DP Hey Girl

Transcription

DP Hey Girl
DOSSIER DE PRESSE
Hey Girl !
SOCIETAS RAFFAELLO SANZIO
TEXTE, MISE EN SCENE
ET SCENOGRAPHIE
ROMEO CASTELLUCCI
DU
24 A U 29 M A R S 2009
m ard i, ven d r ed i, sam ed i 20h
m er c red i , j eu d i 19h
d im an ch e 1 7h
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ww w.co m ed i e.ch
Autour du spectacle…
Jeudi 26 mars à l’issue de la représentation
Rencontre avec Romeo Castellucci
Hey Girl !
Socìetas Raffaello Sanzio
Texte, mise en scène et scénographie Romeo Castellucci
Avec :
Silvia Costa
Victorine Mputu Liwoza
et 40 figurants genevois
Musique originale
Statique et dynamique
Directeur du plateau
Technique des éclairages
Technique du plateau
Réalisation sculptures de scène
Assistance de production
Scott Gibbons
Stephan Duve
Sergio Scarlatella
Giacomo Gorini
Federico lepri
Plastikart - Istvan Zimmermann
Eugenio Resta
Production Odéon-Théâtre de l'Europe
avec Festival d'Automne/Paris, steirischer herbst/Graz,
Le Maillon-Théâtre/Strasbourg, de Singel/Anvers, Productiehuis/Rotterdam,
Cankarjev dom/Ljubljana, Trafò House of Contemporary Arts/Budapest,
Socìetas Raffaello Sanzio ;
et l'appui de l'Institut Culturel Italien de Montréal en collaboration avec
Le Carrefour international de théâtre de Québec.
L’inspiration pour le titre de ce s pectacle m’ est venue un j our dans ma ville quand, bloqué
à un carrefour, j’observ ais un groupe de filles attendant devant l’arrêt de l’autobus. Leurs
sacs étaient bourrés et leurs visages fort maquillés. Chacune attendait son autobus.
Tellement d’ espace autour. Elles ne se parlaient pas. Ell es ne se regardaient pas.
Dans l’attente du feu vert - à cet ins tant-là - le titre du spectacle m’est v enu à l’esprit. Dès
lors je n’ai fait que suiv re ces deux mots. J’ai attendu. E j’ai attendu encore. Ce qui s’es t
passé après , je ne le s ais pas; j e crois pourtant qu’il a à faire avec le portrai t d’un cœur
de l’homme.
Quelqu’un se réveille, s e lève, se prépare pour sortit. Sort. Fi n de l’histoire.
Ceci pourrai t être le temps d’une journée, ou d’une période de l’année, comme un
calendrier.
Romeo Castellucci
Hey You !
par Nicholas Ridout
Hey Girl, ou la langue comme geste. Un bout de langue qui ne peut faire son travail
qu’avec la participati on de la main et de l’ oeil. Cela peut être un hochement de tête, un
doigt pointé et un sourcil qui se relève. Hey Girl. Un salut laconique, un moment de
reconnaissance. Ou peut-être, plus férocement, un appel, une sommation à comparaître.
Hey Girl . Pl us d’une foi s, cependant, sur les l èvres d’amis italiens , c es mots sonnaient
comme le nom d’ un célèbre philosophe de l’histoire. Hegel.
Nous pourrions penser à la pratique du théâtre c omme à une sorte d’arc héologie du geste,
et au théâtre l ui-même comme à une arc hive de gestes récupérés, ranimés et ex hibés en
public. Pratique qui ne va pas sans quelques dangers. Réc upérer et ranimer revient à
restaurer quelque chose d’une expérience his torique vécue, mais aus si, potentiellement,
du fait de cette restauration, à la couronner par une sorte d’inévitabil ité ou d’insistante
anhistoricité : à la produire non comme artefact historique contingent, mais comme fatalité
manifeste. Vous aurez toujours été destinée à entendre des voix, à prendre les armes
contre les Anglais et à mourir sur le bûcher, n’est-ce pas, Jeanne ?
Se pourrait-il qu’il en ai lle de même avec notre jeune fille ordinai re ? Sa fatalité gît-ell e
dans tel geste qui rejette ses cheveux en arrière, dans tel autre qui ti re avec précisi on sur
le bord d’un T-shi rt ? Ou peut-être dans la terminologie ins tantanément codifiée de son
profil My Space ? Ces ti cs et ces trembl ements de l’adolescence ne pourraient-ils être une
contrainte aussi puissante que le fait de brandir une épée mythique ou de se livrer sans
réserve à une passion s ans espoir ? Jeanne ? J uliette ?
Le théâtre, après tout, est l’endroit où, nuit aprè s nuit, la reproduction du geste – d’abord
intentionnelle, bientôt presque involontai re – informe une physiologie, fraie des voies dans
le corps par lesquelles quelqu’un d’autre fera son apparition. Ce qui pourrait nous amener
à penser que tout ce perfectionnement du mouvement et de l’expres sion en vue de la
présentation sur scène n’est qu’une intensi fication de la façon dont nous nous dépl açons
et nous produisons nous-mêmes dans ce qui passe pour être le monde réel. Le théâtre
imite notre constante auto-imitation, jusqu’à c e que tout, de nous, s oit dans la boîte,
parfaitement, mais pour quelqu’un d’ autre.
Parce que nous sommes assis et assistons à l a production de ces gestes, nous pouvons
difficilement éviter l’impression qu’ils sont faits pour nous. Ils sont à notre intention, pour
nous seuls ; ils s ont la réponse à notre ges te de reconnaissance, à notre appel et à notre
sommation. Hey Girl, av ons-nous dit, agitant nos mains, et maintenant v oyez. Voyez ce qui
arrive quand vous commencez à prendre l’i niti ative. Maintenant le théâtre ne porte plus
tant sur la fille et ses gestes que sur le ges te, quel qu’il soit, que nous avons pu faire,
nous, pour qu’ell e en arrive à être comme ça.
Cela fait un certain temps que Romeo Castelluc ci affirme que la figure centrale du théâtre
contemporai n est l e spectateur. Dans l’épisode londonien de Tragedi a Endogonidia, par
exemple, apparaissait s ur scène une femme que la liste de personnages identifiait comme
étant “v ous-même”. Dans Hey Girl, vous semblez avoir opéré une retraite qui vous ramène
de la scène à la sall e, mais en fai t, il n’ est enco re question que de vous. Hey Girl.
Nicholas Ridout
Queen Mary Universi ty, London
( tr ad uit de l ’an gl ai s p ar D ani el Loa yz a)
Notes sur Hey Girl !
Par Joe Kelleher
J’écris cette note quelques jours après av oir vu une avant-première de Hey Girl ! à
Modène, en Italie. Je ne sais pas ce qui aura changé d’ici la première à Paris dans une
quinzaine de jours , ni non plus quand vous-même, cher spectateur, lirez peut-être cette
note, soit avant l a représentation parisienne s oit plus tard. Plus tard, je l’espère. Je ne
veux pas trop en dire. Cela étant, vous avez peut-être déjà remarqué que dans ce genre
de spectacle, alors même qu’il paraît tout donner sans réserve – comme s’il était présenté
sur le plat d’une lame ou la paume d’une main -, cependant c ela même qu’il donne
prendrai t encore son temps pour être prêt à paraître. Je suis tenté de dire “comme” une
jeune femme dans sa chambre, qui se prépare à affro nter le monde, comme si c ela
exprimait la chose, comme si cela suffisait à décrire la figure dans l’i mage, le sujet de
l’histoire. Je soupçonne cependant qu’une part de ce avec quoi il nous faudra nous
entendre dans ce travail , qui est la premi ère oeuvre de quelque importance entreprise par
Castellucci depuis Tragedia Endogonidia, sera ce qui se glisse entre le donné d’une
apparence (Hey girl , ça doit être toi , ça ne peut être que toi ) et les bases sur lesquelles ce
don est proposé et reç u. Notre rôle dans ce drame – “Hey girl !”, un appel, un sal ut, une
convocation – continuera à flotter dans la brume de l’atmosphère du soir, pas encore tout
à fait articulé à haute voix, ou alors, s’il l’ est, attendant enc ore sa réponse.
-
Hey girl , c’est v raiment toi ?
-
Tu crois que je te le ferai savoir un jour?
Il y a des parties de ce travail qui sont trop fugaces pour que je puiss e les lire. A
un moment, des extrai ts de Roméo et Juliette sont projetés sur le mur du fond, pleinement
visibles mais changeant si vite que même si je “saisis” la signification de ces textes en
relation avec l’adolescente qui se tient au centre de la scène (une Juliette en jeans et Tshirt, ou une Jeanne dans sa cape sur laquelle est brûlée une croix, épée en main…), il y
a quelque chose du s ens qui se sépare soi-même de ce que je saisis . Le sens se précipite
dans cette rapide séri e de projections, il s’ enfonce dans la scène d’où je ne peux
l’extraire, alors même que j’entrevois l’éclai r de ses talons.
Il y a cependant d’autres séparations, d’autres effondrements qui se produisent si
lentement. Tout au long du spectacle, une subs tance visqueus e s’écoul e d’une table et se
répand au sol, formant sous l’effet de son propre poids des nappes verticales qui se
tendent puis se déchirent jusqu’à ce que – attendez attendez – flop. Cette membrane dont
la fille-créature a surgi au début de la soirée continue à s’égoutter jusqu’à son terme,
longtemps après que sa signification s’est épui sée. Et pourtant je suis accroché, accro à
ce processus mécanique. Je ne peux pas en détourner les yeux.
En tout cela, cependant, rien n’est transformé, nulle métamorphose, nulle
transsubstantiation.
–
Hey girl , c’est encore toi , hein ? Ca a touj ours été toi ?
Elle frappe sur un tambour, et le tambour res te un tambour. Elle choit de sa membrane, un
être né, et apparaît à nouveau comme elle-même. Ici la substance n’est pas transformée,
mais plutôt déplacée, peut-être comme cette gélatine qui s’égoutte d’une surface sur
l’autre, ou encore comme le déplacement d’une idée à trav ers différents actes de pensée.
L’idée fui t par des canaux qui disparaissent dans l’oeuvre, puis ressurgi t là où les surfaces
sont déchirées ou poreuses. Je dirais que ce travail a une quali té aqueuse, s’il n’y avait
cette solidité que ces apparences assument dès leur éruption. Même l e visage de la fille
peut apparaître ailleurs , à nouveau, à côté d’ elle, sur le corps d’une autre interprète,
masque pétrifié à l’expression figée qui peut dès lors être tranc hé comme une verrue. La
tête gît au sol, une chose épuisée, tandis que l ’actrice qui l e portait se traîne là-bas dans
l’obscurité, comme un membre nouveau s’accoutumant à la liberté d’être sans emploi.
Après avoir vu le spectacle à Modène, l’idée m’est venue que les gestes des deux
interprètes étaient comme une résistance à la pression que leur impose le regard des
spectateurs , une résistance à ce coup de forc e, à cette convocation, par lesquels leurs
apparences s ont conj urées sur scène.
–
Hey girl , je t’appelle, tu vas sortir ?
Maintenant, à vrai dire, je n’en suis plus si sûr. Je me souviens que pendant le spectacle
j’ai eu une autre pens ée. Je me suis retrouv é en train d’imaginer l es procédures par
lesquelles ce travail fut produit. J’ai notamment imaginé ces ac trices répétant leurs gestes
(l’ “intri gue” de la pièce est en grande partie c omposée d’une série de gestes physiques
simples) dans une salle, une salle de répétiti on, où le “volume” de l’év énement n’est pas
activé. Je veux dire, par exemple, où il n’y a pas de brume dans l’air, pas de lumière
diffusée, pas de son pour épaissir et articuler l es reptations des moments successifs, et –
de façon peut-être plus cruciale que tout – pas de spectateurs pour recevoir ces
mouvements “comme” gestes, pas de sommation à laquell e résister, pas de seuil de
signification pour le sens fugitif le long duquel i l puisse courir et se dis simuler. J’imagine,
pour le dire très simpl ement, ces ac trices à qui l’on demande d’effectuer une série
d’actions “sans but” qui, en elles-mêmes, n’ont aucun sens. Et j’imagine ces actrices
acceptant cette tâche. C’est cette acceptation, l’intelligence de cette acceptation – je le
crois à présent – qui fuit à travers les canaux de ce travail, non pas tellement en tant
qu’apparence “douée de corps” – même si c’es t bien ce qui paraît apparaître – mais plutôt
comme un certain produit cérébral. Produit qui, à mon avis, ti ent tout enti er à
l’accomplissement de mouvements privés d’i ntentionali té. Ce mouv ements sont, déjà,
épuisés. Comme l’est la pensée qui voudrait en tirer quelque chose. Comme l’est l’appel
qui les somme d’apparaître à nouveau, encore et encore. Nous sommes las, las d’appeler,
las d’être appelés. Goutte à goutte, la gélati ne coule de la table. Le masque gît sur le sol.
Même ainsi, ces mouvemenets peuvent ouvrir un monde, et une fille est prête à y sortir.
-
Hey girl , tu étais où pendant tout ce temps ?
-
J’étais là, j’ ai touj ours été là, aujourd’ hui même, le tout premier jour.
Joe Kelleher
Surrey Roehampton Uni versity, London
( tr ad uit de l ’an gl ai s p ar D ani el Loa yz a)
« Le théâtre n'est pas décoratif »
Propos recueillis par Angelina Berforini
Hey Girl! de Romeo Castellucci livre un maj estueux poème théâtra l, une expérience
sensorielle inclassable qui fouille l 'imagi naire collectif et l 'atteint en plein dans le mi lle.
Entretien avec un des enfants terribl es de la scène contemporaine.
Parcours d'une force créative
Plasticien de formation, Romeo Cas tellucci diri ge la Socìetas Raffaello Sanzio qui, depuis
1980, est présente sur toutes les scènes et les festivals internati onaux. Ce c réateur hors
normes se confronte d’abord à des textes classiques ou à des épopées : Gilgamesh
(1990), Hamlet (1992), L’Orestie (1997), Le Voyage au bout de la nuit (1998), Giulio
Cesare. Il entreprend ensuite un projet monumental et singulier (12 s pectacles, dans 11
villes européennes), intitulé Tragedia Endogoni dia dont l’objet est d’écrire une tragédie
contemporai ne : chaque épisode porte le nom de la ville qui l’a inspi ré et où il a été répété
et créé. En 2006, Romeo Castellucci di rige la s ection théâtre de la Bi ennale de Venise et,
en 2007, il est l’artiste associé du Festival d’Avignon où il monte la Divine Comédi e de
Dante. Fortement marqué par Antonin Artaud et son Théâtre de la cruauté et par le grand
maître italien Carmelo Bene, fondateur du théâtre moderne européen, il est un artiste
majeur de notre temps. Ses propositi ons artistiques utilisent l’artisanat théâtral le plus
traditionnel et les technologies contemporaines les plus sophistiquées; l e son et la lumière
travaillés comme de la matière, le corps -souv ent difforme, mutilé, souffrant- de l’acteur
traité c omme un performer, la présence de symboles, d’enfants et d’animaux, la dis parition
du texte ou du langage articulé, sont autant d’éléments qui contribuent à fabri quer des
images, des sensations, des émotions qui plongent leurs racines dans nos mythologies. Ce
faisant, la notion même de théâtre trouve une identité nouvelle et Romeo Castellucci figure
en bonne place parmi cette nouvelle vague théâtrale fondée sur « les écritures de
plateau ».
« Le théâtre doit offrir à chaque spectateur la possibilité de rêver, d'imaginer et de
fantasmer à partir de ce qui est présent sur le plateau. »
AB Que signifie Hey Girl !, au-delà de son sens l ittéral ?
RC Cette expression anglaise est inscrite dans l a mémoire d’ une partie de notre culture, je
veux dire la culture rock et pop. Au sens li ttéral, c’es t une interjection utilisée pour
interpeller une jeune fil le inconnue dans la rue. Elle es t chargée d’une connotati on à la
fois familière et brutale. La jeune fille du spectacle exécute une série de gestes qui sont
ceux de l’i ntimité, gestes banals qui ne sont pas destinés à un auditoire, qui ne laissent
pas de trace dans l’histoire. En même temps , chaque image renvoie à un imaginaire plus
élaboré, plus culturel : l ’ange armé, la guerri ère. En résumé, cette ex pression m’a inspi ré
par sa c harge culturelle duelle : une strate de culture sav ante, avec une référence à la
symbolique religieuse, mystique, artistique, et une strate de cul ture populaire qui glisse
vers la banalité, la vulgarité du quotidien. Je pourrais di re que Hey Girl ! est une manière
contemporai ne de représenter l’ Annonciation.
AB Le spectacle se présente comme une succession de vignettes qui renvoient à des
figures de femmes. Alors que dans vos spectacles, ce sont plutôt les figures d’hommes qui
s’imposent habituell ement. Dès le début de Hey Girl!, on voit un corps de femme émerger
d’un tas d’argile ; dans notre culture religieus e occidentale, c’est Adam qui est pétri dans
la glaise. Peut-on dire qu’il y a ici un inventaire des archétypes de femmes dans l’histoire
humaine ?
RC Oui, on peut identi fier une imagerie venue du Moyen-Age : la femme guerrière, la
martyre, la vierge Marie, Jeanne d’ Arc, l es reines décapitées ; mais en même temps je n’ ai
pas voulu faire un plai doyer féministe. J’ai été très surpris aux Etats-Unis où le spectacle
a été interprété à travers le prisme du féminisme. Au centre de la scène, il y a en effet une
jeune fille. Cela pourrait être tout aussi bien un jeune garçon et le spectacle porterait les
mêmes connotations. D’ ailleurs, Hey Girl ! fait partie d’un projet que j’ai dans mes cartons,
en plusieurs volets dont un qui s’appell erait Hey Boy ! La lec ture féministe me semble
réductrice. Cette jeune femme assume un rôl e beaucoup pl us universel, elle s’arme contre
le monde. Lorsqu’elle est agressée par une bande anonyme de corps masqués, je n’ai pas
voulu montrer la viol ence de l’ homme contre l a femme, mais la violence du monde en
général.
AB On ne peut pas s’empêcher d’évoquer, avec cette icône armée, "l es guerriers de la
beauté", expression utili sée par Jan Fabre pour désigner ses danseuses et ses danseurs .
Y a-t-il une communauté de pensée ?
RC Pas du tout. Dans mon théâtre, il n’y a nulle démarche ini tiatique, nul cérémonial.
L’acteur n’es t pas un combattant, l e spectacle n’est pas un parc ours initiati que ou
mystique, et quant à la beauté, je lui préfère souvent la laideur, plus complexe, plus
ambivalente.
AB Quel terme doit-on employer pour nommer v otre art qui s’apparente à des installations
d’art plas tique, à des performances ?
RC C’ est du théâtre. Je fais du théâtre et pour moi, le théâtre est un art majeur parmi tous
les autres. Mais mon théâtre n’est pas dans le mimétisme, et ce n’est pas un art de
l’illustration ni de la restitution. Le théâtre n’est pas décoratif.
AB Défi niriez-vous votre art comme de l’avant-garde ?
RC L’ avant-garde est l a manière la plus sophistiquée de jouer avec la traditi on. Elle a
besoin du passé pour pouvoir exister. Je récus e cette étiquette. Il est plus intéressant de
se poser des questi ons sur ce que reçoit le spec tateur.
AB Justement, vos spectacles perturbent les spectateurs , provoquent enthousiasme ou
rejet : quelle place faites- vous aux spectateurs ?
RC Une place essentiel le, plus importante que la mienne ou que celle des acteurs. Tant
que le théâtre n’a pas traversé l es spectateurs, il n’existe pas, il ne lai sse pas de trace.
Les spectateurs constituent la troisième dimension nécessaire et suffi sante pour que l e
théâtre existe. Moi je déconstruis les mythologies, je mets des signes sur le plateau et
tous les signes sont ambivalents : il appartient aux spectateurs de se raconter une histoire
en les interprétant. J’espère faire naître des figures nouvelles dans l’imaginaire des
spectateurs .
Socìetas Raffaello Sanzio
Romeo Cas tellucci (1960), metteur en scène ; Chiara Guidi (1960), dramaturge ; Cl audia
Castellucci (1958), écrivain, constituent le noyau artistique de la Socìetas Raffaello
Sanzio, qu’ils ont fondée en 1981, à Cesena, dans la régi on d’ Emilie Romagne.
Le nom qu’ils donnent à la Compagnie reflète, en partie, leur formation artistique. Romeo
Castellucci a reçu les diplômes de Peinture et de Scénographie à l’Académie des Beaux
Arts ; Claudia Castelluc ci celui de Peinture, et Chiara Guidi a obtenu une maîtrise en
Lettres, spécialisati on Histoire de l‘art. Raphaël est le peintre de l a Renaissance qui
conjugue la perfection de la forme à l’inquiétude d’un monde qui perd rapidement ses
repères, et qui témoigne par là d’une tension dramatique et d’une dynamique de la
technique, qui constituent les tendances fondatrices et inaliénables de l a Compagnie.
L’orientation générale qui sous-tend à l’œuv re complète de la Socìetas Raffaello Sanzio,
tout en gardant les di fférences nécessai res, est la conception d’un théâtre intense, d’une
forme d’art qui réunit toutes les expressions artistiques, en vue d’une communication qui
vise tous les sens et dans tous les sens de l’es prit. La majesté de l’équipement visuel et
sonore, qui s’appuie tant sur l’artisanat théâtral d’ antan que s ur les nouvell es
technologies, crée une dramaturgie qui désavoue l’hégémoni e de l a littérature. La
recherche menée dans les domaines de la perception visuelle et auditiv e vise à étudier les
effets des nouveaux équipements ou, plus souv ent, à inventer de nouvell es machines.
Au début des années 80, la Compagnie met en scène ses propres pi èces, caractérisées
par une iconographie paradoxale et une logique autochtone, qui se veut l’alternative à l a
réalité.
En 1986, avec « Santa Sofia – Teatro Khmer », la Compagnie met en scène son
spectacle-mani feste sous le signe d’un théâtre néo-pl atonique et iconoclaste, dont
l’objectif pri ncipal étai t d’attaquer la représentation même, coupable de redoubler une
réalité qu’on entend abolir. Le projet d’abandon de la prédétermination de la tradition se
poursuit par la récupération des anci ens réc its mythiques de fondation de la région
mésopotamienne (« La discesa di Inanna, Gilgamesh, Iside e Osiride »), qui
présentaient des figures étrangères à l’histoi re, artisans de mondes différents.
De 1986 à 1991, la Socìetas Raffaello Sanzio engage une polémique contre la tragédie,
considérée à l’origine de ce théâtre littérai re v oué à modérer les volontés humaines les
plus inquiètes par une analyse séparées des émotions.
En 1991, à l’occasion de « Gilgamesh », on produit un acte de « auto-clôture » à l’égard
de tout moyen de communication de masse et de reproduction. Les photos, les vidéos et
les articles de presse sont mis au ban et on étudie la mise à point d’un système
publicitaire de communi cation di recte, d’invitati on ad personam: rien n’ existe au delà de la
pure représentation.
En 1992, par un choix exagérément contradic toire, la Soc ìetas Raffaello Sanzio met en
scène l’apogée de la tradition théâtrale de l’Occident : l’Hamlet de Shakespeare.
« Amleto. La veeemente esteriorità della morte di un mollusco » constitue l’un des
spectacles clé de la compagnie, puisque le théâtre fait l’objet d’une nouvelle et radicale
signification. Amleto est comme un enfant autiste qui réussit à surviv re à l’hostilité du
monde, à construi re une nouvelle généalogi e, un nouveau temps, un nouvel espace de vie,
et un nouveau langage.
Toujours en 1992, la Socìetas Raffaello Sanzi o s’établit dans le Théatre Comandini , une
ancienne école de maîtres forgerons . C’est ici qu’elle commence à dév elopper un théâtre
d’enfance, dans le sens stricte du terme i n-fans: “non parlant”, l à où l’expéri ence
esthétique et de relation vise encore tous les sens, et où l’ acte de parole ne joue pas le
médiateur.
L’oppositi on parterre – plateau est abandonnée pour faire place à de
gigantesques reconstructions où senti ers, cav ernes, animaux, bois, sources, maisons et
palais apparaissent magiquement, comme dans les « Favole di Esopo » avec trois cents
animaux d’espèces différentes, ou dans l es mis es en scène monumentales de « Hänsel e
Gretel » avec un très long laby rinthe et « Pelle d’Asino », dont le sol du théâtre
Comandini a été creusé jusqu’aux fondations et rempli d’eau. Avec « Buchettino » (l e
Petit Poucet de Perrault), mis en scène en 1995, les dimensions de la s cène sont réduites
à une seule pièce en bois, où les enfants s’as soient sur les cinquante lits préparés pour
eux, pour qu’ils écoutent l’histoire et les bruits qui traversent le conte et les parois.
En 1995, toute la tril ogi e de « Orestea (una commedia organica?) » est mise en scène :
première incursi on dans le domaine de la tragédie classique. La fiction réside dans la
vérité corporelle anormale de l’acteur. La préparation du spectacle prév oit le recours à la
technologie pour façonner les formes cachées des pulsions psychiques.
Cette année-l à, la Compagnie s’essaye au c inéma grâce à la production, par Romeo
Castellucci, du moyen métrage 35mm « Brentano », ti ré de Robert Wals er.
Le 1997, c’est l’année de « Giulio Cesare », considéré du poi nt de vue d’une force
spirituelle contemporaine grande et transversal e : la rhétorique, qui puise ses origines
dans l’époque classique et qui joua un rôle déterminant dans les luttes de pouvoir qui
marquèrent la fin de Cés ar (ici en guise de victime).
« Genesi, from the museum of sleep » (1999) est la méditation magi strale de l’homme
sur le thème de la création. Le livre de la Genèse, dont l’œuvre est partiellement tirée,
constitue un autre grand texte mythologique de fondation, qui développe les notions du
début du monde ; de destruction (considérée ici dans la perspective de Auschwitz ) et de
destinée (le fratricide de Caïn contre Abel ). La Genèse est considérée ici comme
« posthume », comme un inventai re où les choses et l’ art demeurent séparés de
l’expérience (le musée).
L’intérêt croissant que porte la Socìetas Raffaell o Sanzio à l’univers sonore se traduit par
la création de la « sy mphonie instantanée » « Voyage au bout de la Nuit » (1999),
inspirée du chef d’ œuvre de Louis-Ferdinand Céline, dans une œuvre pour voix,
instruments de musique, machines et images, et qui se poursuit par « Il Combattimento »
(2000), pièce de théâtre musicale de Claudio Monteverdi et du composi teur contemporain
Scott Gibbons qui, à partir de ces années-là, devient un point de repère permanent de
l’œuvre musicale de la Compagnie.
La « Genèse » cons titue l’apogée et la conclusion d’un vaste cycle de l’œuvre et de la
philosophie théâtrale de la Socìetas Raffaello Sanzio, qui , à partir de 2001, lance un vaste
projet appelé « Tragedia Endogonidia ». Il s’ agit d’un système de représentati on ouvert
qui, tel un organisme, s e transforme dans le temps et dans le parcours géographique qu’il
effectue, en attribuant à chaque stade de sa transformation l e nom d’« Episode ». Ce
système nous oblige à une révision radicale de l a création, mais aussi de la produc tion, de
la mise en scène, de l’organisation, de la distribution et de l’économie : bref, du système
théâtral tout entier. L’enjeu est celui de représenter une tragédie de l’avenir. Le terme
« Endogonidia » fait all usion aux être vivants s imples qui intègrent les deux gonades, ce
qui leur permet de se reproduire sans fin. Le terme « Tragedia » s uppos e, par contre, une
fin (cell e de l’héros). En trois ans, la Tragedi a Endogonidia va se développer dans dis
villes différentes, dont chacune va assister à la représentati on d’un Episode
interdépendant, mais complet en soi, dont le titre se compose du sigle de la ville de
référence et d’un chiffre progressif. Les fi gures qui peuplent la scène ne rappellent auc un
mythe reconnaissable ; elles se succèdent dans des scènes séparées, et le fil qui les unit
n’est pas celui de l a narrati on, mais plutôt celui de la mémoire sy nchronique, où les
images se relaient suiv ant une séquence alogi que et simultanée. Chaque figure dépend
de sa scène. Il ne s’agi t pas de biographies , mais de nécessités bi ologiques, de thèmes
bio-politiques. En général, les Episodes sont c aractérisés par des figures et des notions
basiques et récurrentes. L’anonymat des personnages, l’alphabet, la loi, l’âpreté du rêve
et la ville constituent des thèmes qui sont autant de conditions de la tragédie
contemporai ne, vécues à travers la condition du spectateur, qui es t probablement l e
véritable objet de l’espri t de cette Tragedia Endogonidia.
En 1988, la Socìetas Raffaello Sanzio a di rigé deux écoles expérimentales : une pour
l’enfance, menée par Chiara Guidi en trois années (1997-1998-1999) (« Scuola
sperimentale di teatro per l’infanzia”) et une pour la jeunesse, dirigée par Cl audia
Castellucci (« Teatro del la discesa ») .
En 2000, Romeo Castellucci reprend l’activi té iconologique interrompue au début de la
profession théâtrale. Avec « Rhetorica. Mene Tekel Peres », il inaugure à Pal erme, dans
l’ancien asile de l a Vignicella, une exposi tion d’œuvres plastiques et de représentations
figuratives esthétiques biologiques qui se matérialisent dans la puiss ance invisible des
bactéries. Cette exposi tion, enrichie de nouvel les œuvres, a été organisée également à
Rome, dans l’ancienne Prison des Mineurs de l’Institut San Michele. En juillet 2002, le
Festival d’Avignon consacre l’exposition princ ipale à Romeo Castell ucci qui, dans la
Chapelle de Saint-Charl es, présente « To Cartage then I came » : un ensemble d’ouv res
animées par un principe de mouvement répétiti f, qui posent le problème du début comme
véritable énigme du monde.
En 2005 Romeo Cas tell ucci était directeur de l a 37e Edition de la Biennale Théâtre de
Venise, dont le titre était « Pompéi, le roman des cendres ». Cette Biennale a cherché de
faire ressortir un théâtre souterrain, caché sous les cendres, en faveur d’un art
essentiellement plasti que, là où le texte lui-même a une valeur exprimant la matière. On a
également donné une place à des formes li mitrophes, comme la performanc e, ou un
théâtre fait uni quement d’éléments incorporel s, ainsi qu’à des formes musicales qui
deviennent des véri tables présences sur la scène.
Au delà des spectacles, la Socìetas Raffaello Sanzio a publié plusieurs livres de théori e
de théâtre, parmi lesquels « Il teatro della Socìetas Raffaello Sanzio. Dal teatro
iconoclasta al teatro della super–icona », (Ubulibri , Milano 1992), « Uovo di bocca.
scritti lirici e drammatici » de Claudia Castellucci (Bollati Boringhieri, Torino , 2000),
« Rhetorica. Mene Tekel Peres », écrits sur les œuvres de Romeo Castellucci (Aldo
M.Grompone, Roma, 2000), « L'epopea della polvere. Il teatro della Socìetas Raffaello
Sanzio » (Ubuli bri, Milano 2001), « Les pélerins de la matière. Theorie et praxis du
théâtre, Ecrits de la Socìetas Raffaello Sanzio » (Les Solitaires Intempestifs, Besançon
2001), « To Carthage then I came », écri ts sur les œuvres de Romeo Castellucci de
Claudia Castellucci, Joe Kelleher, Nicholas Ridout (Ac tes Sud, Arles, 2002).
La producti on vidéographique autonome comprend, ent re autres, « Diario Sperimentale
della Scuola Infantile anno I » de Chi ara Gui di, Romeo Cas tellucci et Stefano Meldol esi
(1996, 58’) ; « Diario Sperimentale della Scuola Infantile anno II » de Chiara Guidi et
Romeo Cas tellucci (1997, 49’) ; « Genesi, from the Museum of Sleep » (2000, 60’) de
Cristiano Carl oni et Stefano Franceschetti ; « Epitaph » de Romeo Cas tellucci (2000, 8’ ),
« Le Pélerin de la matière » de Cris tiano Carloni et Stefano Franceschetti (2000, 45’ ). Il
y aussi l'entier Cycle du film de la Tragedia Endogonidia realisé par Cristiano Carl oni et
Stefano Franceschetti au tour des Episodes de cet projet.
La Compagnie fréquente les théâtres et les festivals les pl us importants des principal es
capitales de l’Europe, des Amériques, de l’Océanie et de l’Asie.
Prix
1996 Prix spécial UBU pour la Résistance, sui te à l’exclusion de la Soc ìetas Raffaello
Sanzio de l’aide publique destinée au théâtre de recherche, par le Ministère du
Tourisme et du Spectacl e de la Républ ique Italienne ;
1997 A « Orestea », Prix Masque d’Or meilleur spectacle étranger de l’année, Festiv al
Théâtre des Amériques, Montréal, Québec ;
1997 Prix Ubu meilleur spectacle de l’année à « Giulio Cesare » ;
1998 Prix spécial UBU pour le Théatre d’Enfance, conféré à Chiara Guidi pour son
« Ecole Expérimentale de Théatre d’ Enfance » ;
2000 Prix Europe Nouvelles Réalités Théâtrales, à la Socìetas Raffaello Sanzio,
Taormina ;
2000 Prix Ubu meilleur spectacle de l’année à « Genesi from the museum of sleep ».
2000 Prix Meilleure Production Internationale à « Genesi from the mus eum of sleep » au
« Dublin Theatre Festival » ;
2000 Grand Prix de la Critique-Paris pour la mise en scène de « Genesi from the
museum of sleep », conféré à Romeo Castellucci ;
2002 Le 22 fév rier, Romeo Castellucci a reçu le titre de « Chevalier dans l’ordre des Arts
et des Lettres » du Mini stère de la Culture Française, par la Ministre Catherine Tasca ;
2004 Prix spécial UBU pour le travail sur la Tragedia Endogonidia, conféré à Romeo
Castellucci.

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