Dossier - Bourgogne Aujourd`hui

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Dossier - Bourgogne Aujourd`hui
Dossier
QUAND LA SCIENCE
S'INTÉRESSE
AUX TERROIRS !
50 • Bourgogne Aujourd’hui 62
Que n'a t'on entendu et lu de poétique, folklorique,
dogmatique ou simplement farfelu sur les terroirs
bourguignons ! Nous avons donc choisi de faire
appel à de vrais scientifiques, des hommes et des
femmes de terrain, chercheurs, chercheuses, enseignants, enseignantes au Centre des sciences de la
Terre et de l’environnement, à l'université de Bourgogne, pour réaliser ce
dossier. Ils sont encore
loin de tout pouvoir
expliquer, mais leurs
connaissances et les
moyens modernes mis en
œuvre nous font entrer
dans une ère nouvelle en
matière de connaissance
des terroirs viticoles.
Le voile commence à se lever…
SOMMAIRE :
Pages 52 à 57 : de -150 millions d'années à nos jours
l'histoire de la formation des terroirs bourguignons
Pages 58 à 64 : recherche et perspectives
Pages 66 à 70 : les terroirs des différentes régions viticoles
Dossier coordonné par Christophe Tupinier, avec la très étroite et active contribution de
* Jean-Pierre Garcia, professeur de géologie, directeur du Centre des sciences de la Terre
et de l’environnement de l’université de Bourgogne, UMR CNRS 5561 Biogéosciences
** Christophe Petit, maître de conférence en géo-archéologie, Centre des sciences
de la Terre et de l’environnement de l’université de Bourgogne, UMR CNRS 5594
Archéologie de la Bourgogne.
Bourgogne Aujourd’hui 62 • 51
Dossier
-150 millions d’années
Sous les tropiques
Hérités de cette période
tropicale, les calcaires
récifaux blancs
de la roche de Solutré
dominent le vignoble.
La nature calcaire et argileuse des terroirs viticoles bourguignons vient
des sédiments de fonds marins tropicaux. Dans les calcaires bourguignons, de très nombreux fragments de coquilles fossiles et de petites
concrétions calcaires (oolites) témoignent en effet de la vie marine tropicale de l’époque, et des courants de marées et de tempêtes qui les ont
accumulés. Ces paysages du Jurassique sont, sous bien des aspects,
comparables aux rivages de sables blancs et aux lagons actuels des
Bahamas et du golfe Persique. Les couches calcaires (pierre de Comblanchien, pierre de Corton …) qui alternent avec des couches de
marnes témoignent des avancées et des retraits successifs de la mer.
Crédit photo : Office du tourisme des Bahamas
52 • Bourgogne Aujourd’hui 62
-30 millions d’années
La côte apparaît
Les côtes viticoles
alsaciennes,
bourguignonnes et
beaujolaises (photo du
vignoble de Beaune)
constituent la bordure
occidentale du fossé
d’effondrement
ouest-européen.
Comme la grande vallée du rift est-africain (photo ci-dessus),
elle-même en train de s'effondrer, la vallée qui courait, il y a trente millions d'années, de l'Alsace au Beaujolais en passant par la Bourgogne,
s'est effondrée, laissant les futurs vignobles orientés vers l’est avec
"face" à eux les plaines du Rhin et de la Saône.
Crédit photo : Office du tourisme du Kenya
Bourgogne Aujourd’hui 62 • 53
Dossier
-20 000 ans
Le froid façonne les coteaux
Le village de ChambolleMusigny installé au
débouché de sa combe sur
les éboulis de pente issus
des gels et dégels de la
dernière période glaciaire.
Les matériaux pierreux très présents sur les versants viticoles témoignent des grands froids de la dernière période glaciaire. Alors que les
glaciers descendaient du pôle Nord jusqu’à Londres et Bruxelles,
la Bourgogne présentait un paysage de steppe froide proche aujourd'hui
de la Laponie ou de la Sibérie ; une steppe parcourue par des mammouths, des troupeaux de rennes, chassés par les derniers chasseurscueilleurs de la préhistoire. Le sous-sol était gelé en permanence. En été,
les eaux de fonte ruisselaient en torrents, creusant les combes qui
découpent aujourd'hui la côte viticole et charriaient en surface des blocs
et galets qui s’accumulaient en larges cônes d’épandage.
Photo (Islande) : Jean-François Buoncristiani, maître de conférence au Centre des sciences de la Terre.
54 • Bourgogne Aujourd’hui 62
-8 000 ans
Des sols vierges
Un sol forestier vierge
constitué de trois
horizons (niveaux) :
la litière en surface,
un horizon organique noir,
puis le calcaire.
Depuis le dernier réchauffement climatique, il y a dix mille ans, le paysage dénudé s’est couvert de forêts de pins, puis de noisetiers et de
tilleuls, enfin de hêtres et de chênes. Dès lors, les sols se sont constitués
progressivement aux dépens des roches calcaires en intégrant la
matière organique issue de la dégradation des litières de feuilles,
sous l’action permanente des micro-organismes. La photo nous montre
une forêt actuelle mêlant conifères et feuillus à l’image des forêts originelles avant l’action de l’homme… comme autant de coteaux prêts à la
plantation de la vigne.
Bourgogne Aujourd’hui 62 • 55
Dossier
-1 000 ans
Les moines fixent les règles du jeu
Sucellus, dieu des
viticulteurs avec son maillet
et son tonneau .
Époque gallo-romaine,
Malain, Côte-d’or.
Le défrichement et la mise en culture des versants qui a débuté à
l’époque néolithique n’ont cessé de s’accroître au cours des siècles.
C’est au début du premier siècle de notre ère que remontent les plus
anciens témoignages de la culture de la vigne en Bourgogne : moût de
raisin de la villa viticole de Selongey (21), serpettes de vendangeurs,
stèles funéraires, et le célèbre texte d’Eumène adressé à l’empereur
Constantin décrivant le vignoble de la côte de Beaune au IVe siècle.
Le paysage viticole est donc l'héritier d’une mise en culture ancienne
mais ce sont les moines qui ont établi les grandes règles en matière de
vinification et largement contribué à la délimitation des meilleurs terroirs. Le cellier du Clos-de-Vougeot (photo principale) marque l’emprise
monastique cistercienne sur le vignoble bourguignon dès le XIe siècle.
56 • Bourgogne Aujourd’hui 62
2005
La partie émergée de l'iceberg
Le terroir est donc une somme d’éléments acquis au cours de la longue histoire géologique, climatique et humaine de la Bourgogne dont on ne voit aujourd'hui que le résultat final avec des enjambeurs motorisés parcourant des parcelles cadastrées ; la partie émergée de l'iceberg en quelque sorte. Le vin, breuvage culturel, est l’aboutissement de cette histoire pour peu qu’il soit élaboré avec le souci de la préservation de ce patrimoine naturel et humain.
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