En quoi le concept de RSE peut-il contribuer au
Transcription
En quoi le concept de RSE peut-il contribuer au
Business School WORKING PAPER SERIES Working Paper 2014-164 En quoi le concept de RSE peut-il contribuer au renouvellement des politiques de ressources humaines ? André Boyer Marie José Scotto Hervé Tiffon http://www.ipag.fr/fr/accueil/la-recherche/publications-WP.html IPAG Business School 184, Boulevard Saint-Germain 75006 Paris France IPAG working papers are circulated for discussion and comments only. They have not been peer-reviewed and may not be reproduced without permission of the authors. En quoi le concept de RSE peut-il contribuer au renouvellement des politiques de ressources humaines ? André Boyer Professeur IAE de Nice [email protected] Marie José Scotto Enseignant – chercheur IPAG Business School 184 bd St Germain – 75006 Paris [email protected] Hervé Tiffon Enseignant – chercheur IPAG Business School 4 bd Carabacel – 06000 Nice [email protected] 1 Résumé Le concept de RSE apparaît comme une réponse au déficit de liens et de confiance caractéristique de notre société. La reconstruction du sens qu’induit une politique de mise en œuvre des valeurs de la RSE concerne avant tout le champ des ressources humaines. Le management des ressources humaines y joue en effet un rôle majeur de réinterprétation des fondamentaux de la GRH. La PME constituerait un cadre adéquat de création et d’expérimentation de pratiques qualitatives et de proximité. Le résultat se traduit en performance sociale, organisationnelle et économique. Mots clés: Développement durable, Responsabilité Sociale de l’Entreprise, Gestion des Ressources Humaines, Valeurs, Performance sociale-organisationnelle-économique. Abstract The rise of the concept of CSR can be understood as an answer to the evolution of our societies towards weakened social bonds and lack of trust. The implementation of a CSR policy is strongly linked with HR practices. The HR function plays a major role in the new understanding of HR fundamentals. What we suggest is a “re-discovery” of HR practices. Small and Middle enterprises (SME) might constitute an appropriate framework for new experiences in relation to a renewed Human Resource perspective. The outcome is a social, an organizational and an economic efficiency. Key words: Sustainable Development, Corporate Social Responsibility, Human Resources Management, Values, Social-organizational-economic efficiency. La crise récente 2008/2010 s’est traduite par un reflux (relatif) de la financiarisation de l’économie et des entreprises. Les interrogations quant au rôle de l’entreprise dans la société se structurent autour de nouvelles préoccupations en matière de Responsabilité Sociale. Cette « re »-découverte de l’entreprise « citoyenne », notion développée il y a près de trente ans par Edgar Morin (1981), place la Gestion des Ressources Humaines au centre de ces réflexions. Nous souhaitons explorer ici la relation entre les pratiques de RSE qui se développent (ou sont annoncées) dans les entreprises françaises et la fonction Ressources Humaines. Selon nous, ce concept de RSE se révèle potentiellement porteur d’un renouvellement de la fonction RH. Nous présentons dans la première partie le contexte explicatif de l’émergence de la notion de RSE dans le champ des préoccupations managériales. Cela nous amène dans un second temps à considérer le mouvement de reconstruction du sens qu’induit une politique de RSE, celle-ci étant particulièrement visible dans le champ des ressources humaines. Enfin une troisième partie, empirique, présente l’action d’une entreprise, PME des Alpes Maritimes, primée en 2009 par les Trophées RSE PACA. L’objectif de cet article vise à relier les pratiques analysées de RSE à la légitimité des ressources humaines. 2 1. Situation historique de l’émergence du concept de RSE Nous examinons ci-dessous la révolution post-industrielle dans ses modes de production et ses conséquences en termes de management et de lien social. 1.1 La révolution postindustrielle La RSE est un concept récent (cf. 2.1). Situer son émergence demande de qualifier le type de société dans laquelle nous vivons. L’évolution de la société s’analyse à travers une succession de périodes à nulle ou à faible évolution et de moments beaucoup plus marqués, voire de ruptures. Pour Cohen (2006) ou Postel et Rousseau (2008), les années 1980 constituent un de ces périodes de transformation culturelle nette, celui du passage de la société industrielle à la société postindustrielle. Or le mode de production d’une période induit un mode de gestion qui à son tour s’inscrit dans et inscrit des usages, des liens sociaux et des pratiques managériales. On parle de société industrielle lorsque l’industrie est au cœur de l’activité de production. Ce mode de production d’objets matériels s’est structuré, d’une certaine manière logiquement, vers la production de masse et a débouché sur un mode d’organisation du travail théorisé sous la forme de l’OST. Rappelons que ce système est caractérisé par une forte division du travail et une forte hiérarchisation entre les individus intervenant dans la production. « Les ingénieurs pensaient, élaboraient des systèmes de production, les ouvriers, par le travail à la chaîne prenaient leur part dans cette société » (Cohen, 2006). Cette dichotomie se réalisait autour d’un point commun spatial et temporel. En termes de mode de relation, chacun était lié hiérarchiquement par cette production. Le lien était le travail réalisé dans un lieu, l’usine, et en un temps partagé. Les tensions, les oppositions violentes, les souffrances des différents groupes s’effectuaient dans, autour et à propos de cathédrales industrielles, terme qui exprime l’idée d’un lieu où se rassemblaient les individus qui le font vivre. A partir de la charnière 1975-1985, nous sommes entrés progressivement dans ce que l’on qualifie de société post-industrielle ou, selon l’appellation de Manuel Castells (1998), de société informationnelle. Les modes de production ont considérablement évolués. Ils sont passés de la production de masse [fordisme] à la flexibilité de la production [toyotisme], l’emblème étant le mode de production par flux tendu. Ce glissement s’est réalisé sous la pression des changements du marché et a été rendu possible par l’arrivée massive d’innovations technologiques et financières qui interagissent entre elles et qui accélèrent à leur tour ce changement (Castells, 1998). Le contenu de la production évolue également. Les pays occidentaux produisent de moins en moins de produits matériels et de plus en plus de services. D’ailleurs on parle de zones d’activités [et non plus de zones industrielles] et de pays développés [et non plus de pays industrialisés]. L’ensemble de ces phénomènes en interaction entraîne trois types de changement majeurs : Une nouvelle division internationale du travail en métamorphose constante. Des nouvelles configurations organisationnelles. La nouvelle configuration-type est celle d’un réseau d'unités articulées entre elles. C’est ce que Castells (1998) appelle l’entreprise en réseau ou la firme horizontale caractérisée par les maîtres mots de Réseau et de Mode Projet. Cette révolution informationnelle amène les organisations à se transformer sans cesse, donc à modifier plastiquement leur organisation. On parle ainsi de plasticité structurelle et organisationnelle (Tiffon, 2010). 3 Un nouveau rôle de l’information et du savoir. Ce qui est spécifique au nouveau mode de production est l'action du savoir comme source principale de la productivité. « Pour la première fois dans l'histoire, l'esprit humain est une force de production directe, et pas simplement un élément décisif du système de production » qui s’appuie sur « sa capacité à utiliser comme force productive directe notre aptitude supérieure à traiter de l’information » (Castells, 1998). Pour notre propos, nous classons les conséquences de ces changements profonds en deux catégories respectivement rattachées au management et au lien social : 1.2 Conséquences en termes de management des ressources humaines : Les pratiques managériales évoluent en conséquence. On peut observer le changement de ces pratiques selon quatre dimensions : - La flexibilité : en lien avec la plasticité organisationnelle que nous venons d’évoquer, l’économie post-industrielle fait de plus en plus appel à la sous-traitance, au conseil, aux différentes formes d’externalisation en interne et au travail flexible que l’on appelle parfois travail précaire à l’externe. « Les entreprises … ont cherché à se délier de toute obligation de long terme vis-à-vis de leurs salariés » (Postel et Rousseau, 2008). - La qualification élevée de certains professionnels : l’économie actuelle accroît l’importance du savoir et du traitement de l’information dans toutes les professions. Le travailleur est face à une complexité croissante du travail qui demande de traiter l’information pour faire face aux aléas de situations peu ou pas prescrites, pour prendre des initiatives et pour innover. C’est le phénomène de managérialisation des rôles (Tiffon, 2010). La flexibilité nécessaire et une demande toujours plus exigeante de compétences et d’engagement conduisent à une nouvelle structuration du travail. - La dualité : le modèle dominant du travail dans l’économie informationnelle conjugue en effet une main d'œuvre qualifiée composée de personnes formées et informées et une main d’œuvre peu qualifiée jetable, qui peut-être automatisée et/ou embauchée/licenciée/délocalisée, selon la demande du marché et les coûts du travail (Castells, 1998). - L’individualisation : l’individualisation de la rémunération constatée par toutes les études est la marque de l’individualisation générale de la relation à l’entreprise. Il s’en suit moins de corps intermédiaires et l’individu se retrouve seul face à l’organisation. La conséquence est le développement de la négociation individuelle, relation déséquilibrée entre une personne et une organisation. « En perdant la dimension collective du salariat, le salarié est réexposé à l’inégalité structurelle de la relation salariale » (Postel et Rousseau, 2008). 1.3 Conséquence en termes de liens, de confiance, de sens Cet ensemble de phénomènes sociaux et de pratiques managériales en interaction modifie des repères fondamentaux comme le rapport à l’espace (diminution des territoires communs (Cohen, 2006), le passage du territoire physique à un territoire virtuel (Castells, 1998) ou au temps qui se met à fonctionner en continu): le village planétaire (Mcluhan, 1967) est devenu une réalité. Les effets sociaux sont considérables. On assiste à un phénomène de fragmentation des sociétés. Il y a moins de lieux de partage comme le travail, l’entreprise, le lieu d’origine et les lieux de partage se modifient, se virtualisent. Du coup, il y a moins de valeurs partagées ou, tout du moins, certaines apparaissent vidées de leur sens. Il n’est dés lors pas étonnant que la société post-industrielle issue de la révolution informationnelle débouche sur le courant de pensée qu’est le post-modernisme caractérisé par une montée de la fragmentation sociale et du centrage sur l’individu. Les risques de la société post-industrielle peuvent ainsi être identifiés : perte de liens, perte de confiance, perte de sens 4 collectif ou, tout du moins, glissement de sens et changement des références ce qui ouvre la voie aux risques de démotivation dans les entreprises. Or, il y a là un grand paradoxe signalé en son temps par Castells (1998) : « Jamais le travail n'a été plus essentiel au processus de création de la valeur, mais jamais les travailleurs (quelle que soit leur qualification) n'ont été plus vulnérables face à l'organisation, individus isolés au sein d'un réseau flexible qui ne sait même pas lui-même où il se situe exactement. » On retrouve ce paradoxe dans les tensions qui traversent actuellement les organisations. Ces tensions oscillent entre deux pôles : créativité et pathologie. On y relie motivation, innovation et appel au capital humain d’une part, souffrance et remise en cause de la valeur travail que symbolise l’entreprise d’autre part. C’est dans cet environnement en tension qu’apparaît un concept vivant, en construction, la RSE. Face aux risques post-industriels et à ce qui apparaît comme un vide à combler, la RSE participe à la nécessaire reconstruction du sens. Elle est un palliatif à l’effritement du fordisme (Postel et Rousseau, 2008). 2. La RSE, un mouvement de reconstruction du sens Nous définissons ci-dessous le concept de RSE, les réponses qu’elle apporte et nous l’appliquons à un cas d’entreprise. 2.1 Définition du concept de RSE Le concept de RSE demeure à bien des égards sujet à interprétations multiples. Les auteurs (Saulquin, 2004 ; Beaupré, Cloutier, Gendron et al., 2008) soulignent les convergences entre les concepts de Développement Durable (DD) et de Responsabilité Sociale des Entreprises. 2.1.1 Le concept de Développement Durable : Le rapport Brundtland1 (1987) a défini le DD comme un « développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». À partir de cette définition, Beaupré et ses co-auteurs (2008) soulignent la multiplicité des interprétations possibles en retenant plus particulièrement celle qui place le Développement Durable au cœur de trois systèmes « Triple Bottom Line » : Economie, Environnement, Social.Dans la pensée des auteurs, l’économie se définit comme l’élément médiateur entre les régulations « macro-écologiques » et le « développement des individus et des sociétés ». C’est à partir du Sommet de Rio (1992) que la préoccupation environnementale s’est étendue aux individus, aux sociétés, à l’humain comme l’attestent 9 des 27 principes de la Convention de Rio (annexe 1). Cette évolution s’inscrit au cœur du paradoxe précédemment mentionné de « tension » dans les sociétés qui affectent les entreprises. D’autres auteurs (Lipietz, 1989 ; Wauub, 1990) ont identifié les éléments de cette contradiction entre le modèle économique classique sur lequel se fonde l’organisation et le « paradigme sociétal que traduit le concept de Développement Durable » (cités par Beaupré, Cloutier, Gendron et al.2008, p.86). D’une certaine manière, cette contradiction trouve sa résolution dans l’approche de la Responsabilité Sociale. 2.1.2 La RSE : Quelle définition ? 1 Le Rapport Brundtland fut publié par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement des Nations Unies en 1987, commission présidée par la femme politique norvégienne Gro Harlem Brundtland. 5 Jacques Igalens (2003) rappelle que la RSE peut se définir comme une « intégration volontaire des préoccupations sociétales et écologiques aux activités industrielles et commerciales ». Pour Pasquero2 (2006), la Responsabilité Sociale de l’entreprise constitue : « l’ensemble des obligations légales ou volontaires qu’une entreprise doit assumer afin de passer pour un modèle inimitable de bonne citoyenneté dans un milieu donné » et nous pourrions ajouter, « à une période donnée de l’histoire » (Perez, 2005). La responsabilité sociale se place donc au carrefour de trois logiques : la recherche de légitimation des entreprises face à un environnement complexe et incertain, « en glissement de sens », générateur de risques réels mais flous, la nécessité de gérer les relations avec des parties prenantes de plus en plus présentes, et enfin comme le souligne Pasquero (2006), « la prolongation naturelle des exigences légales au-delà de leur impulsion de départ ». Les auteurs (Huybrecht, Mertens, Xhauflair,3 cités par Pasquero, 2006) montrent d’ailleurs la montée en puissance des parties prenantes et parlent même de « co-construction » de la responsabilité sociale entre l’entreprise et ses partenaires. On peut identifier différents facteurs qui témoignent de l’engagement de l’entreprise dans une logique de responsabilité sociale (Fondation Philias)4 : les valeurs et les convictions des directions, prenant conscience de l’impact économique de nouvelles exigences sociales et environnementales, les pressions provenant des parties prenantes : organisations non gouvernementales, mouvement de consommateurs, craintes des investisseurs en face du risque financier potentiel que génèrent des pratiques contraires aux critères de responsabilité éthique, sociale ou environnementale, l’anticipation d’une évolution de l’environnement institutionnel avec la mise en place par les pouvoirs publics de règles juridiquement contraignantes. Le livre vert de la Commission Européenne5 quant à lui, définit la responsabilité sociale comme les actions qui permettent « non seulement de satisfaire aux obligations juridiques applicables mais aussi aller au-delà et investir dans le capital humain, l’environnement et les relations avec les parties prenantes ». Dans notre réflexion sur l’articulation entre de nouveaux besoins et les réponses à y apporter, nous pouvons dire que l’ « une des manières de stabiliser cet environnement est de démarchandiser partiellement les relations avec les parties prenantes en les fidélisant autour de valeurs. » « La démarche de RSE (consiste alors) à … internaliser les externalités que génèrent leurs processus de production … » (Postel et Rousseau, 2008). Ces éclairages du concept de RSE apportent tous des éléments de réponse à cette nouvelle tension ou cette nouvelle contradiction qui analyse l’entreprise non seulement en tant qu’agent économique mais aussi comme un acteur social. 2.2 Les réponses qu’apporte la RSE 2.2.1 Une « ré »-conciliation Pour Champion (2004), cette prise de conscience des entreprises quant à leur responsabilité sociale modifie la représentation que ces dernières peuvent avoir d’elles-mêmes et les conduit à réfléchir sur la nature de la « contribution positive » qu’elles peuvent apporter à la société. Cette contribution positive se manifeste à travers différentes données sociales et 2 Jean Pasquero : Professeur au département Stratégie des Affaires à l’Ecole des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal. 3 Benjamin Huybrechts, Sybille Mertens, Virginie Xhauflair, professeurs à l’Université du Québec à Montréal. 4 Fondation Philias : www.philias.org 5 Commission Green Paper 2001 « promoting a European Framework for Corporate Social Responsbility 6 environnementales que la loi NRE6 de 2001 a d’ailleurs formalisé et imposé aux entreprises cotées. Le volontariat des entreprises résidera alors dans un dépassement des obligations minimales au regard des données qui seront présentées à leurs différents publics. Même si les informations produites peuvent rester a minima au niveau du « déclaratif », la nécessité de la divulgation pousse les entreprises vers un questionnement de leurs actions (Saulquin, 2004) et les amène à considérer différemment leurs partenaires externes et internes. Le concept de « parties prenantes » théorisé par Freeman (1984) qui les définit comme « tout groupe ou individu qui peuvent influencer ou être influencé par la réalisation des objectifs de la firme » revient en force depuis 1995 (Poissonnier et Drillon, 2008). Ce retour réintroduit d’autres acteurs que les actionnaires tels que les salariés, les clients, les fournisseurs (Preston, 1999, cité par Poissonnier et Drillon, 2008). Ceci amène à l’émergence de nouvelles pratiques managériales, inspirées par les concepts de RSE et de Développement Durable. Les auteurs considèrent les salariés comme une « partie prenante essentielle », premier facteur de performance des entreprises (p.32). Il n’est donc pas étonnant de voir souligné le « rôle essentiel du service RH dans l’implantation des politiques et des pratiques de RSE dans les entreprises » (Beaupré, Cloutier, Gendron et al., 2008). « La RSE apparaît (…) comme une nouvelle forme de conciliation possible entre les différents acteurs de l’entreprise » (Postel et Rousseau, 2008). 2.2.2 La traduction des principes de la RSE dans la pratique des Ressources Humaines Les études récentes (Krauthammer, 2010) montrent que les entreprises divulguent de manière croissante des indicateurs relatifs à leurs politiques de recrutement et de formation. La fonction Ressources humaines peut facilement identifier les apports de l’ « esprit RSE » dans la gestion de la force de travail et mettre en œuvre les actions de facilitation, de coordination et d’expertise qui permettront d’intégrer les préoccupations RSE dans le fonctionnement de l’entreprise. Pour autant, les Ressources Humaines ne sont que le moyen et le rôle de la Gouvernance de l’entreprise reste crucial pour tracer la route et inscrire la mise en œuvre de la RSE dans l’entreprise comme un objectif stratégique. En France, particulièrement, Saulquin (2004) souligne que la logique d’entrée de la RSE reste dans un premier temps, une logique sociale. L’étude récente du cabinet Krauthammer (2010) montre également que le social apparait comme le premier ancrage de la RSE pour les salariés français. Pour les responsables d’entreprises, cette prise de conscience amène à reconsidérer certaines dimensions négligées de la performance et notamment celle de la performance organisationnelle via le capital humain, ce que nous nommons « construction organisationnelle de la compétence collective » (Tiffon, 2010). Nous remarquons donc les liens qui se tissent entre Responsabilité Sociale d’entreprise et les Théories de la Firme basées sur le concept de Ressources (Poissonnier et Drillon, 2008). Dans l’approche par les ressources, l’entreprise se définit comme un ensemble de ressources et de capacités. Parmi la typologie des ressources disponibles, les ressources humaines et organisationnelles ont été identifiées depuis plusieurs années comme comptant parmi les plus importantes (Barney, 1991, Grant, 1991) Dans cette logique, Saulquin et Schier (2007) ont souligné le rôle de levier dynamique interne et de levier d’ouverture que constituait la RSE. Le modèle de Morin et Savoie (2002) considère clairement la Gestion des Ressources Humaines comme le socle de la performance organisationnelle. Tableau 1 : Ressources Humaines et Performance organisationnelle Ressources Humaines Efficience Economique Engagement des salariés Utilisation des ressources 6 Et notamment le texte du décret de l’article 116 sur le reporting social et environnemental des sociétés françaises cotées 7 Rendement Compétences GPEC Climat Social de travail Légitimité de l’Organisation Productivité Pérennité de l’Organisation Respect de la Règlementation Compétitivité Responsabilité Sociale Qualité des produits/et ou des services Responsabilité environnementale Satisfaction des partenaires Source : d’après Morin et Savoie (2002) cité par Poissonnier et Drillon, (2008). Les travaux de Beaupré, Cloutier, Gendron et al. (2008) auprès de huit entreprises françaises de différents secteurs (services et industrie) illustrent également les avantages d’une gestion des ressources humaines respectant les principes de RSE, à savoir créer « un levier d’amélioration, d’efficacité économique et d’innovation pour l’entreprise », permettant d’engranger « des bénéfices organisationnels, financiers et sociétaux » Pour ces auteurs, ceci participe de la logique même de la responsabilité de la fonction dans la diffusion des valeurs d’éthique au travail dans l’entreprise. Les valeurs identifiées par les auteurs sont la justice, l’égalité des chances, le respect et le droit à des conditions de travail décentes, valeurs qui renvoient au déficit de liens, de confiance et de sens signalé au début de cette recherche. Le contexte des travaux que nous avons considéré concerne majoritairement des grands groupes. Cependant les PME constituent un terrain d’exploration souvent plus révélateur de la réalité de la diffusion des pratiques RSE dans l’économie française que celui des grands groupes. 2.3. RSE et GRH dans les PME : un enjeu compte tenu du nombre et du poids dans l’économie française L’enjeu des PME est d’autant plus fort qu’elles constituent le tissu de l’économie française. Scotto, Boyer et Morin soulignent (2009) la difficulté de donner une définition précise d’une PME, que ce soit en termes de chiffre d’affaires ou de nombre de salariés. Pour notre propos, nous nous appuierons sur l’approche quantitative française qui fixe le seuil à moins de 500 salariés7. Selon les statistiques INSEE (2009), les entreprises qui emploient de 0 à 500 salariés sont au nombre de 3 105 031 à comparer au nombre total d’entreprises répertoriées en France : 3 107 578. Soit une écrasante majorité. Les entreprises qui emploient de 50 à 199 salariés quant à elles ne représentent que 1% de l’ensemble des entreprises. Le schéma ci-dessous permet d’appréhender la réalité de la fragmentation de l’économie française et l’enjeu que représente la diffusion des pratiques de RSE dans les entreprises de petites tailles, de 10 à 200 salariés. Selon Berger-Douce (2009), les études sur la fonction RH dans les PME ne datent que des années 1980. Ces études que l’auteur répertorie ont pointé les difficultés des PME à mobiliser les ressources pertinentes en gestion des ressources humaines dans un contexte de concentration des pouvoirs de décision au niveau de la direction. Les problèmes identifiés par les différents auteurs que cite Berger-Douce (2009) concernent principalement l’adéquation des compétences et des besoins, les processus de recrutement, la gestion du personnel (absence, 7 Bien que ce seuil soit plus représentatif pour les petites et moyennes entreprises de l’Industrie que pour celles du secteur des services (Scotto et Boyer, 2009). 8 turnover), les insuffisances de la gestion à court terme, le manque de ressources financières et/ou managériales, la méconnaissance de l’environnement législatif. Les études menées sur les PME (ACFCI8, 2006) montrent que 70% des PME s’impliqueraient dans des actions « socialement responsables ». Cependant, pour Jenkins (2006), citée par Berger-Douce (2009), l’absence d’une démarche structurée ne leur permet pas de communiquer efficacement sur leurs actions, ni même d’évaluer un possible retour sur investissement. Ceci est cohérent avec l’entrée par les logiques sociales que les auteurs ont soulignée, et qui laisse l’approche économique du « Business plan » insuffisamment documentée, relevant tout au plus du domaine de l’intuitif. Nous nous sommes appuyés sur les travaux de Berger-Douce (2009) et nous avons cherché à apporter de nouveaux éléments à l’étude de l’articulation entre le management des ressources humaines et la RSE dans les PME, en nous intéressant au cas d’une entreprise des Alpes Maritimes qui a été primée en 2009 pour son action en la matière. 3. Illustration : le cas d’une PME des Alpes Maritimes, l’entreprise WIT SA Nous avons utilisé comme méthodologie l’approche par l’étude de cas (Llady –Rispal, 2002) que nous avons appliqué au cas de l’entreprise WIT SA. Un guide de composés de questions ouvertes nous a permis de mener des entretiens de type semi-directif auprès des cadres dirigeants de cette firme. Nous avons complété ces données primaires par des données secondaires issues de sources documentaires. Tableau 2 : Présentation de la structure du guide d’entretien Comment ces pratiques sont-elles mises en œuvre dans les entreprises en termes de politique RH ? 1. Quelles sont les motivations qui sont à l’origine des démarches relevant de la RSE dans votre entreprise ? 2. Comment traduisez-vous ces démarches RSE en politique RH dans votre entreprise ? Relances : Formation/Communication/Rémunération/Santé/Sécurité/Pratiques emblématiques 3. Quels résultats constatez-vous ? Relances : Motivation/Initiative/créativité/innovation/Absentéisme/Indicateurs/Recrutement 4. Quels indicateurs de politiques RH issues de RSE utilisez-vous / avez-vous mis en place ? Relances : Qualité des relations de travail ? 5. Pourquoi, selon vous, les démarches de RSE, puis les politiques RH issues de ces démarches se sont-elles développées depuis les années 1990-2000 ? 3.1 Présentation de WIT SA La société WIT SA a été crée en 1984 dans les Alpes Maritimes, par le PDG actuel Georges Duffau et un autre associé Henri Renggli. Elle est actuellement située à Saint Laurent du Var (06). La société commercialise des systèmes de pilotage d’installation techniques à distance par 8 ACFCI : Association des Chambres Françaises de Commerce et d’Industrie 9 télégestion. Elle fournit aux entreprises des tableaux de bords énergétiques (états en temps réel, historiques des données, bilans réguliers, analyse de l’activité). L’entreprise conçoit donc des solutions pour la maîtrise des dépenses énergétiques des entreprises et le pilotage de leurs installations techniques. Selon le site, depuis 25 ans, l’activité de WIT SA s’inscrit dans un contexte de lutte contre le « gaspillage d'énergies naturelles et humaine » et propose depuis 25 ans des « solutions durables » basés sur trois promesses clients : rendre la vue énergétique, piloter toutes les énergies, alerter des risques environnementaux. WIT SA a équipé plus de 90 000 sites dans les secteurs du Bâtiment, de l’eau et de l’industrie. Ce qui positionne l’entreprise comme un acteur notable de la télégestion en Europe, mais également un exportateur. L’entreprise a noué des partenariats au Canada et a développé deux sociétés en Italie et en Espagne9. En 2009, cette entreprise a reçu le prix de l’esprit RSE 2009 en Provence Alpes Côte d’Azur (PACA). Ce prix récompense les entreprises pour leur politique sociale et leur engagement en termes de Développement Durable, témoignant que les principes de la RSE s’inscrivent plus globalement dans une perspective de Développement Durable. Ces Trophées récompensent à niveau départemental et régional les actions des entreprises en faveur du développement durable. Ce prix s’adresse aux entreprises ayant leur siège social en PACA ou y ayant une délégation régionale. Plusieurs prix sont en jeu et notamment des prix récompensant des PME (21 à moins de 500 salariés) et des TPE (5 à 50 salariés), mais également des salariés, grâce au Trophée RSE de la meilleure initiative des salariés. Les jurys départementaux et régionaux sont constitués par des organismes institutionnels ou associations. Y figurent notamment les instances régionales (Région PACA), l’ADEME10, la représentation régionale de l’Union Européenne, la Préfecture de région, des entreprises, des associations, des syndicats. Pour l’année 2011, le jury qui a étudié les dossiers des entreprises de 20 à 50 salariés a été constitué de représentants de l’Association Nationale des Directeurs des Ressources Humaines, Centre des Jeunes Dirigeants, EA Image11, IMS, Femmes 300012. Pour les entreprises de plus de 50 salariés, ce sont principalement des représentants des syndicats salariés et patronaux, tels que CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGPME 13, FO, UPE 13, CHEDD (www.rsepaca.com, 2011). Participer à ce Prix permet aux entreprises d’évaluer leurs démarches RSE. En effet, lors de la première candidature, une évaluation gratuite du dossier de candidature est proposée. Les lauréats peuvent espérer une notoriété accrue et une exposition médiatique de leurs bonnes pratiques. Les différents partenaires qui participent à cette manifestation illustrent également les croisements entre les préoccupations de Développement Durable, de Responsabilité Sociale d’Entreprise et de Diversité. 3.2 WIT SA : Une politique RH « durable » Il est intéressant de noter la cohérence entre le métier de l’entreprise et son management. Le verbatim confirme que les PME s’engagent dans des actions RSE sans en avoir vraiment conscience et sans forcément penser à valoriser leurs pratiques en termes de communication. On ne note pas d’actions de communication volontaire, structurée et stratégique, à la différence des grands groupes. L’obtention du prix RSE a été pour cette entreprise une opportunité pour se faire connaitre et se valoriser. Nous allons donc présenter les éléments caractéristiques de ce management des RH « intuitif » qui rejoint les valeurs exprimées par la RSE. 9 WIT Italy et WIT Spain Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie 11 Pôle Régional d’Innovation et d’Economie Solidaire 12 Association créée en 1989, qui a pour mission de donner de la visibilité aux femmes et à leurs projets. 10 10 Verbatim 1 « On a toujours fait de la RSE depuis 25 ans sans le savoir. Pour nous il a toujours été important de privilégier l’aspect humain, bien être et motivation des collaborateurs. La RSE on ne savait pas ce que c’était vraiment. Lorsqu’on a reçu le questionnaire pour le prix RSE PACA, c’est en le remplissant qu’on a réalisé qu’on faisait de la RSE en fait depuis la création de l’entreprise.» Verbatim 2 « Beaucoup d’entreprises en font, et n’en parlent pas. Je parle des PME. Les grands groupes c’est autre chose. Remarquez que ce sont ceux qui en parlent le plus qui en font le moins. Enfin … parfois … ». Ce management peut être qualifié de management de « proximité ». La pratique des entretiens biannuels est de la responsabilité de la direction générale comme en témoigne le verbatim suivant : Verbatim 3 « Ensuite je reçois personnellement deux fois /an tous les collaborateurs». La démarche, qui n’apparaît pas forcément structurée, intègre un mouvement ascendant et réalise la rencontre entre valeurs et volonté du PDG, et les aspirations des salariés. Verbatim 4 « Le respect de l’Homme, c’est ce qui est important pour notre PDG, Georges Duffau. Les valeurs de l’entreprise ? Respect de l’individu en tant que tel. L’objectif du PDG n’a pas été que de gagner de l’argent, mais avant tout de faire grandir, de créer un collectif ». Lors de son interview, la Directrice Générale nous présente les activités du « groupe Développement Durable » au sein de l’entreprise, dont elle indique qu’il s’est crée spontanément et fonctionne de manière effective mais informelle. Verbatim 5 « Je ne sais pas… peut être notre groupe Développement Durable. (…) Ce groupe, il s’est créé tout seul, elles sont 4 ou 5, je crois qu’il y a un homme. Ce sont essentiellement des femmes, c’est informel et spontané. C’est lui qui anime l’esprit DD de l’entreprise. Il n’y a pas de niveau hiérarchique, non, non c’est comme un groupe « projet ». Le lien entre RSE et Performance de l’entreprise fondé sur la gestion de la ressource humaine est intuitif, ainsi que l’indique Jenkins (2006). Nous présentons dans le tableau suivant, les verbatim recueillis en lien avec les pratiques RH, en reprenant les items identifiés par Morin et Savoie (2002) et présentées dans notre tableau 1. Tableau 3 : correspondance Pratiques RH et verbatim recueillis Pratiques RH Verbatim Engagement « C’est gagnant-gagnant comme on dit. Quand j’ai besoin de l’équipe, un week end par exemple, tout le monde est là ». Rendement « Plus le résultat d’exploitation sera important, plus le pourcentage d’intéressement sera grand » Compétences /GPEC « Nous avons un gros plan de formation. L’évolution des compétences, c’est très important. » Climat Social « il y a un esprit famille dans la société. » « On vient de faire passer un questionnaire qui est en train d’être dépouillé et la question était : « définissez WIT en trois mots ». De mémoire, il y a eu 4 mots : dynamisme, innovation convivialité et 11 famille aussi. Les résultats vont être transmis aux salariés». « C’est aussi l’ambiance de la société qui est très importante pour la motivation». Respect « Des idées, tout le monde en donne». « Les valeurs de l’entreprise ? Respect de l’individu en tant que tel » Pérennité de « tous les mois on envoie à tous les collaborateurs, le tableau de bord l’organisation de l’activité de l’entreprise, avec des symboles : le soleil c’est que - Performance tout va bien, quant il y a un nuage c’est qu’il faut faire attention, et - Stabilité du lorsqu’il y a un nuage avec la pluie, c’est qu’il faut vraiment faire personnel des efforts et redresser la situation mais nous n’avons pas beaucoup de nuages avec la pluie ». « On n’a pas de turnover. Les deux qui sont partis l’an dernier, sont revenus». Respect de la « On fait ce qu’il faut faire. On respecte toutes les obligations règlementation légales » Source : les auteurs, d’après Morin et Savoie, 2002. L’analyse de la force de travail montre la prédominance des CDI (100% des salariés), preuve d’un management durable dans la logique du long terme. Freddy-Planchot (2002) insiste sur cette approche « égalitariste », associée à des comportements « paternalistes » qui serait assez représentatifs du management des PME. La directrice de WIT SA préfère parler du respect de l’individu dans sa vie familiale et professionnelle et de l’importance du dialogue avec la direction et l’encadrement. Ce dialogue se manifeste dans plusieurs processus RH : les entretiens d’évaluation, une certaine autonomie des salariés quant à l’organisation de leurs temps de travail. Lors des entretiens d’évaluation, trois points sont abordés dans l’ordre cité par la Directrice : - les perspectives d’évolution et de formation : Verbatim 6 : « quand on prévoit une embauche, on se demande toujours si un de nos salariés ne pourrait pas être intéressé en interne pour une évolution possible » - le salaire : WIT SA a revu à la hausse l’accord d’intéressement des salariés afin de récompenser la motivation et le dynamisme des équipes selon le Direction : Verbatim 7 : « Tous les salariés ont une part variable de leurs salaires, de la standardiste à la directrice. Cette part variable elle est en fonction des objectifs individuels et des résultats de l’entreprise. On est tous dans le même bateau. Et il y a en plus un intéressement mais qui n’est pas calculé en fonction du salaire, il est lié au temps de présence. Temps plein/temps partiel. Mais la majorité de notre personnel est en CDI temps plein ou 80% » - les objectifs : Verbatim 8 : « les objectifs, des actions correctives, comment faire pour les améliorer. Et aussi discuter avec les salariés pour qu’ils proposent leurs objectifs ». On note également une approche de triangulation qui permet l’implication commune du salarié et de sa hiérarchie dans la fixation des objectifs. : Verbatim 9 : « Les objectifs sont discutés avec le salarié, la direction générale et le responsable». La formation représente un budget important : 1.8% en 201113, mais ce pourcentage a atteint 2.5% en 2009. Le processus de recrutement assez classiquement s’appuie sur un réseau de partenaires extérieurs (cabinets de recrutement) mais il est significatif que les recommandations des salariés soient prises en compte et traitées en interne : Verbatim 10 « Mais quand les salariés nous recommandent quelqu’un, on regarde en interne…non on ne transmet pas au cabinet de 13 L’obligation légale pour une entreprise de la taille de WIT se situe à 1.6% 12 recrutement et on est rarement déçu si on recrute la personne. Il y a un bon % d’embauche qui se fait comme ça. Les gens parlent en bien de leur entreprise alors … ça attire ». Sont également intégrées au processus de recrutement des critères « techniques » mais également la compatibilité entre le futur salarié et les valeurs de l’entreprise : « Aujourd’hui la sensibilité au développement durable et à la maitrise des énergies est un critère de distinction important ». En contrepartie, l’entreprise sait pouvoir compter sur l’engagement de ses salariés à l’accroissement de la performance de l’entreprise, en termes de compétitivité, qualité des produits, satisfaction des clients. Le tableau de bord d’activité transmis chaque mois aux salariés leur permet de suivre la performance mensuelle de l’organisation et partant celle de leur collectif. 3.3 Analyse de la performance de WIT SA : Nous utiliserons les trois axes classiques de la performance globale : performance économique, sociale et environnementale. En ce qui concerne la performance économique, l’entreprise a connu un taux de croissance de 30% de 1990 à 2000, sur un marché porteur, celui de l’optimisation de la dépense énergétique. Cette croissance se poursuit actuellement soutenue comme l’indique la Direction : « par la bonne stratégie, le bon produit et les bons clients ». Cette performance économique s’appuie sur une performance sociale : « mais le plus, ce sont les RH », soutenue par une motivation importante de l’ensemble des salariés : Verbatim 11 : « Une forte appartenance au groupe. Les personnes ont envie d’évoluer tous ensemble, c’est un moteur oui un moteur très important. Nous on n’a pas de turnover». L’absentéisme est faible, le turnover également et l’entreprise organise une véritable « animation familiale ». Il faut noter que la Direction indique qu’il n’y a pas de comité d’entreprise présenté comme tel, mais un « comité des fêtes » qui prend en charge l’animation de la vie d’entreprise et la communication interne par diverses actions ludiques, solidaires, ou symboliques. Aux côtés de l’organisation d’une journée Carnaval, « casual day » ou tous les salariés viennent déguisées, ou encore des soirées « hobby » ou chaque salarié présente aux autres ses « hobbies », la directrice nous en parle (Verbatim 12) : « le Noël de WIT qui est une grande fête et chaque fois on fait quelque chose de spécial, l’an dernier, en 2009, nous avons planté des arbres dans une forêt brulée». L’obtention du prix RSE PACA en 2009 a suscité selon la direction « un regain de motivation de la part des équipes, un surcroit de fierté de travailler pour WIT, de participer à cette grande aventure humaine.» La performance environnementale est d’une certaine manière au cœur du business model de l’entreprise. Le Groupe Développement Durable (cf. Verbatim 5) a initié une action « gestion des déchets » au sein de l’entreprise, permettant l’économie de 195 ramettes de papier, 35 toners d’imprimantes et 60m3 de chips de calage.14 Mais les produits de l’entreprise sont développés dans une démarche d’éco-conception (faible consommation énergétique, longue durée de vie, composants labellisés RoHS)15. A cet égard, la directrice de WIT considère que cette évolution vers l’éco-conception a été un des meilleurs exemples des capacités de création et d’innovation des salariés de l’entreprise : Verbatim 13 : « l’idée de l’éco-conception, ça vient d’eux. Ce sont nos valeurs, l’innovation et la créativité, c’est notre métier. Des idées que les salariés prennent pour eux et qu’ils vont 14 Interview Fabienne Gastaud en 2010 : http://www.rsepaca.com/fabienne-gastaud-interview-85.html Restriction of the use Of certain Hazardous Substances in electrical and electronic equipement. En référence à la Directive Européenne RoHS (2002/95/CE) qui vise à restreindre l’utilisation de plusieurs substances dangereuses dans la fabrication des équipements électriques et électroniques 15 13 porter ». Cette remarque nous parait révélatrice de la démarche « ascendante » que nous avions soulignée précédemment dans notre analyse. L’implication forte des dirigeants fonde cette réussite. Berger-Douce (2009) a constaté également l’importance de cette implication dans l’étude du cas Cleaning, une PME du Nord de la France qu’elle a analysé. Chez WIT SA, nous avons un duo de création entre le PDG et la Directrice Générale, issue d’ailleurs de la politique de promotion interne de l’entreprise 16. Et nous rejoignons les conclusions de Berger-Douce (2009). Peu d’entreprises sont prêtes à s’engager avec autant d’ardeur dans les pratiques de RSE (ou de diversité pour le cas Cleaning). Conclusion WIT SA illustre comment le concept de RSE permet de redécouvrir et d’éclairer des pratiques « normales » de gestion des Ressources Humaines, basées sur le respect de l’individu, mais sans négliger la nécessaire et vitale performance économique de l’organisation. Cela nous semble participer d’une réinterprétation des fondamentaux de la gestion des ressources humaines. Ainsi cette fonction, au sortir de plusieurs décennies de management par la valeur financière17 retrouve une nouvelle légitimité. Nous pourrions parler d’une dimension renouvelée du métier où le management des RH participe de l’innovation managériale. D’après l’étude de Krauthammer (2010), un des facteurs clés de succès de cette politique RH inspirée par les principes de RSE serait la « résonance » avec les valeurs et les pratiques des individus. Dans l’entreprise WIT SA, le mot « sensibilité » est fréquemment employé. Ce terme amènerait à évoquer le concept de RSP : Responsabilité Sociale Personnelle, que nous voyons à l’œuvre parmi les salariés de l’entreprise WIT SA. Cette entreprise semble participer de cette évolution et ceci est d’autant plus significatif qu’elle se manifeste au sein d’une PME. Il a été notoirement souligné que les PME connaissent de réelles difficultés à structurer leur fonction RH ainsi que l’ont montré plusieurs études (Berger-Douce, 2009) que nous avons rappelées et qui s’attachent à analyser le manque de ressource globale des PME françaises. Pour autant, Bayad et Nebenhaus (1998) ont souligné l’importance de l’implication du dirigeant, confirmée par les études de terrain et Couteret (1998) considère que « la proximité des acteurs et la personnification de l’entreprise autour de la personne du dirigeant constituent sans doute des phénomènes contribuant à accroitre l’importance de la confiance. Deux mots sont à retenir : proximité et confiance. La PME constituerait ainsi un cadre pertinent de mise en œuvre de ce type de management des Ressources Humaines qualitatif et de proximité, articulé sur les valeurs de RSE. Il illustre le mouvement de reconstruction du sens en apportant une réponse au déficit de liens et de confiance constaté précédemment. Une recherche ultérieure nous semble pertinente pour examiner si ce modèle de GRH des PME, intégrant la RSE, pourrait in fine servir de modèle ou au moins d’inspiration pour les entreprises de plus grande taille. Bibliographie Barney J. (1991),« Firm Resources and sustained competitive Advantage », Journal of Management, 17, 99-120. Bayad M.et D.Nebenhaus, (1998), « Contribution à un modèle pyramidal de la gestion des ressources humaines », Revue Internationale des PME, Vol.11,N°2/3,p.161-178. 16 Mme Gastaud est entrée dans l’entreprise en 1991, en tant que rédactrice technique. WIT à l’époque ne comptait que 25 salariés. Elle a été nommée Directrice Commerciale en 1996 et Directrice Générale adjointe en 2008. 17 Qui reste encore un modèle dominant. 14 Benoit C. et M.D. Rousseau, (1990), « La gestion des ressources humaines dans les PME au Québec », Revue International des PME, Vol.11, N°1,p.39-55. Deshpande S. et D. Golhar, (1994), « HRM Practices in Large and Small Manufacturing Firms: a Comparative Study », Journal of Small Business Management, Vol.32, N°2, p.49-56. Beaupré D., Cloutier J., Gendron C., Jiménez A. et D.M orin (2008), « Gestion des ressources humaines, développement durable et responsabilité sociale », Revue internationale de psychologie, Vol.14, n°2. Berger-Douce S, (2009), « Management de la Diversité et Performance en PME », Actes du colloque International : la diversité : questions pour les sciences sociales, Strasbourg. Champion E. (2004), « Analyse du discours de Monsanto (1970-2002) : les dimensions sociales et environnementales dans le renouvellement de la légitimité institutionnelle de l’entreprise transnationale », Mémoire de Maîtrise en Sciences de l’Environnement, Université du Québec à Montréal. Castells M. (1998), La société en réseaux, Fayard, Paris. Cohen D. (2006), Trois leçons sur la société post-industrielle, Le Seuil, la République des idées, Paris. Couteret P. (1998), « Gérer les ressources humaines de la petite entreprise par la confiance Revue International des PME, Vol.11, N°1, p.95-111. D’Amboise G. et D. Garand. (1995), « Identification des besoins des PME an matière de gestion des ressources humaines », Gestion 2000, N°1, p.109-132. Freddy-Planchot A. (2002), « La gestion des RH dans le PME à caractère familial », in Caby J.et Hirigoyen G., La gestion des entreprises familiales, Economica, Paris, p.193-204. Freeman R.E. (1984), Strategic Management: a stakeholder approach, Marshall, M.A.Pittman Gond J. P. (2006), « Constructing the positive relationship between Corporate Social and Financial Performance on Financial Market », Actes de la XVème conférence de l’AIMS, Annecy. Grant R. (1991), « Resource-Based Theory of competitive advantage: implication for strategy formulation », California Management Review, 33, 114-135. Huybrecht B., Mertens S. et V. Xhauflair (2006). « Les interactions entre l'économie sociale et la responsabilité sociale des entreprises : illustration à travers la filière du commerce équitable », Revue International de Gestion, Vol.31, N°2, p.65-74. Igalens J. (2003), « DRH aujourd’hui, DRS demain », Personnel, N°442. Jenkins H. (2006),« Small Business Champions for Corporate Social Responsibility», Journal of Business Ethics, N°67, p.241-256. Krauthammer Observatory, (2010), what behaviour do European employees seek from managers. Lipietz A. (1989), Choisir l’audace. Une alternative pour le XXème siècle, La Découverte, Paris. Llady–Rispal M. (2002), La méthode des cas : application à la recherche en gestion, Perspectives Marketing, De Boeck, Bruxelles. Mahé de Boislandelle E. (1998), Gestion des ressources humaines dans les PME, Economica, Paris. Morin E. (1981), Pour sortir du XXe siècle, Le Seuil. Morin E. et M. Savoie (2002), « Les représentations de l’efficacité Organisationnelle : développements récents », Revue Internationale de Gestion, Vol.8, p.206-354. Paradas A. (1998), « Evaluer la formation dans les entreprises françaises », Revue Internationale des PME, Vol.11, N°2/3, p.31-48. Pasquero J. (2006), « La responsabilité sociale comme nouvelle forme de régulation économique », Gestion, vol. 31, n°2, 51-54. Perez R. (2005), « Le management responsable », Revue des Sciences de Gestion : Direction et Gestion, n° 211/212. 15 Poissonnier H. et D. Drillon (2008), « Le développement de la gestion durable des ressources humaines : un éclairage par les outils de pilotage des performances », Vie et Sciences Economiques. Postel N. et Rousseau S. (2008), RSE et éthique d’entreprise : la nécessité des institutions, Revue M@n@gement, volume 11 n° 2, p. 137-160. Preston L.E. (1999), « Stakeholder Management and Organizational Wealth», Academy of Management Review, Vol.24, N°4, p.619-620. Saulquin J.Y. ( 2004), « GRH et responsabilité sociale : bilan des discours et des pratiques des entreprises françaises », 15ème congrès annuel de l'AGRH, Montréal. Saulquin J.Y, et G. Schier (2007),« Responsabilité sociale des entreprises et performance : complémentarité ou substituabilité ? », La Revue des Sciences de Gestion, direction et gestion des entreprises, n° 223. Scotto M.J., Boyer A. et C. Morin (2009), « les questions d’égalité professionnelle ne sont – elles que des préoccupations de riches : le transfert vers les PME des bonnes pratiques développées par les grandes entreprises », Nouvelles perspectives en Management de la Diversité, sd. BARTH et FALCOZ, EMS Management et Société. Tiffon H. (2010), L’homme et l’organisation, l’articulation singulier – pluriel dans les organisations, Editions Universitaires Européennes, Sarrebruck. Vilette M.A., (2008), « Gérer autrement les RH en PME : convergence entre travail à temps partagé et TIC », Management et Avenir, N°16, p.47-65. Waaub J.P. (1990), « Croissance économique et développement durable : vers un nouveau paradigme du développement », in J. Prades, J.G.Vaillancourt, R. Tessier (Eds), Environnement et développement : questions éthiques et problèmes socio -politiques, Fides, Montréal. 16