Un journaliste de Mediapart témoigne contre le
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Un journaliste de Mediapart témoigne contre le patron des Caisses d’Epargne (Tout le procès Pérol ici) Pérol18. Jeudi 25 juin 2015, 3ème jour du procès de François Pérol, audition du 3ème témoin. Après Christian Noyer (Banque de France) et Claude Guéant (ex-bras droit de Sarkozy), Laurent Mauduit, journaliste co-fondateur de Mediapart, raconte la saga des convoitises autour de l’Ecureuil. Venu témoigner au procès de François Pérol, le journaliste Laurent Mauduit, co-fondateur de Mediapart, raconte les convoitises et coups-bas qui mènent les Caisses d’épargne dans le mur, malgré l’alerte du directeur des risques, aussitôt licencié pour mieux laisser couler la banque. (photo © GPouzin) Après une courte pause, l’audience reprend pour l’audition de Monsieur Laurent Mauduit, notre confrère journaliste co-fondateur de Mediapart, dont les enquêtes et révélations sont à l’origine des procédures judiciaires lancées contre François Pérol pour prise illégale d’intérêts dans le cadre du rapprochement des Caisses d’épargne et Banques populaires qu’il avait piloté depuis 2008 en tant que secrétaire général adjoint de l’Elysée avant d’en prendre la tête en 2009. – Je vais vous demander de prêter serment. Jurez-vous de dire la vérité toute la vérité ? répète méthodiquement le juge président du tribunal, monsieur Peimane Ghaleh-Marzban, après avoir appelé à la barre ce témoin cité à la demande des parties civiles, en lui demandant selon la coutume de décliner son identité. Un journaliste de Mediapart témoigne contre le patron des Caisses d’Epargne | 1 Un journaliste de Mediapart témoigne contre le patron des Caisses d’Epargne – Je le jure, confirme Laurent Mauduit, avant de dérouler librement son témoignage à l’invitation du président: En tant que journaliste, je chronique la vie tumultueuse des Caisses d’épargne, et ensuite l’affaire Pérol, depuis 15 ans, que j’ai commencée au Monde en 2000. J’ai une mémoire de longue date de l’affaire Pérol qui est pour moi l’épilogue de cette histoire. Elle se résume par un mot dans un mail: démutualisation, dans le mail de l’avocat François Sureau à Charles Milhaud. C’est le point de départ pour deux grandes institutions financières dont le sort est lié, la CDC et les Caisses d’épargne. Les deux ont des missions d’intérêt général, d’un côté les Caisses d’épargne collecte l’épargne populaire avec le Livret A. De l’autre la CDC finance le logement social. En 2002, la CDC devient actionnaire des Caisses d’épargne à hauteur de 35%. On va vivre le déboulonnement de cette association d’intérêt public. La première étape intervient quand Francis Mayer arrive à la CDC en grave conflit avec les Caisses d’épargne sur leur structure commune Ixis, que Milhaud veut arracher à la CDC. Les pouvoirs publics cèdent. C’est le début de la captation d’un bien public en vue de sa privatisation. François Pérol occupe le poste de directeur de cabinet adjoint de Francis Mer au ministère des finances, puis de Nicolas Sarkozy. A l’époque, beaucoup de ses amis politiques sont proches des Caisses d’épargne ou s’intéressent aux Caisses d’épargne, Valérie Hortefeux, Thierry Gaubert, proche à Neuilly, Didier Banquy, proche au budget. Et des conseillers proche de Sarkozy viennent conseiller Milhaud, Alain Minc, aussi rémunéré par le patron des Caisses d’épargne. Jean-Marie Messier, un autre proche de Sarkozy. L’avocat François Sureau, ami très proche de Nicolas Sarkozy, François Pérol et qui accompagne Alain Minc depuis 20 ans. La deuxième étape, de 2005 à 2007, accélère la démutualisation. L’association entre la CDC et les Caisses d’épargne explose, comme je le révèle dans Le Monde. Les deux sont liées par un pacte d’actionnaires. Fin 2005 il y a même un projet de cotation des Caisses d’épargne. La direction de Charles Milhaud prend langue en secret, à l’insu de son actionnaire, avec les Banques populaires, en vue de la création d’une banque d’affaire commune. Francis Mayer, le directeur de la Caisse des dépôts, émet des critiques vives contre cette initiative, parce qu’elle viole leur pacte d’actionnaire, et parce qu’il est éminemment dangereux, en terme de stratégie financière, de se désarrimer de la CDC pour aller vers les marchés. Il est aussi indigné. Je le revois, alors qu’il est très malade avant son décès en 2006. La Banque Rothschild a commis Un journaliste de Mediapart témoigne contre le patron des Caisses d’Epargne | 2 Un journaliste de Mediapart témoigne contre le patron des Caisses d’Epargne une trahison car elle les accompagnait pour leur projet de cotation. Or, le patron de la CDC découvre que la banque conseil qu’il rémunère travaille pour la banque d’en face, le groupe Banque populaire. Il s’en indigne auprès du patron de la Banque Rothschild. Dans leurs échanges de courriers de mars 2006, David de Rothschild répond à que cette accusation de déloyauté le peine. Ce document n’a jamais été public. Le patron de la CDC s’adresse à David de Rothschild, mais vise deux associés de la Banque Rothschild, François Pérol et François Henrot. Du coup on comprend que cet enchaînement est important. Francis Mayer a envisagé de porter plainte contre la Banque Rothschild. J’essaye de comprendre, en décembre 2004, dans quelles conditions François Pérol quitte le ministère des finances et saisit la Commission de déontologie. Dix-huit mois plus tard, il travaille à l’insu de la CDC pour les Banques populaires. En tire-t-il un profit personnel ? Pour cette mission de création de Natixis, la Banque Rothschild a pu toucher 25 à 30 millions d’euros, et l’usage voulant que l’associégérant pilotant l’opération touche 10 à 15% des honoraires perçus par la banque, soit 1,5 à 2 millions, j’écris qu’on peut estimer sa part à cet ordre de grandeur. Cela n’a pas été contesté. Pour m’en assurer j’ai été aux impôts vérifier ses revenus. Je ne l’ai pas publié car c’est interdit, mais le chiffre était cohérent. Ensuite le système implose. Les deux missions d’intérêt général sautent, pour céder la place à une logique plus spéculative de banque d’investissement et de marchés financiers. Troisième étape, le rôle de l’Elysée. Dans la monarchie républicaine, le pouvoir se concentre a l’Elysée. En 2007 c’est une caricature et beaucoup de choses passent entre les mains de François Pérol, par exemple l’affaire Eiffage/Sacyr. Ils sont en conflit depuis deux ans. En 2008, on cherche une solution pour racheter leur participation. Voit François Pérol à la manœuvre, quand la participation de Sacyr dans Eiffage est rachetée par un groupe d’investisseurs institutionnels français à 63 euros, nettement au-dessus du cours de l’époque. Un autre débat aura lieu sur la fusion GDF-Suez, qui est un grand dossier de polémiques et désaccords. Il y avait d’autres propositions sur la table, comme la fusion EDFGDF qui est défendue y compris à l’Elysée par Henri Guaino. Mais Albert frère avait très envie de cette fusion GDF-Suez. Il dira « j’ai été dans le bureau de François Pérol et ça s’est réglé en vingt minutes ». Il a aussi piloté la prise de contrôle de Thalès par Dassault, dont l’héritage avait été réglé par Sarkozy comme avocat. Là aussi il y avait d’autres options. Par exemple Airbus était Un journaliste de Mediapart témoigne contre le patron des Caisses d’Epargne | 3 Un journaliste de Mediapart témoigne contre le patron des Caisses d’Epargne intéressé. François Pérol a pesé sur Airbus pour que cette solution soit écartée. Dernière affaire, celle de l’arbitrage en faveur de Tapie, qui était frauduleux et a été annulé par la Cour d’appel en février. La première réunion entre Claude Guéant et François Pérol au sujet de cet arbitrage s’était tenue en présence même de Bernard Tapie. Dernière remarque : ce qui est dit dans ce procès contrevient à ce que j’ai constaté. On vous dit « La Caisse d’épargne est en crise. Sous le feu de l’urgence, Sarkozy demande à son collaborateur de la sauver ». Cela ne concorde pas avec les faits pour deux raisons. Premièrement il a participé chez Rothschild à la dérégulation de cette banque, qui aboutit au fait que Natixis, six mois après sa création, est déjà en difficulté. Deuxièmement, la Commission bancaire dit dès 2005 « cette banque est folle, elle va dans le mur, il n’y a pas de gouvernance, et elle spécule sur son compte propre, ce qui lui sera reproché ». Si la puissance publique voulait la rappeler à l’ordre ou l’arrêter, elle aurait pu le faire (NDLR, Laurent Mauduit discrédite ici le témoignage partisan de Christian Noyer, sans l’avoir entendu, comme le veut la règle qui interdit aux témoins d’assister aux audiences). Pourquoi elle ne l’a pas fait ? Parce que la banque est protégée de Nicolas Sarkozy. On la laisse aller dans le mur. J’ai publié un mail du directeur des risques de janvier 2008, qui dit à sa hiérarchie « ATTENTION DANGER: nous allons aller au drame financier ». Vous savez le sort qu’on lui a réservé ? Il a été licencié, alors qu’il était lanceur d’alerte ! Du coup on a rendu responsable qui ? Un jeune trader qui y était tellement pour rien que la procédure a été abandonnée. (Tout le procès Pérol ici) Un journaliste de Mediapart témoigne contre le patron des Caisses d’Epargne | 4