Fiche de lecture – Cyrulnik – sous le signe du lien –

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Fiche de lecture – Cyrulnik – sous le signe du lien –
DE CHAIR ET D’AME de Boris Cyrulnik
Dernière publication de Boris Cyrulnik, neuropsychiatre, directeur d’enseignement à l’université
de Toulon (éthologie) et auteur reconnu à travers de nombreux ouvrages depuis plus de 20 ans,
notamment « Un Merveilleux Malheur », « Les Vilains Petits Canards », « Parler d’Amour au Bord du
Gouffre ». Le nom de l’auteur est aussi lié à la notion de « résilience », découverte chez Michel
Lemay.
« Sous le Signe du Lien » (1989) est un de ses titres, très connu également, et pourrait servir de soustitre au présent ouvrage puisque Boris Cyrulnik a comme objectif dans ce livre de réunifier dans une
approche unique l’étude du corps et de l’âme, traditionnellement séparés en Occident depuis
longtemps, grâce aux apports des neurosciences et, en particulier, à l’exploitation des images
cérébrales.
L’auteur s’attache d’abord à la notion de vulnérabilité en vogue depuis 25 ans et à son contraire,
l’invulnérabilité, mot employé de façon provocatrice par le psychanalyste James Anthony. Le père
de la résilience en France affirme, de son côté, p 21, que, face aux traumatismes, « on peut
découvrir en soi quelques moyens qui permettent de revenir à la vie et de reprendre un
développement, tout en gardant la blessure dans sa mémoire. Là, on parlera de résilience ». Il va
analyser les différents éléments qui entrent dans la gestion de la vulnérabilité dès l’enfance : un
déterminant génétique avec la sérotonine, mais aussi les conditions environnementales, « donneurs
de soins, personnages signifiants, institutions et récits culturels » (p41), chaque enfant étant
susceptible, même s’il est fragilisé parce que petit porteur de sérotonine, de faire de sa vulnérabilité
une force s’il est dans un milieu stable.
Quant au bonheur et au malheur, ils sont liés, l’un, à une lésion de l’hémisphère droit, l’autre, de
l’hémisphère gauche, ce qui induit qu’il peut y avoir « des sensations de bonheur ou de malheur
sans objet, déclenchées par la réponse d’un système nerveux désorganisé » (p55) et « la neurologie
nous suggère que c’est souvent notre manière de percevoir le monde qui lui donne un goût de
malheur ou de bonheur » (p56). L’observation chez l’enfant du phénomène de séparation montre
que la sensation de joie extrême est provoquée par le rythme, la pulsation, l’alternance, d’où la
question : « Pour devenir un fait de conscience, le bonheur doit-il s’accoupler au malheur ?» (p58).
La mémoire a elle aussi un rôle important dans le sentiment de bonheur ou de malheur.
Les couples d’opposition fonctionnent encore sur d’autres registres : Sans souffrance, pourrait-on
aimer ? Sans angoisse et sans perte affective, aurait-on besoin de sécurité ? (p77)
Sera abordée ensuite l’existence des deux inconscients; l’inconscient cognitif qui repose sur des
traces de mémoire biologique et l’inconscient freudien, dans lequel, même si la mémoire biologique
est intacte, le refoulement empêche le retour du souvenir. Le premier pourrait expliquer
l’ «eurêka » des savants et un prototype d’inconscient cognitif peut s’illustrer dans l’empreinte
éthologique universel dans le monde vivant : un « objet mieux perçu que tout autre devient figure
d’attachement dont la présence sécurisante permet à l’intéressé de poursuivre ses développements
biologiques et comportementaux » (p104). Certaines de ces observations ont permis à John Bowlby
de concevoir sa théorie de l’attachement. Se pose alors la question de savoir si un homme pourrait
vivre sans attachement. Pour expliquer le fonctionnement de l’inconscient cognitif, Boris Cyrulnik
étudie la façon dont rêvent les aveugles : les aveugles de naissance rêvent sans images, « leur cortex
occipital n’ayant pas été frayé par les informations visuelles de la journée précédente … ; les
personnes qui ont perdu la vue avant cinq ans voient en rêvant des tableaux abstraits un peu plus
élaborés… après sept ans, les aveugles peuvent rêver avec des images imprégnées dans leur cortex
occipital.. . ; ceux qui sont atteints de cécité à l’âge adulte ou dans la vieillesse font des rêves
fortement imagés »(p117). Chez un voyant endormi à qui on fait passer un
électroencéphalogramme, surgissent des images visuelles en relation avec les problèmes enfouis
quand le sujet était à l’état de veille. « Un événement réel a frayé un circuit cérébral non conscient
qui…réveille les traces cognitives et provoque une image » (p116).
Ces deux inconscients se coordonnent : ainsi, dans la maternité, phénomène biologique s’il en
est, les réponses comportementales de la mère tiennent à « la signification que le petit prend pour
elle »(p126). L’observation du phénomène séparation / retrouvailles répond à la question
mentionnée p77 : il permet à l’enfant d’acquérir un sentiment de confiance, à condition de ne pas
devenir l’objet des abandons ou des isolements sensoriels et à condition que la mère soit sereine.
Dans les cas de maltraitance, l’enfant, ambivalent avec un adulte, peut devenir sécure avec un
autre, ayant tracé dans sa mémoire un lien chaleureux acquis, à supposer que le milieu lui fournisse
une personne qui veuille bien servir de base de sécurité. Forte probabilité de dépression à l’âge
adulte pour les attachements insécures. On constate aussi des troubles de l’attachement chez des
enfants bien entourés, avec une évolution favorable si les parents composent « avec leurs corps une
enveloppe stable et calme qui finit par apaiser l’enfant » (p135). Les enfants maltraités deviennent
des parents maltraitants pour 5 à 30% d’entre eux, en fonction de le présence ou non de substituts
affectifs ; chute à 10% si l’un des parents offre un attachement « secure ».
Tout confirme les mots de Freud : « Pour le psychisme , le biologique joue le rôle du roc en
dessous. »
L’auteur poursuit sa recherche en étudiant le phénomène de l’empathie qui constitue pour John
Bowlby « le contrepoint de l’attachement » et lui-même la définit comme « l’aptitude émotionnelle
à se laisser modifier par le monde d’un autre, auquel on est attaché » (p144). Celle-ci peut être
perturbée par une carence relationnelle - l’absence d’adultes, leur mort, leur dépression ou leur
personnalité distante - appauvrissant le milieu sensoriel. « Une phylogénèse de l’empathie [ est ]
repérable dès les niveaux élémentaires de résonance »(p154), (Cf les neurones-miroirs) et une
ontogénèse aussi : synchronisation immédiate des mimiques faciales de l’adulte par le nouveau-né,
le « Mitsein » des phénoménologues. Par ailleurs, «L’effet intersubjectif de l’empathie permet de se
décentrer de soi et de se préparer à la parole »(p157).
Si, pour une des raisons précitées, l’empathie ne se développe pas, si l’enfant n’a pas l’occasion de
se décentrer de lui-même, il va y avoir projection « opération par laquelle le sujet expulse de soi et
localise dans l’autre, personne ou chose, des qualités, des sentiments, des désirs… » ( Laplanche et
Pontalis, Dictionnaire de la Psychanalyse p344, cité p161) « Le sujet ne se représentant pas le
monde de l’autre lui attribue ses propres désirs d’amour ou de haine, de protection ou de
persécution »(p161). « Pour un enfant privé de base de sécurité , le monde extérieur est terrifiant.
Pour que l’empathie se développe, il faut qu’un autre nous attire, sinon, c’est le narcissisme qui
nous protégera d’une altérité impossible à affronter. » (p164) La difficulté à se décentrer de la
perception de soi, le mauvais fonctionnement du système interactif se trouve illustré dans diverses
pathologies, chez les enfants autistes ou psychopathes, les psychotiques en général. Il conclut que
les faits se chargent d’un sens venu de notre histoire(p184), que l’empathie préverbale constitue
probablement le point d’un style relationnel,(p185) et qu’on peut même penser que chaque culture
produit des récits placebos ou nocebos dans lesquels baigne l’individu (p186).
Le rôle de l’histoire est abordé encore dans le dernier chapitre, consacré au « Mariage de
l’histoire et du cerveau âgé ». L’auteur nous invite à considérer, « le vieillissement comme un
processus précoce qui n’a rien de pathologique, comme en Orient où la représentation d’un temps
cyclique prépare à la renaissance et non pas au naufrage »(p190). Si la mémoire de travail (celle des
événements récents), diminue à partir de soixante ans, la mémoire des récits, elle, s’améliore et,
pour certains, les récits s’orientent vers des projets. Dans les deux cas, l’identité du narrateur est
préservée, mais chez chacun, « les événements survenus entre dix et trente ans constituent la
colonne vertébrale de notre identité » (p198). « L’attachement qui organise notre manière d’aimer
et de nous socialiser est au cœur de la vieillesse, comme il a été le pivot des petites années »(p200).
La personne âgée voit son entourage affectif diminuer avec les disparitions successives, mais elle a
internalisé les anciennes figures d’attachement, ce qui explique pourquoi elles retournent à Dieu si
elles l’avaient fréquenté enfants. Par ailleurs son monde sensoriel diminue et son monde intime de
représentations s’enrichit. « L’âgé ne retombe jamais en enfance, Dieu, en tant que base de sécurité
internalisée, devient un partenaire de l’existence au quotidien ». Les gens âgés se retrouvent face à
un couple d’opposés, « un inconnu qui effraie et donne son effet sécurisant à un connu qui
rassure »(p220).
« La morale de cette histoire , c’est que nous n’avons pas à choisir [ entre le corps et l’âme.]»(p
243)
J’ai choisi ce livre sur la foi de la citation de la 4ème de couverture : « On peut découvrir en soi, et
autour de soi, les moyens qui permettent de revenir à la vie et d’aller de l’avant tout en gardant la
mémoire de sa blessure ». Je suis passée vite sur les démonstrations empruntées à la neurobiologie,
mais ai trouvé très intéressantes toute l’étude sur l’attachement et les conditions de
développement de l’empathie.
J’ai ressenti une certaine difficulté à m’approprier les idées de l’auteur, non en première lecture,
mais au moment du passage à l’écriture due, je pense, à l’absence d’articulations visibles (pas de
connecteurs logiques ni de reprises entre les différentes sous-parties.) et, peut-être, à mon état du
moment et à ce que ce livre éveillait à un niveau plus profond, peu conscient en tout cas.
Béatrice BOUSSARD