées dans un article de synthèse récent [3]. Une autre manière d’argumenter l’influence de la génétique sur les rythmes circadiens est d’envisager l’analyse des rythmes circadiens d’animaux invalidés pour certains de ces gènes (souris knock-out), domaine dans lequel il existe une littérature importante [17]. Analyse génétique d’anomalies circadiennes chez l’homme Trois grands syndromes de rythmes circadiens anormaux ont été étudiés chez l’homme d’un point de vue génétique : la matinalité/vespéralité, le syndrome de retard de phase et le syndrome d’avance de phase. La matinalité/vespéralité Il existe désormais des données consistantes concernant l’existence d’une association entre l’allèle C du polymorphisme T3111 du gène Clock et la vespéralité, avec deux études positives [8, 11], et une étude négative [14]. Dans la mesure où ce polymorphisme est non fonctionnel, si cette association existe, elle serait le reflet d’un déséquili- F. Bellivier bre de liaison entre ce polymorphisme et un variant fonctionnel aujourd’hui inconnu. Par ailleurs, une autre difficulté dans l’interprétation de cette association entre Clock et vespéralité est liée au fait qu’une étude a montré une association entre ce même polymorphisme et le syndrome de retard de phase. D’autres travaux ont mis en évidence une association avec le polymorphisme C111G du gène Per2 [2, 15]. Une association a également été mise en évidence avec un polymorphisme fonctionnel 647 Val/Gly du gène Per3 [1, 7], mais ce polymorphisme a également été retrouvé en association avec le syndrome de retard de phase. Enfin, le phénotype matinalité/vespéralité a également été étudié avec un polymorphisme de Per1 [9] et de Timeless [12]. Syndrome de retard de phase Une association a été mise en évidence entre le syndrome de retard de phase, qui est un syndrome familial, et le polymorphisme 647 Val/Gly du gène Per3 [4]. Ce résultat apparaît cohérent avec le phénotype de la souris KO pour ce gène [16]. On peut noter que ce changement d’acide aminé en position 647 modifie un site d’action de la caséine kinase 1 (CK1ε) inactivatrice de Per3. D’autres polymorphismes de ce gène Per3 ont été testés avec des résultats contradictoires [1, 4, 13]. Les polymorphismes du gène codant pour la caséine kinase CK1ε ont également fait l’objet de nombreuses études, avec une mutation non sens protectrice, associée à une activité enzymatique augmentée, potentialisant l’inactivation de Per3 qui conduit au retard de phase (deux études positives : in [10,18]). Cela amène plusieurs auteurs à conclure que la phosphorylation de Per3 par CK1ε jouerait un rôle important dans l’ajustement aux rythmes jour/nuit [5]. Syndrome d’avance de phase Le syndrome d’avance de phase est un autre phénotype circadien pathologique héritable. Il semble plus rare que le syndrome de retard de phase, et moins bien reconnu car moins invalidant sur le plan social. On retrouve dans ce syndrome un polymorphisme fonctionnel (mutation Ser662Gly) du gène Per2 [19]. Ce changement d’acide aminé en position 662 abolit un site de phosphorylation de Per2 par la CK1δ. Une mutation Tyr44Ala du gène de la caséine kinase CK1δ est associée à une activité enzymatique réduite [20], mais cette mutation produit des phénotypes inverses chez la souris et la drosophile. Ceci est à rapprocher du fait que la drosophile est active le jour alors que la souris est un animal nocturne. Ainsi, bien que les acteurs de l’horloge soient très conservés entre les espèces, leur contribution fonctionnelle peut donc varier d’une espèce à l’autre, probablement en fonction d’autres facteurs. La synthèse des données génétiques sur ces chronotypes pathologiques semble accorder une importance particulière Biologie et génétique des rythmes circadiens aux facteurs de régulation mettant en jeu les protéines Per ainsi que les protéines impliquées dans la phosphorylation de ces protéines, ce qui en ferait un mécanisme central des modifications des phénotypes circadiens. Conclusions Le fonctionnement de l’horloge est très biologiquement déterminé, ce qui n’exclut pas le rôle de certains facteurs environnementaux. La connaissance des facteurs qui la composent et qui influencent son fonctionnement sera déterminante pour mieux comprendre les grandes fonctions dans lesquelles les rythmes circadiens sont impliqués : régénération tissulaire, cycles veille/sommeil, métabolismes (os, graisse, rein, cœur, cycles hormonaux…), troubles de l’humeur. Les variations au sein des gènes circadiens (Clock genes et Clock controlled genes) sont susceptibles de jouer un rôle très important dans ces différentes grandes fonctions physiologiques. Les mécanismes biologiques de l’horloge sont très conservés au cours du développement des espèces. Ceci offre de nombreuses possibilités d’études animales et d’études in vitro des variations qui seront trouvées chez l’homme associées à des phénotypes d’intérêt. Mais ces variations porteront sans doute sur des gènes codant pour des protéines de régulations des protéines de l’horloge (par exemple CK1δ/ε) plutôt que sur les acteurs fondamentaux eux-mêmes. Références [1] Archer SN, Robilliard DL, Skene DJ et al. A length polymorphism in the circadian clock gene Per3 is linked to delayed sleep phase syndrome and extreme diurnal preference. Sleep 2003 ; 26 : 413–415. [2] Carpen JD, Archer SN, Skene DJ et al. 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