RDI 2014 p.115 Jean Roussel, Chargé d

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RDI 2014 p.115 Jean Roussel, Chargé d
RDI
RDI 2014 p.115
Défauts d'isolation thermique et impropriété à la destination - Un signal d'alarme ?
Cour de cassation, 3 e civ., 8 oct. 2013, n° 12-25.370
Jean Roussel, Chargé d'enseignement à l'Institut des assurances de Paris et directeur du Centre d'études
d'assurances (CEA)
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 12 juin 2012), que, le 5 septembre 2003, la société Leman Chopard a conclu avec M.
X... et Mme Y... (les consorts X...) un « contrat de maîtrise d'oeuvre » en vue de la construction d'une maison à ossature bois ;
que sont notamment intervenus à la construction, la société Ducrey Dupenloup chargée du lot terrassement-VRD, M. Z...
chargé du lot maçonnerie et M. A... chargée du lot menuiserie extérieure, assuré auprès de la société MMA ; que les consorts
X... ont pris possession de la maison le 28 août 2004 ; que se plaignant d'inachèvements, de non-conformités et de malfaçons,
les consorts X... ont, après expertise, assigné les intervenants et leurs assureurs en indemnisation de leurs préjudices ; [...]
Mais sur le premier moyen du pourvoi principal :
Vu l'article 1792 du code civil ;
Attendu que pour débouter les consorts X... de leur demande formée à l'encontre de la société MMA au titre du défaut
d'isolation, l'arrêt retient que les désordres d'isolation thermique, seulement susceptibles d'entraîner une augmentation de la
consommation d'énergie et un certain inconfort, ne relèvent pas de l'article 1792 du code civil ;
Qu'en statuant ainsi, sans rechercher si les désordres engendrés par les défauts d'isolation thermique ne rendaient pas la
maison impropre à sa destination, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Observations
Voici un arrêt dont on peut dire qu'il s'invite à l'improviste dans un débat d'actualité. Alors qu'un projet de réforme de la
responsabilité et de l'assurance des constructeurs fait l'objet de travaux assez avancés, projet dont l'objet est d'encadrer
le risque de mise en jeu de la responsabilité décennale en matière de performance énergétique
(1), la Cour de
cassation censure ici un arrêt d'appel pour ne pas avoir recherché « si les désordres engendrés par les défauts d'isolation
thermique ne rendaient pas la maison impropre à sa destination ». Les juges du fond ne pouvaient se contenter de
constater que les défauts d'isolation entraînaient seulement une augmentation de la consommation et un certain
inconfort pour écarter l'application de l'article 1792 du code civil.
Comme cela a été souligné par le professeur Malinvaud (2), cet arrêt inédit n'a pas a priori un intérêt juridique majeur.
Pour autant, il ne fait aucun doute que son écho sera fort pour nombre de professionnels préoccupés par l'impact de la
nouvelle réglementation thermique - dite RT 2012 - sur l'étendue de leurs obligations. Quelle portée lui donner ?
Alors que la présente note était déjà rédigée, nous prenons connaissance de l'éditorial du professeur Périnet-Marquet
pour lequel « le noeud coulant de la performance énergétique est en train de se refermer, doucement mais sûrement, sur
les constructeurs et leurs assureurs » (3), ainsi que de l'article de P. Dessuet dans Le Moniteur qui estime dans le
même sens que « l'intervention du législateur pour encadrer le jeu de la responsabilité décennale en matière de
performance énergétique devient urgente » (4).
Précisons tout d'abord que le débat relatif à la performance énergétique est d'un grand intérêt et d'une réelle complexité,
comme en témoignent la richesse de la doctrine qui lui est consacrée (5), mais aussi les travaux préparatoires du projet
de réforme auquel il a été fait référence, travaux menés dans le cadre du plan Bâtiment durable. Ce projet fait
actuellement l'objet d'une large concertation de la part des pouvoirs publics, non seulement auprès des acteurs des
secteurs de la construction et de l'assurance, mais aussi auprès des représentants des consommateurs et des maîtres
d'ouvrage.
Donnant lieu à cassation, l'arrêt du 8 octobre 2013 nous semble constituer, à tout le moins, un signe fort, une indication
sur les orientations que la Cour entend adopter quant à la possible mobilisation de la responsabilité décennale et des
assurances obligatoires en cas d'insuffisance de performance énergétique. Son apport est donc loin d'être négligeable.
Faut-il pour autant y voir un signal d'alarme ? Modifie-t-il les termes du débat actuel sur l'application des assurances
obligatoires en cas d'insuffisance de performance énergétique ?
À notre avis, la réponse est plutôt négative, car la solution retenue confirme plus qu'elle n'innove. Dans les circonstances
factuelles rapportées par la cour d'appel, il est assez logique que les dommages relèvent de l'assurance de responsabilité
décennale obligatoire. En l'espèce, en effet, des désordres matériels clairement imputables à une faute de l'entrepreneur
étaient à l'origine d'un défaut d'isolation thermique qui se traduisait notamment par des courants d'air à l'intérieur de la
construction. Dans leur très grande majorité, professionnels et auteurs s'accordent aujourd'hui pour constater que, dans
de telles circonstances, l'insuffisance de performance est susceptible - en fonction de la matérialité du désordre et de la
gravité du préjudice subi - de caractériser un sinistre de nature décennale.
Autrement dit, l'affirmation selon laquelle les désordres d'isolation thermique peuvent relever de la responsabilité
décennale, qui explique et - dans une certaine mesure - justifie l'inquiétude parfois exprimée dans le monde
professionnel, n'est pas une surprise. On pourrait même prendre prétexte de cette décision pour s'interroger a contrario
sur les possibles limites de l'application des assurances obligatoires en cas d'insuffisance de performance énergétique et
trouver dans la jurisprudence antérieure quelques motifs d'apaisement.
La justification d'une inquiétude : performance énergétique et impropriété à la destination
L'arrêt vient confirmer une tendance jurisprudentielle dont il conviendra d'évaluer les conséquences en termes
d'assurance.
Confirmation d'une orientation jurisprudentielle
À la question de savoir si une insuffisance de performance énergétique peut constituer un désordre rendant l'ouvrage
impropre à sa destination, la jurisprudence a déjà apporté plusieurs éléments de réponse, même s'ils restent épars et
difficiles à synthétiser, d'autant plus qu'ils émanent souvent des juges du fond.
Cette jurisprudence a déjà fait l'objet d'études approfondies (6). Il en résulte que, si certaines décisions ont considéré
qu'une surconsommation d'énergie ou un fonctionnement insuffisant caractérisaient un simple inconfort ou un manque de
performance relevant de la responsabilité contractuelle de droit commun (7), la très grande majorité d'entre elles a au
contraire retenu que l'ouvrage était impropre à sa destination et condamné les constructeurs sur le fondement de l'article
1792 du code civil (8).
Bien évidemment, les circonstances d'espèce peuvent expliquer que les solutions soient divergentes : c'est la gravité de
l'insuffisance de performance qui doit être appréciée et elle peut se traduire - ou non - par une véritable impropriété à la
destination. Il suffirait alors de dire qu'entre les dommages de nature décennale et ceux qui relèvent de la responsabilité
contractuelle de droit commun, il y a, à défaut d'une différence de nature, une différence de degré. Malheureusement, une
telle affirmation ne donnerait pas une idée juste et complète des décisions rendues et il faut constater que deux
tendances relativement divergentes ont coexisté en jurisprudence.
Comme l'a fort pertinemment noté le professeur Durand-Pasquier, la position qui consiste à réserver l'application de la
décennale aux seuls cas où il devient impossible d'utiliser l'ouvrage risque fortement d'être remise en cause sous l'effet
du « double mouvement constitué, d'un côté, par l'évolution considérable et soudaine des contraintes relatives à la
nouvelle RT et, de l'autre, par un processus plus discret mais certain, par lequel la jurisprudence tend à élargir la notion
d'impropriété à la destination » (9).
Le présent arrêt s'inscrit exactement dans cette perspective. On serait même tenté de dire qu'il clôt cette partie du débat.
Il ne semble plus guère possible de soutenir que, en droit positif, la responsabilité décennale en cas d'insuffisance de
performance énergétique serait limitée à la stricte impossibilité d'utiliser ou d'occuper l'ouvrage.
Pour notre part, nous aurions tendance à nous en réjouir. On a trop souvent évoqué les incertitudes liées à
l'interprétation jurisprudentielle de la notion d'impropriété à la destination et le caractère flou qui en résulte, ou en
résulterait. En réalité, il nous semble qu'il faudrait plutôt parler d'une notion souple, et, disons-le clairement, évolutive :
c'est au regard des attentes légitimes de celui que le droit positif entend protéger qu'il faut apprécier la gravité du
désordre décennal. Il est donc parfaitement normal que la jurisprudence ait fait évoluer la notion d'impropriété à la
destination en fonction des profonds bouleversements techniques et de mentalité survenus au cours des dernières
années.
La performance énergétique étant devenue, socialement et juridiquement, un impératif, il aurait été difficile d'imaginer
que la qualification de dommage de nature décennale en fasse abstraction. Au moins cet arrêt apporte-t-il un élément de
clarification sur une question d'importance, et ceci en adoptant une solution dont la doctrine avait pressenti, en l'état des
textes, qu'elle s'imposerait.
Reste évidemment à s'interroger sur l'opportunité de conserver les textes dans leur rédaction actuelle, ce qui suppose
d'évaluer les conséquences de cette jurisprudence en termes de garantie.
Conséquences en termes de garantie
La possible mobilisation des assurances obligatoires, qu'il s'agisse de la dommages-ouvrage ou de l'assurance de
responsabilité décennale des constructeurs, en présence d'une insuffisance de performance énergétique, est évidemment
lourde de conséquences. D'abord et principalement, quant à l'étendue des obligations de l'assureur : impossibilité de
plafonner la garantie pour les ouvrages à usage d'habitation (C. assur., art. L. 243-9), engagement décennal de durée
ferme en capitalisation (art. L. 241-1 et L. 242-1) et plus généralement application des clauses-types (art. A. 243-1). Mais
c'est aussi le principe même de la liberté pour l'assureur de ne pas souscrire le risque qui est en jeu avec la possibilité
pour l'assujetti de saisir le cas échéant le Bureau central de tarification (art. L. 243-4).
Nous parlions d'inquiétude dans le monde professionnel. Une première remarque s'impose : les différentes conséquences
qui viennent d'être mentionnées concernent spécifiquement les engagements qui pèsent sur les assureurs. La situation
des intervenants à l'acte de construire est quelque peu différente. Certes la mise en jeu de leur responsabilité décennale
après réception se traduit par un risque plus fort que celui auquel ils seraient exposés en vertu du droit commun, puisqu'il
s'agit d'une responsabilité de plein droit, mais elle présente au moins l'avantage de faire l'objet d'une garantie
indiscutable. À cet égard, il convient malheureusement de constater qu'il n'existe pour l'instant sur le marché que très peu
de solutions satisfaisantes pour garantir, sur une base volontaire et conventionnelle, les insuffisances de performances
énergétiques.
Et il ne faut évidemment pas oublier de tenir compte, comme cela a été rappelé judicieusement (10), du sort des
maîtres d'ouvrage et accédants à la propriété, la protection de leurs intérêts légitimes étant un objectif fondamental du
système français d'assurance construction.
Autrement dit, les enjeux attachés à la qualification juridique de la responsabilité des constructeurs en cas de nonobtention d'un engagement de performance énergétique sont divers et au moins trois approches - qui ne sont pas
nécessairement convergentes - peuvent être distinguées, à savoir respectivement celle des maîtres d'ouvrage, celle des
constructeurs et celle des assureurs.
Une remarque à ce sujet sur l'actuel projet de réforme. Rares sont les voix qui se sont élevées pour mettre en doute son
opportunité (11). Pourtant, sans contester qu'il soit tout à fait nécessaire de mener une réflexion sur une éventuelle
adaptation des textes, il nous semble aujourd'hui que l'équilibre recherché en ce qui concerne les différents intérêts en
présence mériterait d'être mieux défini. Lorsque la responsabilité décennale, qui serait désormais « encadrée », ne pourra
être invoquée par l'accédant à la propriété, ce dernier sera vraisemblablement conduit à invoquer la responsabilité de
droit commun : quelles seront les garanties immédiatement disponibles sur le marché ? Ne serait-il pas souhaitable d'aller
au-delà d'une simple charte d'engagement sur la garantie de performance énergétique intrinsèque (GPEI), charte qui au
demeurant et sauf erreur de notre part, n'a pas été signée par les assureurs ?
Ne pourrait-on imaginer d'adopter des mécanismes plus contraignants, en s'inspirant par exemple des solutions retenues
dans le domaine des dommages aux existants ? Rappelons que dans ce dernier cas, la réforme introduite par
l'ordonnance du 8 juin 2005 a consisté à réduire le champ d'application des seules assurances obligatoires, mais cette
mesure a été accompagnée par la signature d'une convention interprofessionnelle et par la création d'une instance de
régulation (12).
Pour en revenir à notre arrêt, répétons-le, au regard des circonstances de l'espèce, la cassation de l'arrêt d'appel n'a rien
pour surprendre.
Des motifs d'apaisement : performance énergétique et objet des assurances obligatoires
Il n'est pas inutile de rappeler très concrètement les faits de l'espèce (13). Selon la cour d'appel, l'expert a constaté des
défauts d'isolation flagrants se traduisant par des courants d'air, dont l'un important dans les W.-C., avec une isolation
thermique composée de laine de roche et de papier kraft discontinue et incomplète. Chaque défaut de bourrage de
l'isolant se traduisait par un pont de froid. Et la cause en était « une faute de l'entrepreneur dans la pose de l'isolant, qui
révèle à la fois une méconnaissance des règles de l'art et une négligence ». Peu de similitudes donc avec l'hypothèse qui
inquiète certains et qui serait constituée par un pur et simple défaut de performance sans aucun dommage matériel, voire
sans possibilité d'imputer la consommation constatée à un défaut de construction.
Voilà donc un excellent prétexte pour ouvrir deux pistes de réflexion sur les limites que la jurisprudence est susceptible de
se fixer et sur les orientations qu'elle pourrait adopter en l'état actuel des textes. Il s'agit de la matérialité des désordres
et de l'imputabilité du dommage.
Matérialité des désordres ou du moins matérialité de la réparation
Comme cela a été noté par un auteur, contrairement aux exemples dans lesquels le défaut de performance se traduit par
des désordres matériels apparents (exemple des panneaux solaires mal posés), « l'hésitation est en revanche permise
dans le cas d'un pur défaut de conformité aux promesses de performance énergétique » (14).
Certains observateurs craignent alors un scénario catastrophe : l'équilibre financier de la branche construction et la
viabilité du système français pourraient être remis en cause par une mobilisation systématique de la garantie décennale à
l'occasion de sinistres de nature essentiellement immatérielle. Une remarque à ce sujet : on sent nettement à l'occasion
de ce débat que nombre de professionnels, techniciens ou non, sont sceptiques sur les engagements de performance
imposés par la RT 2012. Fondamentalement, ils sont même convaincus que les déceptions seront nombreuses quand la
consommation réelle sera comparée à la consommation conventionnelle calculée lors de la réception, en particulier parce
que les hypothèses de calcul théoriques seraient quelque peu irréalistes. Si tel devait être le cas, et nous n'avons pas les
compétences pour en juger, ne serait-il pas plus logique de travailler sur la réglementation technique et de la modifier,
plutôt que de réformer notre régime de responsabilité et d'assurance construction ?
En tout état de cause, l'analyse de la jurisprudence antérieure apporte quelques premiers éléments de réponse qui sont
loin d'être tous alarmants.
Notons tout d'abord que la question ne se pose pas en termes identiques lorsque l'on s'intéresse aux champs
d'application respectifs de la responsabilité décennale et des assurances obligatoires (raison pour laquelle le professeur
Durand-Pasquier évoque un risque de distorsion de plus en plus fréquente entre la responsabilité et l'assurance
obligatoire (15)). Si la Cour de cassation adopte une conception large des dommages qui peuvent relever de l'article
1792 du code civil (16), elle se montre en revanche très ferme, depuis plus de vingt ans, pour limiter les assurances
obligatoires au paiement des travaux de réparation de l'ouvrage, à l'exclusion donc des dommages immatériels qui
peuvent en résulter, dommages qui relèvent d'une éventuelle garantie facultative (17).
Peut-on aller jusqu'à dire pour autant que les garanties obligatoires ne seraient appliquées par la jurisprudence qu'en
présence de dommages susceptibles d'être qualifiés de matériels ? C'est à notre sens douteux.
Tout dépend naturellement de la définition des dommages matériels que l'on adopte. Or, à défaut de disposition légale ou
réglementaire, la seule référence en droit positif se trouve dans la rédaction des contrats d'assurance proposés sur le
marché. Même si la qualification des dommages matériels fait l'objet d'un large consensus en pratique, la rédaction des
clauses contractuelles n'est pas toujours exactement la même, puisqu'il est parfois fait référence à la « détérioration ou
destruction », voire à la « disparition d'une chose ou substance », certaines définitions visant plus largement « toute
atteinte à l'intégrité physique d'un bien ». Même dans ce dernier cas, la définition contractuelle des dommages matériels
semble difficilement compatible avec les solutions retenues par la Cour de cassation à propos des règles parasismiques
(18), dans le domaine de l'acoustique (19) ou encore plus classiquement en présence d'une erreur d'implantation
(20). D'une manière générale, il faut admettre que les défauts de conformité découverts postérieurement à la réception
relèvent de la garantie décennale dès lors qu'ils se traduisent par une impropriété à la destination (21), alors même
qu'il est difficile d'y voir une atteinte à l'intégrité physique d'un bien.
Néanmoins, la qualification des dommages relevant des garanties obligatoires reste largement théorique, puisque, en
toute circonstance, la Cour de cassation limite bien l'engagement de l'assureur à la seule réparation des dommages de
nature physique décennale. Si les textes législatifs ne sont pas parfaitement explicites, cette jurisprudence trouve un
fondement juridique indiscutable dans les clauses-types de l'article A. 243-1 du code des assurances qui définissent
l'objet de la garantie. Il s'agit du « paiement des travaux de réparation de l'ouvrage », y compris, en cas de
remplacement, « les travaux de démolition, déblaiement, dépose ou démontage éventuellement nécessaires ». À défaut
de matérialité du dommage, il est donc à tout le moins possible de parler de matérialité de la réparation à la charge de
l'assureur.
La notion de réparation souligne d'ailleurs que, contrairement au garant de livraison en matière de construction de
maisons individuelles (CCH, art. L. 231-6), l'assureur de responsabilité décennale n'est tenu qu'au financement de la
remise en état de l'ouvrage, non à son achèvement. Quant à l'assureur dommages-ouvrage, même s'il peut être amené à
intervenir antérieurement à la réception, son obligation se cantonne également à la remise en état de l'ouvrage (22).
C'est dire que l'on pourrait s'attendre à ce que les garants de livraison manifestent une plus grande inquiétude que les
assureurs construction face à la mise en place de la nouvelle réglementation technique.
Signalons encore que la Cour de cassation refuse de retenir la responsabilité décennale des constructeurs, donc de
mobiliser les assurances obligatoires, si le dommage ne trouve pas son origine dans l'ouvrage (23). Cette question de
l'origine du dommage renvoie d'ailleurs à celle de l'imputabilité.
Imputabilité du dommage
Peu explorée jusqu'à présent (24), délicate dans son principe même au regard du principe d'une responsabilité
décennale de plein droit qui pèse sur l'ensemble des intervenants, l'imputabilité du dommage donne néanmoins lieu à une
jurisprudence très intéressante. Dans les années à venir, la question de savoir si le dommage est imputable aux
constructeurs pourrait bien devenir tout à fait centrale dans le contentieux relatif à des défauts de performance. Chacun
l'aura compris, en effet, le facteur-clé dans la comparaison entre consommation dite conventionnelle calculée lors de la
réception et consommation constatée après quelques années sera la prise en compte - ou non - du comportement de
l'usager.
Sur le principe, il ne fait aucun doute que la jurisprudence ne retient pas la responsabilité décennale des constructeurs,
en tout cas pas celle des concepteurs et/ou réalisateurs, lorsqu'il est établi que le dommage ne leur est pas imputable.
Ainsi, à la suite de travaux de rénovation d'une villa, une cour d'appel est sanctionnée pour ne pas avoir recherché,
comme il le lui était demandé, « si les désordres qu'elle avait constatés étaient imputables aux travaux réalisés par ces
constructeurs » (25). Ainsi également, une cour d'appel se voit reprocher d'avoir condamné les constructeurs « tout en
retenant que l'installation de l'adoucisseur d'eau [par le maître d'ouvrage] était une cause de l'aggravation des désordres
» (26).
En revanche, l'imputabilité du dommage et son rattachement à l'activité des constructeurs semblent être assez facilement
retenus (27). En présence de désordres affectant des dallages, l'entreprise chargée du lot terrassement et voirie et
réseaux divers ne peut reprocher à la cour d'appel « d'avoir omis de préciser en quoi la réalisation de son lot avait pu
avoir un rôle », alors que les juges du fond ont retenu que cette entreprise « a concouru à la réalisation du dommage »
(28). En termes de charge de la preuve, il est généralement admis qu'il appartient à celui dont la responsabilité est
recherchée de prouver l'absence d'imputabilité qu'il invoque (29). À la lecture des arrêts, il apparaît que, dans la plupart
des espèces, la question de l'imputabilité rejoint des constatations de fait sur lesquelles les juges du fond se forgent
aisément une opinion au vu du rapport d'expertise.
Enfin et surtout, il faut mentionner la possibilité pour les constructeurs d'invoquer l'utilisation anormale de l'ouvrage par
l'occupant. Contrairement à l'immixtion fautive, la mauvaise utilisation concerne l'attitude du maître d'ouvrage - ou celle de
l'utilisateur - après réception (30).
En présence d'un usage anormal, il n'est pas toujours aisé de discerner le fondement juridique retenu par les juges. Fort
classiquement, et conformément au droit commun de la responsabilité civile, la faute de la victime joue un rôle
exonératoire à côté de la force majeure (31). Néanmoins, certaines décisions vont plus loin et écartent la responsabilité
décennale des constructeurs sans se référer expressément à une faute de la victime : il s'agit alors simplement de
constater objectivement que l'usage anormal, ou non prévu initialement, est venu rompre le lien de causalité ou plus
généralement ne permet pas d'imputer les désordres aux constructeurs.
Quel que soit le fondement juridique retenu, la responsabilité décennale des constructeurs se trouve alors écartée, dans
certains cas partiellement, dans d'autres totalement. Ainsi, une cour d'appel a pu décider d'une imputabilité partagée par
moitié en constatant que « les désordres étaient imputables, d'une part, au constructeur pour vice du sol et mauvaise
réalisation des remblais et, d'autre part, au dépassement, en connaissance de cause, par l'occupant des charges
maximales autorisées » (32). Ainsi, encore plus nettement, les constructeurs sont exonérés de leur responsabilité
décennale au titre d'affaissements de dallage en raison d'un changement d'activité décidé par le maître d'ouvrage après
réception qui prouve « l'utilisation inappropriée des locaux par la société utilisatrice » (33). Ainsi enfin, « il ne peut être
fait grief aux constructeurs, en l'absence de preuve d'exigences particulières du maître de l'ouvrage, de n'avoir pas prévu
un mode d'utilisation contraire à la destination normale » (34).
Rappelons que le défaut d'entretien et l'usage anormal sont également mentionnés expressément dans les clausestypes, à côté de la cause étrangère, parmi les exclusions de garantie, qu'il s'agisse de l'assurance obligatoire de
responsabilité ou de dommages (C. assur., art. A. 243-3).
Au terme de ces quelques remarques, la question se pose naturellement de savoir comment ces différentes solutions
seront appliquées ou adaptées par les juges en présence d'un pur défaut de performance.
On comprend parfaitement que les auteurs du projet de réforme législative aient cherché à limiter la responsabilité
décennale aux seuls dommages affectant matériellement l'ouvrage et à éviter que la consommation réelle n'entre en ligne
de compte. Pour autant, rien ne permet aujourd'hui et en l'état des textes de préjuger que la Cour de cassation
s'engouffrera dans la voie de condamnations systématiques dès lors que la consommation réelle apparaîtrait
insatisfaisante à l'utilisateur. Tout au contraire, on peut imaginer que la jurisprudence fera preuve de mesure en ne
mettant à la charge des constructeurs et de leurs assureurs que la seule réparation matérielle des insuffisances de
performances qui trouvent leur origine dans l'ouvrage et sont imputables à un défaut de construction.
D'où une question de fond. Faut-il réformer le droit en vigueur avant même que le juge ne l'ait appliqué - et transposé dans le cadre de la nouvelle réglementation technique ? N'est-ce pas, si l'on ose dire, faire un (mauvais) procès
d'intention à un juge dont les décisions ont pourtant été marquées, tout au long de ces dernières années, par une
constante recherche d'équilibre ?
En guise de conclusion, un mot sur la notion d'impropriété à la destination. Elle est au coeur de notre système de
responsabilité et d'assurance construction, explique largement les discussions et inquiétudes actuelles et se trouve par là
même quelque peu chahutée.
Il est vrai que l'impropriété à la destination constitue une originalité française, du moins dans une certaine mesure,
puisque d'autres systèmes juridiques européens tendent à adopter des notions voisines, en général pour des durées
plus courtes. C'est en tout cas une très belle notion, qui s'adapte à la finalité de l'acte de construire et se tourne
résolument vers les droits de l'accédant, un peu comme la théorie de la garantie, défendue en son temps par le doyen
Starck, se tourne vers les droits de la victime (35).
Introduite par la jurisprudence avant même sa consécration par la loi du 4 janvier 1978, l'impropriété à la destination a
toujours été interprétée par cette même jurisprudence, qui a su la faire évoluer et en fixer les contours à travers une
grande variété de situations factuelles. Jamais, jusqu'à présent, le législateur n'a estimé nécessaire d'intervenir pour la
définir ou l'encadrer.
Mots clés :
RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS * Responsabilité décennale * Performance énergétique
ENVIRONNEMENT * Energie * Isolation thermique * Garantie décennale
(1) http://w w w .planbatimentdurable.fr/deuxieme-rapport-sur-la-garantie-a692.html. Ce projet de réforme a été souvent
évoqué dans la présente revue. V. en ce dernier lieu, A. Caston, Performance énergétique : le droit à l'épreuve des faits,
RDI 2014. 1 .
(2) P. Malinvaud, RDI 2014. 53
.
(3) H. Périnet-Marquet, La performance énergétique au coeur de l'actualité, Revue Opérations immobilières, nov.-déc.
2013.
(4) P. Dessuet, La non-performance énergétique peut engager la décennale, Le Moniteur, 13 déc. 2013.
(5) V. not., mais aucunement de façon exhaustive : H. Périnet-Marquet, La grenellisation du droit de la construction, Dr.
et patr. juin 2010, n° 193 ; La performance énergétique attend son régime de responsabilité, Le Moniteur, 22 juin 2012.
52 - S. Becqué-Ickow icz, L'impact du Grenelle sur les contrats de construction et la responsabilité des constructeurs, RDI
2011. 25
- P. Dessuet, L'impact du Grenelle sur l'assurance construction, RDI 2011. 34
; Faut-il réformer le régime de
responsabilité des constructeurs pour l'adapter à la nouvelle réglementation thermique applicable aux bâtiments ?, RGDA
2013. 259 - G. Durand-Pasquier, L'application de la RT 2012 et la responsabilité décennale des constructeurs, RDI 2013.
184
- A. Caston, la responsabilité des constructeurs à l'aune de la performance énergétique, Le Moniteur, 8 févr. 2013 F. Schmit, Assurance construction et performance énergétique : un consensus tout relative, 12 sept. 2013,
www.lemoniteur.fr/gpe2
(6) V. les études préc., spéc. S. Becqué-Ickow icz, p. 31-32, et G. Durand-Pasquier, p. 188-189. V. également A. Dauger,
La garantie et l'impropriété à la destination, Opérations immobilières, mai 2013.
(7) V. par ex. : Civ. 3 e , 12 mai 2004, n° 02-20.247, NP, RDI 2004. 380, obs. P. Malinvaud
11-11.172.
; Civ. 3 e , 10 janv. 2012, n°
(8) Paris, 29 mars 2000, RDI 2000. 345 , obs. P. Malinvaud - Civ. 3 e , 27 sept. 2000, n° 98-11.986, NP, RDI 2001. 82,
obs. P. Malinvaud
; ibid. 83, obs. P. Malinvaud
- Paris, 26 sept. 2007, Constr.-Urb. déc. 2007. Comm. 227, obs. M.-L.
Pagès-de-Varenne - Bordeaux, 19 févr. 2011, Juris-Data n° 003392 - Agen, 2 nov. 2011, Juris-Data n° 033246.
(9) Art. préc., p. 186.
(10) F. Schmit, Un consensus tout relatif, préc.
(11) V. néanmoins A. Caston, préc., spéc. p. 48, L'évolution de la loi en question ; F. Schmit, art. préc.
(12) V. P. Malinvaud (dir.), Dalloz action Droit de la construction, 2014/2015, « Assurance construction », par G. Leguay et
F. X. Dussaulx, n° 115.84 s., p. 119.
(13) V. égal. P. Malinvaud, note préc., cette revue, janv. 2014, qui prend soin de reproduire les circonstances factuelles
de l'arrêt.
(14) M. Faure-Abbad, Défaut de performance énergétique et garantie décennale, in Droit de la construction, Gualino,
2013. 253.
(15) Art. préc., RDI 2013. 191
.
(16) P. Malinvaud (dir.), Dalloz action Droit de la construction, 2014/2015, n° 473.280.
(17) Civ. 1 re , 25 févr. 1992, n° 89-12.138, Bull. civ. I, n° 63 , D. 1992. 469 , note P. Dubois
; RDI 1992. 231, obs. G.
Leguay et P. Dubois
; ibid. 349, obs. G. Leguay et P. Dubois
; RGAT 1992. 234 ; adde L. Karila et C. Charbonneau,
Droit de la construction : responsabilités et assurance, 2 e éd., LexisNexis, 2011, n° 1116, p. 569.
(18) Civ. 3 e , 11 mai 2011, n° 10-11.713, Bull. civ. III, n° 70, D. 2011. 1482
; RDI 2011. 405, obs. P. Malinvaud
.
(19) Civ. 3 e , 10 oct. 2012, n° 10-28.309, Bull. civ. III, n° 140, D. 2012. 2450
; RDI 2012. 630, obs. P. Malinvaud
ibid. 2013. 156, note O. Tournafond et J.-P. Tricoire
; Constr.-Urb. déc. 2012. Comm. 184, obs. C. Charbonnneau.
(20) Civ. 3 e , 15 déc. 2004, n° 03-17.876, Bull. civ. III, n° 237, D. 2006. 1784
P. Malinvaud , RGDA 2005, note J.-P. Karila.
, obs. H. Groutel
;
; RDI 2005. 130, obs.
(21) P. Malinvaud (dir.), Dalloz action Droit de la construction, préc., n° 473.290, p. 1269.
(22) Sur la comparaison des obligations respectives de l'assureur dommages-ouvrage et du garant de livraison, v. notre
art. Une querelle de préséance : l'assureur de dommages et le garant dans le contrat de construction d'une maison
individuelle, RDI 2000. 517 .
(23) Pour un exemple donné par un arrêt du même jour que le présent arrêt dans le cas d'un glissement de terrain à
l'extérieur du terrain d'assiette de l'ouvrage, Civ. 3 e , 23 oct. 2013, n° 12-25.326, NP, RDI 2014. 50, obs. P. Malinvaud .
(24) V. néanmoins les développements qui lui sont consacrés dans Droit de l'urbanisme et de la construction, par J. B.
Auby, H. Périnet-Marquet et R. Noguellou, Montchrestien, 2012, n° 1369.
(25) Civ. 3 e , 14 janv. 2009, n° 07-19.084, NP, RDI 2009. 186, obs. L. Karila
.
(26) Civ. 3 e , 14 juin 1995, n° 93-17.281, Bull. civ. III, n° 61, RDI 1995. 552, obs. P. Malinvaud et B. Boubli
même sens, Civ. 3 e , 22 sept. 2009, n° 08-11.250, NP.
- Dans le
(27) J.-B. Auby, H. Périnet-Marquet et R. Noguellou, op. cit., n° 1369.
(28) Civ. 3 e , 27 mai 1999, n° 97-20.276, RDI 1999. 411, obs. P. Malinvaud
.
(29) V. néanmoins les intéressantes questions soulevées par S. Becqué-Ickow icz, art. préc., n° 42, p. 33.
(30) P. Malinvaud (dir.), Dalloz action Droit de la construction, préc., n° 475.330 s.
(31) Sur l'ensemble de la question, v. P. Malinvaud (dir.), Dalloz action Droit de la construction, préc., n° 475.320 s.
(32) Civ. 3 e , 26 mars 1997, n° 94-21.808, Bull. civ. III, n° 69, RDI 1997. 449, obs. P. Malinvaud et B. Boubli
obs. G. Leguay .
; ibid. 605,
(33) Civ. 3 e , 11 févr. 1998, n° 95-17.199, NP, RDI 1998. 261, obs. P. Malinvaud et B. Boubli
Malinvaud et B. Boubli .
; ibid. 262, obs. P.
(34) Civ. 3 e , 6 févr. 2002, n° 00-10.543, Bull. civ. III, n° 34, RDI 2002. 151, obs. P. Malinvaud
Malinvaud , Defrénois 2002. 1029, obs. H. Périnet-Marquet.
; ibid. 152, obs. P.
(35) B. Starck, H. Roland et L. Boyer, Obligations, 1. Responsabilité délictuelle, Litec, 1996, n° 55.
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