Taxe professionnelle : un revirement majeur en faveur des communes

Transcription

Taxe professionnelle : un revirement majeur en faveur des communes
ON EN PARLE
Conclusion
de présentation restant par trop généraux pour servir une recherche dans un
contexte professionnel.
Peu à peu, sous l'impulsion des politiques et de personnalités qui s'investissent dans la modernisation des relations entre l'Etat et la société civile, nous
voyons percer des initiatives remarquables comme celle des forums de discussion. Le téléchargement des documents est aussi une très bonne réalisation
qui fait gagner du temps et économise
des frais administratifs. Reste à s'attaquer aux échanges des déclarations dans
les domaines fiscaux ou sociaux. Ce
chantier initié par les dix mesures pour
le développement du commerce électronique n'en est qu'à ses débuts, nous
en observerons régulièrement les progrès.
Philippe GERMAK
Professeur à l'Intec
FISCALITÉ
Taxe professionnelle :
un revirement majeur
en faveur des communes
(Commune d’Arcueil c/ ministère des Finances, CE du 29 décembre 1997, n° 151472)
N
aguère, quand une ville engageait une action contentieuse
pour faire valoir son droit à percevoir la taxe professionnelle, elle se
trouvait confrontée à l’obligation de
rapporter la preuve de la faute lourde de l’Etat. Depuis l’arrêt du Conseil
d’Etat du 29 décembre 1997, tel n’est
plus – totalement – le cas.
« (...) l’administration fiscale est tenue de
transmettre chaque année aux collectivités territoriales (...) les rôles généraux des
impôts directs locaux (...) les communes
(...) et l’administration peuvent se communiquer mutuellement les informa10
tions nécessaires au recensement des bases
des impositions directes locales (...) »
(article 135 B du LPF).
Si, dans sa dernière rédaction, l’article L135 instaure un nouveau cadre
relationnel entre les communes et
l’administration fiscale, l’obligation
d’information conférée à cette dernière trouve ses applications éclairées
par l’arrêt du Conseil d’Etat du 29
décembre 1997. La lecture de l’article L135 pouvait aboutir à une
vision restrictive et statique de l’information délivrée par l’administration, information formalisée depuis
1994, allant jusqu’au détail des bases
par redevable de la taxe professionnelle - bien que les débats parlementaires qui avaient précédé son adoption aient préalablement éclairé
l’intention du législateur d’impliquer
activement les communes dans la
connaissance de leur géographie économique et financière :
« Il s’agit de permettre aux collectivités
locales, principalement aux communes,
d’accéder aux données fiscales nominatives concernant leur " public " fiscal,
afin qu’elles puissent analyser leur terrain économique et faire un minimum
de prévisions » (1).
R.F.C. 302 - Juillet - Août 1998
ON EN PARLE
Arrêt du Conseil d’Etat du 29 décembre 1997, Commune d’Arcueil
(Section ; n° 151 472)
Considérant que la cour administrative d’appel de Paris a, par l’arrêt attaqué, rejeté la requête de la commune d’Arcueil tendant à ce que l’Etat fût
condamné à lui verser une indemnité de 16 824 692 F, en réparation du préjudice que cette commune aurait subi du fait, procédant selon elle d’une
faute des services fiscaux, qu’une société établie sur son territoire, dénommée "Centre Analyse et Mécanographie" puis "Centre d’Automatisation
pour le Management", est restée non assujettie à la patente, puis à la taxe professionnelle au titre des années 1965 à 1983.
Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :
Considérant que les erreurs commises par l’administration fiscale lors de l’exécution d’opérations qui se rattachent aux procédures d’établissement
ou de recouvrement de l’impôt ne sont, en principe, susceptibles, en raison de la difficulté que présente généralement la mise en œuvre de ces
procédures, d’engager la responsabilité de l’Etat que si elles constituent une faute lourde ; que, toutefois, il en va différemment lorsque l’appréciation
de la situation du contribuable ne comporte pas de difficultés particulières ;
Considérant que, par l’arrêt attaqué, la cour administrative d’appel a estimé que les procédures d’établissement et de recouvrement de l’impôt
comportaient par nature des difficultés particulières tenant à l’appréciation de la situation des contribuables, de sorte qu’une erreur commise par les
services fiscaux et trouvant son origine dans l’appréciation de la situation d’un contribuable au regard du champ d’application de l’impôt ne pouvait,
de ce seul fait, engager la responsabilité de l’Etat qu’à la condition de constituer une faute lourde ; que, pour rejeter la requête de la commune, elle
a jugé que l’erreur, à la supposer établie, résultant du non-assujettissement à la patente puis à la taxe professionnelle du Centre d’Automatisation
pour le Management n’était pas constitutive d’une faute lourde ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher si, en l’espèce, des difficultés particulières
caractérisaient l’appréciation, au regard du champ d’application de l’impôt, de la situation d’une personne morale exerçant à titre habituel une
activité professionnelle, la Cour a entaché son jugement d’une erreur de droit ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la commune d’Arcueil est fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Considérant qu’aux termes de l’article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision
d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut « régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie » ;
que dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ;
Considérant que le Centre d’Automatisation pour le Management avait été constitué sous forme de société, dont la personnalité ne pouvait être
confondue avec celle de la Caisse des Dépôts et Consignations ; que l’activité à laquelle elle se livrait depuis sa création et qui consistait en
l’exécution de travaux informatiques qu’elle facturait à ses clients devait à l’évidence être regardée comme un commerce, une industrie ou une profession au sens de l’article 1447 du code général des impôts dans sa rédaction antérieure à la loi n° 75-678 du 29 juillet 1975 puis comme une activité professionnelle non salariée exercée à titre habituel au sens de ce même article dans sa rédaction issue de ladite loi, et ce nonobstant la circonstance qu’elle ait facturé certains travaux à prix coûtant ; qu’ainsi, la décision de l’assujettir à la patente puis à la taxe professionnelle ne
comportait pour les services fiscaux pas de difficultés particulières tenant à l’appréciation de sa situation ; que, par suite, la commune d’Arcueil est
fondée à soutenir qu’en s’abstenant d’assujettir à la patente puis à la taxe professionnelle le Centre d’Automatisation pour le Management, les
services fiscaux ont commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat ;
Considérant qu’aux termes de l’article 7 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 : « L’administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d’une
créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l’invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée
sur le fond » ; que, par suite, l’administration qui a opposé la prescription quadriennale pour la première fois en appel n’est pas recevable à l’invoquer ;
Considérant que la circonstance que la commune d’Arcueil ait, nonobstant la réduction de ses ressources fiscales imputable à l’attitude de
l’administration, disposé des recettes nécessaires à l’équilibre de son budget ne saurait faire disparaître le préjudice que lui a causé la faute commise
par l’Etat ;
Considérant que le préjudice subi par la commune correspond au montant de la patente puis de la taxe professionnelle qui aurait été perçu à
son profit si le Centre d’Automatisation pour le Management avait été inscrit au rôle ; que, pour évaluer son préjudice à 16 824 962 F hors intérêts,
la commune, qui ne disposait pas des éléments qui lui auraient permis de reconstituer les bases d’imposition de la société au cours de la période
1965 à 1983 et que l’administration a refusé de lui communiquer, a actualisé en fonction du taux d’inflation les bases d’imposition à la taxe professionnelle retenues par l’administration pour 1984 ; que les bases d’imposition ainsi reconstituées forfaitairement sont supérieures aux bases qui auraient
résulté de la prise en considération des seuls éléments propres à l’entreprise ; que, dans cette mesure, l’administration est fondée à soutenir que le
montant, évalué par la commune, du préjudice qu’elle a subi est supérieur à la réalité ; qu’en revanche, l’administration n’est pas fondée à soutenir
que la commune n’aurait subi aucun préjudice pour l’année 1983, année au cours de laquelle la société a été assujettie à la taxe professionnelle,
dès lors que les bases effectivement retenues par l’administration pour cette année ont été sous évaluées ; qu’il sera fait une juste appréciation du
préjudice subi par la commune d’Arcueil en l’évaluant à 15 000 000 F tous intérêts compris à la date de la présente décision ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la commune d’Arcueil est fondée à demander l’annulation du jugement par lequel le tribunal
administratif de Paris a rejeté sa demande d’indemnité ;
Décide :
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 29 juin 1993 et le jugement du tribunal administratif de Paris du 13 décembre 1991
sont annulés.
Article 2 : L’Etat est condamné à verser à la commune d’Arcueil la somme de 15 000 000 F tous intérêts confondus au jour de la présente décision.
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ON EN PARLE
« Dû » nouveau
pour les communes
Avant le 29 décembre 1997, plusieurs
décisions avaient conclu à la non-responsabilité de l’Etat dans l’inexécution
de ses missions d’établissement et de
recouvrement de l’impôt local, non en
raison de la difficulté d’appréciation de
la situation singulière du contribuable,
mais de celle intrinsèque à l’établissement de l’impôt :
« Cette erreur trouverait son origine
dans les difficultés particulières (...) que
comportent les procédures d’établissement et de recouvrement de l’impôt, et
ne sont pas constitutives (...) d’une faute
lourde de nature à engager la responsabilité de l’Etat vis-à-vis de la commune d’Arcueil » (2).
« (...) ces erreurs trouvent leurs origines
dans les omissions au cours de la procédure de révision (...) des propriétés (...)
opérations qui présentent au cas présent
des difficultés particulières (...) qu’ainsi lesdites erreurs ne sont pas (...) constitutives d’une faute lourde (...) » (3).
Ces arrêts, contraires aux principes
généraux de responsabilité, posaient le
problème de l'autonomie des collectivités locales. D’autant que de facto la
gestion de la fiscalité directe locale
n’est que "confiée" aux services centraux de l’Etat, ceux-ci agissant pour
le compte d’autrui.
Les conséquences
de l’arrêt " Arcueil "
La décision prise en application partielle de l’article L135 génère quelques
conséquences :
■ elle renforce le principe constitutionnel de libre administration des
territoires de la République, du fait
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de la nécessité pour l’administration
fiscale de justifier in concreto de ses
diligences et de leur opérationnalité ;
■ en étendant le contrôle du juge
administratif à l’appréciation de la
"difficulté particulière", elle induit
une conséquence extrêmement positive pour la collectivité sur le régime
de responsabilité applicable. En effet,
si le Conseil d’Etat reste toujours réticent à appliquer dans cette matière la
responsabilité sans faute (4), il n'en a
pas moins assoupli sa position depuis
quelques années. Il a, dans un premier temps, accepté de prendre en
compte la faute lourde (5), puis a
récemment introduit la notion de
"faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat", déjà couramment
utilisée par le juge administratif dans
le contentieux de la responsabilité de
la puissance publique, et dont la
preuve est incontestablement plus
aisée à rapporter.
Ainsi se rencontrent l’intention du
législateur, le principe général de res■
1. Intervention à l’Assemblée
Nationale d’Alain Richard, rapporteur, le 31 décembre 1993.
2. Ville d’Arcueil c/ ministère des
Finances, cour administrative d’appel
de Paris, 29 juin 1993 (arrêt annulé).
3. Ville de Garges-les-Gonesse c/
ministère du Budget, Conseil d’Etat,
13 mai 1991.
4. CE 9 décembre 1983, ville
d’Hendaye, Rec. CE p. 506.
5. CE section 27 juillet 1990,
Bourgeois, Rec. CE p.242 ; CE 26
mars 1990, Commune de Villeneuvele-Roi, Rec. CE p. 78.
6. G. Burn est l'auteur de l'ouvrage
"La taxe professionnelle. Manuel
d'audit communal", Editions du
Papyrus, 1998.
■
ponsabilité, celui de maîtrise des
deniers publics par les communes, et
le triptyque "information-concertation-administration" remplace la relation "information-contentieux".
Vers une évolution
en faveur des villes ?
Néanmoins, l’arrêt " Arcueil " comporte ses limites : si, de jure, l’action
soulevée par la commune d’Arcueil
était motivée par la prétention d’un
contribuable de bénéficier d'un exonération fiscale avec l’assentiment tacite de l’administration fiscale, le préjudice n’a été, du point de vue
financier, que partiellement réparé.
On peut donc s’interroger sur l'application de cette solution jurisprudentielle à d'autres actions fondées
également sur le recensement et la
valorisation de la matière fiscale.
Selon nous, ce type de contentieux
pourrait trouver leur issue dans l’usage de l’expertise judiciaire, jusqu’ici
peut usitée. Si le contentieux administration fiscale/communes n’est pas
régi par le Livre des procédures fiscales, les articles R128 et suivants du
code des tribunaux administratifs le
codifient ; articles qui, rappelons-le,
disposent que le tribunal ou son président peuvent procéder à la nomination d’un ou de trois experts, y compris en la forme de référé, dès lors que
le litige relève au fond de la compétence du juge administratif.
Gérard BURN (1)
Expert-comptable
Jocelyn SIMON
Avocat
R.F.C. 302 - Juillet - Août 1998