opération « torch

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opération « torch
OPÉRATION « TORCH »
Par Georges BOSC (extraits)
Les préliminaires
A Washington et Londres
Le 7 décembre 1941, en attaquant par surprise la
flotte américaine du Pacifique au mouillage dans les
eaux de Pearl Harbor, le Japon provoquait l'entrée
en scène des Etats Unis dans la deuxième guerre
mondiale.
Si le choc est brutal, la riposte sera cinglante. Trop
longtemps indécis, l'opinion populaire et le Congrès
stigmatisent l'agression, la nation unanime bascule
dans la belligérance. Le président Roosevelt a
désormais les mains libres, l'Amérique est prête, elle
saura faire face.
Pour la Grande-Bretagne isolée, qui poursuit la lutte
face à l'Axe depuis le renoncement partiel et
transitoire de la France, le 22 juin 1940, Pearl
Harbor constitue « le désastre le plus heureux de la
guerre ». Il en va de même pour l'U.R.S.S., engagée
dans le conflit, le 22 juin 1941, à la suite de
l'opération « Barbarossa », qui ploie sous la violence
de l'offensive allemande.
Le décor est planté, tous les protagonistes sont en
place. Au bloc totalitaire germano-italo-japonais
s'oppose désormais l'alliance tripartite angloaméricano-soviétique dite du « Monde libre ». Le
drame va se jouer, il a pour théâtre la planète.
Dès le 22 décembre 1941, en vertu de la « Charte de
l'Atlantique », signée le 14 août de la même année,
qui fait de Londres l'allié prioritaire de Washington,
le premier ministre britannique Winston Churchill
se rend à la Maison Blanche pour participer à la
conférence « Arcadia ». Inaugurant un cycle de
rencontres au sommet qui décideront à la fois du
sort des armes et du destin géopolitique des nations,
« Arcadia » se place sous le signe de « Germany
first » et se propose de jeter les bases d'une stratégie
alliée coordonnée au niveau mondial, selon un
calendrier opérationnel aussi réaliste que possible.
Son ordre du jour consacre une large part à la
situation de l'empire français qui, aux termes de la
convention d'armistice, demeure sous la
souveraineté du gouvernement de Vichy tout en
échappant à l'occupation ennemie. C'est l'occasion
pour Churchill de dévoiler le plan « Gymnast »
donnant priorité à l'invasion de l'Afrique du Nord
française ; sa proposition est approuvée*. Hélas !
une controverse d'experts, avivée par les exigences
d'une U.R.S.S. en plein désarroi, entraîne le contreprojet d'un second front européen et vient différer la
décision de sept mois. Les stratèges américains et
britanniques s'opposent, les premiers donnant la
préférence à une opération de moyenne ampleur,
« Sledgehammer », prévue en septembre 1942 sur le
Cotentin, suivie en 1943 d'un débarquement de
grande envergure, « Boléro », sur les côtes de la
Manche. D'autres plans tout aussi discutables
concernant notamment les Balkans et la Norvège
sont tour à tour avancés et, dans le camp anglais, la
contestation devient telle que le général Marshall,
chef d'état-major de l'armée américaine, menace de
renverser la vapeur et de reporter tous les efforts sur
le Pacifique où le général Mac Arthur se fait
pressant.
_____________________________
(9) L'opportunité d'une intervention militaire en
Afrique du Nord avait déjà été évoquée le
14 août 1941, entre Roosevelt et Churchill, lors de la
ratification de la « Charte de l'Atlantique » à
Argentia.
(Le président des Etats-Unis Franklin D. Roosevelt,
en conférence
avec le premier ministre britannique, Sir Winston
Churchill.)
Finalement, l'intervention de Roosevelt permet de
dénouer la crise et de préserver l'alliance. Les
commandements militaires anglo-américains en
conférence à Londres adoptent le 25 juillet 1942, le
projet « Super-Gymnast » que le président des EtatsUnis entérine sur le champ sous le nom de code
définitif d'opération « Torch » suggéré par
Churchill. Il était temps. Trois mois et demi plus
tard, le plan d'invasion de l'Afrique du Nord sera
matérialisé cette fois en un temps record. Il
débouchera, le 8 novembre 1942, sur la première
grande opération interarmes alliée de la deuxième
guerre mondiale. Sa mise au point, laborieuse quant
à la discussion, confirmera le bien-fondé de la
stratégie initiale d'encerclement, « Round up »,
prônée à la conférence « Arcadia », de préférence à
une attaque frontale sur l'Europe. Son succès
couronnera la lucidité de ses concepteurs attachés à
contrebalancer, par une démonstration aussi
spectaculaire qu'économe en vies humaines, l'effet
psychologique des grandes victoires allemandes de
l'époque.
Pour Hitler, la victoire passait aussi par l'Afrique.
C'était le tremplin idéal pour d'autres conquêtes, le
contrôle de la Méditerranée, la maîtrise de Suez et la
mainmise sur le pétrole du Moyen-Orient. Conforté
par la neutralité bienveillante de Franco et celle
supposée de la France en Afrique du Nord, il envoie
Rommel et l'« Afrika Korps » en renfort du corps
expéditionnaire italien, dès février 1941, et bouscule
les Britanniques dans les déserts de Libye et
d'Egypte. Puis, le front se stabilise. Le génie tactique
des Alliés consistera à lancer en Egypte une offensive
de grande envergure deux semaines avant
l'opération « Torch ». Montgomery et la VIIIe
Armée attaquent à El Alamein le 23 octobre 1942 ; le
4 novembre, l'« Afrika Korps » bat en retraite. Dans
le même temps, l'immense armada anglo-américaine
pénètre en Méditerranée. L'ennemi croit à des
renforts destinés à Malte et à Montgomery. Le 8
novembre, il apprend le débarquement allié sur la
côte algéro-marocaine ; l'effet de surprise est total.
Brusquement, l'équilibre stratégique mondial
bascule ; c'est la « bissectrice de la guerre ». Moscou
est soulagé, les Alliés entrevoient la victoire. Pour la
France, c'est le « premier jour de la libération » et le
retour sur le chemin de l'honneur.
En Afrique du Nord
Dès le lendemain de la signature de l'armistice, le 23
juin 1940, le général Noguès télégraphiait à
Bordeaux au général Weygand, exprimant l'avis
qu'il était « possible de continuer la lutte en Afrique
du Nord ». Il ne fut pas suivi, mais nombre de
militaires et de civils patriotes demeurèrent
convaincus que, tôt ou tard, la « carte africaine »,
qui faisait partie du jeu stratégique mondial, serait
abattue par les Alliés et qu'il importait de se tenir
prêt.
Après Rethondes, l'Armée d'Afrique doit être
réduite à 30 000 hommes. Les négociations entamées
à la suite de l'agression anglaise de Mers el-Kébir
permettent de porter les effectifs à 127 000 hommes
auxquels s'ajoutent progressivement 60 000 hommes
habilement camouflés. Outre la dotation officielle,
un important armement et des stocks de munitions
appréciables sont dissimulés dans des arsenaux
clandestins. Comparativement au potentiel global de
l'armée française, un nombre respectable de chars,
pièces d'artillerie, avions et navires sont mis à l'abri,
notamment ces deux fleurons de la flotte que
représentent les cuirassés « Richelieu » et « Jean
Bart ».
Partout l'ordre règne. Chez les militaires, le moral
demeure élevé et l'esprit de revanche prévaut
largement. Hélas ! la fatale bévue de Churchill
lançant la « Royal Navy » à l'attaque de l'escadre
française dans les ports de Mers el-Kébir et Dakar
déclenche un sentiment d'anglophobie très
préjudiciable. En corollaire, le prestige du général de
Gaulle est profondément atteint. Chez les civils,
l'espoir persiste ; on se montre patriote,
majoritairement favorable au maréchal Pétain et
antiallemand. Dans l'adversité, la population
autochtone reste confiante et fidèle.
Robert Murphy, consul général des Etats-Unis à
Alger.
En septembre 1940, le général Weygand est dépêché
de Vichy à Alger où il est nommé haut-commissaire
pour l'ensemble des territoires d'Afrique du Nord et
d'Afrique Occidentale. Véritable proconsul, sa
fonction lui donne autorité sur les gouverneurs
coloniaux et l'administration civile en même temps
qu'il dispose des pouvoirs militaires. Weygand
incarne la permanence de la France outre
Méditerranée ; sa formule « Défendre l'Afrique du
Nord contre quiconque ». A l'époque, la menace
vient de l'Axe et l'hypothèse d'une intervention par
l'Espagne est concevable ; l'armée d'Afrique doit
être en mesure de s'opposer à une telle agression. De
son côté, l'Amérique, qui est en pré-alerte, a compris
la valeur de la plate-forme africaine et délègue à
Alger une mission dirigée par le consul général
Robert Murphy. Habile diplomate, cet ancien
conseiller à l'ambassade des Etats-Unis à Vichy,
auprès de l'amiral Leahy, est à la fois le représentant
personnel du président Roosevelt et l'agent de
l'« Office of Stratégie Services » (O.S.S.). Bon
catholique et fin politique, Murphy a tôt fait de se
rapprocher des dignitaires français en Afrique du
Nord dont il apprécie la capacité à maintenir la loi
sur des territoires démesurés ainsi que l'ardent
patriotisme. Il rencontre le général Weygand et les
deux hommes se lient de sympathie. Un accord
économique portant sur la fourniture par les U.S.A.
de thé, de sucre, de cotonnades, de matériel agricole
et d'essence, en échange de liège, intervient le 26
février 1941. En outre, une sorte de gentlemen's
agreement autorise l'implantation de onze « viceconsuls », agents à peine déguisés de l'O.S.S., tels
Boyd, Coster, King, Knight, Knox et Pendar qui
nouent des contacts politiques et militaires à travers
le Maghreb.
L'inconcevable négligence de l'ennemi jointe aux
complicités locales permettront au réseau de
subsister après l'ouverture des hostilités entre
l'Allemagne et les Etats-Unis, jusqu'au
débarquement allié. Hélas ! Weygand n'a pas cette
chance. Le 17 novembre 1941, sous la pression
allemande, l'amiral Darlan le rappelle à Vichy ; il est
assigné à résidence puis interné en Allemagne du 12
novembre 1942 au 5 mai 1945. Qu'importe ! la
dynamique est lancée, l'Armée d'Afrique renaissante
est prête à reprendre le combat. Le haut
commissariat étant supprimé, le général Juin est
nommé à Alger, le 21 novembre 1941, commandant
en chef en Afrique du Nord. Il poursuivra dans la
voie tracée par son prédécesseur avec à ses côtés les
généraux Béthouart, Kœltz, Mast, Monsabert,
l'amiral Fénard, le capitaine de vaisseau Barjot, les
colonels Baril, Jousse, Van Hecke, Tostain, les
commandants Beaufre, Aumeran et cent autres.
(Robert Murphy, consul général des Etats-Unis à
Alger)
Parallèlement à l'action déployée auprès des
militaires, Murphy et son équipe sont au contact de
la résistance civile et assurent une liaison
permanente entre Alger et Washington. Après
l'entrée en guerre des Etats-Unis et la conférence
« Arcadia », l'option neutraliste de l'Afrique du
Nord ainsi que le plan d'assistance américain à celleci en cas d'agression par les forces de l'Axe doivent
être révisés. Ce n'est plus seulement une aide
logistique mais une intervention armée destinée à
occuper le terrain et gagner la population à la cause
alliée qui est envisagée. Tout l'effort de la légation
américaine en Afrique du Nord consistera, en étroite
collaboration avec les sympathisants locaux, à
favoriser ce projet sans éveiller les soupçons ; il sera
couronné de succès (9).
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(9) L'histoire officielle a inculqué aux Français l'idée
selon laquelle, de l'armistice à la libération, une voie
unique s'offrait à la résistance, le gaullisme, tandis
que, par opposition, le pétainisme était synonyme de
collaboration avec l'ennemi. Cette vision
manichéenne, voire politicienne, exclut le patriotisme
qui est bien le facteur fondamental de toute
résistance à l'envahisseur ; les populations d'Afrique
du Nord étaient patriotes, notion recouvrant à la fois
l'esprit civique et le sens de l'honneur. Elles le
prouvèrent en résistant avec leurs chefs, dans les
conditions de l'armistice, avant de reprendre les
armes aux côtés des Alliés et de poursuivre la lutte
jusqu'à la victoire finale. Aussi s'étonnera-t-on de la
connotation péjorative envers les Français d'Afrique
du Nord qui caractérise les rares évocations
historiques concernant leur rôle dans la deuxième
guerre mondiale. Tout d'abord, la résistance civile et
militaire puissamment efficace qui préluda au
débarquement allié est systématiquement ignorée.
Ensuite, les pages de gloire écrites par l'Armée
d'Afrique, de Tunis à Berchtesgaden sont
méthodiquement occultées.
L'un des premiers fruits de cette coopération sera la
note de décembre 1941, complétée par la note de
mars 1942, rédigée au profit de l'état-major
américain par les colonels Jousse et Van Hecke ;
documents relatifs aux capacités propres de l'armée
française et aux moyens nécessaires pour mener à
bien une opération de débarquement sur le littoral
nord-africain. C'est également au cours de l'hiver
1941-42 que, sous couleur d'une liaison commerciale,
le commandant de réserve Aumeran se rend à
Washington où il prend contact avec les autorités du
« War Département » et du « State Département »
pour y exposer les vues stratégiques les plus justes.
Des réseaux de renseignement et d'action sont
constitués dans les grandes villes, notamment à Oran
où le groupe d'Henri d'Astier de la Vigerie se montre
particulièrement performant. Il réunit des hommes
aussi dissemblables dans leurs origines que solidaires
dans leur idéal, ainsi le colonel Tostain et le capitaine
Jabelot, l'industriel Roger Carcassonne-Leduc,
l'ingénieur Jean Moine, le docteur Sicard, l'abbé
Cordier, le père Théry, René Brunel, Bordollet,
Anaca, Ségura, Troppin, Smadja qui opèrent en
parfaite coordination avec le réseau de résistance
polonais de Stanislaw Szewalsky et le vice-consul des
Etats-Unis à Oran, Ridgway Knight. Il faut encore
citer à Casablanca le colonel Lelong, Charles
Dimary, l'ingénieur Pélabon ; à Tanger le colonel
Truchet et le capitaine Luizet ; à Constantine, Paul
Schmitt et Michel Rouzé ; à Philippeville, le colonel
Flipo et Emile Cianfarani ; à Tunis, le colonel RimeBruneau, le commandant Breuillac, le lieutenant de
vaisseau Verdier, Yves Pérussel et Jean LévyDespas. Alger, enfin, constitue le foyer de la
résistance civile et militaire en Afrique du Nord ; y
sont en effet rassemblés le siège de la légation
consulaire américaine ainsi que les hauts
responsables de l'administration civile et militaire
française. Ce voisinage permettra des échanges
fréquents, fructueux et finalement déterminants à
l'approche du débarquement. L'un des tout premiers
résistants d'Alger, dans le temps et dans l'action, est
certainement le commissaire André Achiary qui, en
1940, dirigeait la Brigade de Surveillance du
Territoire chargée du contre-espionnage. Sous son
influence, aux côtés des commissaires Bringard et
Esquerre, la police passera en bloc dans le camp
allié. Les groupes de choc qui, dans la phase finale
des préparatifs de débarquement, doivent
neutraliser les points névralgiques d'Alger
s'organisent progressivement, notamment le groupe
du docteur Morali-Daninos et le groupe Mario,
commandé par le capitaine Pilafort, où se trouvent
également le lieutenant Daridan et le jeune Mario
Faivre âgé de dix-huit ans. C'est l'étudiant en
médecine José Aboulker et son principal lieutenant,
Bernard Karsenty, qui sont chargés de fédérer les
organisations civiles d'Alger. La résistance
intellectuelle qui a comme porte-parole Max-Pol
Fouchet et sa revue « Fontaine », réunit des
personnalités telles que Monseigneur Hincky et le
pasteur Sturm, Gabriel Esquer, Louis Joxe, Paul
Bringuier, Armand Montagne, le docteur Duboucher
et tant d'autres.
C'est à la suite du rappel du général Weygand, le 17
novembre 1941, qu'un de ses intimes, l'industriel
Jacques Lemaigre-Dubreuil, forme une sorte de
comité directeur chargé de poursuivre les
négociations clandestines avec l'Amérique. Ses
fonctions d'administrateur à la société des huiles
Lesieur l'amènent à de fréquents déplacements en
France, au Maroc et à Dakar. A partir de décembre
1941, il délègue à Alger son homme de confiance,
Jean Rigault, dont il fait son représentant
permanent en Afrique du Nord. Il s'entoure
également du capitaine Henri d'Astier de la
Vigerie,affecté au 2e bureau de la division d'Oran et
qui dirige la résistance dans cette ville, du colonel
Van Hecke, responsable pour l'Afrique du Nord des
Chantiers de Jeunesse dont il a fait une pépinière de
jeunes patriotes, et du conseiller d'ambassade
Jacques Tarbé de Saint Hardouin, ancien
collaborateur de Weygand, relevé de ses fonctions
par Vichy, qui joue le rôle de conseiller
diplomatique. Cette cellule, qui sera bientôt baptisée
le « groupe des cinq », est reconnue par Robert
Murphy comme l'état-major officiel de la résistance
française en Afrique du Nord. Elle s'appuiera, dans
le domaine de la stratégie et de la coordination
militaire, sur le général Mast et le colonel Jousse.
(Le général Dwight D. Eisenhower, commandant
en chef des armées alliées en Afrique du Nord (par
H.M. Carr).)
L'objectif du « groupe des cinq » est de créer dans le
secret les conditions favorables à un débarquement
allié sur la côte nord-africaine suivi du retour de
l'armée française au combat. Le plan sera élaboré et
exécuté en liaison avec la Maison-Blanche et les
états-majors anglo-américains par l'intermédiaire
du consul des Etats-Unis à Alger, Robert Murphy. Il
prévoit que la force de débarquement alliée soit
suffisamment massive pour garantir son succès
immédiat et suffisamment dissuasive pour interdire
sur place toute défense ; de même, doit-elle annihiler
toute volonté contre-offensive de l'ennemi. Les
préparatifs seront conduits à l'insu du général de
Gaulle et de la France Libre(10). De même, le
dispositif militaire britannique sera-t-il aussi discret
que possible. L'Afrique du Nord libérée sera
pourvue sur le champ d'un chef unanimement
respecté dont la désignation sera exclusivement
française. Les opérations militaires de
débarquement seront soumises au leadership
américain. Les autorités de la résistance à Alger
seront avisées en temps opportun de la date du
débarquement. Enfin, point essentiel, un « accord de
souveraineté » de la France sur le territoire de
l'Afrique du Nord devra être conclu préalablement à
l'accès des troupes alliées sur son sol.
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(10) A Alger, Murphy est comme un poisson dans
l'eau. Parfaitement intégré aux modes de vie et aux
mentalités, il épouse l'état d'esprit des Européens qui
ressemble à celui des pionniers américains. Quant à
la population indigène, elle lui paraît fidèlement
attachée à la France. Son excellent contact humain,
son sens de la décision, sa vive intelligence et son
intimité avec Roosevelt pèseront très fort dans
l'option stratégique « Torch » elle-même et dans les
moyens de la réaliser. Il n'ignore pas que, sur place,
l'opinion est majoritairement opposée à de Gaulle.
Le général est inévitablement associé aux agressions
anglaises de Mers el-Kébir de même qu'à la piteuse
expédition de Dakar et aux dramatiques
affrontements franco-français de Syrie. De plus, aux
yeux du président Roosevelt, il s'est gravement
discrédité dans le raid de l'amiral Muselier à SaintPierre et Miquelon. Enfin, son entourage londonien
pose problème et les services secrets américains
prétendent qu'il est environné d'espions.
Impopularité d'une part, secret menacé de l'autre, le
général de Gaulle est totalement écarté du projet.
Reste donc à choisir et à proposer aux Alliés ce chef
indiscutable qui doit rallier l'Afrique du Nord, de
même qu'il est nécessaire d'organiser une ultime
rencontre franco-américaine pour parachever les
préparatifs.
En ce qui concerne l'autorité suprême qui
représentera la France, le choix du groupe des cinq
répond à une tendance nettement pro-américaine,
peu favorable à la Grande-Bretagne et non gaulliste.
Instamment sollicité par Lemaigre-Dubreuil,
Weygand se récuse, prétextant son grand âge. Le
général d'armée Giraud, personnage à la haute
stature, ancien compagnon de Lyautey, qui a réussi
le 18 avril 1942 une évasion retentissante de la
forteresse allemande de Kônigstein où il était détenu,
est alors désigné par Lemaigre-Dubreuil le 19 mai
1942, puis visité par Van Hecke en juin.
Quoiqu'adepte d'un débarquement en Provence et
prétendant à un utopiste commandement en chef de
la future force interalliée, Giraud accepte finalement
et se tient prêt. En août 1942, il désigne le général
Mast, nouveau commandant de la division d'Alger,
comme son chef d'état-major et son délégué militaire
en Afrique. Le 25 septembre 1942, ce dernier adresse
une directive à tous les groupements de résistance
« Le but à atteindre est d'avoir une attitude telle, visà-vis des Alliés,qu'elle permette ultérieurement de
maintenir le territoire nord-africain sous la
souveraineté française ». Selon la volonté de Tarbé
de Saint Hardouin, cette note est complétée, à
l'intention des Américains, en spécifiant que « Si des
résistances locales prévues se produisent, comme
celles de la marine de guerre, elles ne sauraient être
invoquées par les Alliés pour ne pas reconnaître le
commandement français ».
Coup de tonnerre ! De retour des Etats-Unis, le 14
octobre 1942, Robert Murphy rapporte une nouvelle
sensationnelle « L'intervention alliée en Afrique du
Nord est proche. Les forces de débarquement seront
considérables : 500 000 hommes, 2 000 avions »
(chiffres très exagérés en vue de galvaniser les amis
et décourager l'ennemi). De plus, le général
Eisenhower, commandant en chef du corps
expéditionnaire, souhaite une rencontre immédiate
entre son état-major et celui du général Giraud dont
le choix est entièrement approuvé. Il désigne pour le
représenter son adjoint direct, le général Clark.
Ce sera l'entrevue de Cherchell, le 22 octobre 1942.
Elle se tiendra, plus précisément, à Fontaine-duGénie, dans la villa Teissier, 110 kilomètres à l'ouest
d'Alger, en bordure de la plage de Messelmoun.
Comme dans les romans d'espionnage, un sousmarin anglais, le « Seraph » sous les ordres du
lieutenant Jewell, prendra en charge la délégation
américaine à Gibraltar pour la débarquer de nuit,
dans des radeaux pneumatiques, sur le littoral
algérien. Outre le général Clark, les principaux
émissaires américains sont le général Lemnitzer,
chef de bureau des opérations de l'état-major allié à
Londres, le colonel Hamblen, le capitaine de vaisseau
Wright, accompagnés d'un conseiller politique, le
colonel Holmes du State Département. Du côté
français, le général Mast est assisté du colonel
Jousse, du capitaine de frégate Barjot, du
commandant Dartois et, pour le groupe des cinq,
d'Henri d'Astier de la Vigerie, du colonel Van Hecke
et de Jean Rigault. Mast remet aux Américains une
note explicative sur la situation en Afrique du Nord.
Il insiste sur la nécessité de débarquer à Bône pour
verrouiller la Tunisie (requête hélas demeurée
vaine). Il fait part des volontés exprimées par le
général Giraud en matière de commandement en
chef (elles seront rejetées). Il insiste pour être
prévenu en temps utile afin de mettre en place les
groupes de résistance, espérant ainsi contrôler, sinon
neutraliser, les réactions de riposte au
débarquement. Enfin, un projet d'accord sur la
souveraineté française en Afrique du Nord est
présenté. La conférence, qui se déroule sous
l'heureux arbitrage des consuls Murphy et Knight,
est empreinte de cordialité. En fait, le plan « Torch »
est déjà arrêté et les convois vont appareiller des
Etats-Unis dès le surlendemain 24 octobre. Clark,
conscient de la relative faiblesse des moyens
militaires alliés tient visiblement à être rassuré sur la
capacité des groupes de résistance à minimiser la
« casse ».
Le 28 octobre, Murphy annonce à Mast la date du
débarquement. Ce dernier s'enquiert
immédiatement des dispositions prises pour le
transport de Giraud à Alger et demande l'envoi d'un
sous-marin. Il insiste ensuite pour que les points de
débarquement qu'il a lui-même indiqués à Clark,
Sidi-Ferruch Pointe-Pescade et Surcouf, soient
scrupuleusement respectés, la défense de ces plages
étant neutralisée par ses soins. Il s'attache enfin à
mettre en œuvre le plan élaboré par lui-même avec
les responsables de la résistance.
Le 2 novembre, Robert Murphy est autorisé par le
président Franklin Roosevelt à reconnaître l'accord
de souveraineté demandé par le général Henri
Giraud.
(Le général Giraud en bande dessinée : tract en
langue arabe à l'intention des populations
musulmanes d'Afrique du Nord.)
LES HUIT POINTS DE L'ACCORD MURPHYGIRAUD
DU 3 NOVEMBRE 1942
Dans deux documents présentés au nom du
Président Roosevelt par M. Robert Murphy et
adressés au général GIRAUD, les huit points
suivants étaient soulignés :
1. - restauration de la France en sa pleine
indépendance dans toute l'étendue et dans toute la
grandeur qu'elle possédait avant la guerre, aussi
bien en Europe que Outre-mer,
2. - la souveraineté française sera rétablie aussitôt
que possible sur tous les territoires sur lesquels
flottait en 1939 le drapeau français,
3. - le gouvernement des États-Unis considère la
Nation Française comme une Alliée et la traitera
comme- telle,
4. - Les autorités américaines n'interviendront en
rien dans toutes les affaires qui sont uniquement du
ressort de l'administration nationale et qui relèvent
de l'exercice de la souveraineté française,
5. - extension du bénéfice de la Loi Prêt-Bail à
l'Afrique du Nord Française,
6. - fourniture aux Forces Françaises d'armes et d'un
équipement moderne,
7. - la question du commandement est, en principe,
réglée comme suit : pendant les opérations de
débarquement, commandement américain ; dans les
48 heures qui suivront la mise à terre du premier
convoi, commandement mixte "inter-allié" ; enfin,
commandement suprême français dès que possible,
8. - la période de commandement mixte correspond
au réarmement des troupes françaises : un général
d'armée français sera adjoint au Commandant en
Chef américain immédiatement après le
débarquement.
Sans l'entrevue de Cherchell, qui provoqua le
déplacement d'un Etat-major américain, le
débarquement obligatoirement brusqué aurait eu
lieu sans qu'un tel accord "de souveraineté" ait pu
être conclu.
Et ce furent des "clandestins" qui obtinrent cet
accord !
Dans la nuit du 5 au 6 novembre, le général Giraud
embarque à son tour sur ce même sous-marin
« Seraph » dans le golfe de Bandol. Le 7 au matin, il
est transbordé au large des Baléares sur un
hydravion « Catalina » qui le dépose quelques
heures plus tard à Gibraltar. Il y rencontre le
général Eisenhower et, après une conférence
houleuse, parvient à un terrain d'entente sur le
partage du pouvoir militaire, la confirmation de
l'accord de souveraineté et la reconnaissance de son
autorité unique dans l'administration et le
gouvernement des territoires français d'Afrique du
Nord.
Nous sommes au matin du 8 novembre 1942 et le
canon tonne sur la côte africaine.
(Opération « Torch » - le convoi en route vers
l'Afrique du Nord.)
Le grand jour
Les objectifs
L'opération « Torch » est fixée le 8 novembre 1942
dans les premières heures. Elle s'est assignée trois
objectifs : Casablanca, Oran et Alger.
Telle qu'elle a été arrêtée le 24 juillet 1942, « Torch »
se définit comme une opération amphibie angloaméricaine dont les buts essentiels sont :
— D'établir des têtes de pont entre Oran et la
Tunisie, d'une part,
— D'établir des bases au Maroc, d'autre part.
— D'exploiter les têtes de pont ainsi formées pour
chasser les forces de l'Axe du Maroc, de l'Algérie et
de la Tunisie (sic), de manière à progresser ensuite
vers l'est contre les arrières de l'armée Rommel,
« Afrika Korps » et corps expéditionnaire italien
réunis.
— Enfin, de se servir de l'Afrique du Nord comme
d'une base de départ vaste et efficace pour des
opérations ultérieures sur le continent européen.
Les plans de débarquement prévoient en outre une
coordination entre les forces d'assaut proprement
dites et l'action sur le terrain des organisations
clandestines, afin de faciliter l'occupation du sol par
les Alliés.
Le 14 août 1942, le général américain Dwight
Eisenhower est nommé commandant en chef
suprême des forces alliées et l'amiral Andrew
Cunningham (ancien chef de l'escadre anglaise de
Méditerranée), commandant en chef des forces
navales.Le général Doolittle (héros du raid sur
Tokyo), pour l'U.S. Air-Force, et l'air-marshall
Waslh, pour la Royal-Air-Force, se partagent le
commandement aérien. Le général Mark Clark,
commandant en second, est également américain, de
façon à conserver le leadership aux Etats-Unis en cas
d'indisponibilité d'Eisenhower ; il a de plus autorité
directe sur les chefs des trois forces terrestres de
débarquement, les généraux américains Patton,
Fredendall et Ryder.
Casablanca
La « Task Force 34 » occidentale a pour objectif
Casablanca. Elle est entièrement américaine. Les
forces terrestres se composent de 35 000 hommes et
sont placées sous les ordres du fameux général
George Patton. Les forces navales, commandées par
l'amiral Henry Hewitt, comprennent une centaine de
navires de guerre, 29 transports de troupe et 102
cargos. Les 23 et 24 octobre, cette flotte appareille
directement des Etats-Unis, principalement des ports
de Hampton-Roads, Norfolk et Portland. Au sein de
l'escadre de guerre, un groupe de couverture
(covering), sous l'autorité du contre-amiral Giffen, a
pour mission de neutraliser la flotte française,
notamment le cuirassé « Jean Bart » ; il compte dans
ses rangs le puissant cuirassé « Massachusetts » ainsi
que les croiseurs « Wichita » et « Tuscaloosa ». Le
croiseur lourd « Augusta » porte la marque de
l'amiral Hewitt. Une importante protection aérienne
est embarquée sur les porte-avions « Chenango »,
« Ranger », « Sangamon », « Santee » et
« Suwanee ».
(COMMANDANTS DE LA « TASK FORCE»)
Bien qu'Eisenhower eût insisté pour que « Torche »
fût vraiment une entreprise commune, les structures
du commandement étaient exclusivement
américaines. D'ailleurs, le président Roosevelt
n'avait-il pas déclaré : « Je suis fermement
convaincu que les premières attaques doivent être
menées par des troupes exclusivement
américaines » ?
La « Task Force » se divise elle-même en trois
groupes d'assaut : — Groupe nord (Northern
attack), comprenant un contingent de 9 500 hommes
et 65 chars, sous la protection du cuirassé « Texas »
et du croiseur « Savannah ». Il est commandé par le
général Truscott et doit débarquer à l'embouchure
de l'oued Sebou, 120 kilomètres au nord-est de
Casablanca.
Il a pour objectifs Mehdia et Port-Lyautey avec son
aéroport.
— Groupe centre (Center attack), composé de 19 000
hommes et 79 chars, couvert par les croiseurs lourds
« Augusta », « Brooklyn » et « Cleveland ». Il doit
prendre pied sur la plage de Fédala en divers points
(Blue beach 1-2-3 et Red beach 1-2-3), 25 kilomètres
au nord-est de Casablanca. Son objectif est de
neutraliser Fédala, puis de s'emparer de Casablanca.
— Groupe Sud (Southern attack), comptant 6 500
hommes et 108 chars, appuyé par le cuirassé « New
York » et le croiseur « Philadelphia ». Sous le
commandement du général Harmon, il doit
s'emparer du port de Safi pour y décharger ses chars
« Sherman » et « Grant » avant de pousser en
direction de Marrakech.
(Les opérations à Casablanca et l'indication
codée des points de débarquement.)
Le parapluie aérien fourni par l'aéronavale est de
172 avions.
Du côté français, l'organisation défensive du Maroc
est placée sous l'autorité du résident général Noguès.
Le général Béthouart, qui s'illustra à Narvik,
commande la division de Casablanca et l'amiral
Michelier est à la tête de l'escadre. L'armée de terre
dispose de 30 900 hommes des forces de manœuvre,
effectif qui peut être rapidement doublé par la mise
en œuvre des réserves et la mobilisation des goums.
De puissantes batteries côtières sont implantées,
notamment à El-Hank et au cap Fédala. Les forces
navales sont constituées par le cuirassé « Jean
Bart », immobilisé mais redoutablement armé, 1
croiseur, 3 contre-torpilleurs, 7 torpilleurs, 12 sousmarins et 4 avisos. L'armée de l'air compte environ
170 appareils de combat en état de vol. Béthouart,
qui est acquis à la cause alliée, sera averti trop
tardivement pour mettre en place son dispositif dans
les meilleures conditions. De plus, il se heurtera à
l'incompréhension de Noguès et de Michelier. Tandis
que Béthouart et son état-major sont arrêtés et
transférés à la prison de Meknès en vue d'être
traduits en conseil de guerre, les troupes américaines
éprouvent certaines difficultés à s'établir et à
progresser sur le territoire marocain.
La garnison de Fédala exécute l'ordre du général
Béthouart et n'oppose aucune résistance au
débarquement du groupe centre. En fin de journée,
8 000 hommes et tous les chars américains forment
une solide tête de pont. A Mehdia, la réaction
française est plus vive et la situation du groupe nord
est préoccupante au soir du 8 novembre. Le groupe
sud, malgré la défense des batteries côtières,
parvient à décharger ses chars dans le port de Safi
où l'a précédé un commando qui s'est assuré des
installations militaires. Dans l'après-midi, une
contre-attaque appuyée par quelques chars Renault
est repoussée et, dans la soirée, la résistance
française cesse. La tête de pont américaine s'établit
alors normalement sur une profondeur de 4
kilomètres.
Tandis que le cessez-le-feu est proclamé à Alger dans
l'après-midi du 8 novembre, les combats se
poursuivent au Maroc et à Oran ; Vichy commande
d'organiser un théâtre d'opération Maroc-Oranie
sous les ordres du général Noguès. Néanmoins,
malgré des retards et des problèmes de navigation
dûs aux marées, le débarquement des troupes et du
matériel s'intensifie, de sorte qu'à part Mehdia, la
situation au matin du 9 novembre est dans
l'ensemble conforme aux prévisions. Toutefois, aux
approches de Casablanca le groupe centre va se
heurter à la division dont le général Desré a pris le
commandement en remplacement du général
Béthouart. Patton préfère consolider ses appuis et
remettre son attaque au 11 novembre. En bien
d'autres points, la réaction française est assez molle ;
les ordres de Béthouart ont finalement porté. Dans la
matinée du 10 novembre, un audacieux coup de
main du destroyer « Dallas », avec le pilote français
Lavergne à sa barre, est lancé dans l'oued Sebou. Un
commando est débarqué, appuyé par l'artillerie du
« Dallas », et vient à bout de la garnison de Mehdia.
A midi, les premiers avions américains se posent sur
la base de Port-Lyautey. Dans le secteur de Safi, le
groupement blindé du groupe sud atteint Mazagan
et se prépare à participer le 11 novembre à
l'offensive Patton. Entre-temps, l'amiral Darlan —
invité surprise à Alger —, qui a pris le
commandement en chef des forces françaises
d'Afrique du Nord, envoie un message de cessez-lefeu à Noguès dans la journée du 10. Noguès réclame
confirmation et le commandant Dorange est dépêché
d'Alger par avion avec un ordre écrit. Dorange est
contraint de se poser à Oujda d'où il téléphone à
Casablanca à 17 heures 30. Le cessez-le-feu sera
finalement proclamé le 11 novembre à 7 heures 30.
Patton immédiatement prévenu annule la
préparation d'artillerie qui devait précéder son
offensive.
(Sur la plage de Fédala, Gl's halant une pièce
antichar.)
La bataille de Casablanca s'achevait ; son bilan était
lourd. Il eût pu être plus sévère si la résistance
militaire opposée à l'entêtement de Noguès n'avait
évité le pire. La flotte française était hors de combat
avec le « Jean Bart » reposant sur le fond du port, le
croiseur « Primauget » coulé avec 5 sous-marins et 6
torpilleurs. On ne déplorait pas moins de 462
officiers et marins tués et près de 600 blessés.
L'armée de terre comptait environ 1 400 tués et
blessés. Une vingtaine d'avions avaient été détruits.
Les pertes terrestres américaines étaient du même
ordre, mais les pertes navales étaient minimes.
Oran
La « Task Force » centrale a pour objectif Oran. Les
forces terrestres, entièrement américaines comptent
39 000 hommes sous les ordres du général
Fredendall. Les forces navales, placées sous le
commandement de l'amiral anglais Troubridge, se
composent d'une escadre britannique extrêmement
puissante (une centaine de bâtiments de guerre)
destinée à décourager toute intervention italienne et
dissuader la sortie de la flotte française de Toulon
(véritable marotte de Churchill). Elle se partage en
un groupe de combat, comprenant les cuirassés
« Nelson » et « Duke of York », le croiseur de bataille
« Renown », les porte-avions « Victorious » et
« Formidable », 4 croiseurs et 17 destroyers, et un
groupe de couverture composé du cuirasse
« Rodney », des porte-avions « Furious », « Biter » et
« Dasher », du croiseur lourd « Delhi », de 2
croiseurs, 11 destroyers et 6 corvettes. L'armada est
complétée par quelque 140 transports et cargos.
L'appareillage a lieu les 22 et 26 octobre en Ecosse,
dans l'embouchure de la Clyde.
(Les opérations à Oran.)
Le commandement a prévu un mouvement
d'encerclement d'Oran par l'est et par l'ouest, ainsi
que deux opérations de commando qui se révéleront
des plus malencontreuses. La première consiste en
une attaque « surprise » du port, la seconde en un
parachutage sur les terrains d'aviation de Tafaraoui
et La Sénia.
Le 8 novembre à 1 heure, un petit patrouilleur
arrivant du Maroc se retrouve au milieu de l'escadre
alliée et donne l'alerte. A 2 heures, tous les organes
de commandement sont avertis et prennent des
mesures de défense.
A 3 heures, 2 corvettes britanniques arborant
pavillon américain, le « Walney » et le « Hartland »,
se présentent à la passe du port d'Oran en
s'annonçant par haut-parleur. Elles ont a leur bord
400 soldats américains et 200 marins qui constituent
le commando « Reservist » dirigé par un officier
britannique, le capitaine de vaisseau en retraite
Thornton Peters. Ce raid d'une folle témérité se
propose de neutraliser les postes clés et de se rendre
maître du port. Il se solde par un échec total : les
deux bâtiments sont coulés, plus de 300 hommes tués
et le reste capturé.
L'opération aéroportée n'aura guère plus de succès.
Décollant de Cornouailles, 550 parachutistes sont
transportés d'une seule traite sur une distance de
1 700 kilomètres pour être largués entre le mont du
Tessala et la Sebkha afin d'investir les bases
aériennes de La Sénia et Tafaraoui. Ils seront
décimés et pour la plupart faits prisonniers.
Le gros du corps expéditionnaire se scinde en trois
groupes :
— La « Green Force » du colonel Robinett débarque
sur la plage de Marsa-Bouzedjar (« Beach X »),
45 kilomètres à l'ouest d'Oran. Il est constitué d'une
unité blindée, environ 3 000 hommes et 40 chars. Il
doit réaliser un mouvement enveloppant en direction
de La Sénia, vers l'est.
— Le 26e Régiment d'infanterie renforcé (« Combat
Team 26 »), soit 5 000 hommes représentant environ
le tiers de la Ire Division d'Infanterie U.S., sous les
ordres du général Théodor Roosevelt (fils du
président), débarque sur la plage des Andalouses
(« Beach Y »), 30 kilomètres à l'ouest d'Oran. Son
objectif est Mers el-Kébir, puis Oran.
C'est sur le port d'Arzew et la plage de SaintLeu (« Beach Z »), 25 kilomètres à l'est d'Oran,
que se concentre la force du général Fredendall.
Elle est constituée par 2 régiments renforcés de la
Ire Division d'Infanterie U.S., environ 12 500
hommes, d'un bataillon de « Rangers », 500
hommes, et d'un groupement blindé de la lre
Division Blindée U.S. (« Combat Command B »), 4
500 hommes avec soixante chars légers et moyens.
Le port d'Arzew étant occupé sans résistance, ces
effectifs sont complétés par une deuxième vague
composée de 2 régiments d'infanterie renforcés
(« Combat Team 16 » et « Combat Team 18 »), soit
environ 12 500 hommes. Tandis que l'infanterie a
pour mission de se déployer vers Oran, les blindés
doivent rejoindre Tafaraoui dans un mouvement
d'encerclement dirigé vers l'ouest.

LE PREMIER MORT DU
DÉBARQUEMENT
Le 8 novembre 1942 à 1 heure du matin,
un commando américain aborde tout
près du port d'Arzew dans un silence
total. Il approche à pas feutrés du fort
de la Pointe qui domine la passe. Le
canonnier Pierre Morales du 68e
Régiment d'Artillerie d'Afrique est alors
en faction. Soudain, il s'affaisse sans un
murmure impitoyablement poignardé
par un Ranger. Il est 1 heure 30,
l'opération « Torch » vient de
commencer.
L'aviation embarquée se compose de 180 appareils.
Côté français, le secteur de défense d'Oran est
commandé par la marine ; le contre-amiral Rioult
exerçant ce commandement a sous ses ordres le
général Boissau et la division d'Oran. Les forces
terrestres sont importantes et regroupent 13
bataillons d'infanterie, 6 groupes d'artillerie,
1 régiment de cavalerie, 1 brigade légère mécanique
de 45 chars D-l. L'effectif total de 15 500 hommes
peut être porté à 20 000 par mobilisation rapide,
sans compter le renfort plus ou moins hypothétique
de 3 700 volontaires civils appartenant au S.O.L. Des
batteries côtières abritées dans les anciennes
fortifications espagnoles, notamment au Santon, au
Ravin Blanc et à Canastel, offrent une défense
appréciable vers la mer, que vient compléter une
flotille formée d'un contre-torpilleur, 3 torpilleurs, 1
aviso, 4 sous-marins armés et 4 en gardiennage, 4
patrouilleurs et 2 sections de dragage. L'aviation
compte plus de 100 avions répartis sur les terrains de
La Sénia et Tafaraoui, ainsi qu'un groupe
d'hydravions à l'hydrobase d'Arzew. Malgré une
information tardive, la résistance civile bien
organisée jouera son rôle. C'est ainsi que la passe
sera dégagée de son filet de protection et le paquebot
« Laferrière », devant faire barrage, échoué le long
de la jetée par le pilote Forlemeyère ; les docks
flottants ne seront pas coulés mais simplement
immergés ; de nombreux navires marchands
refuseront le sabordage ; l'explosion du tunnel des
Bains-de-la-Reine et la destruction de la centrale
électrique de Mers el-Kébir seront empêchées par le
chef d'équipe Tropin, de même que sera évité
l'incendie du port d'Oran par le déversement des
stocks de mazout. Malheureusement, la résistance
militaire échouera et le colonel Tostain se retrouvera
aux arrêts après avoir tenté de rallier le général
Boissau.
(Un élément de la 1ère Division d'Infanterie U.S.
prend pied sur la plage de Saint-Leu, drapeau
américain déployé, sans rencontrer de résistance.)
Tandis que le commando « Reservist » dans le port
d'Oran et l'opération aéroportée de la Sebkha
échouent lamentablement, les forces de
débarquement américaines ont pris pied aux
emplacements désignés sans rencontrer d'opposition.
A Marsa-Bouzedjar, en raison d'équipages
inexpérimentés, l'abordage des chars s'effectue
lentement et le bataillon n'est finalement regroupé
que dans l'après-midi du 8 novembre. La colonne se
met en route et atteint Lourmel, puis Misserghin où
elle se heurte à un premier foyer de résistance et fait
halte dans la soirée. Le « Combat Team 26 »
débarque aux Andalouses sans essuyer un coup de
feu et fait marche, par Bou-Sfer et Ain el-Turk, vers
Mers el-Kébir. Mais le 8 novembre après-midi, à
l'approche du Santon, il est pris sous le feu de
l'artillerie côtière et cloué au sol par un élément du
2e Zouaves. Malgré tous ses efforts, il ne pourra
reprendre sa progression et ne participera pas à la
prise de la ville. Dans le secteur d'Arzew, le bataillon
de « Rangers » débarque le 8 novembre dès 1 heure
et s'empare de la batterie de la Pointe par surprise.
Après un simulacre de résistance, le fort du Nord
tombe à 5 heures.La passe n'ayant pas été obstruée
et les feux de balisage étant allumés, le
débarquement se poursuit dans le port même. La
base aéronavale est rapidement enlevée et, dès 9
heures, Arzew est entièrement occupé. Dès lors, les
chars et le matériel lourd sont mis à terre sans
difficulté. L'opération amphibie sous les ordres
directs de Fredendall a parfaitement réussi et la
progression commence. Le « Combat Team 18 » se
présente devant Saint-Cloud en début d'après-midi
et se heurte à une vigoureuse résistance de la part
d'un bataillon du 16e Tirailleurs et d'un bataillon de
la Légion. Il suspendra sa marche jusqu'au
surlendemain. Le « Combat Team 16 » se partage en
deux éléments, l'un à l'est chargé de contenir un
détachement du 2e Tirailleurs sur la Macta, l'autre à
l'ouest entreprend de marcher sur Oran mais bute
contre le centre de résistance de Fleurus et se
contente de prendre position dans la soirée du 8
novembre. Enfin, le « Combat Command B »,
composé de chars légers M5 « Stuart » et moyens M3
« Grant » avec quelques M4 « Sherman », s'élance
vers la base de Tafaraoui qu'il atteint le 8 dès midi et
prend au premier assaut. Deux escadrilles de
« Spitfire » décollant de Gibraltar s'y poseront à 17
heures 30. La journée du 9 novembre apportera peu
de changements sinon la prise de la base de la Sénia
par le « Combat Command B » vers 11 heures. Elle
sera également marquée par le ralliement courageux
du sous-préfet de Tiaret, Luizet, et la nonintervention du bataillon de cette ville. A SaintLucien, le bataillon léger motorisé de Sidi-Bel-Abbès
refusera sagement d'affronter les chars américains.
La ville étant encerclée selon le plan prévu, l'avance
reprend le 10 au matin vers 10 heures. Malgré
quelques nids de résistance à Saint-Cloud, Fleurus et
Arcole, rapidement balayés par les forces blindées
du « Combat Command B », la défense est des plus
molles. A 11 heures, le premier « Half Track » suivi
bientôt du premier « Grant » pénètrent dans la ville
et le 10 novembre avant midi, le général Boissau et
l'amiral Rioult proclament le cessez-le-feu à Oran.
En définitive, les manœuvres terrestres
généralement menées avec tact par les Américains et
sans grande conviction par les Français se soldaient
par des pertes relativement minimes dans les deux
camps. Hélas ! il n'en allait pas de même pour les
opérations navales. Une sortie par trop téméraire
opposait la flottille française imprégnée du souvenir
de Mers el-Kébir à l'escadre anglaise qui n'en faisait
qu'une bouchée. Un contre-torpilleur, 2 torpilleurs,
1 aviso et 2 sous-marins furent coulés ou
s'échouèrent. Le torpilleur restant, 4 sous-marins,
7 patrouilleurs et 13 navires marchands se
sabordèrent le 9 novembre en exécution d'ordres
inconsidérés. Pour le sous-marin « Fresnel », qui
réussissait au prix de mille périls à regagner Toulon,
ce n'était que partie remise et il disparaissait à son
tour le 27 novembre dans le sabordage général de la
flotte. Les combats d'Oran avaient causé la mort de
300 officiers et marins et fait 150 blessés. Les pertes
alliées étaient équivalentes. Une quinzaine d'avions
français avaient été détruits au combat ou au sol. Les
pertes terrestres chez les Français comme chez les
Américains n'excédaient pas 300 hommes (tués ou
blessés).
Alger
La « Task Force » orientale a pour objectif Alger.
L'armée de débarquement alliée est formée de
10 000 soldats américains et 23 000 britanniques
sous les ordres du général américain Ryder.
L'escadre commandée par l'amiral anglais Burrough
se compose des croiseurs « Sheffield », « Scylla » et
« Charybdis », des porte-avions « Argus » et
« Avenger », de 3 bâtiments anti-aériens, 1 monitor,
13 destroyers et 7 corvettes (une soixante de navires
de guerre au total). Quelque 120 transports de
troupe et cargos l'accompagnent.
(Les opérations à Alger.)
Comme le convoi d'Oran et aux mêmes dates,
l'armada d'Alger a appareillé dans l'estuaire de la
Clyde. De même, le commandement américain a-t-il
prévu un mouvement d'encerclement et trois
groupements de débarquement :
— Le « Apples », lui-même scindé en deux groupes
« Green » et « White », doit aborder entre
Castiglione et l'embouchure du Mazafran, une
trentaine de kilomètres à l'ouest d'Alger. Il est
constitué par la 11e Brigade d'Infanterie britannique
et doit se porter sur Birtouta, pour le groupe
« White », sur Blida, pour le groupe « Green ».
— Le « Béer » est partagé en trois groupes. Le
« Green », sur la plage de Sidi-Ferruch, est constitué
par un commando, chargé d'occuper le fort, et par le
« Combat Team 168 » américain qui doit marcher
sur Alger en direction d'El-Biar. Le « White », qui
est un élément de la même unité, débarque dans le
voisinage, au Ras-Accras, 10 kilomètres à l'ouest
d'Alger, et doit pénétrer dans la ville par la
Bouzaréah. Enfin le « Red », qui prend pied à
Pointe-Pescade, dans le faubourg ouest de la ville, est
constitué par un fort commando chargé de
s'emparer de la batterie Duperré. — Le « Charlie »,
qui constitue le groupement est, a été constitué sur
les conseils du général Mast. Il se répartit à l'est
immédiat du Cap Matifou en quatre groupes,
« Green », « Blue », « Red 1 » et « Red 2 »,
respectivement centrés sur les plages de Jean-Bart,
Aïn-Taya, Surcouf et l'embouchure de la Rhégaïa. Il
comprend un commando destiné à neutraliser le fort
d'Estrées et le « Combat Team 39 » américain dont
la double mission consiste à prendre l'aérodrome de
Maison-Blanche et à boucler Alger, distant de 25
kilomètres, par l'est.
Une réserve embarquée, constituée par la
36e Brigade d'Infanterie britannique, se tient au
large de Sidi-Ferruch. Tandis qu'Alger se trouve
paralysé par les organisations de résistance, les
opérations de débarquement se déroulent dans un
désordre indescriptible et le temps passe.
Simultanément à l'opération principale, comme à
Oran, un inefficace et inconséquent commando
embarqué sur les destroyers anglais « Broke » et
« Malcolm » est lancé dans le port d'Alger. Dès cet
instant, les défenses de la ville sont mises en alerte.
Une vingtaine de soldats américains sont tués et 200
faits prisonniers.
Par bonheur, du côté français, les organisations de
résistance fonctionnent à merveille. Il est vrai que
tous les hauts responsables militaires et civils se
trouvent sur place et en liaison instantanée avec le
consulat des Etats-Unis. Le général Mast, prévenu le
28 octobre par Robert Murphy, a pu contacter ses
principaux lieutenants de même que le groupe des
cinq.
Henri d'Astier a prévu la participation d'un millier
de résistants. Il s'en présente 377 et chaque équipe se
voit réduite à proportion. A minuit, l'organisation
civile perçoit armes et munitions. Chacun se fait
remettre un brassard V.P. (Volontaire de Place) qui
l'accrédite à tous les postes militaires. C'est le
lieutenant-colonel Jousse, sous couvert du général
commandant d'armes, qui a élaboré le plan de
neutralisation des points-clés. A partir de 0h30, tous
les postes militaires sont relevés sans qu'aucun chef
de poste n'oppose d'objection. A 1 heure, tous les
points sensibles essentiels : états-majors, central de
transmissions de l'Air, résidences des généraux,
Radio Alger, centraux téléphoniques, poste centrale,
Palais d'Eté, préfecture, commissariat central et
commissariats de quartiers sont aux mains de
l'organisation résistante. José Aboulker occupe le
commissariat central, le lieutenant Pilafort s'est
emparé du central protégé de Mogador. Toutes les
communications sont coupées, Alger ne répond plus,
la ville est paralysée.
Cependant un événement totalement imprévisible et
inconnu de tous est survenu l'avant-veille. L'amiral
Darlan, commandant en chef suprême des forces
armées françaises et principal confident du maréchal
Pétain, est arrivé incognito à Alger le 6 novembre
par avion en provenance de Vichy. La raison, ou le
prétexte de ce voyage, serait la grave maladie de son
fils, l'enseigne de vaisseau Alain Darlan, frappé de
poliomyélite et traité dans un hôpital d'Alger. La
présence à Alger d'une telle personnalité à l'heure
du débarquement allié ne peut avoir qu'une
profonde incidence sur la suite des événements.
Murphy n'ignore pas la phrase de Darlan à l'amiral
Leahy, alors ambassadeur des Etats-Unis à Vichy :
« Si vous venez à 50 000, je vous tire dessus. Si vous
venez à 500 000, je vous ouvre les bras ». De plus,
Darlan s'est efforcé de garder le contact avec lui par
l'intermédiaire de l'amiral Fénard, secrétaire
général de l'Algérie, pour souligner que sa fonction
lui donne plein pouvoir sur l'Afrique. Toujours est-il
que Murphy vient rendre visite au général Juin dans
la nuit du 7 au 8 novembre pour lui apprendre la
nouvelle du débarquement et tenter de le rallier à la
cause. Juin visiblement embarrassé déclare qu'il se
prononcerait immédiatement s'il ne tenait qu'à lui :
« Mais — ajoute-t-il — comme vous le savez, Darlan
est à Alger. Il est mon supérieur et c'est à lui que la
décision appartient ». Murphy est-il informé comme
Juin le pense ? Feint-il la surprise ? L'inconnue
subsiste, même s'il n'est pas exclu d'imaginer que
Washington ait pu tenter d'obtenir un atout
supplémentaire de la part de Vichy, la carte Giraud
n'étant pas dépourvue de risques. Où commence et
où s'achève le double jeu ? Darlan par câble secret
de l'amirauté — on le sait depuis — est en contact
direct avec le maréchal. Est-il son représentant
officiel auprès des Américains comme il l'affirmera
plus tard ? Laissant Juin, Murphy se rend
immédiatement auprès de Darlan qui est hébergé
chez l'amiral Fénard. Mis au courant de l'imminence
de l'opération « Torch » par Murphy, Darlan
explose de colère : « Je sais depuis longtemps que les
Anglais sont stupides. Je croyais les Américains plus
intelligents. Je vois qu'ils se valent. Si vous aviez
attendu quelques semaines, nous aurions agi
ensemble suivant un plan de coopération établi non
seulement pour l'Afrique mais pour la France. Vous
avez voulu marcher seuls ! Je me demande ce que va
devenir mon pays ! » En entendant le nom de
Giraud, il redouble de violence : « C'est un enfant !
Il est tout juste bon à faire un général de division ! »
Puis, après avoir rappelé qu'il a prêté serment au
maréchal Pétain et ne peut agir sans son
assentiment, il demande à lui rendre compte et
attendre ses instructions. Il cherche ainsi à gagner
du temps afin de juger si l'opération de
débarquement alliée est crédible et quel sera le
potentiel de riposte de l'Axe. La réponse officielle de
Pétain dans la matinée du 8 novembre sera : « ... A la
force, nous répondrons par la force. »
Pendant la longue nuit et l'aurore qui point, les
organisations résistantes d'Alger ont de plus en plus
de mal à maintenir leur pression. Murphy s'inquiète,
les Américains auraient dû apparaître vers 2 heures
30. Il est 6 heures 30 et on attend toujours. Soudain,
la situation se retourne et les conjurés doivent céder
les uns après les autres. Le lieutenant Jean Dreyfus
est tué à la Grande Poste. Le capitaine Pilafort sera
le dernier à résister et s'écroulera mortellement
blessé à 14 heures 30. Il n'empêche, la neutralisation
d'Alger aura permis à des forces alliées totalement
inexpérimentées de prendre pied et de s'établir sans
opposition.
Enfin, vers 15 heures Darlan rend à son tour visite à
Murphy qui est placé sous haute surveillance au
domicile de l'amiral Fénard. L'invasion alliée n'est
pas une chimère mais revêt au contraire tous les
aspects d'une offensive de vaste amplitude. Darlan
demande à Murphy d'aller au devant du général
Ryder. Ce dernier accepte d'accompagner Murphy
au fort l'Empereur. Un cessez-le-feu limité à
l'Algérois est sonné dès le 8 novembre à 17 heures
20, puis confirmé par convention verbale à 18 heures
40.
Le lendemain à 17 heures 30, un raid aérien
allemand limité à une trentaine de « Stukas » se
déroulait sur la rade et quelques navires étaient
atteints au milieu d'une immense armada. Il
permettait à Darlan d'apprécier le rapport de forces
et de mesurer la faiblesse de la « Luftwaffe » face
aux escadrilles de « Hurricane » immédiatement
dépêchées de Maison-Blanche. L'opération d'Alger
s'achevait avec un minimum de pertes : 13 tués dans
les rangs des troupes françaises et 2 parmi les
résistants. Les pertes anglo-américaines légèrement
plus importantes avaient pour cause principale le
malencontreux commando du port. Aucun avion et
aucun navire n'avaient été détruits. Seuls deux sousmarins avaient regagné Toulon.
(Tract largement diffusé en
Afrique du Nord
le 8 novembre 1942.)
Ombre et lumière
Le 9 novembre, quand Giraud se pose sur
l'aérodrome de Blida, il arrive en quelque sorte
après la bataille ; personne n'est là pour l'accueillir,
hormis Lemaigre-Dubreuil. N'a-t-il pas d'ores et
déjà raté le coche ?
Malgré ses prises de position apparemment proallemandes, dans un passé récent, la cote de Darlan
remonte aux yeux des Américains. Il semble
incarner une sorte de légitimité et se fait respecter
par l'armée. Mais alors qu'il paraît seul en mesure
d'arrêter les combats, il se donne du temps et
tergiverse. Si bien que Clark accouru de Gibraltar
lui extorque l'ordre de cesser le feu « au nom du
maréchal ». La réaction publique de Pétain est
immédiate et sans équivoque : Darlan est désavoué,
destitué et remplacé par Noguès. Mais l'ordre de
combattre jusqu'au bout lancé par Vichy n'est-il pas
de pure forme ? Déjà les combats ont virtuellement
cessé. Les grands procès d'après-guerre tendront à
établir que Darlan aurait obtenu en sous-main
l'approbation de Pétain pour un cessez-le-feu, suivi
d'une coopération avec les Alliés. Méandres du
double jeu ?
Pour de Gaulle, l'affaire se présente mal. Le
président Roosevelt se méfie des idées politiques du
chef de la France libre et déteste son arrogance. Il
estime que son défi au gouvernement de Vichy et sa
participation aux côtés des britanniques dans les
affaires de Dakar, Syrie et Madagascar l'ont coupé
des officiers français légalistes, y compris ceux qui
n'attendent qu'une occasion pour reprendre les
armes contre l'Axe. Il insiste donc très fermement
auprès de Churchill afin que de Gaulle soit tenu
totalement à l'écart du projet « Torch ». « Je crains
— précise Roosevelt à Churchill — qu'une
intervention du général de Gaulle ne puisse nuire
aux espoirs que nous avons de rallier une importante
fraction des forces françaises d'Afrique à notre
cause. En conséquence, j'estime inopportun que vous
lui donniez le moindre renseignement concernant
« Torch » avant d'apprendre le succès des
débarquements. Vous pourriez lui dire alors que le
commandement américain d'une expédition
américaine a exigé le secret le plus absolu dans un
souci de sécurité, et ce, avec mon accord ».
Comme quoi, si « tous les chemins mènent à Rome »,
le détour par Londres paraissait superflu à
Roosevelt parfaitement informé par Murphy. Mais
les choses n'en resteront pas là et la suite ne tardera
pas à nous en apprendre
Georges BOSC