Le dossier, les avocats et l`obligation ducroire
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Le dossier, les avocats et l`obligation ducroire
LA SEMAINE DU DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE Notes AVOCATS 13 Le dossier, les avocats et l’obligation ducroire Par un arrêt du 14 novembre 2013, la première chambre civile de la Cour de cassation affirme que, conformément aux articles 5.7 du Code de déontologie des avocats européens et 11.5 du Règlement intérieur national de la profession d’avocat, un avocat qui, ne se bornant pas à recommander un confrère ou à l’introduire auprès d’un client, confie une affaire à un correspondant ou le consulte, est personnellement tenu, même en cas de défaillance du client, au paiement des honoraires, frais et débours dus au conseil d’un État membre. Elle en déduit, en l’espèce, que le cabinet d’avocats français qui ne s’était pas borné à mettre son client en relation avec un autre cabinet mais lui avait confié l’affaire à traiter en Belgique, était tenu, conformément au code professionnel applicable entre avocats des pays membres de l’Union européenne, au paiement des honoraires et frais dus. Cass. 1re civ., 14 nov. 2013, n° 1228.763, FS P+B+I : JurisData n° 2013025526 De tous temps bâtonniers et conseils de l’ordre ont dû se pencher sur les difficultés nées des relations d’affaires entre avocats, et entre avocats et leurs correspondants habituels dans des professions voisines, dont au premier chef les huissiers de justice. Nombreux sont les cas où l’avocat doit faire appel à un confrère correspondant, par exemple pour assurer une postulation, ou pour étudier un dossier en sous-traitance, tandis que le recours à un huissier est nécessaire, que ce soit pour délivrer un acte de procédure ou effectuer un constat. En principe, il n’y a pas de difficulté quand les différents interlocuteurs se connaissent et savent pouvoir agir en confiance, ce qui implique que le donneur d’ordre ait la sagesse, soit de ne mandater quiconque sans être certain qu’il sera bien réglé de ses diligences, car il dispose d’ores et déjà d’une provision suffisante, soit de déclarer dès l’abord à ce dernier qu’il aurait à solliciter directement le client à cette fin. Le problème est cependant récurrent dans la pratique, notamment lorsque l’urgence s’invite dans le dossier, brouillant les habituels réflexes de prudence. Ainsi combien d’avocats ou d’autres professionnels mandatés par un avocat imprudent, inconséquent, bousculé par un client pressé ou par l’échéance d’un délai, n’ont-il pas dû passer en pertes, des créances parfois importantes, DANIEL LANDRY, avocat honoraire au barreau du Mans, ancien bâtonnier JEAN VILLACÈQUE, avocat au barreau des Pyrénées Orientales, ancien bâtonnier, professeur associé (HDR) à l’université de Perpignan via domitia (E. A. 4216). faute de n’avoir pu s’en faire régler tant par leur mandant que par le client au bénéfice duquel ils ont agi. C’est pour tenter de limiter ces cas irritants que sous le titre critiquable (car ne correspondant pas exactement à ce dont il traite) « Partage d’honoraires » et le sous-titre « Avocat correspondant » l’article 11.5 du Règlement intérieur national de la profession d’avocat (RIN) dispose : « L’avocat qui, ne se bornant pas à mettre en relation un client avec un autre avocat, confie un dossier à un confrère ou le consulte, est personnellement tenu au paiement des honoraires, frais et débours dus à ce confrère correspondant, au titre des prestations accomplies à sa demande par celui-ci. Les avocats concernés peuvent néanmoins, dès l’origine et par écrit, convenir du contraire. En outre, le premier avocat peut, à tout instant, limiter, par écrit, son engagement LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 1-2 - 13 JANVIER 2014 au montant des sommes dues, au jour où il exclut sa responsabilité pour l’avenir. Sauf stipulation contraire, les dispositions de l’alinéa ci-dessus s’appliquent dans les rapports entre un avocat et tout autre correspondant qui est consulté ou auquel est confiée une mission». Le Code de déontologie des avocats européens a édicté exactement les mêmes règles dans les relations professionnelles entre membres de barreaux appartenant à différents États membres, sous l’article 5.7, transposé dans le RIN sous le numéro 21.5.7. Ce système ainsi mis en place sous le nom d’« obligation ducroire » en référence à la convention, où le commissionnaire répond de la solvabilité du contractant qu’il procure à son mandant, convention, qui ne se présume pas, répond d’ailleurs à un schéma différent de l’hypothèse que prétend régler l’article 11.5 du RIN, et ce à un double titre. Car dans le ducroire classique celui qui risque de devoir supporter la défaillance du client n’a pas de lien contractuel avec lui, et n’est pas le mandant, mais celui qui a reçu mandat contre commission de trouver ce même client (Ph. Le Tourneau : Rép. civ. Dalloz, V° Mandat, 235 et s.). Si la jurisprudence concernant les avocats est rare (TGI Versailles, 28 mars 2006, n° 2005/06300 : D. 2007, p. 830, obs. B. Blanchard ; JCP G 2006, I, 188, n° 26, obs. R. Martin ; RTD civ. 2006, p. 576, obs. P.-Y. Gautier), on apprend que la « commission ducroire » du barreau de Paris rend environ six cents avis par an (D. Piau, L’obligation dite « ducroire » de l’avocat, cette ingénue méconnue… : Gaz. Page 17 13 13 Pal. 22-23 nov. 2013, p. 15), ce qui n’est pas rien… et on peut donc en déduire qu’ils sont suivis, ce qui est bien ! L’arrêt commenté, le premier en la matière rendu par la Cour de cassation, appelé à une large diffusion par sa publication prévue au Bulletin, précise les contours et la portée de cette nouvelle obligation ducroire résultant de l’article 11.5 du RIN. Et quoi que l’on puisse penser de la solution donnée en l’espèce au visa de ce texte et de l’article 21.5.7 du même RIN, il est à espérer que cet arrêt sera connu de tous les avocats, ne serait-ce que pour les inciter à une extrême vigilance, déjà recommandée dans ce domaine par les déontologues : « Prudence en cas de concours de confrères étrangers (...) » (H. Ader, A. Damien, Règles de la profession d’avocat : Dalloz action, 2013-2014, 14e éd., n° 46.41). À ce stade on ne peut faire l’économie d’un bref rappel des faits, en s’attardant sur les deux pièces essentielles rapportées in extenso par l’avocat général dans son avis de rejet du pourvoi. Me H., avocat associé au barreau de Paris, adresse à un confrère bruxellois une télécopie ainsi rédigée : « Comme suite à notre entretien téléphonique (…), je vous prie de trouver ci-joint copie du dernier mémorandum of Understanding signé (…) par mon client portant sur trois hôtels (…) détenus par la société X. La mission pour laquelle je souhaiterais obtenir une évaluation des honoraires et frais d’intervention de votre cabinet consiste à assister le client d’une part dans la préparation et la négociation de la documentation d’acquisition et les audits d’usage et d’autre part dans les restructurations ultérieures étant précisé que l’un des trois hôtels devrait être cédé à court terme au coût fiscal le plus faible possible. Le rôle de mon cabinet est de vous assister le cas échéant pour l’étude et la mise en place de la structure d’acquisition (localisation, mise en place du financement) et dans la restructuration de la « cible » aux fins de cession de l’un des hôtels et de l’optimisation fiscale et sociale de la détention des deux autres et ce, au travers d’un échange d’idées (…) ». On remarquera que le nom du client n’est pas cité à ce stade de définition de la mission, pas plus que dans une nouvelle télécopie adressée huit jours plus tard au confrère bruxellois : « (…) Je vous précise que les choses s’accélèrent dans le dossier Anvers. Les audits techniques réalisés par un architecte débuteront lundi prochain et l’audit comptable et financier aura lieu sur place lundi, mardi et mercredi prochain. L’ensemble de la documentation nécessaire à l’audit juridique et fiscal sera disponible dans une seule data room : à cette fin, il nous est demandé d’adresser aux vendeurs la liste des documents et informations auxquels nous souhaitons accéder et nous serions susceptibles d’intervenir à partir de mardi. Je LA COUR - (…) Sur le moyen unique : • Attendu, selon l’arrêt attaqué (CA Paris, pôle 2, ch. 1, 10 oct. 2012, n° 11/10684), que la société d’avocats H. et associés (la société H.) a sollicité le concours de la société d’avocats Monard d’Hulst Bruxelles pour l’assistance de M. V., son client, lors d’un projet d’achat d’hôtels à Anvers ; que ce dernier n’ayant pas réglé les honoraires et frais facturés, celle-ci en a demandé paiement à la société H., qui a refusé ; que la société Monard d’Hulst Bruxelles s’est adressée au bâtonnier de l’ordre des avocats de Bruxelles, qui a saisi son homologue parisien, lequel a conclu à l’absence d’engagement ducroire, puis a assigné la société H. en paiement de ces honoraires et frais ; • Attendu que la société H. fait grief à l’arrêt de la condamner au paiement d’une certaine somme, alors, selon le moyen (…) • Mais attendu, d’abord, qu’après avoir exactement énoncé que selon les articles 5.7 du Code de déontologie des avocats européens, applicable aux avocats des barreaux français conformément à l’article 21 du règlement intérieur national, et 11.5 dudit règlement, un avocat qui, ne se bornant pas à recommander un confrère ou à l’introduire auprès d’un client, confie une affaire à un correspondant ou le consulte, est personnellement tenu, même en cas de défaillance du client, au paiement des honoraires, frais et débours dus au conseil d’un État membre, la cour d’appel, appréciant souverainement la portée des éléments de preuve, a relevé que la société H. avait confié à la société Monard d’Hulst Bruxelles une mission consistant à conseiller son client à l’occasion d’un projet d’investissement immobilier en Belgique, tout Page 18 vous communique en annexe une liste type pour l’acquisition d’un hôtel en France que je vous remercie d’adapter, le cas échéant ou à laquelle je vous remercie de substituer votre liste type qu’il conviendra d’adresser par télécopie au directeur des hôtels (M. S.) afin qu’il nous précise les conditions d’accès. Je joins également, en annexe, la déclaration fiscale de la société hôtelière que celui-ci m’a adressée pour préparer notre intervention (…). J’ai besoin de pouvoir communiquer à notre client un budget prévisionnel d’intervention de votre cabinet que je vous remercie de m’adresser rapidement ; ce budget doit lui être soumis ce jeudi lors de son passage à Paris ». Deux jours plus tard l’avocat bruxellois répondait en adressant son budget prévisionnel, sollicitant que le client s’identifiât conformément à la directive européenne sur le blanchiment. Il lui était demandé en retour de procéder à un audit débutant dès le lendemain. Puis Me H. participa à Bruxelles à la première rencontre entre son client et l’avocat belge, puis avec les mêmes, à une réunion de négociation à Anvers. Or par la suite, affaire ou non conclue, on ne sait, le client dénia devoir régler la facture du confrère bruxellois, tandis que l’avocat parisien fit de même, arguant qu’il n’avait pas à se substituer au client défaillant. Le bâtonnier du barreau de Bruxelles, informé de la difficulté, saisissait en proposant son assistance pour la mise en place de la structure d’acquisition et l’optimisation tant fiscale que sociale de l’opération côté français, qu’elle avait transmis un calendrier du déroulement des différents audits et diverses pièces nécessaires à la mission, et avait sollicité la communication de certains documents relatifs à l’acquisition envisagée ; que de ces constatations et appréciations, elle a exactement déduit que la société H., qui ne s’était pas bornée à mettre son client en relation avec la société Monard d’Hulst mais lui avait confié l’affaire à traiter en Belgique, était tenue, conformément au code professionnel applicable entre avocats des pays membres de l’Union européenne, au paiement des honoraires et frais dus à cette dernière ; • Attendu, ensuite, qu’ayant constaté que la société H. n’avait pas usé de la faculté offerte par le Code de déontologie des avocats européens de convenir de dispositions particulières contraires ou de limiter son engagement, la cour d’appel a implicitement mais nécessairement rejeté la demande d’exclusion des frais et émoluments taxables, lesquels figurent au nombre des frais et débours visés par l’article 5.7 du Code de déontologie des avocats européens (…) Par ces motifs : • Rejette le pourvoi (…) M. Charruault, prés., Mme Wallon, cons.-rapp., MM. Gridel, cons. doyen, Gallet, Delmas-Goyon, Girardet, Truchot, Mmes Kamara, Dreifuss-Netter, Crédeville, Verdun, Ladant, cons., Barel, Le Gall, DarretCourgeon, Canas, MM. Vitse, cons.-réf., Cailliau, av. gén. ; SCP Barthélemy, Matuchansky et Vexliard, SCP Gadiou et Chevallier, av. LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 1-2 - 13 JANVIER 2014 LA SEMAINE DU DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE son homologue parisien, lequel, avis pris de la « commission ducroire » du Conseil de l’ordre, répondait que Me H. n’était pas tenu par une obligation de cette nature. L’avocat bruxellois saisit alors le tribunal de grande instance de Paris d’une action en paiement contre son confrère, dont il fut débouté par jugement du 14 mars 2011, ne reconnaissant pas l’existence d’un engagement ducroire au sens des articles 11.5 du RIN et 5.7 du Code de déontologie des avocats européens. Mais le 10 octobre 2012, par arrêt infirmatif, la cour d’appel de Paris (CA Paris, pôle 2, ch. 1, 10 oct. 2012, n° 11/10684) condamna la Selarl d’avocats au barreau de Paris H. et associés à payer à l’avocat bruxellois sa note, en application des textes précités. Dans son mémoire devant la Cour de cassation, le cabinet parisien développait un moyen unique en plusieurs branches. Il soutenait tout d’abord que l’engagement ducroire résultant des articles en cause supposait que l’avocat s’adressant à son confrère eût véritablement mandaté celui-ci et contracté en son nom propre, alors qu’en l’espèce il s’était contenté de mettre en relation son client avec le cabinet bruxellois. En second lieu, il visait l’article 1134 du Code civil violé à son sens par la cour d’appel en jugeant qu’il ne s’était pas contenté de cette mise en relation, mais avait confié l’affaire à son homologue belge. En troisième lieu, il insistait sur le fait que son rôle s’était limité à introduire l’avocat bruxellois auprès de son client, et que l’analyse des télécopies rapportées ci-dessus ne caractérisait en rien l’existence d’une prétendue mission qu’il aurait confié personnellement au cabinet belge, ce qui privait l’arrêt attaqué de base légale. Il soulignait que l’obligation ducroire supposait l’existence d’un mandat entre l’avocat et son correspondant, excluant tout rapport direct entre ce dernier et le client, alors qu’il n’avait jamais interféré dans la relation développée entre son client et le cabinet bruxellois. Enfin, il faisait valoir qu’il ressortait de l’article 11.5 du RIN que l’obligation ducroire ne concernait pas les frais et émoluments taxables, point sur lequel la cour d’appel n’avait pas répondu, d’où une violation de l’article 455 du Code de procédure civile. Sur ce, et après avoir rappelé l’essentiel des textes en cause, la Cour de cassation, tout en notant que la cour d’appel avait apprécié souverainement les éléments de preuve, semble ne pas s’en être contenté, et avoir, conformément à l’avis de son parquet général, étudié assez minutieusement les faits. Elle estime ainsi que de ses constatations et appréciations, la cour d’appel avait exactement déduit que l’avocat parisien, qui ne s’était pas borné à mettre son client en relation avec l’avocat étranger mais lui avait confié l’affaire à traiter en Belgique, était tenu, conformément au code professionnel des pays membres de l’Union européenne, au paiement de ses frais et honoraires. Enfin, la Cour de cassation note qu’ayant constaté que la société d’avocats H. n’avait pas usé de la faculté offerte par le Code de déontologie des avocats européens de convenir de dispositions particulières contraires, ou de limiter son engagement, la cour d’appel avait implicitement mais nécessairement rejeté la demande d’exclusion des frais et émoluments taxables, lesquels figurent au nombre des frais et débours visés par l’article 5.7 précité. S’interrogeant sur les contours de l’obligation ducroire tels que dessinés par cet arrêt, un commentateur a écrit justement que « l’on était à la frontière de la cotraitance et de la sous-traitance » (D. Piau, op. cit.), la première excluant la notion de ducroire, puisqu’elle permet la relation directe avec le client. En effet, il n’est pas douteux que des éléments militaient pour l’une ou l’autre solution. Néanmoins la lecture attentive des deux télécopies, et notamment de la seconde, envoyées par l’avocat parisien à son confrère belge laisse penser qu’il ne s’agissait pas d’une simple mise en relation, et que le premier nommé entendait bien garder la main dans les intérêts d’un client, dont à ce stade au moins il ne révélait même pas l’identité, tout en donnant d’ores et déjà des instructions précises quant aux prestations à réaliser en urgence. La leçon à en tirer est qu’en la matière l’avocat, qui souhaite, ou est dans l’obligation de recourir, à un confrère doit être clair et précis dans ce qu’il attend de lui quant à sa relation avec le client, même si ce n’est pas toujours simple en pratique. Car il est vrai qu’il y a toujours un risque : d’une part que le confrère sollicité essaie d’attirer à lui le client, d’autre part que ce dernier estime spontanément que ce nouvel avocat, qu’il découvre, travaille mieux que son conseil habituel. En tous cas, celui-ci peut difficilement à la fois faire faire tout ou partie de son travail par un autre, et garder le contrôle jaloux du client : soit il se borne à adresser ce dernier au confrère avec une recommandation, sans s’immiscer dans la suite du dossier ; soit il prévient le confrère qu’il a d’ores et déjà une provision suffisante pour le régler, ou le prie de ne pas agir tant que lui-même ne l’aura pas en main. LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 1-2 - 13 JANVIER 2014 L’on fera encore trois observations. Tout d’abord, l’arrêt commenté devrait inciter le CNB à réécrire l’article 11.5 du RIN, et à œuvrer pour qu’il en soit de même du Code de déontologie des avocats européens, en précisant bien que les dépens taxables afférents aux procédures devant le tribunal de grande instance, tels que résultant du décret n° 72-784 du 25 août 1972, et qui font l’objet, en vertu de l’article 699 du Code de procédure civile d’un recouvrement à l’encontre de la partie condamnée soient distingués des autres frais. Car les dépens ne résultent en rien de l’existence d’une quelconque convention ducroire, mais de l’application d’un texte autonome (D. Landry, Le tarif de postulation en première instance en questions : JCP G 2010, act. 1069). Ainsi en l’espèce, autant qu’on puisse l’imaginer (hormis d’hypothétiques frais taxables exposés par l’avocat belge, ou dus à lui-même dont il n’aurait pas obtenu recouvrement) ces dépens devaient résulter de la procédure ayant donné lieu au jugement du tribunal de grande instance, et que l’arrêt infirmatif a dû mettre à charge du cabinet parisien, en sus de ceux d’appel, dont on ignore si, en fonction de la date d’introduction de cette voie de recours, ils pouvaient encore être distraits au profit de l’avoué, profession malheureusement supprimée à compter du 1er janvier 2012 (J. Villacèque, Le nouveau procès civil devant la cour d’appel : la technique et les hommes, paradoxes d’une réforme : D. 2010, p. 663. - M. Bencimon, Toiletter le code de procédure civile sans remettre en cause les principes : c’est possible et même nécessaire : Gaz. Pal. 8-10 déc. 2013, p. 11, spéc. p. 15 § 4). Mais en ce cas, ces dépens se retrouvaient devoir être supportés par l’avocat succombant, et leur sort, déterminé par l’arrêt, et non par l’application d’une quelconque convention, était totalement détaché de l’obligation ducroire, n’ayant rien à voir avec les prestations accomplies par l’avocat bruxellois au bénéfice du client. Ensuite l’application de cette obligation ducroire entre avocats ne relève pas de la procédure habituelle de recouvrement des honoraires (J. Villacèque, La juridiction du bâtonnier, une charge publique à parachever : D. 1997, chron. p 305. - D. Landry, La contestation des honoraires de l’avocat : JCP G 2010, prat. 139. - D. Piau, L’honoraire entre passé, présent et avenir : Gaz. Pal. 6 mars 2012, p. 13) c’est-à-dire des articles 174 et suivants du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, mais du droit commun, sauf à devoir recourir préalablement, comme en l’espèce commentée, Page 19 13 13-14 au pouvoir de conciliation du bâtonnier en application des articles 179-1 et suivants du même décret. Enfin on peut se demander si, devant régler, ou après avoir réglé, à un confrère sa note de frais et honoraires, en application de l’obligation ducroire, l’avocat mandant ne peut pas se retourner vers son client en l’intégrant dans sa facture récapitulative en sus de son propre coût. Car des diligences ont eu lieu, et, ne serait-ce que pour éviter un enrichissement sans cause au préjudice de son avocat, il est bien normal que le client, qui en a bénéficié, en règle la dépense. En revanche, il va de soi que l’avocat, donneur d’ordre, ne peut demander au confrère de lui signer une quittance subrogative, qui impliquerait qu’un jugement ait mis la facture litigieuse à charge du client, alors que dans le cadre de la conven- tion ducroire il n’est censé avoir aucun lien contractuel avec l’avocat mandaté. Mais en résumé, ce qu’il convient avant tout de retenir de l’arrêt commenté est que tout avocat doit connaître les articles 11.5 et 21.5.7 du RIN, et ne pas oublier que la prudence, mère de sûreté, fait partie des principes essentiels de sa profession à observer en toutes circonstances (D. Landry, Que reste-t-il des principes essentiels de la profession d’avocat ? : Gaz. Pal. 5 oct. 2013, p. 10). Un membre du barreau ne saurait être imprévoyant, sauf à voir sa responsabilité engagée (Ph. Le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats : Dalloz action, 2013-2014, 10e éd., § 4960 et s. - Y. Avril, Responsabilité des avocats : Dalloz, coll. Dalloz référence, 2008, 2e éd.). Missionner un confrère, c’est s’engager vis-à-vis de lui, non seulement juridiquement (ducroire ou sous-traitance (Ph. Le Tourneau, op. cit., § 3478 et s.) comme l’a jugé la Cour de cassation, mais d’abord et surtout moralement et déontologiquement, car la foi du Palais consiste à « se faire confiance en se croyant sur parole » (J. Villacèque, La famille judiciaire in Droit et déontologie de la profession d’avocat, ss dir. B. Beignier, B. Blanchard, J. Villacèque : LGDJ, 2007, p. 206, § 159) : le terme ducroire n’a d’ailleurs pas d’autre origine (G. Cornu, Vocabulaire juridique : PUF, 9e éd., p. 374, V° Ducroire) ! Textes : RIN, art. 11.5, art. 21.5.7 JurisClasseur : Procédure civile, Fasc. 83-4, par Raymond Martin †, actualisé par Daniel Landry MAJEURS PROTÉGÉS 14 L’émergence de la catégorie des actions en justice strictement personnelles du majeur protégé L’appel d’une décision du juge des enfants qui restreint l’exercice de l’autorité parentale d’un majeur protégé constitue un acte strictement personnel que celui-ci peut accomplir sans assistance ni représentation. droit de visite à exercer dans les locaux de l’ASE. La mère ayant interjeté appel de ce jugement sans être représentée par son Cet arrêt a vocation sans tuteur, les juges du fond la déclaconteste à entrer au panthéon rent irrecevable en son appel au des grands arrêts de la jurisprumotif que « l’exercice d’une voie dence relative au droit des perde recours ne peut s’analyser ni sonnes protégées. Il consacre, NATHALIE PETERKA, comme un consentement à un professeur à la faculté pour la première fois, au visa acte, ni comme un acte de l’aude droit Paris-Est de l’article 458 du Code civil, torité parentale et que l’article (UPEC), directeur du la notion d’action en justice à 458 ne déroge pas aux disposiDU de mandataire judiciaire à la caractère strictement personnel tions légales prévoyant que la protection des majeurs, exclusive de toute assistance ou personne en tutelle est représendirecteur du M2 droit représentation du majeur protée en justice par son tuteur ». La privé des personnes et des patrimoines tégé. En l’espèce, l’enfant d’une Haute juridiction censure ce raifemme sous tutelle est placé, en sonnement, en énonçant « qu’il raison des troubles psychiatriques de sa mère, résulte de ce texte que l’appel d’une décision sous une mesure d’assistance éducative au sein du juge des enfants qui restreint l’exercice des d’un établissement d’aide sociale à l’enfance. droits de l’autorité parentale d’un majeur proEn 2011, le juge des enfants reconduit le pla- tégé constitue un acte strictement personnel cement de l’enfant et accorde à sa mère un que celui-ci peut accomplir sans assistance Cass. 1re civ., 6 nov. 2013, n° 12-23.766, FS P+B : JurisData n° 2013-025047 Page 20 ni représentation ». Si la solution est fondée à l’aune de la philosophie irriguant le droit des majeurs protégés, sa portée mérite d’être précisée. La loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 a érigé la recherche constante de l’équilibre entre, d’une part, la préservation de la dignité, des libertés individuelles, des droits fondamentaux ainsi que de l’autonomie de la personne vulnérable et, d’autre part, la protection de son intérêt, en un principe directeur de la protection des majeurs (C. civ., art. 415). Ce souci, qui inonde l’ensemble de la matière, emporte des conséquences considérables tant sur le terrain de l’appréciation de l’opportunité de la mesure de protection, de sa gravité, de son organisation (C. civ., art. 428) que sur celui de sa dévolution (Cass. 1re civ., 5 déc. 2012, n° 11-26.611 : JurisData n° 2012-028145 ; JCP G 2013, 104, N. Peterka). Plus encore, il conduit le législateur à forger un véritable droit commun des mesures de protection, dont le versant extra- LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 1-2 - 13 JANVIER 2014