LE POUVOIR AU PEUPLE ! SURMONTER LA CRISE

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LE POUVOIR AU PEUPLE ! SURMONTER LA CRISE
LE POUVOIR AU
PEUPLE ! SURMONTER
LA CRISE
DÉMOCRATIQUE EN
REDONNANT LE
POUVOIR AU
CITOYEN… ET AU
MILITANT
La crise que nous vivons est avant tout une
crise de régime. La dépasser suppose une
remise à plat complète et démocratique de
nos institutions, parti socialiste compris :
une assemblée constituante.
Contribution Thématique présentée par :
Sizaire vincent
LES PREMIERS SIGNATAIRES:
LES SIGNATAIRES:
Vincent Sizaire, Pouria Amirshahi, Guillaume Balas, Fanélie Carrey-Conte, Setni Baro
TEXTE DE LA CONTRIBUTION
« Le régime représentatif a vécu. Une dictature transmissible à l'héritier qu'élira le
suffrage universel est née ». Ecrite en 1965, cette sentence implacable de François
Mitterrand n’a sans doute jamais été autant d’actualité. Depuis la révision
constitutionnelle de 2002, nous assistons à une concentration inégalée du pouvoir
entre les mains d’un exécutif aux ordres d’un président de la République (sic.)
politiquement irresponsable mais qui dispose de tous les leviers – écrits ou non écrits
– pour soumettre le Parlement à sa volonté. Conjuguée à la fragilité persistante de
l'institution judiciaire et aux effets délétères de la professionnalisation de la vie
politique, cette situation fait que plus personne ne peut sérieusement défendre la
vigueur démocratique de nos institutions.
Et pourtant, cette question demeure largement absente du débat public qui, quand il
n’est pas prisonnier de « l’actualité », reste trop souvent englué dans une approche
prétendument technique – et pratiquement fataliste – des enjeux contemporains,
singulièrement en matière économique. Or si nous n’imposons pas dès à présent la
question institutionnelle au sein du débat politique, c’est elle qui s’imposera à nous.
Mais elle le fera alors sous des formes qui n’auront rien de démocratique, qu’il
s’agisse d’un basculement vers un système ouvertement autoritariste ou d’un
approfondissement de la dérive technocratique de l’Union européenne.
Il y a donc urgence à mettre sur le devant de la crise démocratique comme grille de
lecture incontournable des enjeux politiques contemporains afin d’exiger un véritable
changement de régime (1). Pour ce faire, il nous faut proposer non simplement une
révision constitutionnelle ou même une nouvelle Constitution, mais un véritable
processus de refondation démocratique, c’est-à-dire l’élection d’une assemblée
constituante (2). Et nous serons d’autant plus légitimes à le faire si nous menons
parallèlement une entreprise similaire au sein même du parti socialiste (3).
1) Imposer l’évidence de la crise démocratique et la nécessité d’un changement de
régime
Elever le débat au niveau de la crise de régime permet en premier lieu de répondre à
la profonde défiance des citoyens – en particulier des citoyens de gauche – à l’égard
de la classe politique, défiance qu’il serait particulièrement dangereux de minimiser
ou de mépriser. Ce n’est pas par humeur ou ignorance que le peuple se détourne de
la chose publique mais bien au contraire parce qu’il connaît et bien souvent même
éprouve l’impuissance des pouvoirs publics à transformer la société dans l’intérêt
général.
Or, même si elle procède aussi d’autres facteurs, cette impuissance – et plus encore
sa mise en scène – s’enracine au cœur de nos institutions politiques et
administratives. La culture politique autoritaire que nous a légué la tradition
bonapartiste est à l’origine d’un processus de de décision publique qui n’est plus du
tout adapté au monde dans lequel nous vivons, fruit d’une société plus complexe et
d’une culture démocratique à maints égards plus répandue qu’en 1958. La
centralisation excessive du pouvoir décisionnaire, au niveau de l’Etat central comme,
paradoxalement, des collectivités locales, aboutit à une force d’inertie considérable
qui ne peut que créer l’image d’un décalage entre les intentions affichées et le
résultat obtenu.
Par ailleurs, ce mode de fonctionnement, nécessairement opaque, préférant la
consultation de cabinet au débat public et à la confrontation ouverte des idées, ne
peut qu’éloigner le citoyen de l’action publique ou, pire encore, nourrir chez lui une
posture attentiste à l’égard des pouvoirs publics qui, in fine, ne fait que renforcer sa
défiance à leur égard.
Ce décalage entre les proclamations et leur mise en application que nourrit le régime
se donne singulièrement à voir dans son incapacité à faire correctement respecter
les droits fondamentaux des citoyens, qui sont pourtant au fondement de l’action des
gouvernants. Que signifie la reconnaissance du droit au logement ou du droit à un
environnement sain quand leur application reste lettre morte ? Sommes-nous bien en
démocratie quand les pouvoirs publics se montrent structurellement incapables de
faire respecter pleinement notre droit à la vie privée, à la sûreté, à la propriété
publique des biens communs ou à la progressivité de l'impôt ? Sommes-nous
vraiment en république lorsque le contrôle parlementaire et judiciaire de l’action de
l’exécutif reste toujours entravé, quand il n’est pas perçu comme illégitime ?
Insister sur le fait que nous vivons une crise de régime permet ainsi de placer la
question démocratique au centre du débat avant même de s’engager sur le terrain
de la contestation "technique" des dogmes économistes néolibéraux. Et de rappeler
que les droits fondamentaux aujourd'hui mis en cause par le néolibéralisme ne sont
pas des pétitions de principe : leur respect effectif constitue une condition sine qua
non du caractère démocratique de la société.
Appliquée aux grands enjeux contemporains, cette grille de lecture permet également
de dévoiler, en creux, l'orientation fondamentalement oligarchique des droites
françaises : la « crise » contemporaine n'est pas celle d'un modèle social trop
généreux mais bien au contraire d'une organisation sociale foncièrement inégalitaire
au service d'une minorité qui, avec la fin de la croissance, ne parvient plus à
maintenir sa position de domination économique sans menacer radicalement les
conditions de vie du reste de la société.
Pensé pour une société monolithique et hiérarchisée, le modèle de la cinquième
république n’est aujourd’hui plus facteur que d’immobilisme, de crispation autoritaire
et de régression des libertés. L’heure n’est plus aux ajustements et aux
accommodements mais bien au dépassement. A cette fin, nous devons porter le
projet d'une démocratie aboutie et conséquente, c'est à dire de cette démocratique
économique et sociale pensée par Jaurès, dont les fondements ont été posés par le
programme du conseil national de la résistance mais dont la restauration et
l'approfondissement nécessitent aujourd'hui un changement de régime réalisé par les
citoyens eux-mêmes.
2) Vers la Constituante : promouvoir un processus ambitieux et de refondation
démocratique de l’Etat
La mise en évidence d’une véritable crise de régime rend illusoire toute solution qui
se contenterait de quelques aménagements à la marge, à plus fortes raisons
lorsqu’ils sont préconisés par un comité Théodule.
Mais proposer une nouvelle Constitution clés en main n'apporterait aucune solution à
la crise démocratique que nous traversons. D'abord, parce que les projets en
concours sont fort divers, depuis la proposition d'un présidentialisme décomplexé
défendue à droite – forme de rétablissement d'un régime plébiscitaire bonapartiste –
jusqu'au régime parlementaire proposé par les premiers promoteurs de la sixième
république. Ensuite et surtout parce que la seule réponse crédible à la dérive
monocratique et oligarchique de notre régime politique réside précisément dans la
restitution au peuple souverain de son pouvoir constituant, autrement dit dans la
convocation d'une assemblée élue au suffrage universel et chargée de rédiger une
nouvelle constitution.
Il est donc fondamental que le parti socialiste se prononce clairement en faveur
d’une refonte globale de nos institutions au terme d’un processus redonnant le
pouvoir au peuple souverain et qu’il fasse de ce thème un élément structurant du
débat public des prochaines années, notamment lors des campagnes électorales
nationales à venir.
S’engager sur le chemin de la constituante, c’est aussi se donner le moyen de
renouer durablement avec les forces vives de la gauche (syndicats, associations,
intellectuels) qui, de tous temps, détiennent les clés de la victoire électorale et plus
encore de la réussite des projets de transformation sociale que nous portons. Alors
que l'ensemble de ces acteurs désespèrent aujourd'hui de la possibilité d'une
véritable alternative à la grande régression néolibérale de ces trente dernières
années, les inviter à participer à la reconstruction de nos institutions permet de
redonner un sens commun à nos combats respectifs.
Au-delà de la diversité des parcours et des objectifs, les luttes syndicales et militantes
convergent aujourd'hui vers la défense et l'approfondissement de la démocratie, qu’il
s’agisse du combat pour la réappropriation des biens communs, pour une transition
écologique intimement liée à la relocalisation de l’économie, ou encore de la
promotion des droits des personnes reléguées en marge de la citoyenneté
(étrangers, habitants des quartiers populaires) – quand il ne s’agit pas tout
simplement de l’objet du mouvement (Association pour une constituante,
mouvements divers et variés pour une sixième république,…). En ce sens, la
Constituante constitue tout à la fois un espace de discussion et un outil privilégiés
pour la recomposition et la remobilisation du camp progressiste.
Il serait particulièrement regrettable que le parti socialiste ne soit pas l'un des acteurs
centraux de ce processus qui, sauf à souhaiter l'aggravation de la dérive autoritaire
de notre société, s'avère de toute façon incontournable si nous voulons mettre un
coup d’arrêt au dépérissement de notre démocratie. A cet égard il faut souligner que
l’expérience gouvernementale du parti ne doit pas être perçue comme un handicap
mais bien au contraire comme un facteur renforçant la légitimité de son
positionnement : c’est précisément parce qu’ils ont fait l’expérience des limites
institutionnelles à la conduite d’une politique authentiquement de gauche que les
socialistes peuvent aujourd’hui se prononcer pour l’avènement d’une nouvelle
République.
A l’inverse, il est évident qu’ils seront d’autant plus légitimes à mettre la question
démocratique sur le devant de la scène qu’ils font la démonstration de leur capacité
à renforcer parallèlement la démocratie au sein du parti.
3) Vers une constituante socialiste : promouvoir un processus ambitieux et
démocratique de reconstruction du parti
L’ampleur des déroutes électorales de 2014 a démontré, s’il en était besoin, que le
parti socialiste ne bénéficie plus aujourd’hui d’un ancrage suffisant au sein de la
société. Et rien ne serait plus dangereux que de prêter crédit aux promesses factices
de quelque courbe sondagière indigente pour annoncer des lendemains chantants.
De fait, la crise de représentativité des partis de gauche dans leur ensemble
constitue l’un des éléments structurants de la crise de régime que nous traversons et
en particulier du divorce croissant entre les citoyens et leurs élus.
Au cœur de cette crise de représentativité, on trouve en bonne place la situation
difficile des sections et des fédérations qui, de longue date, ont cessé d’être des
structures faisant véritablement lien avec la société, non seulement pour y défendre
le projet politique porté par le parti mais aussi pour accueillir la discussion critique de
ce projet, notamment lorsque le parti se trouve en situation de gouverner. Et si les
sections et les fédérations ont perdu cette fonction de « premiers représentants » du
parti auprès de la population, c’est d’abord parce qu’elles ne jouent plus aucun rôle
moteur dans l’animation et l’orientation du parti, se contentant trop souvent de
diffuser les argumentaires et d’appliquer les directives venus d’en haut.
C’est pourquoi la promotion d’une remise à plat démocratique de nos institutions n’a
de sens que si nous œuvrons, dans le même temps, à un véritable aggiornamento
démocratique du parti socialiste. Régulièrement mises en place depuis au moins vingt
ans, les différentes tentatives de rénovation sont vouées à l’échec dès lors qu’elles
ne n’apportent que des modifications de façade et surtout qu’elles restent élaborées
et impulsées par la direction nationale ou par un comité restreint dont les membres
sont cooptés selon une logique plus ou moins opaque.
L’heure n’est plus à l’élaboration de chartes consensuelles ratifiés par les quelques
adhérents se déplaçant aux élections internes mais bien à la mise en route d’un
véritable processus constituant qui fasse du militant le véritable moteur de la
reconstruction du parti. En d’autres termes, ce dont nous avons besoin c’est l’élection
d’une assemblée constituante interne, complètement indépendante des instances
actuelles d’animation et de direction du parti, et chargée d’élaborer de nouveaux
statuts qui seront ensuite soumis au vote des militants.
Outre qu’elle est l’une des conditions de notre crédibilité future à l’égard des citoyens,
une telle démarche sera aussi l’outil d’une remobilisation des militants, notamment de
tous ceux qui, nombreux, ont largement déserté les sections depuis 2012. Elle sera
aussi l’opportunité de renouer le dialogue avec les forces vives de la gauche qui,
sous une forme ou une autre (par exemple, en qualité d’observateurs), devront être
associées à cette entreprise de reconstruction du parti. Et, pour toutes ces raisons,
elle doit être mise en œuvre dès que possible.
L’ampleur de la crise politique actuelle interdit les demi-mesures. Ce n’est qu’en
remettant le militant au centre du parti socialiste que nous serons en mesure de
remettre le citoyen au centre de la vie publique. Et ce n’est qu’en élevant le débat au
niveau de la crise de régime que nous serons en mesure d’en sortir par le haut, c’està-dire en renouant avec l’idéal proprement républicain d’une élévation toujours plus
grande du progrès démocratique. Afin, comme l’espérait François Mitterrand en son
temps, « que chaque citoyen se sente prince en son royaume ».
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