travaux en cours, n° 1, octobre 2004

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travaux en cours, n° 1, octobre 2004
travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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Edito
Sous un nouveau nom, les Travaux en cours reprennent la formule des Cahiers de Théorie
Littéraire. Dans ce premier numéro sont ainsi rassemblées comme précédemment les interventions
aux journées doctorales qui se sont tenues à Jussieu durant l’année écoulée. On trouvera donc, sous
une forme résumée, les arguments prononcés en 2003-2004 par les doctorants, post-doctorants et
enseignants (de Paris 7 ou d’ailleurs) qui ont participé aux séminaires de recherche des équipes
« Théorie de la Littérature et Sciences Humaines » et « Littérature au présent » dirigées
respectivement par Martin Rueff et Francis Marmande.
Les pages qui suivent présentent tout d’abord les abstracts de la journée doctorale sur
Blanchot, journée co-organisée par Christophe Bident le 7 novembre 2003. Suivent les exposés,
toujours dans leur version condensée, des journées doctorales co-organisées par Evelyne Grossman
les 6 et 7 mai 2004 sur Beckett et Artaud.
Ces Travaux en cours, qui paraîtront désormais à la rentrée, se veulent le reflet de la vitalité
et de la diversité des activités menées par les jeunes chercheurs. Ils entendent par là même
contribuer à la diffusion de leurs écrits au sein de la communauté universitaire. Diffusion qui, en
outre, s’augmente à présent d’une mise en ligne des textes dans leur intégralité sur le site revues.org
(partenaire de fabula.org) où l’on retrouvera ces Travaux en cours sous le sigle T.E.C.. Enfin, les
communications sur Blanchot sont également disponibles in extenso dans Maurice Blanchot
confronté, coll. « Compagnie de Maurice Blanchot », n° 2 (Complicités, Grignan, 2004) ainsi que
sur le site mauriceblanchot.net.
J.D.
Édition :
Université Paris 7 – Denis Diderot
U.F.R. S.T.D. (Sciences des Textes et Documents)
Ecole doctorale dirigée par Julia Kristeva
Équipes « Littérature au présent » et
« Théorie de la Littérature et Sciences Humaines »
2, place Jussieu
75005 Paris
Tél : 01 44 27 63 71 et 01 44 27 76 32
Rédaction :
Jonathan Degenève
21, rue de la Mare
75020 Paris
Tel : 01 46 36 82 12 et 06 60 73 90 74
Mail : [email protected]
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Journée
d’études doctorales sur
Maurice
Blanchot
(7 novembre 2003, salle 203, tour 54, 2ème étage, campus de Jussieu,
organisation : Christophe Bident et Jonathan Degenève)
Matin
10 h Emmanuelle Ravel (docteur, Université Américaine de Paris) sur Blanchot et Adorno
10h 30 Éric Hoppenot (professeur agrégé, chargé de cours à l’I.U.F.M. de Paris) : « L’interdit de
la représentation »
Pause
11h 30 Sylvain Santi (A.T.E.R., docteur, Université de Savoie) et Jonathan Degenève (A.R.M.,
doctorant, Paris 7) sur Après coup (Blanchot et Bataille)
12h 15 Arthur Cools (Assistant de recherche, Université d’Anvers) : « Blanchot – Lévinas : vers
une approche du différend ».
Après-midi
14h David Uhrig, (docteur, Paris 7) sur Aminadab
14h 30 Kai Gohara (doctorante, Paris 7) : « Qu’est-ce que Blanchot a vu ? ou le pied de Catherine
Lescault »
Pause
15h 30 Aïcha Liviana Messina (doctorante, Paris 7) sur l’ambiguïté
16h Thomas Regnier (journaliste littéraire) sur l’humour chez Blanchot
16h 30 Mathieu Bietlot (doctorant, Bruxelles) sur Blanchot et Hegel
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Journée doctorale sur Blanchot
co-organisée par Christophe Bident le 7 novembre 2003
De la dialectique négative chez Blanchot et Adorno
Emmanuelle Ravel
« Une œuvre où il y a des théories est comme
un objet sur lequel on laisse la marque du prix »
(Marcel Proust, Le Temps retrouvé, Gallimard, p. 179)
Lorsque l’on confronte création artistique moderne et acceptions blanchotiennes du langage,
un même écueil vient à signaler les limites de la représentation : l’impasse sémiotique révèle la fin
d’un système lisible, tant en peinture qu’en littérature, de même qu’un certain art visuel ou
littéraire, dénué de tout encodage linguistique, cherche parfois à nier le concept pour revenir à une
forme de présence sensible. Pour ne pas néantiser l’être de l’art, il semble que d’une même
attention, Blanchot et Adorno veillent à égarer le concept face à la praxis de l’œuvre, dans une
perspective anti-totalisante où une écriture paratactique obtient l’avènement figural.
« Dans le théorique, rappelle Lyotard, il y a le désir d’en finir avec la dissimulation : telle se
présente la solide et rassurante positivité du dit travail du concept » (Economie Libidinale, p.304).
Contre toute conceptualisation banalisante, les moments mimétiques sont restaurés dans la Théorie
esthétique d’Adorno, mais la tentative de la théorie critique de l’Après-guerre pour sauver le sujet
individuel refuse malgré tout de congédier en son entier le discours conceptuel. La démarche
adornienne de protéger l’opacité de l’œuvre pour en préserver le mimétisme, n’est peut-être pas
éloignée paradoxalement du souci de l’impersonnel chez Blanchot. La question commune serait
alors de savoir si l’on peut fonder une subjectivité autonome et critique, dans un espace littéraire où
les instances qui s’y déploient affleurent les limites de la conscience, et se déforment au gré des
métamorphoses de l’impensé. Le sujet et le concept se renvoient dos à dos.
Pour éviter que le concept ne soit au-dessus de l’art, sorte de produit de la réconciliation
hégélienne du sujet et de l’objet, Adorno affirme le décalage permanent entre les deux, pour attester
et non asserter la présence de l’indicible, trace de souffrance que l’objet porte, que la parole
ressasse.
Le non-avénement du discours, son non-lieu chez Blanchot, réévalue, pointe la dimension
esthétique comme cette énigme fondatrice, ou plutôt matrice de l’effondement. Le matérialisme
devient le passage obligé pour Adorno : là où le sujet est impensable sans l’objectivité qui est la
sienne – le quelque chose qui est visé par le concept de sujet – l’objectivité est potentiellement
pensable sans le sujet, bien que reconnaissable seulement par le sujet. Cette reconnaissance de la
trace de quelque chose qui n’est pas de la pensée au sein même de la pensée mène au matérialisme
au sens d’Adorno en ce que ce quelque chose renvoie à des impulsions corporelles, comme la
souffrance. Il faut mettre en œuvre ce primat de l’objet, la pensée philosophique devant avoir pour
projet de mettre à jour le contenu de vérité des œuvres d’art à partir de leur complexion sensible.
Sans diviser la pratique de l’art et celle de la vie, une Lebenspraxis dont parle Lukacs, il faut
admettre que Blanchot qui nous livre l’inconnu en palliatif au deuil de la métaphysique, légitime le
retour à l’apparence comme l’essence de l’œuvre d’art. L’apparence est ce moment mimétique,
mirage ou suspens de la conscience, immédiat qui dit que la différence est accomplie. C’est dire que
le mystère, alors intronisé selon René Char, signale son existence dans cette vertu d’apparence, fruit
de la dialectique de l’apparaître-disparaître. Souhaiter préserver l’apparence, c’est tolérer l’art
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comme simulacre, l’affranchir de la résorption dialectique du fond et de la forme, le rendre à
l’erreur et l’errance qui sapent toute réalisation. Cette apparence n’est pas à confondre avec l’œuvre
d’art illusionniste : c’est dans la réalité même, non dans l’œuvre d’art, qu’est logée l’illusion.
L’œuvre reste le réel même. Adorno reconnaît l’impasse d’un art autotélique, intransitif, et sa
nostalgie marquée est peut-être le signe post-moderne de la non puissance de la critique. Comme un
défi aux exégètes, Adorno assume une position de défense du bien-fondé de la méthode
immanente de la critique, où la théorie toute prête à se saborder et à disparaître, laisse enfin la place
à l’œuvre seule.
Comment peut-on alors parler d’esthétique si ce qui la convoie, la théorie, n’est plus tenable
dans une œuvre réfractaire à toute communication ? Cette même œuvre défend-elle encore
l’altérité ? L’on sait qu’il y a du tout autre chez Blanchot, c’est encore ce que le langage ne parvient
jamais à internaliser. Or c’est précisément dans ce écart que se tient l’esthétique, non-lieu où règne
l’image puisqu’en elle rien ne se fait, phénoménologie la plus pure comme la nomme Blanchot dans
L’Entretien Infini en citant Gaston Bachelard : « une phénoménologie sans phénomène » (p. 475).
Dans la poussée imageante où se dérobe le visible, sous la pression de l’invisible, l’esthétique
pointe, négativité qui installe le retour et permet enfin de prendre la mesure du temps. Le disjoint,
c’est de fait chez Blanchot l’ici et maintenant. Adorno exhume en lui la part de l’énigme. L’invu, le
sens caché, la vérité, sont des spectres qui hantent la sphère du négatif : « le beau est toujours
négatif » découvre Mallarmé. C’est en convenir que d’acquiescer à la présence de l’esthétique dans
les limbes de la dissimulation, mais une dissimulation toujours déjà là, une opacité primitive
dirions-nous que Adorno nous permet d’envisager sans la défaire. "Que l'art ne dit pas la réalité,
mais son ombre, qu'il est l'obscurcissement et l'épaississement par quoi quelque chose d'autre
s'annonce à nous sans se révéler," ces lignes de Blanchot (E I 435) en renforcent la conviction.
Emmanuelle Ravel est chargée de cours à l’Institut Britannique de Paris (University of
London). Elle a soutenu une thèse intitulée « Maurice Blanchot et l’art au XXème siècle : une
esthétique du désoeuvrement », thèse en cours de publication chez Rodopi. Parmi ses derniers
articles : « Blanchot et l’art : de la phénoménologie à l’esthétique », in Cahiers de Théorie
littéraire, n° 4, juin 2003, S.T.D., Paris 7 et « Malevitch et Blanchot: sur le silence de l’œuvre », in
Protée, automne 2000, Université du Québec.
Adresse électronique où la joindre :
[email protected]
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Maurice Blanchot et l’interdit de représentation, ou combattre les images
Eric Hoppenot
Maurice Blanchot, n’a pas seulement refusé toute représentation iconographique de luimême, son œuvre elle-même, l’évolution de la forme romanesque à celle des récits accuse cette
préoccupation. Ce dialogue contre les images, nous le montrons, a pu s’établir notamment via un
dialogue avec certains textes de Lévinas (en particulier « La réalité et son ombre »). Il s’agit pour
Blanchot de passer d’un monde en proie aux images (celui des romans) à celui de figures, ou pour
le dire plus radicalement, d’une image qui se retire d’elle-même, d’une image invisible (voir par
exemple la fin des derniers récits). Les derniers livres fragmentaires, brisés, nous donne l’illusion
qu’ils échappent à la ressemblance, à la figuration de l’Un ?
Eric Hoppenot, ancien étudiant de Paris 7, est agrégé de l’Université. Il dirige la collection
« Compagnie de Maurice Blanchot » (Complicités, Grignan) et, avec Parham Shahrjerdi, il a conçu
et réalisé le site mauriceblanchot.net.
Adresse électronique où le joindre :
[email protected]
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Bataille et Blanchot après coup
Sylvain Santi et Jonathan Degenève
Qui parle d’« après coup » présuppose un « coup » initial. Intitulant Après coup sa postface
au Dernier mot et à L’idylle, deux récits écrits respectivement en 1935 et en 1936 et republiés
ensemble chez Minuit en 1983 1, Blanchot nous donne donc à entendre qu’un texte est un coup et sa
réédition, accompagnée du commentaire de son auteur, un après coup. C’est là une première
lecture, la plus simple en fait, mais qui, à être suivie, nécessite un véritable travail de filage pour
lequel nous avons tenté de croiser nos aiguilles. Un travail de filage, ou de tissage, au sens où il
nous a semblé dès le début que quelque chose se tramait ici entre Blanchot et Bataille. Pour les
besoins de l’exposé nous laissons donc volontairement de côté ce qu’il faudrait dire des autres
amitiés fortes auxquelles on songe dans ces pages et en particulier celle avec Lévinas, cité à la fin.
Celle aussi avec Antelme auquel on ne peut pas ne pas penser quand est discutée la possibilité d’une
littérature après Auschwitz, possibilité qui, à sa manière, est aussi affaire de coup et d’après coup.
Mais c’est dire d’emblée qu’il n’y a pas un coup en amont de l’après coup, mais plusieurs, et c’est
par ce fil que nous reprendrons la trame de nos auteurs.
Après coup débute d’une étrange façon. Blanchot ouvre son texte avec un extrait de la
correspondance de Mallarmé et, sans autre forme de procès, fait suivre la citation d’une phrase
abrupte qui semble aussitôt la congédier : « J’ai écrit en tout autre sens : « Noli me legere » (p. 85).
De cette amorce, il ne sera plus question par la suite. Blanchot n’y reviendra pas, ne fût-ce même
pour expliciter l’écart qui existe entre son propos et celui du poète. A quoi bon cette ouverture, dès
lors ? A planter les premiers éléments d’un décor de théâtre, semble-t-il, quitte à les déplacer ou à
les enlever ensuite. Il s’agit donc de la réponse de Mallarmé à un « auteur inédit » qui avait sollicité
auprès de lui « un texte de présentation ou de soutien ». Le poète y affirme son horreur des préfaces
incompatibles selon lui avec un « vrai livre » qui « procède par le coup de foudre, comme la femme
avec l’amant et sans l’aide d’un tiers, ce mari… » (p. 85). La femme, l’amant et le mari trompé :
voilà la configuration auteur-texte-lecteur ramenée à un trio de vaudeville où l’exaltation livresque
ne tolère pas le pâle et inutile commentaire. Seul importe le coup de foudre qui relègue tous les
après coups au rang de vains bavardages : aucune pré-face ne doit gêner le face à face. Lire c’est
tomber sous le charme et rester sous le choc de ce que l’on a entre les mains. Et c’est bien ce qui
s’est passé pour Blanchot en 1941 quand Bataille lui fait passer sous le manteau un petit texte
foudroyant : « Je me rappelle ce récit : Madame Edwarda. Je fus sans doute l’un des premiers [le
premier ?] à le lire et à être persuadé aussitôt (bouleversé jusqu’au mutisme) par ce qu’une telle
œuvre (quelques pages seulement) avait d’unique, au-delà de toute littérature, et telle qu’elle ne
pouvait que refuser toute parole de commentaire » (pp. 89 et 90). Blanchot est l’amoureux transi par
ce qu’il vient de rencontrer, car il ne parle plus de lecture mais bel et bien de « rencontre » dans les
puissants « mots d’émotion » qu’il adresse alors à Bataille2. Rencontre avec « celle qui fut une nuit,
et pour toujours désormais, « Madame Edwarda » (p. 91). Nous ne sommes plus dans la littérature,
en effet, comme en témoignent les guillemets autour de ce nom, « Madame Edwarda », qui
s’opposent, dans le même paragraphe, au titre en italique, Madame Edwarda, comme une personne,
1
Après coup précédé par Le Ressassement éternel, Minuit, Paris, 1983. L’Idylle et le Dernier mot ont été
publiés une première fois dans deux revues différentes en 1947 avant d’être réunis dans un livre qui paraît chez Minuit
en 1951 : Le Ressassement éternel. Réédité en 1983, il est augmenté de la postface Après coup. Sauf indication
contraire, tous les numéros de page qui suivent renvoient à ce livre.
2
« J’échangeai avec Georges Bataille quelques mots d’émotion, non pas comme lorsqu’on parle à un auteur
d’un de ces livres qu’on admire, mais en cherchant à lui faire entendre qu’une pareille rencontre suffisait à ma vie,
comme de l’avoir écrite devait suffire à la sienne », Après coup, op. cit., p. 90.
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ou mieux, une actrice, s’opposerait au simple personnage de papier qu’elle incarne. Plus
précisément, Blanchot est resté bouche bée ce soir-là face à Madame Edwarda dans sa plus grande
nudité, c’est-à-dire sans appareil ni apparat critique et pas encore titularisée. « Madame Edwarda »
non lue, autrement dit, et peut-être pas même à lire dans la mesure où dans ce contexte des « pires
jours de l’occupation » ce livre « était destiné, clandestin à sombrer dans la ruine probable de
chacun de nous (auteur, lecteur) » (p. 90). Un livre à peine écrit, de plus, donc au plus près de cet
état de total dépouillement impliqué d’une part par l’écriture pensée comme intransitive ou nue, et,
d’autre part, par son sujet puisqu’en l’occurrence Edwarda est la prostituée de « l’exhibition
fiévreuse » (p. 91). Spectacle obscène, à entendre comme ce qui occupe si totalement le devant de
la scène qu’il en occulterait presque tout le reste. Pendant un instant plus rien d’autre ne compte, à
commencer par les périls réels qui menacent le spectateur sitôt sorti de la salle. Blanchot, et peutêtre lui seul, a ainsi vu cette femme aussi nue que possible c’est-à-dire jusqu’à l’impossible, ce
point où lire, écrire, regarder, c’est risquer sa propre vie.
Le coup de foudre est donc aussi un coup fatal parce que mortifère, et c’est ici que nous
quittons le drame bourgeois pour la tragédie. L’amour se vit en effet sur fond de mort. Demeure
néanmoins l’entrée en scène du tiers incommodant, soit Bataille en fâcheux mari. « Il me dit un
jour, à mon véritable effroi, qu’il souhaitait écrire une suite à Madame Edwarda et il me demanda
mon avis. Je ne pus que lui répondre aussitôt, et comme si un coup m’avait été porté : « C’est
impossible. Je vous en prie, n’y touchez pas » (p. 90). Non, il ne faut pas toucher à Madame
Edwarda et le noli me legere après l’intrigue de boulevard est d’abord, et conformément à son
intertexte christique, une interdiction de contact. Interdit prononcé par le texte lui-même dont
Blanchot se fait le porte parole dans cette pièce, à la façon d’une voix off ou, mieux, away : « « Tu
ne me liras pas ». « Je ne subsiste comme texte à lire que par la consumation qui t’a lentement retiré
l’être en l’écrivant » » (p. 85). De l’inutilité du commentaire affirmée par Mallarmé, Blanchot passe
donc à sa radicale impossibilité, laquelle se trouve liée à la disparition de l’écrivain qui n’existe pas
avant l’écrit et ne lui survit pas : « c’est la production qui produit le producteur », écrit-il, en
revenant au sens premier du verbe poiein (pp. 85 et 86). Existence dérisoire, dès lors, que celle de
l’homme de lettres que la littérature fait advenir pour l’évacuer aussitôt ; vie éphémère qui à peine
sortie du néant du « pas encore » est déjà vouée à celui du « ne plus » (p. 86). C’est à cause de
coup-là, celui que lui porte son propre produit sitôt fini, que celui qui écrit est bien plus acteur
qu’auteur : « […] ce personnage éphémère qui naît et meurt chaque soir pour s’être exagérément
donné à voir, tué par le spectacle qui le rend ostensible, c’est-à-dire sans rien qui lui soit propre ou
caché dans quelque intimité » (p. 86). Spectaculaire mise à nu parce qu’elle est une mise à mort, en
somme. La dramaturgie qu’elle implique, en en tous cas, Blanchot la retrouve, ou la recompose, la
même année qu’« Après coup » dans La Maladie de la mort de Duras. Même exposition du corps
féminin ; même dispositif injonctif quand le metteur en scène-lecteur, porteur d’une voix venue
d’un ailleurs biblique, dirige le comédien-auteur ; même amour, enfin, sur le « seul mode de la
perte » qui unit-désunit les amants entre un « pas encore » et un « déjà plus »3. Les amants, c’est-à3
L’exposition du corps féminin : « […] la nuit noire que découvre le vide vertigineux « des jambes écartées »
(ici, comment ne pas songer à Madame Edwarda ? » (La Communauté inavouable, Minuit, Paris, 1983, p. 70). Le
dispositif injonctif : « Tout est décidé [dans La Maladie de la mort] par un « Vous » initial, qui est plus qu’autoritaire
[car au dessus de l’autorité auctoriale, en un sens], qui interpelle et détermine ce qui arrivera ou pourrait arriver à celui
qui est tombé dans les rets d’un sort inexorable [sort tragique donc]. Par facilité on dira que c’est le « vous » du metteur
en scène donnant des indications à l’acteur qui doit faire surgir du néant la figure passagère qu’il incarnera [celle de
l’auteur]. Soit, mais il faut l’entendre alors comme le Metteur en scène suprême : « le Vous biblique qui vient d’en haut
et fixe prophétiquement les grands traits de l’intrigue dans laquelle nous avançons dans l’ignorance de ce qui nous est
prescrit. « Vous devez ne pas la connaître […] » (ibid., pp. 59 et 60). Francis Marmande et Christophe Bident ont bien
vu qu’ici Blanchot modifiait le récit durassien pour les nécessités de son argumentation en remplaçant le conditionnel
« vous devriez » par l’impératif « vous devez » (Cf. Christophe Bident, Maurice Blanchot. Partenaire invisible, Champ
Vallon, Seyssel, 1998, note 1, p. 553). L’amour enfin : « […] l’accomplissement de tout amour véritable qui serait de
se réaliser sur le seul mode de la perte, c’est-à-dire de se réaliser en perdant non pas ce qui vous a appartenu mais ce
qu’on jamais eu, car le « je » et « l’autre » ne vivent pas dans le même temps, ne sont jamais ensemble (en synchronie),
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dire tous ceux qui sont amants le temps d’une relation textuelle dont Blanchot ne nous dit pas autre
chose qu’elle est toujours un premier coup. Et un premier coup qui exclut et s’exclut de tout
mariage après coup.
C’est la dernière étape du raisonnement. Si le texte abolit le sujet écrivant, si l’œuvre
« engage l’opérateur dans l’équivalent d’un suicide » (p. 88), alors comment se retourner en
direction de ce qu’on vient de produire ? On ne peut pas revenir sur ce qui a été fait, en d’autres
termes, puisque ce faire nous a défait, à moins que ce retour nous y réexpose à nouveau et à chaque
représentation. Or, c’est de ce rôle-là que veut s’écarter Bataille avec sa suite à Madame Edwarda.
Et c’est le mauvais coup qu’il fait à Blanchot (p. 90). Après s’être dénudé il voudrait se rhabiller ou
rhabiller son héroïne sans quitter les planches. Mais le pire est évité. Madame Edwarda restera
intacte, sans robe de mariée, sans mari, sans enfant, l’idylle entre elle et Blanchot se poursuivra,
mais c’est Bataille qui aura le dernier mot avec sa préface. Coup de théâtre, donc.
Pour Blanchot, ce mouvement de retournement, cette tentation à laquelle on cède peut-être
inévitablement, est le propre d’un tragique qu’on peut à présent mieux définir. A l’appui, et par
ordre d’apparition de ceux qui qui ont du mal à disparaître, ou qui apparaissent en tant que
disparus au moment où ils se retournent vers l’œuvre qui leur commande pourtant de ne pas
regarder en arrière : Orphée, Mallarmé, Kafka, Bataille et, au titre de ces revenants… Blanchot luimême, bien sûr, dans l’Après coup que nous sommes en train de lire où il revient un peu moins de
cinquante ans après sur deux textes de jeunesse. Mais il faut ajouter Phèdre à cette liste, car c’est en
elle que retentissent tragiquement au moins trois coups : le coup de foudre, le coup fatal et le coup
de théâtre. Si elle n’est pas mentionnée explicitement ici, c’est à elle que Blanchot faisait référence
en 1956 et déjà pour parler de la problématique relation de son ami au « plus « beau » récit
contemporain »4, dans un article qui s’intitulait d’ailleurs « Pierre Angélique : Madame Edwarda »,
avant de devenir, dans Le Livre à venir, « Le récit et le scandale ». Première idée, que l’on retrouve
dans Après coup : le récit porte en lui un secret, secret qui lui donne sa tension interne mais, tout en
nous échappant, ce secret, le scandale ici, nous tient sous son pouvoir en nous fascinant, nous
responsabilisant, nous heurtant, etc. Face à cela, l’auteur (Bataille) n’est pas moins démuni, ou nu,
que le lecteur (Blanchot) de sorte que même dire que c’est beau, c’est en dire trop ou trop peu5.
Mais s’auto-préfacer sous un pseudonyme ? Cela revient à éclairer ce qui demeurera malgré tout
obscur à soi-même, réplique Blanchot à Bataille, de postface à préface. C’est la folie du jour dans
laquelle tout « écrivain tragique »6 sombre nécessairement. Avant Bataille et Blanchot, Racine
donc, qui, dans Phèdre, raconte aussi comment « la défense s’est toujours déjà laissée transgresser »
(p. 89). Tout commence par le coup de foudre entre Phèdre et Hippolyte, Blanchot et Edwarda,
foudroiement qui tient en un alexandrin bien connu : « Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ». Or, ce
coup de foudre sera fatal à Bataille-Thésée : on apprend sa mort dès la scène suivante chez Racine,
il succombe à peine Blanchot prend-t-il la parole en donnant voix au noli me legere. Mais, coup de
théâtre : Thésée et Bataille réapparaissent. Le créateur ne peut s’empêcher de sortir de l’ombre dans
laquelle sa création l’a pourtant plongé, et c’est la catastrophe que l’on sait. Mais sans cette
catastrophe – réapparaître, revenir, se relire, réécrire, se commenter – rien ne pourrait s’écrire.
Ecrire c’est donc « toujours déjà » enfreindre le noli me legere qui n’est plus dès lors qu’un « appel
courtois », qu’un « avertissement insolite » : « Veuillez ne pas… » (p. 89). On croirait même
recevoir une invitation sur le mode de la dénégation. Le tragique tient donc moins dans cet
irrépressible désir qui fait que l’on se retourne que dans le constat qu’on l’a toujours déjà fait pour
ne sauraient donc être contemporains, mais séparés (même unis) par un « pas encore » qui va de pair avec « un déjà
plus » » (ibid., p. 71).
4
Le Livre à venir, Gallimard, Paris, 1959, coll. « Folio-Essais », p. 260.
5
Trop : « Mais ce qui est beau ici, nous rend responsables de notre lecture d’une manière qui ne nous permet
pas de la rémunérer avec un tel jugement », Blanchot, « Le récit et le scandale », in Le Livre à venir, op. cit., p. 260.
Trop peu : « […] je pense d’abord à Madame Edwarda dont j’ai parlé jadis en l’appelant faiblement « le plus beau récit
de notre temps », Blanchot, « L’expérience-limite », in L’Entretien infini, Gallimard, Paris, 1969, p. 300.
6
Ibid., p. 262.
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écrire, ou pour chanter, si l’on se souvient du geste bien inspiré d’Orphée. Du fait de la temporalité
particulière induite par ce « toujours déjà », qui serait le temps du ressassement éternel, il nous faut
donc penser un après coup qui, en fait, précède le coup. Il nous faut penser aussi une gravité qui soit
légère, comme si la tragédie était à contrebalancer par le vaudeville, l’injonction par l’invite
déguisée. C’est en tous cas dans ce balancement que Blanchot cherche à maintenir sa réflexion.
Balancé qui est particulièrement clair dans le scénario qu’il propose lui-même dans « Le
récit et le scandale ». Bataille, c’est Phèdre qui doit fatalement s’ouvrir à sa confidente. Est-ce à
dire que Blanchot est Œnone ? A priori non, on verrait même dans sa réponse – « C’est impossible.
Je vous en prie. N’y touchez pas [à Hippolyte, à Edwarda] » – un anti Œnone. Mais c’est la réaction
à chaud. Le calme revenu, on s’aperçoit qu’il faut ce coup de théâtre, qu’il n’y aurait pas même de
théâtre sans coup car cet « excès », termine Blanchot, n’est « dépassement et scandale que – dans
les mots »7. Le tiret est capital. Il indique un moment de supens qui se résout en chute verbale car
on ne sort pas de l’espace littéraire. Espace tracé horizontalement avec ce tiret dans lequel on verra
le plateau de la scène que nous avons essayé de décrire depuis tout à l’heure où ce qui se dit, ce que
Bataille écrit dans sa préface, Blanchot dans sa postface, « ajout[e] quelque chose » mais « sans
manquer à la réserve » (p. 90). Pour dire autrement ce va-et-vient du balancier : un après coup, le
paratexte, qui ne retire rien au coup, le texte ; une scénographie, si l’on file la métaphore théâtrale,
qui ne prétend pas boucher les trous des dialogues ; une assomption « (indirect[e]) », une
perspective qui est en même temps « (non-perspective) » (pp. 91 et 100) – et Blanchot use ici des
parenthèses comme précédemment du tiret : des didascalies non directives ; un habillage, enfin, qui
laisse à découvert et à découvrir.
Sylvain Santi est A.T.E.R. à l’Université de Savoie. Il a soutenu une thèse intitulée
« Bataille et la question de la poésie », thèse en cours de publication chez Minard. Parmi ses
derniers articles : « La voix de la présence disparue », in La Bande sonore, Esquisse d’une théorie
de l’oralité dans la littérature et au cinéma, Aleph, Le Gour du loup, 2002 et « Georges Bataille et
la poésie à l’extrémité fuyante de soi-même », in Les Temps Modernes, n° 626, décembre
2003/janvier-février 2004.
Jonathan Degenève est A.T.E.R. à l’Université de Paris 7. Sous la direction d’Evelyne
Grossman, il prépare une thèse sur la fin du récit chez Blanchot, Beckett et des Forêts. Parmi ses
derniers articles : «Vibrato et sourdine de la voix blanchotienne », in Maurice Blanchot. Récits
critiques, Farrago, Tours, 2003 et « Le dernier mot ? Pas à pas jusqu’au dernier de Louis-René des
Forêts », in L’inactuel, n° 11, Impostures, Circé, Clamecy, 2004.
Adresses électroniques où les joindre :
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7
Ibid., p. 262.
9
travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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Vers une approche du différend entre Maurice Blanchot et Emmanuel Lévinas
Arthur Cools
Question
Pourquoi parler d’un différend entre Maurice Blanchot et Emmanuel Lévinas ? Il ne s’agit
pas de mettre en doute le rapport d’amitié qui s’est noué entre les deux auteurs depuis leurs années
d’études à Strasbourg. Il faut renverser la perspective : c’est grâce à leur amitié que le différend
apparaît comme ce qui nous concerne, c’est-à-dire comme ce qui appartient à la condition humaine.
Leur amitié a engagé une « parole » – aussi hétérogène soit-elle – qui témoigne du différend. C’est
peut-être cela qu’il faut affirmer pour tout rapport d’amitié : il se définit par la possiblité d’un
entretien qui n’ignore pas la condition du différend.
Contexte
Il ne suffit pas de parler de différences pour expliciter la condition du différend. Il ne s’agit
pas d’une étude historico-comparative de deux œuvres qui s’inscrivent différemment dans le XXe
siècle français. Pas de question non plus de rabattre le différend sur la distinction entre éthique et
esthétique : c’est justement la notion du différend qui nous invite à penser l’infondé de cette
distinction. C’est à Jean François Lyotard que nous devons la question qui pointe à partir du
différend. « A la différence d’un litige, un différend serait un cas de conflit entre deux parties (au
moins) qui ne pourrait pas être tranché équitablement faute d’une règle de jugement applicable aux
deux argumentations ». C’est lui en outre qui nous a rendu sensible à la radicale hétérogénéité du
langage : « Il n’y a pas de langage en général ». Et cela signifie en fait qu’il n’y a pas « un »
langage : non seulement d’un genre de discours à un autre, mais aussi d’une phrase à l’autre,
l’enchaînement est tel qu’il n’y a pas de règles données qui le déterminent. « Chaque phrase est en
principe l’enjeu d’un différend entre des genres de discours, quel que soit son régime. Ce différend
procède de la question : Comment l’enchaîner ? qui accompagne une phrase. Et cette question
procède du néant qui « sépare » cette phrase de la « suivante ». Il y a des différends parce que, ou
comme, il y a l’Ereignis » ».
Thèse
Le différend concerne donc l’événement du langage. C’est là où commence notre approche.
Car, pour Lévinas, le langage se produit comme discours tandis que, pour Blanchot, il faut passer
par l’écriture pour s’approcher de l’événement du langage. Ce qui transforme toutefois cette
différence d’approche en différend, c’est la question de la subjecitvité qui y est engagée tout
autrement. Elle est attestesté dans la philosophie de Lévinas par la présence d’une subjectivité qui
“réclame justice”. Dans le discours engagé par autrui, le langage s’impose de telle sorte qu’il exalte
la subjectivité. En revanche, dans l’expérience de l’écriture, le langage s’accomplit de telle sorte
qu’il efface, exténue la subjectivité. D’où la thèse à examiner et à développer : le différend entre
Blanchot et Lévinas se résume par le rapport entre langage et subjectivité.
Enjeu
Reposer la question de l’événement du langage dans le contexte phénoménologique que
partagent Blanchot et Lévinas. Expliciter de telle sorte comment le différend est à l’œuvre dans la
condition humaine. Montrer pourquoi il n’est pas possible – dans l’événement du langage –
d’évacuer la question de la subjectivitié ni de lui assigner une position délimitée une fois pour
toutes. C’est à ce niveau là que nous proposons de réexaminer les notions d’il y a, du corps,
10
travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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d’autrui, du temps, de la paternité et de la création. Creuser à partir de ces notions le non-dit qui
sépare l’écriture de Blanchot de celle de Lévinas.
Arthur Cools a fait des études de philosophie et de langues romanes à Anvers, Paris et
Louvain. Il est actuellement associé comme assistant de recherche au Département de Philosophie à
l'Université d'Anvers (Belgique). Il y est également membre du groupe de recherche Philosophie et
Littérature. Sa thèse de doctorat défendue à l'Institut Supérieur de Philosophie à l'Université
Catholique de Louvain s'intitule: « Langage et subjectivité. Vers une approche du différend entre
Maurice Blanchot et Emmanuel Lévinas ». Parmi ses derniers articles : « Littérature et
engagement » (disponible sur mauriceblanchot.net) et « Le rouge, la nuit. Le retour du féminin
comme source de l'écriture », in L’Œuvre du Féminin dans l'écriture de Maurice Blanchot, coll.
« Compagnie de Maurice Blanchot », n° 1, Complicités, Grignan, 2004
Adresse électronique où le joindre :
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travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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La dimension du subjonctif dans Aminadab de M. Blanchot
David Uhrig
En arrêtant notre attention sur un aspect strictement formel d’Aminadab, nous avons voulu
cerner un phénomène dont les implications débordent largement le strict cadre d’une étude
grammaticale. L’analyse que nous avons proposée de certains segments d’Aminadab n’a visé qu’à
montrer comment, en certains endroits très significatifs du texte, la « structure » du français est
tournée – chantournée – selon un projet poétique dont l’obsession est le temps. En tant que mode, le
subjonctif est seulement l’indice d’une attention toute particulière de l’auteur pour les différents
aspects de l’énonciation ; mais autour de ce point certes limité mais précis, les rôles se répartissent.
En effet, si le regard du protagoniste ouvre sur un temps décalé et dont le sens reste, in fine, à
déterminer, d’autres personnages tendent au contraire à nier, par le discours qu’ils incarnent, tout
caractère non résolu du temps.
Trivialement parlant, comment le subjonctif opère-t-il dans Aminadab ? Il se présente
comme une possibilité laissée au protagoniste de détacher, des représentations qui se présentent à
lui morcelées, les présupposés de leur association ; cela demande à Thomas un autre regard :
Ces dessins, sur la face qui donnait sur le corridor, étaient plutôt agréables. On ne les voyait pas tout de
suite, il fallait que le regard, cessant de vouloir lui-même découvrir quelque chose, attendît patiemment et
reçût presque de force les images qui se formaient. (p. 13)8
Dans un premier temps, le mode subjonctif, introduit par un « il fallait que » tout
impersonnel, évoque la disposition particulière vers laquelle le regard doit changer : d’une volonté
toute personnelle d’appropriation cognitive, il doit se mettre dans un état de réceptivité qui le rende
sensible à une forme de synthèse passive. Le subjonctif décrit une ressource qui écarte le sujet de
l’immédiateté du « tout de suite » et, dans l’intervalle d’une retenue, libère ce qui de l’acte persiste
à se dire de façon immanente (ce que le participe présent de « cessant » indique). La dynamique de
cette attente, qui laisse le sujet passif, n’en est pas moins effective puisque le sujet en reçoit
« presque de force les images qui se formaient ». Le subjonctif énonce donc une modalité de l’acte
qui, tout en s’écartant de la forme initiale des objets qui se constitue en « images », permet d’être
affecté par eux.
A l’opposé, pour assurer la véracité de son discours, le personnage Jérôme ne laisse
précisément pas à Thomas le temps de la réflexion… Il prend lui-même en main le temps de
l’action et l’énonce sous la forme d’un interdit : « Maintenant, ne quittez pas des yeux les deux
employés »9. La vision, comprise comme ce qui fixe la liberté du mouvement – oculaire en
l’occurrence –, est bien la pierre angulaire du pouvoir de Jérôme : l’autorité qui l’oriente s’accapare,
non seulement la vue de celui qui la reçoit, mais aussi la visée qu’elle suppose. Ce phénomène
d’hypnose montre que Jérôme n’assoit son pouvoir que sur la force. Il capte la visée et offre comme
vision la réalité qu’il choisit. Tout comme « l’homme » au début du roman, c’est un impératif –
doublé cette fois d’une interdiction – qui rend compte de son mode opératoire : la parole de Jérôme
prend la place de la réflexion de Thomas et le rapporte à une action qu’il ne peut plus choisir. Par
là, Jérôme tend à priver Thomas de la « partie future » de son présent, ce que G. Guillaume appelle
8
Toutes les citations d’Aminadab sont extraites de l’édition Gallimard, Paris, 1942.
Ces « deux employés » ne sont autres que Simon et le « vieil employé » qui « ne pensaient maintenant qu’à
examiner la salle, à en scruter certains détails, notamment les peintures du plafond qu’ils contemplaient longuement en
hochant la tête » (p. 131).
9
12
travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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aussi – très significativement par un futur proche – « l’instant qui va s’écouler »10. Resitué dans la
théorie guillaumienne du temps, il manque donc au présent de Thomas tel que le décrit Jérôme l’un
de ses « deux chronotypes constitutif »11 : à écouter Jérôme, il faudrait retenir, du présent de
Thomas, l’aspect que G. Guillaume désigne comme « réel et décadent » – ou encore celui qui « s’en
va » – et non celui qui « vient », « virtuel et incident »12.
Mais dans cette opération se perd évidemment tout ce qui permet à Thomas de se rapporter à
l’intrigue et de persister à être protagoniste. Ce tour de passe-passe prive de façon évidente Thomas
de la dimension la plus élémentaire de son inscription dans l’espace de la maison : la différence
entre sa vision et sa visée. Alors que ses longs silences rejouent le procès de la signification en
retardant l’affirmation du sens, Jérôme – au même titre que « l’homme » au début du roman –
cherche au contraire à en précipiter le terme. Entre eux, c’est toute la question de la séparation du
sens et de la représentation qui se trouve portée à son comble. Les incertitudes de Thomas, ses
hésitations et plus généralement cette façon de ne retenir que l’aspect incertain de ce qui se pose
devant lui, loin d’indiquer quelque infirmité d’ordre psychologique, constituent le ressort le plus
essentiel de sa psyché et en maintiennent les conditions formelles.
Ce bref examen de quelques extraits d’Aminadab nous a montré comment le mode
subjonctif se trouve lié à une notion d’image qu’avec Gustave Guillaume nous avons pu rapporter à
la problématique du temps. Ce que nous avons appelé « dimension subjonctive » se constitue d’une
incise modale qui, au cœur de la trame narrative, laisse la marque d’une exigence éthique : en effet,
si les injonctions de Jérôme n’ont pas prise sur Thomas, c’est que ses actes persistent à faire signe
vers une temporalité dont l’autre est la condition. « Qui est cet autre », pourrait-on demander, en
plagiant le dernier « qui êtes-vous » de Thomas, à la fin d’Aminadab ? Giorgio Agamben comparant
le temps opératif décrit par Gustave Guillaume au temps messianique nous semble donner un
élément de réponse :
Alors que notre représentation du temps chronologique, en tant que temps dans lequel nous sommes,
nous sépare de ce que nous sommes et nous transforme en spectateurs impuissants de nous-mêmes - des
spectateurs qui regardent sans temps le temps qui fuit et leur propre et infinie absence à eux-mêmes -, le temps
messianique au contraire, en tant que temps opératif dans lequel nous saisissons et achevons notre propre
représentation du temps, est le temps que nous sommes nous-mêmes ; pour cette raison, c’est le seul temps
réel, le seul temps que nous ayons. 13
David Uhrig est chargé de cours à l’Université de Paris 13. Il a soutenu une thèse à Paris 7
intitulée « L’image pas à pas : une lecture d’Aminadab de Maurice Blanchot » et il prépare à
présent un ouvrage sur Aminadab. Parmi ses derniers articles publiés ou à paraître : « Aminadab »,
in Magazine Littéraire, n° 424, octobre 2003, p. 48 et « Débuter la fin », in Textuel, Le début de la
fin, S.T.D., Paris 7, prévu pour septembre 2005. En outre, dans le cadre d’une table ronde organisée
par l’Université Américaine de Paris en 2003, il a donné une conférence : « Blanchot aujourd’hui :
les enjeux contemporains d’une écriture prenant l’image à défaut » (texte inédit).
Adresse électronique où le joindre :
[email protected]
10
« Chacun, du reste, perçoit a priori que le présent se recompose dans l’esprit pour partie de l’instant qui vient
de s’écouler et pour partie de l’instant qui va s’écouler » GUILLAUME, Gustave, Temps et verbe, Paris, Ed. Edouard
Champion, 1929, rééd. 1993, p. 51.
11
Idem, op. cit., p. 52.
12
Ibidem.
13
AGAMBEN, Giorgio, Le Temps qui reste. Un commentaire de l’Epître aux Romains, trad. Judith Revel,
Ed. Rivage poche, Paris, 2000, p. 120.
13
travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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« Il y a » de l’image ou le pied de Catherine Lescaut
Kai Gohara
Dans un texte dans lequel Blanchot parle d’une « scène » d’enfance, publié en 1976 sous le
titre d’ « Une scène primitive » et repris en 1980 dans L’écriture du désastre sous l’intertitre
d’ « (Une scène primitive ?) », on lit cette phrase : « le ciel, le même ciel, soudain ouvert, noir
absolument et vide absolument, révélant (comme par la vitre brisée) une telle absence que tout s’y
est depuis toujours et à jamais perdu, au point que s’y affirme et s’y dissipe le savoir vertigineux
que rien est ce qu’il y a, et d’abord rien au-delà »14. Une scène qui est apparue à l’infans, ce n’était
donc pas « il n’y a rien » mais « rien est ce qu’il y a ». Que signifie cette syntaxe étrange ? Pour
répondre à cette question, nous invoquons un texte apparemment très éloigné de celui de Blanchot :
Le chef-d’œuvre inconnu (1837) de Balzac, dans laquelle le Maître Frenhofer, à qui l’on vient de
dire que rien n’est là dans son « chef-d’œuvre » auquel il s’était dévoué pendant dix ans, répète
avec stupeur : « Rien, rien ! ».
Blanchot a commenté à plusieurs reprises cette nouvelle de Balzac, œuvre dans laquelle un
peintre, Frenhofer, est récompensé de la « recherche de l’absolu ». Cela n’a rien d’étonnant puisque
Blanchot est revenu sans cesse, à travers Gœthe, Virginia Woolf, Thomas Mann, comme s’il était
hanté lui-même par un démon, au sujet faustien du démon qui hante l’artiste pour le conduire
finalement à se perdre. De plus, Frenhofer est aussi « impatient » qu’Orphée présenté par Blanchot
dans « Le regard d’Orphée »15, comme l’a remarqué Georges Didi-Huberman16.
Nous examinons donc deux commentaires qu’on peut trouver dans « Le destin de l’œuvre »
(1950) et « De l’angoisse au langage » (1943).
Dans « Le destin de l’œuvre », on lit : « Il faut que cette œuvre disparaisse ; la disparition
est le moment nécessaire par lequel l’infini semble se réconcilier avec le fini, et cette disparition, si
l’artiste [...] n’accepte [...] qu’ “il n’y ait rien sur sa toile”, exige d’une manière ou d’une autre le
sacrifice de celui qui, un moment, a contemplé ce rien dans l’éternité d’une image illusoire »17. En
s’appuyant sur l’analyse de ce passage, on peut dire qu’il y a dans cette lecture déjà nettement l’idée
préparatoire de la lecture tardive d’Orphée. Cependant, dans cette lecture, un motif crucial – caché
– n’est pas poussé en avant. En vérité, dans le « chef-d’œuvre » dans lequel le peintre entrevoit le
« rien », il n’est pas tout à fait vrai qu’ « il n’y a rien ». Sept ans auparavant, Blanchot l’avait
signalé de façon remarquable.
Une phrase frappante clôt « De l’angoisse au langage »:
Le chef-d’œuvre inconnu laisse toujours voir dans un coin le bout d’un pied charmant, et ce pied
délicieux empêche l’œuvre d’être achevée, mais empêche aussi le peintre de dire, avec le plus grand
sentiment de repos, devant le néant de sa toile : « Rien, rien ! Enfin, il n’y a rien. »18
Cette lecture de Blanchot trahit l’interprétation ordinaire de la nouvelle dans les deux sens.
Premièrement, le « pied » qui apparaît dans un coin de la toile seulement quand les deux amis de
Frenhofer s’en sont approchés ne doit pas être ce qui « empêche l’œuvre d’être achevée », mais au
contraire ce qui sauve la toile de la « disparition ». De sorte que l’ « achèvement » d’après Blanchot
devrait être ce qu’on appelle normalement la « disparition ». Deuxièmement, dans la nouvelle, le
14
15
16
17
18
Maurice Blanchot, L’écriture du désastre, Gallimard, 1980, p. 117.
Blanchot, « Le regard d’Orphée » (1953) in L’espace littéraire, Gallimard, 1955.
Georges Didi-Huberman, La peinture incarnée, Minuit, 1985, pp. 68-69.
Blanchot, « Le destin de l’œuvre », L’Observateur, no 19, 17 août 1950, p. 19.
Blanchot, « De l’angoisse au langage » (1943) in Faux pas, Gallimard, 1943, p. 23.
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travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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peintre marmonne, de désespoir, « rien ». Pourtant, à la lire attentivement, il répète certes « rien,
rien », mais il ne déclare jamais : « il n’y a rien ».
L’ « achèvement » d’après Blanchot est un état dans lequel le peintre peut être persuadé
qu’ « il n’y a rien ». Car, à ce moment-là, l’œuvre est « achevée » dans le sens inverse du sens
ordinaire, c’est-à-dire qu’ « il n’y a pas ». Cela n’est pourtant pas la « disparition de l’œuvre » qui
serait, pour Blanchot, la condition d’être du « chef-d’œuvre », parce que l’ « œuvre » à disparaître
dans ce cas, c’est l’œuvre de la totalité stable, autrement dit, « achevée », et qu’il en va de même de
l’œuvre « achevée » dans le sens de « il n’y a rien ». Par conséquent, le « pied » se distinguant peu à
peu au coin du « chef-d’œuvre » empêche l’« achèvement de l’œuvre », et par cela entraîne la
« disparition de l’œuvre ». C’est ainsi qu’il rend le « chef-d’œuvre » ce qui est digne de ce nom, et
cela au-delà de l’intention de Frenhofer et des points de vue de ses deux amis.
Nous pouvons donc conclure ceci : pour la création du « chef-d’œuvre », il faut quelque chose
qui empêche l’état de « il n’y a rien ». Ce quelque chose est le fini qui demeure encore après que
« l’infini semble se réconcilier avec le fini ». Or, à notre avis, c’est ce quelque chose qui se détache
à la limite entre l’absence et la présence que Blanchot a appelé ailleurs l’« image ». S’il en est ainsi,
le « pied de Catherine Lescault » en est la figuration, autrement dit, la figure de l’ « image ». On
peut dire que tout « chef-d’œuvre » implique, fût-ce potentiellement, ce « pied », c’est-à-dire, qui
reste ou résiste malgré la disparition de l’œuvre. Le commentaire dans « Le destin de l’œuvre »
n’oublie pas non plus cette dimension. Car, le « rien » contemplé un moment mais qui n’est jamais
figé, c’est le « pied de Catherine Lescault » ainsi qu’Eurydice dans la nuit.
Ce « pied » serait une figure minimale qui empêche la figuration ou la représentation du
« tout » comme le type de l’identification, et en cela seulement rend possible le surgissement de
l’ « œuvre d’art » en tant qu’elle détourne la marche directe vers l’ « achèvement ».
Kai Gohara, doctorante à Paris 7, prépare une thèse sur « l'imaginaire minumum » chez
Blanchot, sous la direction de Christophe Bident. Parmi ses derniers articles : « “Figures” féminines
comme prosôpon dans Au moment voulu » in L’Œuvre du Féminin dans l'écriture de Maurice
Blanchot, coll. « Compagnie de Maurice Blanchot », n° 1, Complicités, Grigan, 2004.
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travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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C’est donc bien moi…
L’indiscrétion du Dernier homme
Aïcha Liviana Messina
Croyance que nous serions les signes brillants de l’écriture de feu,
écrite en tous, lisible seulement en moi, celui qui répond19.
D’une façon devenue, il me semble, anonyme et neutralisée, on parle (comme on entend
parler) de la « mort de l’auteur ». L’écriture ainsi n’aurait pas de « sujet ».
Un récit de Blanchot est pourtant transporté, comme la passion, il s’enflamme. Il est
transporté par une main, un toucher ; il se voue à l’effraction, et ainsi à la dédicace. Dans Le dernier
homme (1957), la vivacité de la flamme traverse la question de l’écriture conjointement à celle de la
lisibilité. Le récit se disperse et se condense au lieu d’une « invisibilité rayonnante » dans laquelle
l’écriture se matérialise et est rendue imminente. Dans ce récit, cette imminence est appelée – à la
lettre et comme interpellée, tutoyée – visage. La lisibilité d’une écriture – « les signes brillants d’une
écriture de feu » a trait au visage, à un visage que la main de l’écrivain recherche, dans l’imminence
et la vivacité, au lieu rayonnant d’une flamme. Le dernier homme ouvrirait ainsi la lecture à
l’expérience fulgurante d’un face à face.
Ainsi, ce livre au titre énigmatique mais non pas mystérieux20, Le dernier homme, porte-t-il,
au cœur de sa lisibilité, une indiscrétion. La lisibilité de la lettre se voue à la visibilité d’un visage ;
la main de l’écrivain qui traverse l’écriture comme l’invisibilité rayonnante de la flamme, se donne à
l’expérience d’un toucher, et ploie un visage. La dite « mort de l’auteur » s’essouffle au lieu d’une
passion, comme la dite « mort de dieu » ouvre à la béance d’un visage. La matérialité de l’écriture
surgit de l’anonymat du neutre et l’enfreint. Vouée au visage, l’écriture est dédiée. Dévisagé, le livre
s’ouvre au foyer de sa lisibilité comme de sa visibilité. En ce sens la « mort de l’auteur » est une
formule trop uniforme. Celle-là même se détourne d’être à jamais elle-même ; du sein de son aporie
(de son détour), l’écriture a le tranchant de l’ambiguïté : l’effacement se voue au tutoiement tandis
que la blancheur d’un dédire a la prégnance d’une dédicace. Ainsi, c’est vouée à la dédicace que
nous pouvons également parlé d’une « écriture hors langage ». Ce que Blanchot a ainsi désigné dans
L’entretien infini, dans des pages qui confinent l’écriture au cri, est la métamorphose du langage en
visage de la littérature. L’effacement est la béance d’une « bouche ouverte dans le sable »21 ; le livre
parle au nom de celui que Blanchot appelle « la bête mentale »22.
*
« Lisible seulement en moi », la visibilité du livre – écrit en lettres de feu – appellerait la
« bête mentale » comme le foyer fulgurant de son écriture. Le visage du Dernier homme, au seuil
19
Maurice Blanchot, Le dernier homme, p.129-130. Je souligne.
L’énigme fait face, le mystère transcende.
21
Le dernier homme, p.29.
22
Or, cette « bête mentale » il est remarquable que Blanchot, à deux reprises, en efface le nom : celui d’Antonin
Artaud. Cette indication précieuse m’a tout d’abord été apportée par Christophe Bident qui a remarqué que Le dernier
homme contient des morceaux disséminés de la première partie d’un article que Blanchot dédie à Artaud. Lorsque ce
même article est repris dans Le livre à venir sous le titre « Artaud », cette première partie écrite à la troisième personne
du singulier et qui ne fait pas nominalement référence à Artaud disparaît. De plus, la dernière page de l’article de
L’entretien infini « L’écriture, l’athéisme, l’humanisme et le cri » qui en appelle à la « bête mentale » contient une
citation (visible par l’utilisation de l’italique et l’emploi des guillemets) dont Blanchot ne spécifie pas l’auteur. Cette
phrase, citée de mémoire par Blanchot, avait été adressée par Antonin Artaud à André Breton dans des lettres qui se
répétaient, à l’identique.
20
16
travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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d’un face à face et selon la vivacité d’une flamme, apparaît comme la « question la plus profonde » :
« est-ce moi qui serait pour moi le terrible ?»23 , laissant ainsi le pas à celui qui, dans l’injonction
dangereuse de « brûler les livres », s’est voué à « ne pas laisser passer la littérature »24. Ainsi, avec le
Dernier homme, le pas comme le cri pourraient-ils être laissé au plus terrible dont l’écriture cherche
à dévisager le nom de dieu. Ainsi, loin de sourdre dans l’anonymat, la « mort de l’auteur » serait
encore enjointe à comparaître, au face à face comme au Tête à Tête.
Aïcha Liviana Messina est doctorante en philosophie à l’Université Marc Bloch à
Strasbourg et poursuit également ses recherches en collaboration avec la faculté de Messine en
Italie. Elle a dirigé un séminaire de philosophie au Chili à l’Université Raul Silva Henriquez. Ses
travaux ont été publiés dans les revues Idées (« Correspondance : Aristote et Artaud », Paris, 2002),
Vacarmes (« Notes de pose », Paris, 2003), Action poétique (« Instruction aux auteurs », Paris,
2004), Vértebra (« Une leçon d’anatomie », Chili, 2003), Revista de filosofía (« Desde un Saludo a
la Filosofia », Chili, 2003). D’autres textes ou traductions de textes sont en cours de publication
dans les Annales de la philosophie (Beyrouth), L’Animal (Metz) et Lignes (Paris).
Adresse électronique où la joindre :
[email protected]
23
24
Le dernier homme, p.143.
Antonin Artaud, respectivement Le théâtre et son double ; Le pèse-nerf.
17
travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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Blanchot et Hegel : l’impossibilité d’en finir
Mathieu Bietlot
Avant même d’en venir à notre fin, d’emblée nous sommes pris par l’impossibilité de
commencer… Se rendant elle-même impossible, l’impossibilité n’est rien d’autre que sa circularité
réflexive. Aussi n’y a-t-il pas à sortir du cercle pour le cerner, il suffit juste de la pénétrer, au cœur,
et de s’y maintenir. L’impossibilité que nous nous sommes assignée : lire l’œuvre de Blanchot –
dispersée, fragmentée et dissimulatrice – à la lumière ou dans l’ombre de la philosophie hégélienne
– totalisante, transparente et maîtrisante. Si Blanchot ne reprend le discours hégélien que pour se le
réapproprier, c’est-à-dire le radicaliser et le subvertir au point de le retourner contre lui-même, une
compréhension plus fine de la pensée de Hegel nous le découvre, en retour, au plus près de
Blanchot lorsque celui-ci croit s’en être écarté le plus radicalement.
Partir de la question de l’histoire et de sa fin nous permettra ici, d’indiquer à la fois, trop
brièvement, l’ambiguë continuité de la continuité et de la discontinuité entre la philosophie
hégélienne et l’œuvre de Maurice Blanchot, et, plus généralement, la manière dont on peut encore
lire Hegel aujourd’hui, deux siècle après 1807.
S’interrogeant sur la naissance ou le destin de l’art, Blanchot ressasse, de récits en essais
critiques, que l’œuvre n’est que perpétuel recommencement qu’aucun commencement originel ne
précède, tout comme elle est sans fin, interminable détresse persévérante du désoeuvrement. Au
sein du très mauvais infini littéraire ou de la téléologie négative de Blanchot, écrire réside dans cette
immersion au fond sans fond de l’absence de temps. Ecrire, mourir : l’impossibilité d’en finir…
Nous voilà bien loin de l’optimisme des Leçons sur la Philosophie de l’Histoire ou de La
Phénoménologie de l’Esprit, dans lesquelles nous apprenions que l’Esprit se manifeste et s’enrichit
nécessairement dans le temps. C’est à travers la médiation de l’histoire, que l’Esprit se développe,
prend progressivement conscience de lui-même dans une progression par erreurs, renversements et
synthèses où chaque étape est intériorisée jusqu’à aboutir au savoir absolu où l’Esprit conscient de
lui-même dans son histoire est revenu en lui à travers elle.
En affirmant que l’Esprit se développe dans le temps, Hegel précisait, « aussi longtemps
qu’il ne saisit pas son concept pur, c’est à dire n’élimine pas le temps »25. Une fois atteint le savoir
absolu, plus aucune progression n’est nécessaire et nous pénétrons, ici aussi, dans l’absence de
temps, autrement dit, dans l’espace littéraire. Lorsque sonne le glas de l’histoire de l’aliénation et de
l’erreur, commence alors la vraie Histoire, celle de la liberté et de la réconciliation, celle qui n’est
plus histoire au sens périmé du terme puisqu’il n’y a plus rien à conquérir. Tout a abouti à un
universel qui n’est plus universel puisqu’il ne s’oppose plus au singulier. Finis les luttes, les
moments, les dépassements... règne alors l’immanence de l’indéterminé, du ressassement, du
Dehors – l’universel réalisé se confondant avec l’impersonnalité généralisée. Règne en fait – en fête
– l’éternel retour du même. Tout ce qui aspirait à échapper au processus dialectique adviendrait
ainsi à sa propre expiration.
A la réflexion, le cycle du retour ne pourrait succéder à un développement progressif et le
devenir de l’esprit relève plus d’un mouvement circulaire que d’une pente ascendante. Si le Savoir
Absolu achève le savoir fini, ce n’est pas au sens de son apothéose, mais en tant que sa mise à
mort : « l’accomplissement de la fin infinie ne consiste qu’à supprimer l’illusion qui nous porte à
croire qu’elle n’est pas encore accomplie. »26 Le terme n’est, en réalité, que le commencement ou,
plus exactement, le recommencement sans fin. Le Savoir Absolu ne marque pas la fin du savoir
mais un nouveau mode de penser qui va nous permettre de recommencer à savoir et ce de manière
25
26
Hegel G.W.F. La Phénoménologie de l’Esprit, tome II, p. 305
Hegel G.W.F. System, §212, Zus., VIII, 422
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travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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inévitablement circulaire ou répétitive. A l’instar de la littérature, sans fin, l’histoire et le savoir sont
également sans commencement. Hegel entame la plupart de ses livres par des faux départs afin de
montrer qu’il n’y a pas de commencement possible pour la pensée qui jamais ne s’exilera de sa
réflexivité.
Entre Blanchot et Hegel, il reste cependant un irréductible point de rupture. Ce qui fait la
différence n’est autre que l’oubli. Alors que le mouvement circulaire de la dialectique est
grossissant, conservant ce qu’il dépasse selon un processus cumulatif de répétitions chargées de
différenciations créatrices, l’éternel retour nietzschéen et le ressassement blanchotien suppriment et
oublient ce qu’ils répètent. Si écrire signifie, dès le début et à chaque nouvelle page, réécrire, c’est
que tout ce qui s’écrit, simultanément s’efface. Dans l’éternel retour, rien ne revient au même si ce
n’est le retour lui-même. « C’était la même parole revenant vers elle-même, pourtant pas tout à fait
la même, il s’en rendait compte ; il y avait une différence qui était peut-être dans ce retour et lui
aurait beaucoup appris s’il avait été capable de la reconnaître»27. L’étrangeté à soi-même de ce qui
revient éternellement, émane de la temporalité sans présent du retour qui est aussi celle de
l’écriture. En lieu et place du présent, nous ne trouvons que l’oubli qui disjoint hier et demain, qui
supprime ou masque leur similitude. L’oubli, rupture entre l’avenir et le passé qu’il répète ; rupture,
en outre, entre Blanchot et Hegel qu’il répète.
Malgré ce différend au sujet de l’oubli et de l’intériorisation du souvenir, Hegel et Blanchot
aboutissent chacun à un cercle et leur réunion forme peut-être le cercle des cercles... Dès que nous
creusons une question, nous ne pouvons plus ni nous en sortir, ni nous arrêter ; plus nous nous
enfoncerons, plus nous devinerons qu’il n’existe point de fond, que la réflexivité infinie, l’absolue
immanence à soi, la circularité aussi vicieuse que féconde sont les seuls mouvements, aussi bien
que l’origine et la destination de la pensée… et de ce propos.
Après une maîtrise sur Blanchot et Hegel, Mahieu Bietlot prépare maintenant à l’Université
Libre de Bruxelles une thèse sur les politiques d’enfermement et d’éloignement des étrangers
indésirables. Parmi ses derniers articles : « Freud, un projet de Sartre » in Ecrits posthumes de
Sartre (II), Vrin, Paris, 2001 et « La force de dire non : quelques petits pas pour l’humanité » in
Agenda interculturel, Bruxelles, CBAI, n° 224, juin 2004.
Adresse électronique où le joindre :
[email protected]
27
Blanchot Maurice, L’attente l’oubli, p. 30
19
travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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De Zarader à Blanchot
Thomas Regnier
Deux ans à peine séparent le moment présent du temps où, dans la foulée de l’écriture et de
la soutenance de mon DEA, je lisais les pages denses, et cependant décevantes, de l’essai de
Marlène Zarader consacré à Blanchot : L’Être et le neutre. À partir de Maurice Blanchot (Verdier,
2000). Quelques remarques préliminaires sur le titre de l’ouvrage, plus précisément sur son soustitre. Il est bien écrit : « à partir » de Maurice Blanchot. Il s’agirait, par conséquent, dans le corps de
l’essai, de réfléchir sur tout ce que l’œuvre de Blanchot donnerait à penser sur ces deux termes –
l’être, le neutre – et sur leur éventuel antagonisme. L’être : l’objet de prédilection de la philosophie
(à quoi la philosophie réfléchit-elle sinon à l’être ?) ; le neutre : ce qui, appelé aussi principe de
contradiction, inquiète, remet en question la fameuse tautologie (l’être est, le non-être n’est pas).
D’un côté la philosophie, le logos, le clarté du concept ; de l’autre la littérature, le hors-concept,
l’« obscurité » de ce que Blanchot appelle « la parole d’écriture ».
Est-ce qu’au cours de son essai, Marlène Zarader part véritablement de Blanchot ? A
l’évidence, non. La philosophe s’y livre à ce qu’elle nomme des « débats » : Blanchot vs Hegel,
Blanchot vs Husserl, Blanchot vs Heidegger. Confrontations, à chaque fois, productrices de sens :
on y voit la philosophie apporter la contradiction à la pensée de ce qui, appelé chez Blanchot
« nuit », « dehors », « désastre », etc., a trait à l’expérience-limite. « Face à la nuit, que peut la
pensée ? », s’interroge Marlène Zarader, qui s’empresse de répondre : rien, elle ne peut rien. Plus
exactement : il ne saurait être, par définition, qu’elle puisse quelque chose. Ce que l’essayiste
récuse, c’est, en définitive, l’existence d’une expérience-limite qui ne soit pas de l’ordre du
fantasme littéraire ou des sophismes du langage. Là où Blanchot – dans L’Entretien infini avec
Derrida, mais déjà, par exemple, dans « Le Paradoxe d’Aytré »28 du recueil de Faux Pas – dit : il
n’y a d’expérience véritable que de la limite, de cette limite qui met en question la possibilité même
d’une expérience, ou encore : il n’y a, authentiquement, ou essentiellement, d’expérience que
lorsque celle-ci se voit radicalement contestée dans la possibilité de son expression, pour ainsi dire
interdite d’une expression qui en donnerait la mesure, la ramènerait à la commune mesure d’un
langage familier et partageable ; Marlène Zarader, d’accord en cela avec le discours philosophique
majoritaire, dit au contraire ceci : il y a, en théorie, possible expérience de tout sauf de la limite. Ce
qui revient à dire : l’expérience-limite est un leurre. Le principe de contradiction, à travers
l’expression d’« expérience-limite », ne serait plus, par conséquent, qu’une simple contradiction
dans les termes.
Résumons. Dans L’être et le neutre. À partir de Maurice Blanchot, il ne s’agit pas, partant
de Blanchot, d’expliciter son « expérience » ou sa « position » en termes philosophiques. Il s’agit
plutôt, à partir de la philosophie, de lui faire entendre raison. En d’autres termes, à peine différents :
avec Marlène Zarader, c’est la raison philosophique qui met à la question le discours de Blanchot
sur l’expérience-limite. L’existence de cette dernière est récusée ici par principe, et à travers elle, la
pensée de celui est censé la « porter », voire l’incarner, celui qui serait son témoin par excellence,
Maurice Blanchot. D’emblée, l’essayiste adresse une fin de non recevoir à la question posée par
l’œuvre de l’écrivain. Son examen, dans le cours de l’ouvrage, ne fera que confirmer à la lettre ce
qui, en définitive, a les apparences d’une opposition de principe entre la démarche philosophique et
l’approche littéraire quant à la question du Rien, du Mal, de la Mort, etc.
28
Il n’y a d’expérience, au sens où l’entend Blanchot, qu’à partir d’un recul des mots devant la réel :
l’expérience est l’épreuve même de ce recul, de ce qu’on pourrait appeler la dérobade du langage dans sa possibilité.
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travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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Que conclure de ce type d’interprétation ? On pourrait souligner, dans un premier temps, le
fait que l’essayiste ne tienne pas compte, pas assez en tout cas, du fait que Blanchot est moins un
philosophe qu’un écrivain, un écrivain qui, en dehors de ses récits de fiction, dans la partie critique
de son œuvre, parle, le plus souvent, d’autres écrivains, quand bien même il y aurait, dans le même
temps, un apport intellectuel indéniable de la philosophie. Jusqu’où la représentation de Blanchot
comme témoin par excellence de l’expérience-limite (ce que pose Marlène Zarader au début de son
ouvrage) est-elle vraie ? Et à partir de quel point tend-elle à masquer cet autre aspect : que les
écrivains dont parle Blanchot – Kafka, Mallarmé, Artaud, etc. – n’ont, pas moins que lui, « porté »
cette question ? Aujourd’hui cependant, je suis tenté d’aller plus loin, à peine plus loin peut-être.
L’auteur de L’Être et le neutre fait comme si Blanchot était philosophe, comme si son œuvre était
envisageable sous un angle exclusivement philosophique. Ce faisant, elle pense le rapport entre
philosophie et littérature en termes d’antagonisme. Point de vue, à mon sens, critiquable. Tout
l’effort de Blanchot et des auteurs qu’il commente consistant à critiquer, à mettre en question
l’opposition entre un « langage poétique » et un « langage de pensée ». Le refus d’établir une
frontière, quelle qu’elle soit, entre fiction et critique, poésie et analyse, est le meilleur garant contre
deux tentations, l’esthétisme d’un côté (le « petit plaisir esthétique » qu’évoque Blanchot dans
L’Espace littéraire, pour en distinguer fermement la poétique romantique), de l’autre, un langage
qui serait pure rationalité, c’est-à-dire pur jeu dialectique. Blanchot n’a jamais cessé de l’évoquer :
l’espace d’échange de ces deux langages, réconciliés jusque dans leur incommensurabilité, leur
inégalité l’un à l’autre, convergents dans leur divergence en quelque sorte, espace auquel il donne le
nom d’écriture.
Titulaire d’un D.E.A. de lettres modernes sur les liens de Blanchot avec la philosophie de
Heidegger (« Penser, écrire. Maurice Blanchot aux confins de la philosophie »), Thomas Regnier
collabore aux pages culturelles du Nouvel Observateur. Il est également journaliste au Magazine
littéraire, à La Nouvelle Revue française, à La Revue des deux mondes et à L’Histoire.
Adresse électronique où le joindre :
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A l’instant
Benoît Vincent
Les mots se pressent à l’instant, et pourtant il faut le dire : Maurice
Blanchot est mort.
Comment le croire ?
La peine se rassérène à la lueur du sursis qui nous vient. Plus
loin que des mots, un souci nous guette.
L’échéance…
A l’instant, tout vacille ; à l’instant où tout se dérobe.
A l’instant où ce qui n’adviendra pas est déjà révolu.
La mort est si fragile face à l’instant qui passe. On dirait que
l’instant oblitère toute chose, mort compris, et qu’au bout du
compte chancelle tout ce qui est brut, silencieux, éphémère.
Des feuilles ensevelissent tout le marbre
C’est l’instance qui parle. Je vais vous révéler un secret. « Ô
mes amis, il n’y a nul ami », il n’y a que l’amitié, qui survit à
l’instant, pour l’instant. Pour tout instant.
Fragilité ouvragée.
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travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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On ne peut croire à ce qui est gravé. Les images
photographiques, les bandes magnétiques, le papier machine, tout
le pariétal.
Seules demeurent les traces et les bribes, écailles éphémères
et mensongères, et ce souvenir est intangible,
il
accompagne à jamais.
A jamais à l’instant.
Sordide aventure, le demeuré dans un château, un roi sans
jambes.
Les mots se pressent à l’instant et pourtant il faut le taire.
Une parole d’oracle, un visage enfoui, un vacillement.
Amère et souriante.
Le séisme d’un livre
ton regard singulier
Jour après jour, instant après instant, le secret se transmet, il
passe de main en main, il passe de bouche à oreille ; ainsi voyage
la mort comme les cailloux. Se transmet un dict bouleversant.
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travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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Nous les héritiers.
Ton regard singulier transperce mon reflet cristallin.
Nous les héritiers d’un mot très doux, d’un mot très simple et
humble, qui vibre, qui résonne gravement, dont les échos se
répercutent avec un fracas grandissant.
La parole, non, qui ébrèche la nuit, qui y imprime une ombre.
Nous les héritiers d’une promesse sensible.
Le poète noue, car il creuse perpétuellement, éraille le dehors.
Nous habitons le tremblement commun.
Les mots se pressent il meurt à l’instant. Séisme, antidote. Le
gage d’une rencontre imminente, le gage. Ce sursis qui nous échoit.
Une semonce.
A l’instant il veille.
24
travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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Nous les héritiers d’un secret si lourd, à charrier humblement.
L’attention face à la prolifération. La fièvre contre la maladie.
« Notre tristesse est grande mais elle nous effare moins que l'aplomb d’une œuvre renouée,
d’une responsabilité camouflée. Marche alors le flot sans visage du commun. »
Ancien doctorant, Benoît Vincent a abandonné sa thèse et se consacre entre autres à
l’écriture. La lecture et l’écriture de Maurice Blanchot l’ont toujours fasciné. A la mort de ce
dernier, il écrivit ce texte, A l’instant, lu peu après par Christophe Bident lors de cette journée
doctorale. Ce texte n’est pour l’instant pas recueilli. Il s’inscrit néanmoins dans un ensemble plus
vaste, While speaking, toujours en chantier. Parmi ses dernières publications : « Blanchot la
femme » in L’Œuvre du Féminin dans l'écriture de Maurice Blanchot, coll. « Compagnie de
Maurice Blanchot », n° 1, Complicités, Grignan, 2004. On peut également le lire sur L’éhorée :
http://perso.wanadoo.fr/erohee.
Adresse électronique où le joindre :
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travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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Université Paris 7 – Denis Diderot
U.F.R. « Sciences des Textes et Documents »
Équipe « Théorie de la littérature et sciences humaines »
Journée d’études doctorales organisée par
Evelyne Grossman et Jonathan Degenève
Jeudi 6 mai, salle 203
(tour 54, 2ème étage)
Samuel
Beckett
Matin
10 h Lorraine-Soëli Heymes (Paris 7) : « La question de l'irreprésentable et la transcription des
troubles de l'image narcissique dans Quad et autres pièces pour la télévision »
10 h 30 Véronique Védrenne (Paris 7) : « La question du regard »
Après-midi
14 h Jonathan Degenève (Paris 7) : « Du pan au plan : les premières images de Film »
14 h 30 Chiara Montini (Paris 8) : « Bilinguisme et traduction : Textes pour rien »
15 h Thierry Guérin (Bordeaux 3) : « Le dernier péché contre l'échec de la parole : l'hypothèse
d'une incantation dans Compagnie, Mal vu mal dit, Worstward Ho de Samuel Beckett »
26
travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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Journée doctorale sur Beckett
co-organisée par Evelyne Grossman le 6 mai 2004
La question de l’irreprésentable et la transcription des troubles narcissiques
dans Quad et autres pièces pour la télévision
Lorraine-Soëli Heymes
Quad, Trio du fantôme, …que nuages…, Nacht und Träume,…Dans ces quatre textes réunis
au sein du recueil Quad et autres pièces pour la télévision ; la structure textuelle participe de cet
irreprésentable si présent à la théâtralité beckettienne. Autour de la question de la faille narcissique
qui vient s’inscrire dans la plasticité même de ces textes, émergent deux problématiques :
l’affaissement identitaire et l’ambivalence de l’image féminine.
C’est le premier texte du recueil, Quad, qui vient poser la question de la structure. Deleuze
parle de ce texte comme d’une « ritournelle essentiellement motrice », dans laquelle il s’agit
« d’épuiser l’espace »29. Ces deux aspects viennent mettre en évidence l’importance de la structure
d’une pièce qui se définit, par ailleurs, en négatif – ni personnage, ni situation, ni réplique. Il ne
reste que ce morphème – quad - pour titre : une entité linguistique, comme un électron libre, qui ne
trouvera de sens qu’à travers la chorégraphie qui se décline jusqu’à épuisement autour de quatre
silhouettes qui arpentent inlassablement les contours et les diagonales d’un quadrilatère.
Cette plasticité pour le moins rigide transparaît dans les autres pièces. Pour chacune d’entre
elles, Beckett travaille essentiellement sur l’espace scénique. Il le codifie, le structure, ne laisse
aucun espace, qu’il soit visuel ou sonore, au hasard. Il en ressort un paradoxe qui laisse le lecteur
pris entre une sensation étrange de rigidité et de morcellement. Si l’on reprend l’exemple de Quad,
la mise en scène est d’une précision méticuleuse ; jusqu’à être pris dans une irreprésentabilité au
sens propre du terme. Les mots qui servent à décrire la mise en scène s’avèrent étrangement
inefficaces : ils ne permettent pas de représentation mentale au lecteur et nécessitent des
« négociations » de la part de l’auteur pour qu’enfin, la pièce puisse advenir. En réalité, l’esprit est
trop confronté au morcellement de la mise en scène pour parvenir à se créer une représentation
mentale globale. Il en résulte une véritable difficulté à se dégager de la structure qui prend tout
l’espace de lecture et rend la mise en sens complexe, voire impossible. Une structure qui laisse
affleurer une sensation vertigineuse de vide qui confine à la fascination. On peut, ici, faire une
rapide analogie avec la problématique autistique :
Au début, le « moi ressenti » est expérimenté en terme de liquide ou de gaz (…) Dans leurs
états liquides ou gazeux, ils ont peur d’exploser ou de se déverser par des trous. Se déverser
ou exploser signifie le vide, l’extinction, le néant. Les illusions liées aux objets autistiques
sont très efficace à ce stade. Une de leurs fonctions semble être de bloquer les trous par
lequel le « moi » peut se déverser ou entrer en éruption.30
Une structure rigide et inefficiente, une perte de sens que le thérapeute va tenter de reprendre pour
tenter de « faire sens » par le vecteur du regard afin qu’advienne un contenant psychique rendant la
« carapace autistique » inutile. Cela pose l’importance du spectateur comme témoin et actif dans la
mise en sens de la pièce.
29
« L’ÉPUISÉ », Gilles Deleuze, in Quad et autres pièces pour la télévision, Les Éditions de Minuit, 1992,
p.81.
30
F. TUSTIN, Le trou noir de la psyché, Seuil, 1989, p. 164-165.
27
travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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Le morcellement évoqué vient poser la difficulté, pour les interprètes, de se constituer
comme sujet au travers des figures morcelées et objectivées des quatre pièces du recueil. Beckett
insiste, dans Quad, sur l’importance de l’indifférenciation des silhouettes qui interprèteront la pièce.
Quant aux trois autres, l’affaissement identitaire se lit au travers de présences fragmentées :
personnage masculin scindé en trois entités distinctes ( H, H1, V ) dans …que nuages… et en deux
(A et B) dans Nacht und Traüme. Chaque fois, les interprètes sont assimilables à une fonction qui
nous ramène à l’idée d’objectalisation. Impossibilité avérée quant à accéder à la position de sujet :
dans cette voix qui cherche l’exact souvenir, dans la marche ininterrompue de silhouettes
indifférenciées… Elles sont des enveloppes, des écorces évidées qui semblent mues par une force
externe. Comme dans Trio du fantôme où la silhouette masculine S semble obéir aux injonctions
d’une voix féminine qui dicte ses gestes.
Présence féminine morcelée, elle aussi, mais selon d’autres modalités. Face aux entités
masculines décrites sur un mode passif, on est en présence de l’émergence d’un féminin actant.
Décorporée dans Trio du fantôme, la présence féminine est une voix omnisciente dont la présence
corporelle ne cesse pourtant de se dérober à S. On touche ici à une image ambivalente du féminin.
Dans Nacht und Träume, le féminin advient au travers des soins prodigués par deux mains qui vont
et viennent autour du personnage masculin. Cette attitude étayante pousse la réflexion vers un
questionnement qui relève de l’image féminine maternelle. De l’image d’une féminité fragmentaire,
décorporée et pourtant omniprésente ; jusque dans cette absence qui vient envahir les rêves des
entités masculines en présence dans les différents textes du recueil ; on en vient à poser l’hypothèse
de ce que nous appellerons « ravage maternel » en référence à la terminologie psychanalytique.
C’est une image pour le moins ambivalente qui s’impose à nous au travers des entités féminines en
présence. Une absence qui envahit tout, massivement, et reste, malgré tout, insaisissable. Présence
qui se veut maternante, qui se rêve étayante et qui ne laisse qu’une angoisse aussi massive que son
absence. On ne parvient pas à la délimiter, elle reste impitoyablement morcelée : ni à lui donner
corps, ni le moindre contour. On en vient à ressentir, pour l’homme, le risque avéré d’une
contamination psychique : d’un côté les soins, de l’autre l’absence d’affects. Image d’une toute
puissance sans la moindre place à l’échange qui permettrait l’émergence d’un moi solide et
autonome31 ; et qui ne laisse qu’une angoisse massive prise entre la perte et la contamination.
C’est ici que l’hypothèse du deuil affleure. Mais selon des modalités bien particulières : il ne s’agit
pas ici de perte mais bien d’une non perte ; celle-là même qui ne permettra pas l’émergence du sujet
et continuera de l’aliéner à son angoisse archaïque autour de cette image maternelle qui oscille entre
absence et toute puissance32…
Lorraine-Soëli Heymes est psychologue clinicienne et doctorante en lettres à Paris 7, sous la
direction d’Evelyne Grossman. Parmi ses articles : « Regard et culpabilité chez Sarah Kane », in
Variations, vol.3, études réunies et présentées par Thomas Hunkeler, 2002 et « Manques, frontières,
clivages : Koltès et Kane » in Voix de Koltes (Séguier, 2004).
Adresse électronique où la joindre :
[email protected]
31
« Le moi se forme comme une enveloppe sonore dans l’expérience de bain de sons concomitante à celle de
l’allaitement. Ce bain de sons préfigure le Moi-peau et sa double face tournée vers le dedans et le dehors, puisque
l’enveloppe sonore est composée de sons alternativement émis par l’environnement et le bébé » D. Anzieu, Le Moipeau, Dunod, 1995, p.192.
32
On pourra ici se référer aux travaux de J. Hassoun, La cruauté mélancolique, Flammarion, Champs, 1997 et
N. Abraham & M. Torok, L’écorce et le noyau, Flammarion, Champs, 1987.
28
travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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Les étapes de l’œuvre bilingue de Beckett
Chiara Montini
Une analyse de l’œuvre de Beckett à la lumière du bilinguisme montre comment l’écriture et
les langues évoluent de façon parallèle. En effet, si pour mieux cerner le bilinguisme il est
nécessaire de parcourir l’œuvre de Beckett en suivant sa chronologie, l’étude diachronique des
écrits bilingues montre que l’évolution du bilinguisme et de l’écriture ont lieu dans une parfaite
synchronie. Ainsi, peut-on affirmer avec Bruno Clément, que le bilinguisme est une fonction de
l’œuvre car il la suit et l’accompagne dans son exploration.
De plus, le bilinguisme chez Beckett se développe à travers différentes étapes scandées par
des ouvrages charnières. En même temps que le changement de langue, l’œuvre charnière souligne
aussi les modifications que l’écriture de Beckett est en train ou en passe de subir. Ainsi on
comprend mieux pourquoi Beckett écrit systématiquement en deux langues : la réécriture fait partie
de sa poétique. La réécriture est une facette de l’attachement presque maniaque à la répétition, du
désir insatiable d’épuiser les possibilités, du jeu-calmant des combinaisons. L’auto-traduction n’est
alors qu’une fonction de la répétition imparfaite et contribue à la mise en abîme du sujet qui se
confond dans les différentes langues.
Afin de clarifier mon propos, je vais résumer ici les différentes étapes de l’écriture de
Beckett tout en proposant les caractéristiques principales de chacune par rapport aux langues.
1) Monolinguisme polyglotte (1924-1937).
C’est ainsi que je nomme la première période de l’écriture beckettienne qui comprend les
écrits de jeunesse comme, par exemple, Whoroscope, More Pricks than Kicks, Dream of Fair to
middling Women. Beckett écrit ces premiers ouvrages directement en anglais, un anglais truffé de
néologismes et de références aux langues étrangères, qui parfois rappelle le style de Joyce. Aucun
de ces textes, y compris les deux premiers essais rédigés directement en français, Les deux besoins
et Le concentrisme, n’a été réécrit dans l’autre langue. Les écrits de jeunesse, riches en mots
baroques, poussent leur recherche expressive à son point extrême et portent sur l’inadéquation de
l’art de même que sur l’inadéquation de l’homme au monde. Cet homme s’identifie volontiers à un
personnage du Purgatoire dantesque, Belacqua, un marginal qui ne semble pas avoir dépassé sa
paresse, péché dont il est censé se « purger ».
2) Bilinguisme à dominance anglophone (1937- 1944)
Appartiennent à cette deuxième période les deux derniers romans écrits directement en
anglais par Beckett, et traduits en français par la suite, Murphy et Watt. Murphy, roman charnière,
marque la fin du style baroque et du personnage en quête de soi de la première période. Ainsi, c’est
sans succès que Célia essaie de sauver Murphy, le frère symbolique de Belacqua, qui ne peut expier
que par la mort. Mort symbolique qui n’est là que pour souligner la naissance d’un nouveau récit,
d’un nouveau style, d’un nouveau personnage et d'un narrateur plus présent. C’est après la fameuse
lettre allemande à son ami Axel Kaun, où Beckett affirme vouloir mettre à mal sa langue en se
conduisant comme le mathématicien fou qui utilise à chaque opération un système de mesure
différent, qu’il écrit Watt. Ici la langue change car Beckett semble effectivement vouloir percer le
voile de la langue anglaise « trou après trou ». Elle devient répétitive, imparfaite, parfois même
incompréhensible. L’échec de Murphy semble marquer le passage à un personnage qui lui
ressemble, mais qui se distingue de lui car il est enfermé dans un monde fait de mots, qui laisse de
moins en moins de place au monde extérieur. C’est pourquoi le narrateur se confond avec son narré,
Watt, tandis que son histoire et celui qui la raconte semblent s’identifier l’un à l’autre dans une
29
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sorte de mise en abîme très déroutante. On retrouve là, pour la première fois, le même enfermement
qui a lieu au moment du passage d’une langue à l’autre.
3) Bilinguisme à dominance francophone (1945- 1955)
C’est l’époque la plus prolifique pour Beckett qui commence à écrire directement en
français. Mercier et Camier, roman charnière, marque le début la nouvelle expérience linguistique
et, mis à part le changement de langue, semble revenir un peu en arrière par rapport à Watt. En
effet, dans ce premier roman francophone on retrouve un monde peuplé de pantins tandis que le
narrateur retrouve son rôle paisible de narrateur omniscient. Ce n’est qu’avec Molloy, Malone meurt
et L’Innommable, chefs-d’œuvre de cette période francophone, que le personnage devient un « je »
et que le monde semble n’être qu’un décor abritant un flux ininterrompu de mots derrière lesquels
le sujet se cache et réapparaît. Ces mots sont souvent entre deux mondes, le monde intérieur et le
monde extérieur, leur son et leur référent. Les Textes pour rien, sorte d’épilogue de cette période
francophone, sont davantage clos, car leur référence première semble être le monde scandé par les
mots ayant comme seul référent les autres écrits de Beckett. Ainsi, les Textes poussent cette
expérience aux extrêmes limites, se référant sans cesse à l’œuvre déjà écrite, pour la répéter, la
digérer. Digestion confirmée par la réécriture. La langue étrangère de la première rédaction permet
de renforcer le sentiment d’étrangeté (par la référence aussi à des lieux qui sont le plus souvent
irlandais) et marque la non appartenance du sujet au lieu (le roman, le lieu de l’écriture). La
réécriture dans la langue maternelle permet de reprendre et de renforcer ces thématiques, car
l’auteur plie sa propre langue à la règle du texte rédigé d’abord dans la langue étrangère.
4) Bilinguisme alterné (1955-1989)
A cette époque Beckett n’a pas encore terminé les traductions des textes de la période
précédente et rédige aussi d’abord en anglais. Il reprend un texte ancien anglais, From an
abandoned Work, écrit All that Fall et Krapp’s Last Tape. En 1961 il publie Comment c’est (1961),
« roman » charnière entre la période à dominance francophone et celle du bilinguisme alterné. A
partir de ce moment les deux langues alternent au gré des choix de l’auteur et se succèdent sans
solution de continuité, parfois même en coexistant, car la même œuvre naît déjà bilingue. Ainsi, le
bilinguisme a pu renforcer le travail d’ « appauvrissement » auquel Beckett aspirait, il a renforcé les
thématiques beckettiennes de la répétition, du caractère non absolu du langage, de l'incongruité
entre les choses et le langage de même que l’ambiguïté du sujet. Car, à une époque où le sujet
semble faire défaut, l’ambiguïté du sujet bilingue laisse le débat autour du sujet et de son rapport au
langage ouvert.
Chiara Montini a soutenu à Paris 8 une thèse intitulée « La bataille du soliloque : genèse de
la poétique bilingue de Samuel Beckett (1929-1947) ». Parmi ses derniers articles publiés ou à
paraître : « Watt et le passage au français : émancipation ou assujettissement ? », in Cahiers de
Théorie Littéraire, n° 2, S.T.D., Paris 7, juin 2001 et « Traduire le bilinguisme : l’exemple de
Beckett » in Littérature, Larousse, Paris (prévu pour 2005). En outre, elle prépare un numéro
monographique sur Beckett pour la revue Riga dirigée par Marco Belpoliti, Andrea Inglese et
Chiara Montini (Marcos y Marcos, Milano, parution en 2005).
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travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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Le dernier péché contre l'échec de la parole :
l'hypothèse d'une incantation dans la dernière trilogie beckettienne
Thierry Guérin
Comment, dans un récit, une voix se fraye-t-elle un chemin et trouve-t-elle parfois
miraculeusement un espace de résonance à travers les contraintes formelles de la narration, à travers
les figures d'expression, à travers la langue ?
Beckett, dans sa dernière trilogie, repose cette question de littérature déjà posée à l'occasion
de la première trilogie. Les derniers textes Compagnie, Mal vu mal dit, Worstward Ho ont en
commun avec l'Innommable l'ambition de vouloir en finir avec un certain modèle langagier : ici les
récits courts entremêlent plusieurs voix, plusieurs registres, plusieurs discours. La voix se cherche
jusqu'aux limites de sa propre fin.
L'énonciation dans la dernière trilogie se révèle problématique avec un jeu sur les pronoms
personnels : on ne sait pas toujours d'où vient la parole que l'on entend. Il y a une sorte d'interdit
autour du nom et cet interdit se traduit par l'usage du pronom neutre "it" dans Worstward Ho. Ce
"shift" énonciatif apparaît comme un événement de langage. Le pronom apparaît prêt à se ruiner
dans une référence, dans une figure. La référence du pronom, terme « transcendant » reste un signe
vide prêt à se remplir, il nous nous échappe dans une suite infinie de creux. Il faut dire un Autre
sans savoir qui prend toujours en charge cette parole : « Say another » (Worstward Ho 10) ;
« Whose words? » (Worstward Ho 19) "De qui les mots?".
On identifie pourtant assez clairement le locuteur qui prend en charge la narration ; ce
locuteur construit une mise en perspective du dire lui-même, il problématise le fait de dire en jouant
sur les différents rôles de l'entendeur et de la voix jusqu'à parvenir même à une indistinction entre le
créateur et ses créatures. La question posée se résume dans le titre du dernier poème de Beckett :
Comment dire ? J'ajouterais comment finir de dire ?
J'ai choisi comme titre de cet article une phrase rapportée par Anne Atik dans Comment
c'était, Souvenirs de Samuel Beckett, p. 117. Cette phrase illustre bien le problème qui lie l'écriture
à la parole. Beckett dit dans cette phrase :" Toute écriture est un péché contre l'échec de la parole ".
L'écriture pèche donc, elle goûte à la connaissance du bien et du mal, elle goûte à la création
en reproduisant le geste de Dieu. Interrogation théologique qui me conduit à faire l'hypothèse d'une
incantation dans l'écriture, incantation d'un type un peu particulier : cette parole qui se fait entendre
au fil du texte cherche de la compagnie, c'est un appel de la voix, un appel à entendre, un appel au
souvenir, à l'image, un appel à la parole retrouvée, appel à une présence par le biais de la création.
L'écriture de Beckett laisse derrière elle une présence : quelqu'un nous parle sous la forme de cet
appel.
Depuis plusieurs récits, les noms chez Beckett, noms aux initiales si symboliques de M et
W, n'apparaissent plus. Compagnie en décrit justement l'impasse avec les initiales W et H qui
fourniront les initiales du titre Worstward Ho, initiales symboles d'un échec de la parole. Mais ce
repérage se prolonge dans d'autres mots de façon humoristique (Somehow on ) je traduis (soi dit
encore en échouant).
On retrouve dans ce mot Somehow (d'une manière ou d'une autre, de toute façon toujours la
mauvaise, je rajoute) les traces de toute une aventure littéraire. Je prends comme modèle dans ma
thèse la lettre sigma initiale de Sam pour décrire une rotation à 360° qui passe par le M, le W et le
S. Le mot de Somehow résume tout cela avec en plus cette lettre H qui désigne dans Compagnie
l'échec même de la nomination.
Le son /au/ (ow) constitue un passage entre les deux voyelles a et o et il permet aussi le
passage d'une langue à l'autre, entre l’anglais et le français. L'étroite liaison prosodique entre les
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travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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textes anglais et français montre un travail poétique cherchant à explorer de nouvelles
combinaisons autour d'une base unique : am, om, ow.
Ce minimum "imminimisable" prend des formes sonores intéressantes. Une étude
prosodique menée sur le corpus de la dernière trilogie met en évidence la récurrence de phonèmes :
/õ/ / / et /om/ en français et du phonème /ô/ en anglais. Ces phonèmes résonnent dans le mot
"innommable" lui-même en français et unnammable en anglais : « Lorsqu’elle cesse seul son son
souffle à lui » (COM 61).
L'incantation que je propose comme hypothèse ne se réduit pas seulement à l'oreille. La
variété des registres et l'humour font partie intégrante de cet appel. Si on assiste dans la dernière
trilogie Nohow on à une dissémination du « moi », à sa suspension, la parole emprunte une variété
de registres, du scatologique au théologique, dans Mal vu mal dit notamment. Cette variété explore
les écarts toujours possibles dans le langage tout en soulignant, de fait, ses limites.
Le phénomène du bilinguisme chez Beckett, entre le français et l’anglais, se présente comme
un enjeu littéraire de taille. Ce thème de l’identité et du nom a tout d'une fiction postmoderne où,
précisément, le centre de l’être n’existe pas. L'aventure beckettienne conduit à ce centre qui restera
toujours mal dit, mal vu. Beckett descend, à sa manière, d’une tradition mystique que Derrida
parcourt avec Angélus Silésius : « Va où tu ne peux, vois où tu ne vois pas : Écoute où rien ne bruit
ni ne résonne, ainsi es-tu là où Dieu parle » (I, 199).
L’écriture beckettienne se donne, je crois, pour objectif dynamique la prétention de créer,
contradictoirement, « un nouveau langage », une nouvelle fiction, une nouvelle rencontre avec ce
« Dieu ». Le dernier innommable de Beckett offre cette rencontre, ce frayage toujours possible de la
parole. Chaque lecteur répond à cet appel par l'imagination, par l'interprétation.
Après avoir travaillé dans l’édition (L'Express, Vigot, Flammarion), Thierry Guérin est
actuellement professeur de lettres modernes. Il a soutenu une thèse à Bordeaux 3 intitulée « Jeu de
lettres, jeu de langues dans la trilogie Compagnie, Mal vu mal dit, Worstward Ho de Samuel
Beckett ». Parmi ses derniers articles : « Said nohow on : la limite d’une traduction en français » in
Samuel Beckett Today/Aujourd’hui, 1999, et « Encore le corps dans Mal vu mal dit de Samuel
Beckett », in Littératures, P.U.M., 2003.
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travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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Le générique du Film de Beckett
Jonathan Degenève
Beckett écrit son Film en avril 1963, répondant à l’« offre alléchante »33 (1500 dollars payés
d’avance) de Barney Rosset qui lui propose de concevoir une pièce de trente minutes pour la
télévision. Le scénario est rédigée en quatre jours. Il surprend par son ton particulier mais la
production se trouve, la réalisation est confiée à Alan Schneider et, l’année suivante, Beckett
débarque à New-York, mi-curieux mi-fébrile, pour suivre la fabrication de ce qui deviendra
finalement un court-métrage de 21 minutes. Les choses commencent alors à dérailler. Passons sur la
rencontre ratée avec Buster Keaton qui reste rivé à un match de base-ball et à une bière, pour arriver
au plateau de tournage. La plupart des prises de vue en extérieur sont, en effet, complètement
loupées. Si bien que c’est la situation initiale dans son entier – un cadre spatio-temporel (vers 1929,
un quartier d’usines, un matin en été), des couples de personnages, un bonheur perceptif, une libre
circulation (à pied, à vélo, en fiacre) et un sens commun (des ouvriers vont dans une seule et même
direction : au travail) –, c’est toute cette situation initiale donc, disons normale du point de vue de
son contenu, et normalement préparatrice, s’agissant de son rôle, à la survenue d’un événement,
toute cette construction somme toute classique de l’incipit, autrement dit, où il s’agit de planter un
décor et, en même temps, de mettre en marche l’action, le formel ici, le dramatique là, dit aussi
Beckett, tout cela est à supprimer. Au visionnage des rushs, Beckett se voit ainsi obligé de sauter
par dessus les premières lignes de son script dans la mesure où le budget limité empêche de
reprendre cette séquence liminaire. Pour apaiser les tensions qui montent entre les uns et les autres,
comme on s’en doute, il décide néanmoins de conserver ce qu’il juge encore utilisable. Soient : un
mur qu’il avait repéré dans Manhattan et les morceaux d’une course contre, selon toute
vraisemblance, cette même paroi enduite de ciment brut et promise à la démolition. Soient, en
d’autres termes encore : le décor réduit à un pan filmé en repérage et l’action ramenée à quelques
plans qui morcellent l’intrigue. Plus exactement, ce qui est irrémédiablement perdu par rapport au
livre, c’est le lien originaire entre le décor et l’action. L’histoire devait se détacher sur un fond par
retournement. D’une certaine normalité à sa perturbation grâce à l’arrivée sur scène d’une figure à
contre courant de tout et de tous : elle va à l’envers, est seule, prise de panique, avance gauchement,
se sent observée, suivie, traquée et bloquée par la caméra. Force est de le constater, ce que ce que
nous voyons ne joue plus, ou plus aussi fortement, de ce fameux élément perturbateur qui, comme
on sait, lance ou relance les récits. Un œil qui cligne, un fondu enchaîné de la paupière à une
surface verticalement dressée, un mouvement d’appareil qui balaye cette surface, la suit, s’en
écarte, se stabilise pour y revenir avant d’effectuer un panoramique très rapide assorti d’un zoom
arrière qui semble accélérer et reculer le retour à cette même surface, retour qui nous amène donc à
un nouveau départ dramatico-formel : tout cela n’était pas écrit. Ce qui veut dire que tout cela a été
improvisé sur place. Improvisation où se cotoient, comme souvent, l’invention et la technique.
Mieux, la trouvaille et le bricolage. Pour la trouvaille : utiliser l’œil de Buster Keaton pour
remplacer au montage les prises en extérieur ratées. Pour le bricolage : le montage lui-même pour
lequel, aidé par Sydney Meyers, Beckett passe des heures à apprendre à se servir d’une Moviola. Se
réalise alors un vieux rêve de jeunesse, comme le suggère James Knowlson34, puisque trente ans
auparavant Beckett demandait à Eisenstein de le prendre en stage. On l’a déjà compris : monter ce
sera écrire ou réécrire Film. Et c’est à cette écriture-là que nous allons nous intéresser.
33
Lettre de Beckett à Leventhal, 27 février 1963, cité par James Knowlson, Damned to fame : The Life of
Samuel Beckett, 1996, trad. d’Oristelle Bonis, Beckett, Actes Sud, Arles, 1999, p. 1005.
34
Ibid., p. 665.
33
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Car c’est justement cette écriture-là, proprement filmique et non plus littéraire, si l’on veut,
qui n’intéresse pas les lecteurs de Film. Mais soyons précis. Ce qui est significativement enjambé
c’est le plan du pan. On passe le plus souvent, dans la critique, de l’œil de Keaton à Keaton. Et cela
fait sens, effectivement, parce que c’est une manière de recoller à la logique textuelle. Le plan du
pan est ignoré pour cette raison simple qu’il n’était pas écrit. Interpréter Film, par conséquent, c’est
tâcher de combiner au mieux ce qui n’est apparement plus lié dans ce générique : ce qu’il y avant le
mur et ce qu’il y a après le mur. Soient deux séries de données, pour le dire très grossièrement :
l’œil de Keaton, « l’aperçu général », le formel, le décor, l’abstraction d’un côté ; de l’autre :
Keaton, « l’argument »35, le dramatique, l’action, le tragico-comique. Plus simplement : un certain
formalisme – que Beckett voulait le plus intègre possible pour que se multiplient les effets
d’analogie, se différencient absolument la vision de O (objet) et celle de Œ (œil), se traduisent
visuellement le dégoût et la voracité – et une certaine dramaturgie qu’il voulait, elle, comique et
irrélle à la fois. Répétons-le : l’interprétation se lance invariablement – et la plupart du temps avec
bonheur – dans la recherche de la combinaison perdue entre cette forme et ce drame. Comment
passe-t-on de l’un à l’autre ? Nous voudrions juste souligner à présent que les combines – mixes de
trouvaille et de bricolage – y sont.
Pour ce faire, on s’attachera surtout à commenter le fondu-enchaîné et le mouvement
d’appareil. Ce fondu-enchaîné tisse un lien clair entre les plis cutanés et le crépis défraichi. La
première est ridée et la seconde est striée et c’est sur ce rapprochement que repose le raccord.
Imaginons un instant que ce mur-paupière batte : surgirait alors un œil. Œil qui, à n’en pas douter,
n’aurait rien à envier au précédent, pour ne pas dire qu’il serait encore plus impressionnant si l’on
en croit Malone meurt : « […] j’aimerais bien trouver un trou dans le mur, derrière lequel il se passe
des choses si extraordinaires, sans cesse, et souvent en couleur »36. Seulement, chez Beckett, il y a
rarement des trous dans les murs. Tout se passe donc comme-si ce fondu-enchaîné indiquait une
profondeur, un derrière, au-delà mais pour immédiatement en barrer l’accès. On est contre, devant,
au plus près d’une frontalité aussi brute qu’indépassable. Ce qui saute alors aux yeux c’est un bloc
opaque qui fait pan. C’est-à-dire une forme, selon le concept de Georges Didi-Huberman, qui ne se
laisse pas immédiatement percevoir – identifier, saisir – et qui, de ce fait, trouble nos habitudes de
perception entièrement construites sur la traversée des signes. Dès lors, ce que nous voyons nous
regarde (nous concerne, nous touche, nous pique) au sens où, ne pénétrant plus, nous sommes
renvoyés à nos propres mécanismes perceptifs. Nous nous voyons voir, pour le dire autrement, dès
lors que nous sortons du schème – visuel, intellectuel, sexuel ? – de la pénétration : une vue
pénétrante, un esprit pénétrant, etc. A ce moment, comme l’explique Arnaud Rykner dans le sillage
de Didi-Huberman, ce qui nous résiste nous libère dans la mesure où il s’agit non plus de « décoder
ce qui est caché » mais d’être « attentif à ce qui paraît »37. Il est donc signicatif, à ce propos,
que nous soyons extrêmement sensible au mouvement d’appareil sur ce pan. Un regard à l’aventure
y erre. Il circule, scrute, remonte, suit : repoussé et aimanté à la fois. Comme le dirait Pasolini, nous
« sentons » la caméra et nous parlons alors de balayage, de stabilisation, de panoramique, de zoom.
C’est-à-dire que nous parlons de plan. Un plan, il faut le rappeler, à un double régime à chaque
instant : un visible et une organisation de ce visible. Ce qu’il y a dans un cadre et la manière dont ce
cadre bouge, est positionné, serre, se retire. Or, il serait faux de dire que nous ne voyons rien. Un
mur est là, bel et bien visible. De la même façon, on ferait fausse route en disant que nous ne
voyons que des réglages : l’organisation de la visibilité ne fait pas image comme lorsque Lynch, par
exemple, fait clairement des mises au point qui font alterner le flou et le net. En réalité, se manifeste
une tension évidente entre, d’une part, le visible et, d’autre part, l’instance qui organise ce visible.
Tension entre le vu et le point de vue. Tension entre un objet et œil. Tension où s’amorce donc
l’aventure du regard entre en O et Œ qui constitue le drame du Film de Beckett.
35
36
37
Beckett, Film, in Comédie et actes divers, Minuit, Paris, 1972, pp. 113 et 115.
Beckett, Minuit, Paris, 1951, p. 104.
Pans. Liberté de l’œuvre et résistance du texte, Corti, Paris, 2004, p. 70.
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travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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Université de Paris 7 – Denis Diderot
U.F.R. « Sciences des Textes et Documents »
Équipe « Théorie de la littérature et sciences humaines »
Journée d’études doctorales organisée par
Evelyne Grossman et Jonathan Degenève
Vendredi 7 mai, salle 213
(tour 34-44, 2ème étage)
Antonin
Artaud
Matin
10 h Geneviève Hauzeur (Université catholique de Louvain) : « Rire et cruauté »
10 h 30 Lorraine Duménil (Paris 7 – E.N.S. Lyon) : « Le déplacement des activités créatrices chez
Artaud et Michaux »
11 h Sylvain Tanquerel (Paris 4) : « Métamorphoses des figures du féminin dans les cahiers de
Rodez »
Après-midi
14 h Natacha Allet (Université de Genève) : « La performance à la Galerie Pierre »
14 h 30 Dora Schneller (Paris 7 – Université de Budapest) : « L'influence de Baudelaire sur les
critiques d'art d'Artaud »
15 h Clarissa Alcantara (Paris 7 – Université de Santa Catarina) : « Artaud, Blanchot et l'écriture
d'un corpoèmeprocessus »
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travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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Journée doctorale sur Artaud
co-organisée par Evelyne Grossman le 6 mai 2004
Artaud et Michaux : le déplacement des activités créatrices
Lorraine Dumenil
Dans l’évolution la plus récente, les frontières entre les genres artistiques fluent les unes dans les
autres, ou plus précisément : leurs lignes de démarcation s’effrangent38.
La modernité est pour Adorno ce moment décisif où l’Art, s’extrayant de la scène
représentative traditionnelle, s’efface derrière une « correspondance entre les arts » à partir de ce
qu’il appelle leur « effrangement ». Or, il nous semble que l’inscription d’une telle modernité se
donne précisément à lire dans les œuvres de Henri Michaux et d’Antonin Artaud en tant que s’y
appréhende un procès d’attraction entre les arts qui opère une rupture sensible par rapport à cette
loi occidentale – notre loi – dont fait état Roland Barthes dans L’Obvie et l’obtus39, « Loi,
paternelle, civile, mentale, scientifique : loi ségrégative en vertu de laquelle nous expédions d’un
côté les graphistes et de l’autre les peintres, d’un côté les romanciers et de l’autre les poètes ; mais
l’écriture est une… ». Ecoutons Antonin Artaud :
Dix ans que le langage est parti […] / Comment ? / Par un coup […] / anti-dialectique / de la langue /
par mon crayon noir appuyée / et c’est tout. / […] Et depuis un certain jour d’octobre 1939 je n’ai jamais plus
écrit sans non plus dessiner. / Or ce que je dessine / Ce ne sont plus des thèmes d’Art transposés de
l’imagination sur le papier […] / Ce sont des gestes, un verbe, une grammaire…/ aucun dessin fait sur le
papier n’est un dessin, la réintégration d’une sensibilité égarée, / c’est une machine qui a souffle40.
Ce qui s’entend ici est suffisamment singulier pour qu’on s’y arrête. Il ne s’agit pas de relever
la mobilité artistique d’un écrivain qui serait aussi dessinateur, dans la perspective d’une
complémentarité entre les arts (selon la longue tradition des « écrivains qui dessinent » : ainsi
Stendhal précisant par le dessin dans La vie de Henri Brulard ce que l’écriture échoue à situer) ni
même le paradoxe d’une impulsion graphique qui pourrait s’appliquer indifféremment à l’écriture
ou au dessin (on pense ici à ce que Georges Didi-Huberman dit de la pratique hugolienne où le
même instrument, la plume, peut produire un trait ou un signe graphique41) : ce qui nous intéresse
est le lien indissociable qui est affirmé entre l’écrire et le dessiner (« Je n’ai jamais plus écrit sans
non plus dessiner »).
Artaud ouvre un espace original où pratique picturale et écriture ne seraient plus séparées que
par le jeu d’un « déplacement-dégagement »42, pour reprendre le titre d’un écrit de Michaux – pas
de côté ou ligne de fuite qui configure un espace inédit placé sous le signe de la pluralité
expressive. On remarque en effet que c’est d’un même mouvement, qui est celui d’une
déterritorialisation, que chaque art s’extrait de sa stricte appartenance à un genre défini et entre
dans une zone d’indiscernabilité avec un autre : c’est en s’« appuy[ant] » sur le dessin (le « crayon
noir ») que la « langue » abandonne le pur langage, c’est dans le recours à une certaine vocalité
38
Adorno, in « L’art et les arts », conférence prononcée à l’Académie des arts de Berlin le 23 juillet 1966,
initialement publiée dans Anmerkungen zur Zeit, n° 12 (Berlin, 1967). Première traduction française publiée dans
Pratiques n° 2, Rennes, automne 1996, repris en 2002 dans un recueil paru chez Desclée de Brouwer, L’Art et les arts.
39
Voir l’article « L’esprit de la lettre », Seuil, Paris, 1982, p. 98.
40
Artaud, « Dix ans que le langage est parti… », in Luna-park, n° 5, oct. 1979, p. 8 [nous soulignons].
41
Dans une conférence inédite tenue à l’ENS-LSH en 2002.
42
Il s’agit là du titre d’un ouvrage de Michaux paru en 1985 chez Gallimard.
37
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(« un dessin […] est une machine qui a souffle ») que le dessin s’écarte du « pur dessin »43, du
simple geste scripturaire. Or, si cette pluralité déborde le texte écrit – la lettre – du côté du
graphique, elle fait également entrer le signe et le graphe en résonance avec la voix qui se trouve
elle aussi réactivée dans ce que nous pourrions appeler un continuum expressif. S’il s’agit en effet
pour Artaud de faire entendre la voix dans le dessin (« un dessin est une machine qui a souffle »),
une telle voix doit également résonner dans le texte, comme le montre par exemple la pratique des
glossolalies.
Or il nous semble que l’on trouve chez Michaux un mouvement assez semblable qui vise à la
fois à restituer à la lettre son affinité avec la pulsion graphique44, comme dans les recueils de
« mouvements », « signes » et « traits » 45 et, en même temps, à faire entendre la voix dans la lettre
et dans le dessin. On pense ainsi cette imbrication de la musique et du dessin que relève Mircéa
Eliade rapportant une conversation qu’il eue avec Michaux : « […il] a remarqué que sa peinture
prenait un « rythme musical ». Il sentait le « rythme » dans le bras quand il peignait »46.
Cependant, même si l’affirmation d’Artaud assigne à la configuration de ce nouveau plan
expressif la loi d’une radicalisation chronologique (« et depuis un certain jour d’octobre 1939… »),
il nous semble fondamental d’assumer que le processus d’attraction entre les arts est présent, même
sous une forme embryonnaire, dès les premières œuvres d’Artaud et de Michaux.
Ainsi, loin de considérer qu’à une « première manière », qui correspondrait à la période préruthénoise où dessin et écriture se doubleraient sans interférer, succéderait dans la pratique
artaudienne une « seconde manière » initiée par la pratique des « sorts » (la fameuse date de 1939,
première manifestation d’une intrication entre le graphe et le signe qui sera poursuivie sous forme
de « dessins écrits » dans les cahiers de Rodez), il nous semble que des rapports complexes entre
visible, lisible et audible sont repérables très tôt chez Artaud, notamment à travers la pratique des
glossolalies.
De la même manière, si c’est indéniablement dans la pratique de défilement des signes ainsi
que dans la production mescalinienne que se lient chez Michaux de la manière la plus évidente
pratiques picturale et scripturale, ses textes déploient dès leurs « commencements » d’étonnantes
ressources visuelles. On observe en effet une contemporanéité dès 1926-27 entre la production d’un
langage semi-inventé (cet « espéranto lyrique » dont parle René Bertelé, du côté de la poésie) et la
production d’alphabets fictifs, dont une encre de Chine singulièrement intitulée « Narration »47 (du
côté du graphique), tandis que se développe l’utopie d’une langue universelle composée
d’idéogrammes, donc d’un mixte entre le graphe et le signe linguistique48.
43
Voir également ce fragment des cahiers de Rodez : « […] Je me suis désespéré du pur dessin. / Je veux dire
qu’il y a dans mes dessins une espèce de morale musique que j’ai faîte en vivant mes traits non avec la main seulement,
mais avec le raclement du souffle de ma trachée artère, et des dents de ma mastication » (Cahiers de Rodez, avril 1946,
OCXXI, p. 266).
44
Voir Anne –Marie Christin qui montre, dans L’image écrite ou la déraison graphique, Flammarion, Paris,
1995, qu’il y aurait deux origines de l’écriture : d’une part la parole, origine usuellement reconnue (cf. Saussure et la
critique qu’en donne Derrida dans La Grammatologie, Minuit, coll. « critique », Paris, 1967 ), d’autre part l’image,
origine refoulée. Ainsi « l’écriture est née de l’image, et que le système dans lequel on l’envisage soit celui de
l’idéogramme ou de l’alphabet, son efficacité ne procède que d’elle » (op. cit., p. 5).
45
Voir notamment « Mouvements », Saisir et Par des traits, publiés respectivement en 1951 chez Gallimard,
1979 et 1984 chez Fata Morgana.
46
Fragments d’un journal, Gallimard, Paris, 1973, p. 275.
47
Les premiers « essais d’écriture » de Michaux, « Narration » et « Alphabets », datent de 1927 ; ils possèdent
déjà un statut ambigu entre écriture et dessin.
48
La question d’une langue idéogrammatique innerve toute la pratique de Michaux depuis Un barbare en Asie
jusqu’aux Idéogrammes en Chine en passant par le projet énoncé dans la rubrique « Ouvrages en préparation du même
auteur » de Plume : « Rudiments d’une langue universelle idéographique contenant neuf cent idéogrammes et une
grammaire ».
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travaux en cours, n° 1, octobre 2004
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Lorraine Dumenil, ancienne élève de l’E.N.S., est agrégée de lettres modernes. Après un
D.E.A. consacré à la question de l'écriture et de la peinture de la défiguration chez Artaud et
Michaux, elle entame à Paris 7, sous la direction d’Evelyne Grossman, une thèse autour de l'idée
d’ « agir poétique » dans l’œuvre écrite et dessinée d’Artaud et de Michaux. En outre, elle a
participé au numéro de septembre 2004 du Magazine Littéraire sur Artaud (notules d’Héliogabale
et des Tarahumaras).
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Métamorphoses des figures du féminin dans les Cahiers de Rodez d’Antonin Artaud
Sylvain Tanquerel
Il est question, dans cette thèse, des cahiers de Rodez d’Antonin Artaud, de ces cahiers en
tant qu’ils témoignent d’une pratique, dont ils conservent les traces. Sur ces traces qui composent,
de février 45 à mai 46, la somme de milliers de pages, il nous est donné de suivre une singulière
marche, dont le mouvement et les progressions, sans procéder d’aucune intelligence dialectique,
mettent pourtant en jeu un savoir, qui est moins un objet de connaissance qu’un savoir faire. En
premier lieu, le caractère non spéculatif de cette pratique implique certes de préserver son
commentaire de toute inflation interprétative, et de juguler les trop érectiles « leviers » théoriques
pour descendre à même cette matière textuelle ; c’est refuser d’y moissonner des significations pour
saisir (sous forme germinale d’abord) un sens. Pour autant qu’elle s’arrache au registre symptomal,
la lecture des cahiers se doit elle-même d’être une pratique, avec ses retours, ses reprises, ses
vérifications, ses avancées, et plutôt qu’une tentative d’explication, elle appelle une navigation « à
vue » susceptible de saisir un mouvement, la poussée d’un mouvement de fond.
Ce pourrait être une phénoménologie, sans rien de « transcendantale » cependant, car c’est
ici la genèse d’un corps qui se joue. L’urgence d’Artaud à Rodez est celle d’une génération qui est
tout à la fois une guérison : se refaire un corps, se faire un autre corps. Il s’agit pourtant moins
d’arraisonner l’objet de cette entreprise (qui est un corps qui fuit la notion d’objet), que de décrire
des procédures, un processus où s’échelonnent les modalités d’un « faire ». Non pas une
démonstration donc, mais une monstration, où nous nous sommes attaché plus particulièrement à
mettre en évidence un certain « travail » du féminin. La phénoménologie (pour autant que l’on
conserve ce terme) est ici, si l’on peut dire, une « fémininologie ». Décrire les métamorphoses
successives des figures du féminin dans les cahiers de Rodez, c’est tenter de les saisir en tant
qu’elles participent directement d’un processus, et à aucun moment les séparer du dynamisme qui,
les produisant, se produit par elles. Ni répertoire, ni cadastre thématique, notre lecture investit une
durée, le temps œuvré d’une gestation.
Après avoir, à la lumière des écrits de 1937, montré les grands enjeux d’une métaphysique
de l’union qui préfigure en bien des points la scénographie des cahiers, notre travail s’attache à la
période dite « chrétienne » de Rodez. Sans trancher la question futile de savoir si Artaud a ou n’a
pas été chrétien (il faut réserver ces délicats points de controverses aux amateurs de doctrines), nous
tentons d’inscrire le reniement dans la perspective d’un certain rapport au féminin, dont les
métamorphoses engagent un changement de posture au cours duquel Artaud se dégage
graduellement du religieux. Si la figure de la Vierge Marie et son corollaire le mythe de
l’Immaculée Conception déterminent en février 1945 une approche angélique de l’incarnation (dont
le corps paradoxal du christ constitue alors le modèle), Artaud, très vite confronté à son échec (à
travers la figure antagonique des Mères), est amené à en réajuster progressivement les modalités,
progression dont témoigne l’apparition, aux confins du rêve et de la veille, de figures de transition
qui se rassemblent sous celle de la Vierge Noire. Celle-ci initie une révolution posturale majeure où,
en une pondération nouvelle entre terre et ciel, Artaud est amené à élucider le mal-fondé de la figure
mariale et, révisant la problématique de l’origine, à ancrer sa pratique dans la matérialité amoureuse
d’un cœur qui, excédant largement le débat matérialisme / spiritualisme (si ces catégories ont
encore un sens), est seul susceptible de l’arracher à une économie de l’incarnation foncièrement
perverse. S’extrayant dès lors du mythe chrétien, les figures féminines des cahiers vont se
personnaliser et, issues d’un fonds mémoriel biographique, donner naissance aux « filles de cœur ».
Souvent reléguées dans les marges de l’insignifiance, ou au contraire passées au crible des
paradigmes psychanalytiques, les « filles de cœur » se déploient dans une dramaturgie dont il s’agit
en premier lieu de reconnaître le caractère visionnaire, et non fictionnel, ceci afin d’éviter toute
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problématique interprétative et de pratiquer une lecture non métaphorique qui suppose certes un
réajustement anthropologique de ce que le discours classique sous-entend communément sous le
terme d’imagination. Si Artaud évoque pour sa part une « force imagination corporelle non dessin
qui dicte par l’interne la mesure, l’épaisseur, le volume, la masse, le poids et l’être », il n’a par
ailleurs jamais cessé de dénoncer la nocivité de toute entreprise critique qui, détachant les formes
du jeu vivant de forces qui les a produites, les pétrifie en « images d’une floraison imaginative
foudroyée ». On ne saurait ainsi aborder ces « filles de cœur » sans les reconduire à la nécessité de
fond qui les a fait naître, et qui s’articule directement autour d’une pratique de l’incarnation. Mettre
en évidence ce travail du féminin, c’est montrer que celle-ci peut être envisagé comme une pratique
amoureuse et, loin de tout dolorisme, aborder les cahiers comme une suite d’« expériences basées
sur l’amour et la poésie ». Tel est l’enjeu de notre recherche.
Sous la direction de Pierre Brunel, Sylvain Tanquerel prépare à Paris 4 une thèse sur
l’invention du cœur dans les cahiers de Rodez d’Artaud. Parmi ses derniers articles : « Antonin
Artaud et la magie scripturale des cahiers », in Sociétés, n° 81, De Boeck, Bruxelles, 2003.
Adresse électronique où le joindre :
[email protected]
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La performance à la galerie Pierre
Natacha Allet
Lors de la réédition du Théâtre et son Double en 1945, Antonin Artaud annonce à Gaston
Gallimard qu’il « prépare un autre livre sur le Théâtre » (XI, 38) et il rédige à ce sujet quelques
notes, sans pour autant mener à terme ce projet. À partir de 1946 en revanche, et jusqu’à sa mort en
février 1948, il consacre au théâtre un ensemble cohérent de textes qu’il publie çà et là dans des
revues, tout en effectuant parallèlement plusieurs dessins qui lui font de multiples allusions. Il ne
rédige plus d’essais strictement théoriques, ne compose plus de scénarios et ne conçoit plus de
mises en scène dramatiques, mais il figure désormais sa vision du théâtre, par le biais de ses
évocations poétiques et de ses élaborations plastiques, et il organise simultanément une série de
manifestations artistiques qu’il considère comme des ébauches plus ou moins abouties du Théâtre
de la Cruauté, toujours à venir : la séance au Vieux Colombier en janvier 1947, la double lecture à
la galerie Pierre en juillet 1947 et l’émission radiophonique « Pour en finir avec le jugement de
dieu », censurée en 1948. Ces spectacles diffèrent des représentations antérieures, et en particulier
de celles des Cenci en 1935, dans la mesure où nulle fiction de type référentielle ne vient plus
s’interposer entre l’acteur récitant le texte et le spectateur qui l’entend ; le décor par ailleurs est
abandonné, et la scène est redimensionnée à l’échelle du corps. Le Théâtre de la Cruauté évolue
ainsi en direction d’une pure performance, où l’acteur dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit, où il joue
en définitive sa propre apparition.
Si les manifestations tardives apparaissent à première vue comme les seules formes de
réalisations concrètes du Théâtre à venir, elles entretiennent cependant une relation serrée avec
l’œuvre graphique, écrite et dessinée, qui leur est contemporaine. La double lecture orchestrée par
l’artiste à la galerie Pierre en vue d’ouvrir et de clore l’exposition de ses dessins témoigne de ce lien
avec le plus d’évidence : le 4 juillet, Colette Thomas et Marthe Robert déclament, l’une « Aliéner
l’acteur », l’autre « Le Rite du Peyolt chez les Tarahumaras » ; le 18, elles accomplissent les mêmes
lectures, entourées par celle d’Artaud récitant « Le théâtre et la science » et celle de Roger Blin qui
dit « La Culture indienne ». L’exposition se transforme donc en un événement théâtral. Les textes
proférés ne concernent ni le dessin, ni le visage, comme on aurait pu s’y attendre, mais le théâtre et
les rites mexicains. Les dessins présentent eux aussi un ensemble de renvois plus ou moins
explicites au théâtre. L’espace délimité de la feuille est tout à fait à même de figurer une scène, et la
présence d’une écriture dans les formes est susceptible de mimer le système polysémiotique propre
à l’art dramatique ; les faces dessinées peuvent être assimilées enfin à des acteurs, par métonymie.
Certains titres notamment invitent le spectateur à opérer une telle transposition, « Le théâtre de la
cruauté » (1946) par exemple, l’une des premières tentatives de portrait effectuée par Artaud. Au
cours de la cérémonie à la galerie Pierre, pour finir, un réseau de correspondances se tisse entre les
dessins et le spectacle dans lequel ils s’inscrivent : les acteurs sont tous représentés sur les images
exposées, et les poèmes récités entrent en relation avec les phrases et les glossolalies qui sont
insérées dans l’espace de la feuille : les formes et les mots circulent, l’écho paraît sans fin. L’œuvre
graphique d’Artaud ne se limite pas à figurer le Théâtre, elle participe selon toute vraisemblance à
sa concrétisation.
Dans Le Théâtre et son Double, Artaud insiste sur la nécessité d’inventer un langage
proprement scénique qui échappe à la fixité de la lettre écrite, à l’univocité de la signification. Or le
texte dans le cadre de l’image se soustrait à la linéarité de l’écriture, il se désarticule et gagne une
existence plastique ; les figures elles aussi se défont, elles esquissent des parcours, livrent des
rythmes. Les « dessins écrits » présentent ainsi de véritables scènes graphiques où s’élabore, sur la
ruine du dessin et de l’écriture, un nouveau langage ; ils tracent sur la surface blanche de la feuille
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une articulation originale de la langue et du corps. Les textes des Cahiers témoignent quant à eux
d’une conscience nouvelle de leur matérialité graphique, tout en participant à ce travail de
démembrement et de remembrement de la langue. Évelyne Grossman a analysé avec précision la
« scène » qu’ils composent et les moyens qu’ils mettent en œuvre pour « inventer une langue qui
s’articule dans tous les sens d’un espace ouvert sur la page »49. S’ils réalisent de la sorte une
opération analogue à celle dont les dessins témoignent, ils sont supposés en revanche prendre corps
dans « le haut plein des voix »50, et l’on sait qu’Artaud les proférait avant de les écrire, à cette
période avancée, et les écrivait bien souvent en vue de les proférer.
En se penchant sur l’imaginaire que déploient les divers poèmes relatifs à son œuvre
plastique, enfin, on découvre avec étonnement que le dessin lui aussi doit sortir de son cadre.
Artaud évoque à plusieurs reprises une scène antérieure au dessin et à l’écriture, qui comprendrait
des gestes et des syllabes proférées : l’artiste se livrerait à une opération magique qui se déroulerait
à la fois dans l’espace du réel et dans celui du surréel. Or l’instant de la création graphique tel
qu’Artaud le figure se révèle être singulièrement proche de la performance annoncée par les
derniers textes qu’il consacre au Théâtre de la Cruauté. Si les essais sur le théâtre ne mentionnent
jamais explicitement le dessin et si les commentaires sur le dessin ne font nulle allusion au théâtre,
ces ensembles poétiques cependant se rejoignent lorsqu’ils décrivent l’artiste ou l’acteur en voie de
se refaire un corps, au point qu’ils paraissent désigner une seule et même scène, située
vraisemblablement hors du temps. Ce télescopage permet de reconsidérer à mon sens le statut des
performances tardives. Celles-ci tendraient à rejouer l’événement expressif, à la façon de rituels
profanes, en ravivant les traces que composent les Cahiers et les « dessins écrits ».
Natacha Allet enseigne actuellement à l’Université de Genève en tant qu’assistante au
Département de Français Moderne, où elle prépare une thèse consacrée à Artaud, sous la direction
de Laurent Jenny. A paraître : « La scène invisible dans l’œuvre d’Antonin Artaud », dans les Actes
du colloque international « Textes en performance », tenu à Genève les 27, 28 et 29 novembre 2003
et Les autoportraits d’Antonin Artaud. Jet, trajet, coll. « Images », La Dogana, Genève, 2005.
Adresse électronique où la joindre :
[email protected]
49
50
Artaud/Joyce. Le corps et le texte, Paris, Nathan, coll. « Le texte à l’œuvre », 1996, p.194.
Antonin Artaud, Projet de lettre à G. Le Breton, 7 mars 1946, in Œuvres complètes, Gallimard, tome XI,
p.187.
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L’influence de Baudelaire sur les critiques d’art d’Antonin Artaud
Dora Schneller
Je rédige ma thèse sur l’activité critique d’Artaud : j’analyse ses comptes rendus des Salons,
ses écrits sur la peinture de ses contemporains, les commentaires de ses dessins et son essai sur la
peinture de Van Gogh.
L’activité critique d’Artaud est considérée même de nos jours comme d’importance
secondaire, pourtant la peinture a occupé une place très importante dans sa vie dès ses débuts
littéraires. Dans les écrits sur la peinture s’est déployé petit à petit, comme chez Baudelaire ou chez
Diderot, une pensée esthétique autonome et une conception de l’histoire de l’art. Le travail qui a été
fait par les historiens littéraires et par les historiens de l’art sur l’activité critique de Diderot ou de
Baudelaire n’a pas encore été fait sur l’activité critique d’Artaud.
L’un des thèmes de ma thèse est l’étude de l’influence de l’esthétique baudelairienne sur les
critiques d’Artaud, surtout sur les premiers écrits sur l’art. Artaud a beaucoup aimé Baudelaire et il
a été influencé par lui. L’influence de Baudelaire se manifeste surtout dans ses premiers poèmes,
dans ses comptes rendus et dans les textes écrits durant la période surréaliste. Durant et après
l’internement, cette influence est moins explicite, mais le nom de Baudelaire revient à plusieurs
reprises dans sa correspondance et dans les écrits tardifs.
Artaud ne mentionne pas les critiques d’art de Baudelaire dans son œuvre. Malgré l’absence
de référence à l’œuvre critique de Baudelaire, la composition, le style et certains thèmes des
comptes rendus prouvent qu’il connaissait bien les critiques de Baudelaire et qu’il a été influencé
par eux. Artaud commence à écrire des comptes rendus dans la lignée assez directe de Baudelaire et
d’Apollinaire en choisissant le genre du salon. Ce genre, élaboré au XVIIIème siècle et situé entre
journalisme et littérature, a été renouvelé par Baudelaire. Baudelaire a écrit son premier salon en
1845. Dans ce salon il a distribué son compte rendu en fonction de la hiérarchie classique des
genres picturaux. Entre 1845 et 1846 une mutation de style et de visée s’est opérée. La composition
du deuxième salon obéit déjà à une logique de pensée et à une théorie de la peinture. Le critique ne
se contente plus de décrire les éléments de l’œuvre en visant à l’objectivité, mais elle entretient des
affinités de plus en plus fortes avec le lyrisme. Comme les premiers textes de Baudelaire, les
premiers comptes rendus d’Artaud sont des textes qui sont beaucoup plus proches du journalisme
que de la littérature. Artaud veut avant tout informer et instruire le public. Ses textes montrent
l’influence de Baudelaire non seulement au point de vue du genre adopté ou du style, mais au point
de vue des thèmes abordés aussi. Par exemple dans un écrit intitulé Le peintre le plus représentatif
du génie de la race et le sculpteur Artaud en écrivant sur la notion du génie affirme que son peintre
préféré est Delacroix et la courte analyse qu’il donne sur la peinture française est fortement
influencée par l’esthétique du romantisme et de Baudelaire. Dans le cas des critiques d’art d’Artaud
on peut également parler d’un processus, d’une mutation de style et de visée. Cette mutation se
produit dans les années trente. Les textes d’Artaud s’éloignent du journalisme et deviennent plus
littéraires, plus travaillés Comme pour Baudelaire , pour Artaud l’activité critique se transforme en
un véritable travail d’écriture. Dans ma thèse j’analyse d’une maniéré approfondie quatre textes
importants des années trente : l’article sur la peinture de Balthus, l’essai intitulé Le Théâtre et la
métaphysique qui portait d’abord le titre Peinture, l’étude intitulée « La jeune peinture française et
la tradition », et son article sur la peinture de Maria Izquierdo. Dans ces textes se dessine déjà,
comme dans les écrits sur l’art de Baudelaire, une poétique de la peinture.
Dans certains poèmes des Fleurs du mal, mais surtout dans ses critiques d’art, Baudelaire
élabore la théorie des correspondances. L’influence de la théorie des correspondance se manifeste
dans les poèmes de jeunesse d’Artaud, dans ses écrits sur la peinture et dans ses essais sur le
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théâtre. Un poème de jeunesse qui porte le titre « En Songe » se présente comme une réécriture des
écrits de Baudelaire sur les correspondances et comme un hommage à l’auteur du célèbre sonnet.
Dans les écrits sur la peinture, la synesthésie tisse d’un art à un autre des correspondances. Dans ses
critiques d’art, Artaud passe souvent du registre visuel au registre musical, analysant la jeu des
formes picturales comme rythme ou orchestration. On trouve le même processus chez Baudelaire,
qui dans le Salon de 1846, dans un texte intitulé De la couleur en décrivant un paysage au coucher
du soleil définit la couleur comme une mélodie, une symphonie, un hymne compliqué. Sa
description se signale par le recours systématique à des notions musicales. Dans Les Phares il
compare les tableaux de Delacroix à la musique de Weber.
Chez Artaud, la référence à la musique apparaît dès le début des années vingt. Dans un court
texte écrit sur la peinture de Fraye en 1921 il note : « Fraye est une sensibilité qui s’exprime par le
truchement de la toile, un poète, un musicien ». 51 A propos d’un tableau d’André Masson il écrit
que « tout l’air est comme une musique figée, mais une vaste, profonde musique, bien maçonnée et
secrète ».52 Du tableau de Lucas van Leyden, Loth et ses filles Artaud dit dans Le Théâtre et son
double qu’il « touche l’oreille en même temps que l’œil ».53 Dans son essai sur Van Gogh, Artaud
appelle les tableaux de Van Gogh des « chants d’origine » et compare Van Gogh à un musicien. Il
ne cherche pas à décrire les tableaux de Van Gogh, mais comme Baudelaire fait pour parler de
Delacroix, il cherche plutôt à en retrouver l’équivalent rythmique et musical.
Un autre point commun entre Baudelaire et Artaud que j’examine dans ma thèse concerne
leur position à l’égard du réalisme en peinture. Baudelaire s’oppose à l’esthétique réaliste qui
triomphe en 1859 et il la critique vivement dans le salon de 1859. Au réalisme il oppose le
supernaturalisme de Delacroix. Artaud critique aussi le réalisme, « la peinture photographie ». Au
réalisme il oppose dans les années trente la peinture de Balthus.
Plusieurs poèmes des Fleurs du mal transposent des tableaux, des gravures ou des statues.
L’étude de Jean Prévost, Baudelaire, Essai sur l’inspiration poétique montre comment le regard
porté sur la peinture, la sculpture, la gravure ou le dessin avait nourri chez Baudelaire l’invention
poétique. La critique a été en effet l’un des foyers de l ‘écriture des poèmes. Plus encore que les
critiques d’art, le travail d’intégration du pictural aux Fleurs du mal a pu servir de modèle pour
Artaud. Plusieurs poèmes en prose et poèmes d’Artaud s’inspirent de la peinture. Dans ma thèse
j’analyse comment la peinture d’André Masson, de Balthus ou de Van Gogh a nourri l’invention
poétique.
Dora Schneller est maître-assistant au Département d’études françaises de l’Ecole
Supérieure Károly Eszterházy en Hongrie. En co-tutelle, elle prépare une thèse sur la critique d’art
d’Artaud à Paris 7 et à l’Université Eötvös Loránd de Budapest, thèse dirigée par Evelyne
Grossman et Judit Karafiáth. Parmi ses derniers articles : « Színház és szürrealizmus. Az Alfred
Jarry színház » in Átváltozások, 2001, numéros 20-21 (texte en hongrois sur le théâtre de Jarry) et
« La figure d’Antonin Artaud à partir du spectacle Histoire vécue d’Artaud-Mômo de Philippe
Clévenot » in Acta Academiae Paedagogicae Agriensis, Actes des quatrièmes journées d’études
françaises, Eger, 2003.
Adresse électronique où la joindre :
[email protected]
51
52
53
Antonin Artaud, Œuvres Complètes, Gallimard, Paris, 1980, t II., p. 184.
Antonin Artaud, Œuvres Complètes, Gallimard, Paris, 1984, t I., p. 60.
Antonin Artaud, Oeuvres Complètes, Gallimard, Paris, 1978, t IV., p. 32.
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Artaud, Blanchot et l'écriture d'un corpoèmeprocessus
Clarissa Alcantara
Je suis devant mon sujet de thèse, un concept que je me propose de [in]définir : le
corpoèmeprocessus. Comme mot inventé, je m’en sers en tant que sac à main, une valise, un mot
valise (ou même comme passe-partout, un mot passe-partout, comme une clé qui ouvre plusieurs
serrures). Tandis que comme expérience, il demeure indéterminé. Expérience performante qui
emerge à la surface invisible d’un espace hors discours et hors langage.
Corps, poème, processus. Le corps c’est le propre étant l’impropre ; le poème, un sortilège
corporel que j’éprouve en le laissant se faire; le processus, un acte poématique de déconstruction,
pas destruction mais une construction qui arrive déplacée de son propre centre, créé à partir de la
tension entre sujet et objet dans l’intérieur de ma propre personne mise en acte. « La recherche, dit
Blanchot, serait donc de la même sorte que l’erreur. Erreur, c’est tourner et retouner, s’abandonner
à la magie du détour. L’égaré, celui qui est sorti de la garde du centre, tourne autour de lui-même,
livré au centre et non plus gardé par lui 54 ». Je l’appelle l’acte/processus où le corpoèmeprocessus
apparaît, sans représentation, sans art, sans sujet, à perdre la pensée. On crée une tension et un choc,
parce que le chercheur n’est pas seulement impliqué avec son objet de recherche, arrivé à ce point
il est implanté, enraciné et en risque, créant de cette tension causée par les conditionnements
théoriques et pratiques du processus, l’expression d’un discours bouleversant qui se laisse faire par
accident. J’écris ma thèse à la première personne. Je developpe cette thèse comme un journal que je
ne peux pas nommer intime. L’idée, alors accordée, d’un possible journal-thèse est devenue
l’experiénce détournée d’un journal extime. Discours fendillé en paradoxe, tombant dans
l’aveuglette de celui qui écrit on a le sens de créer la contradiction maudite. Comme Artaud, « je ne
sépare pas ma pensée de ma vie. Je refais à chacune des vibrations de ma langue tous les chemins
de ma pensée dans ma chair » 55 et Bataille me remet [à] la clé occulte de cette expérience:
L’expérience atteint... la fusion de l’objet et du sujet, étant comme sujet non-savoir,
comme objet l’inconnu. Elle peut laisser se briser là-dessus l’agitation de l’intelligence: (...)
rentrer en soi-même au contraire pour y trouver ce qui manqua du jour où l’on contesta les
constructions. « Soi-même », ce n’est pas le sujet s’isolant du monde, mais un lieu de
communication, de fusion du sujet et de l’objet 56.
Debuté cela fait une vingtaine d’années sous le nom de Théâtre Désessencé (dé-, des-, désélément, du lat. dis-, qui indique l'éloignement, la séparation, la privation ; et essence ce qui
constitue la nature d'un être, opposé à accident, le fond de l'être, la nature intime des choses), cette
expérience se defait de l’idée de la totalité de l’essence et par accident se découvre la pure
extériorité de dedans. On partait de l’expérience de l’ acteur dans l’instant de l’acte. Il y a quelque
chose qui se présente là, mais qui échappe et qui va au-delà de la représentation, rendant l’acteur
anonyme, indépendant, separé et maintenu dans une voie detournée de ce que serait le savoir
« être », puisqu’il n’y a plus une question de l’être et si une question toujours autre, « question de
l’Autre », la plus profonde, laquelle, dit Blanchot, « se dissipe dans le langage même qui la
comprend »57, donc l’être-du-acteur sort de la garde du centre de n’importe quel savoir, étant un
dérouté, un égaré. La présence de l’être-du-acteur est une absence qui là s’expose : peut-être elle,
peut-être lui, peut-être nous, n’importe quel moi. Le « moi » ce n’est pas le mien. Alors, qu’est-ce
54
55
56
57
Maurice Blanchot. L’entretien infini, Gallimard, 1969, p. 36.
Antonin Artaud. « Position de la chair », La Nouvelle Revue Française, déc., 1925 p. 681.
Georges Bataille, L’expérience intérieur, Gallimard, 1954, p. 21.
Maurice Blanchot, L’entretien infini, op. cit., p.23
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qui existe là ? C’est l’autre qui vie en reflet de moi en train de me dire : « c’est toi qui doubles, c’est
toi le double, et non pas moi » (...) , pourquoi ce double et cet écho ? Pourquoi un double et un
écho, pourquoi un vide, pourquoi un plein ? Qui a fait les catégories, les êtres, les déterminations ?
sinon ce double et cet écho ? »58. Une question qui veut se maintenir absolument comme telle et
c’est dans cette expérience du non-savoir que le Théâtre Désessencé demeure, résolument.
Mais c’est le souffle d’Artaud qui élargit comme un double chaque pli de ce corpsécriture, ça
je l’éprouve comme une opération à coeur ouvert: « Je connais un état hors de l’esprit, de la
conscience, de l’être, et qu’il n’y a plus ni paroles ni lettres, mais où l’on entre par les cris et par les
coups. / Et ce ne sont plus des sons ou des sens qui sortent, plus des paroles mais des CORPS »59.
Ainsi, comme énonce Artaud, on fait « l’exercice d’un acte dangereux et terrible » où « la
transformation organique et physique »60 est visible et palpable dans le corps et dans le discours à
la fois. Le dis-cursus, duquel parle Blanchot, « cours désuni et interrompu », imposant l’idée de
fragment comme cohérence61 et, en même temps, un « discorps », comme indique Évelyne
Grossman dans L’aliéné authentique : « corps et discours intriqués, discordance et accords »62 .
Le corpoèmeprocessus c’est un corps toujours en train de se faire et jamais parvenant à l’état
d’achèvement, où la pureté intégrale que cherche le corps d’Artaud se trouve exactement dans le
flux du processus permanent de discontinuité. Un corps qui est la substance physique, existant dans
la structure indéterminée et indéfinie d’un poème désormais sans plus de paroles, faite de muscle et
poussé pour le rythme du souffle, avec cette « sorte de musculature affective qui correspond à des
localisations physiques des sentiments »63.
Et qui dit sentiment dit pressentiment, c’est-à-dire connaissance directe, communication
retournée et qui s’éclaire de l’intérieur. Il y a un esprit dans la chair, mais un esprit prompt comme la
foudre. Et toutefois l’ébranlement de la chair participe de la substance haute de l’esprit. 64
Pas de lui, pas d’elle, c’est en moi que l’autre vit et apparaìt dévoilé comme la vérité
inconnue. Beaucoup plus radicalement que quand je m’emprunte un « il », un « elle », un « on ».
Le « moi », cru et terrifiant vient pour être l’extrémité de la limite par celui qui parle, le moment où
j’éprouve en moi-même l’autre que je suis. Cette « irréductible secondarité, origine toujours déjà
dérobée »65 , comme écrit Derrida, laquelle se découvre le sujet parlant. Ce « dérobement » duquel
parle Derrida, c’est ce qui permet la possibilité de l’expérience d’un corpoèmeprocessus qui n’a
d’autres fins qu’elle-même. C’est dans le bouleversement de ce corps-là poussé à l’extrême de sa
faiblesse et de sa fatigue, exténué dans le vide de soi-même, que je me demande : qui est l’autre que
le « je » est ? Dans l’acte/processus tout se défigure. Si, il y a un autre, à la fois “mâle et femelle,
expansif et attractif, positif et negatif”, peut-être l’origine sans l’origine du « androgyne, équilibré,
neutre »66.
Mais ce que j’écris n’est jamais ce que j’écris, même si il m’est nécessaire d’écrire pour ne
pas perdre ce qui se dés-écrit, c’est-à-dire, la parole qui ira se défaire dans le corps en d’autre
espace qui est aussi de l’écriture.
58
Antonin Artaud, Œuvres Complètes, Suppôts et suppliciations, Gallimard, 1978, p. 70.
Antonin Artaud, Œuvres Complètes, Suppôts et Suppliciations, op.cit., p.31
60
« Le théâtre et la science », in L’Arbalète, n. 13, été 1948. In : Évelyne Grossman. L’aliéné authentique.
Farrago, Tours, 2003, p. 28
61
Maurice Blanchot, L’entretien infini, op. cit., p. 2.
62
Évelyne Grossman, op. cit., p. 28.
63
Antonin Artaud, Œuvres Complètes, Le théâtre et son double, Le théatre de Séraphin et Les Cenci,
Gallimard, 1978, p. 125.
64
Antonin Artaud, « Position de la Chair », op. cit., p. 681.
65
Jacques Derrida, « La parole soufflée », in L’écriture et la différence, Seuil, 1967, p. 264.
66
Antonin Artaud, Œuvres Complètes, Le théâtre et son double, Le théatre de Séraphin et Les Cenci, op. cit., p.
128.
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En co-tutelle, Clarissa Alcantara prépare une thèse sur le « Théâtre Désessencé » et le
« corpoèmeprocessus » à l’Université de Santa Catarina au Brésil et à Paris 7, thèse dirigée par
Alckmar Luis dos Santos et Christophe Bident. Parmi ses publications (livre et articles) : la pièce de
théâtre Hermafrodito (Pelotas/RS, 1990), « No Interior da Cena Antes da Missa » in Annuaire de
Littérature, Florianópolis/SC, 2001 et « A teatralidade do ato poético: uma inscrição do
poema/processo no espaço » in Cahier de résumés du Congrès International : Brésil 500 années de
decouvertes littéraires, Universidade de Brasília, Braília/DF, 2000.
Adresse électonique où la joindre
[email protected]
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Table des matières
Journée doctorale sur Blanchot, co-organisée par Christophe Bident (7 novembre 2003)
Emmanuelle Ravel
De la dialectique négative chez Blanchot et Adorno ------------------------------------------------- p. 3
Eric Hoppenot
Maurice Blanchot et l’interdit de représentation, ou combattre les images ----------------------- p. 5
Sylvain Santi et Jonathan Degenève
Bataille et Blanchot après coup ------------------------------------------------------------------------- p. 6
Arthur Cools
Vers une approche du différend entre Maurice Blanchot et Emmanuel Lévinas ----------------- p. 10
David Uhrig
La dimension du subjonctif dans Aminadab de M. Blanchot --------------------------------------- p. 12
Kai Gohara
« Il y a » de l’image ou le pied de Catherine Lescaut ------------------------------------------------ p. 14
Aïcha Liviana Messina
C’est donc bien moi… L’indiscrétion du Dernier homme ------------------------------------------ p. 16
Mathieu Bietlot
Blanchot et Hegel : l’impossibilité d’en finir --------------------------------------------------------- p. 18
Thomas Regnier
De Zarader à Blanchot ----------------------------------------------------------------------------------- p. 20
Benoît Vincent
A l’instant -------------------------------------------------------------------------------------------------- p. 22
Journée doctorale sur Beckett, co-organisée par Evelyne Grossman (6 mai 2004)
Lorraine-Soëli Heymes
La question de l’irreprésentable et la transcription des troubles narcissiques
dans Quad et autres pièces pour la télévision -------------------------------------------------------Chiara Montini
Les étapes de l’œuvre bilingue de Becket ------------------------------------------------------------Thierry Guérin
Le dernier péché contre l'échec de la parole :
l'hypothèse d'une incantation dans la dernière trilogie beckettienne ------------------------------Jonathan Degenève
Le générique du Film de Beckett -----------------------------------------------------------------------
p. 27
p. 29
p. 31
p. 33
Journée doctorale sur Artaud, co-organisée par Evelyne Grossman (7 mai 2004)
Lorraine Dumenil
Artaud et Michaux : le déplacement des activités créatrices ---------------------------------------- p. 37
Sylvain Tanquerel
Métamorphoses des figures du féminin dans les Cahiers de Rodez d’Antonin Artaud --------- p. 40
Natacha Allet
La performance à la galerie Pierre ---------------------------------------------------------------------- p. 42
Dora Schneller
L’influence de Baudelaire sur les critiques d’art d’Antonin Artaud ------------------------------ p. 44
Clarissa Alcantara
Artaud, Blanchot et l'écriture d'un corpoèmeprocessus ---------------------------------------------- p. 46
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