Le dossier, les avocats et l`obligation ducroire

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Le dossier, les avocats et l`obligation ducroire
LA SEMAINE DU DROIT CIVIL ET PROCÉDURE CIVILE
Notes
AVOCATS
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Le dossier, les avocats et l’obligation ducroire
Par un arrêt du 14 novembre 2013, la première chambre civile de la Cour de cassation affirme
que, conformément aux articles 5.7 du Code de déontologie des avocats européens et 11.5
du Règlement intérieur national de la profession d’avocat, un avocat qui, ne se bornant pas à
recommander un confrère ou à l’introduire auprès d’un client, confie une affaire à un correspondant ou le consulte, est personnellement tenu, même en cas de défaillance du client, au
paiement des honoraires, frais et débours dus au conseil d’un État membre.
Elle en déduit, en l’espèce, que le cabinet d’avocats français qui ne s’était pas borné à
mettre son client en relation avec un autre cabinet mais lui avait confié l’affaire à traiter en
Belgique, était tenu, conformément au code professionnel applicable entre avocats des
pays membres de l’Union européenne, au paiement des honoraires et frais dus.
Cass. 1re civ., 14 nov. 2013, n° 1228.763, FS P+B+I : JurisData n° 2013025526
De tous temps bâtonniers et conseils de
l’ordre ont dû se pencher sur les difficultés
nées des relations d’affaires entre avocats, et
entre avocats et leurs correspondants habituels dans des professions voisines, dont au
premier chef les huissiers de justice. Nombreux sont les cas où l’avocat doit faire appel
à un confrère correspondant, par exemple
pour assurer une postulation, ou pour étudier un dossier en sous-traitance, tandis que
le recours à un huissier est nécessaire, que ce
soit pour délivrer un acte de procédure ou
effectuer un constat. En principe, il n’y a pas
de difficulté quand les différents interlocuteurs se connaissent et savent pouvoir agir en
confiance, ce qui implique que le donneur
d’ordre ait la sagesse, soit de ne mandater
quiconque sans être certain qu’il sera bien
réglé de ses diligences, car il dispose d’ores
et déjà d’une provision suffisante, soit de
déclarer dès l’abord à ce dernier qu’il aurait
à solliciter directement le client à cette fin.
Le problème est cependant récurrent dans
la pratique, notamment lorsque l’urgence
s’invite dans le dossier, brouillant les habituels réflexes de prudence. Ainsi combien
d’avocats ou d’autres professionnels mandatés par un avocat imprudent, inconséquent, bousculé par un client pressé ou par
l’échéance d’un délai, n’ont-il pas dû passer
en pertes, des créances parfois importantes,
DANIEL LANDRY, avocat honoraire au
barreau du Mans, ancien bâtonnier
JEAN VILLACÈQUE, avocat au barreau
des Pyrénées Orientales, ancien bâtonnier,
professeur associé (HDR) à l’université de
Perpignan via domitia (E. A. 4216).
faute de n’avoir pu s’en faire régler tant par
leur mandant que par le client au bénéfice
duquel ils ont agi.
C’est pour tenter de limiter ces cas irritants
que sous le titre critiquable (car ne correspondant pas exactement à ce dont il traite)
« Partage d’honoraires » et le sous-titre « Avocat correspondant » l’article 11.5 du Règlement
intérieur national de la profession d’avocat
(RIN) dispose :
« L’avocat qui, ne se bornant pas à mettre en
relation un client avec un autre avocat, confie
un dossier à un confrère ou le consulte, est personnellement tenu au paiement des honoraires,
frais et débours dus à ce confrère correspondant,
au titre des prestations accomplies à sa demande
par celui-ci. Les avocats concernés peuvent
néanmoins, dès l’origine et par écrit, convenir
du contraire. En outre, le premier avocat peut, à
tout instant, limiter, par écrit, son engagement
LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 1-2 - 13 JANVIER 2014
au montant des sommes dues, au jour où il exclut sa responsabilité pour l’avenir.
Sauf stipulation contraire, les dispositions de
l’alinéa ci-dessus s’appliquent dans les rapports entre un avocat et tout autre correspondant qui est consulté ou auquel est confiée une
mission». Le Code de déontologie des avocats
européens a édicté exactement les mêmes
règles dans les relations professionnelles entre
membres de barreaux appartenant à différents États membres, sous l’article 5.7, transposé dans le RIN sous le numéro 21.5.7.
Ce système ainsi mis en place sous le nom
d’« obligation ducroire » en référence à la
convention, où le commissionnaire répond
de la solvabilité du contractant qu’il procure à
son mandant, convention, qui ne se présume
pas, répond d’ailleurs à un schéma différent
de l’hypothèse que prétend régler l’article 11.5
du RIN, et ce à un double titre. Car dans le
ducroire classique celui qui risque de devoir
supporter la défaillance du client n’a pas de
lien contractuel avec lui, et n’est pas le mandant, mais celui qui a reçu mandat contre
commission de trouver ce même client (Ph.
Le Tourneau : Rép. civ. Dalloz, V° Mandat,
235 et s.). Si la jurisprudence concernant les
avocats est rare (TGI Versailles, 28 mars 2006,
n° 2005/06300 : D. 2007, p. 830, obs. B. Blanchard ; JCP G 2006, I, 188, n° 26, obs. R. Martin ; RTD civ. 2006, p. 576, obs. P.-Y. Gautier),
on apprend que la « commission ducroire »
du barreau de Paris rend environ six cents avis
par an (D. Piau, L’obligation dite « ducroire »
de l’avocat, cette ingénue méconnue… : Gaz.
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Pal. 22-23 nov. 2013, p. 15), ce qui n’est pas
rien… et on peut donc en déduire qu’ils sont
suivis, ce qui est bien !
L’arrêt commenté, le premier en la matière
rendu par la Cour de cassation, appelé à une
large diffusion par sa publication prévue au
Bulletin, précise les contours et la portée de
cette nouvelle obligation ducroire résultant de
l’article 11.5 du RIN. Et quoi que l’on puisse
penser de la solution donnée en l’espèce au
visa de ce texte et de l’article 21.5.7 du même
RIN, il est à espérer que cet arrêt sera
connu de tous les avocats, ne serait-ce que
pour les inciter à une extrême vigilance,
déjà recommandée dans ce domaine par les
déontologues : « Prudence en cas de concours
de confrères étrangers (...) » (H. Ader, A. Damien, Règles de la profession d’avocat : Dalloz
action, 2013-2014, 14e éd., n° 46.41). À ce stade
on ne peut faire l’économie d’un bref rappel
des faits, en s’attardant sur les deux pièces
essentielles rapportées in extenso par l’avocat
général dans son avis de rejet du pourvoi.
Me H., avocat associé au barreau de Paris,
adresse à un confrère bruxellois une télécopie
ainsi rédigée : « Comme suite à notre entretien téléphonique (…), je vous prie de trouver ci-joint copie du dernier mémorandum
of Understanding signé (…) par mon client
portant sur trois hôtels (…) détenus par la société X. La mission pour laquelle je souhaiterais obtenir une évaluation des honoraires et
frais d’intervention de votre cabinet consiste
à assister le client d’une part dans la préparation et la négociation de la documentation
d’acquisition et les audits d’usage et d’autre
part dans les restructurations ultérieures étant
précisé que l’un des trois hôtels devrait être
cédé à court terme au coût fiscal le plus faible
possible. Le rôle de mon cabinet est de vous
assister le cas échéant pour l’étude et la mise
en place de la structure d’acquisition (localisation, mise en place du financement) et
dans la restructuration de la « cible » aux fins
de cession de l’un des hôtels et de l’optimisation fiscale et sociale de la détention des deux
autres et ce, au travers d’un échange d’idées
(…) ».
On remarquera que le nom du client n’est pas
cité à ce stade de définition de la mission, pas
plus que dans une nouvelle télécopie adressée
huit jours plus tard au confrère bruxellois :
« (…) Je vous précise que les choses s’accélèrent dans le dossier Anvers. Les audits techniques réalisés par un architecte débuteront
lundi prochain et l’audit comptable et financier aura lieu sur place lundi, mardi et mercredi prochain. L’ensemble de la documentation
nécessaire à l’audit juridique et fiscal sera disponible dans une seule data room : à cette fin,
il nous est demandé d’adresser aux vendeurs
la liste des documents et informations auxquels nous souhaitons accéder et nous serions
susceptibles d’intervenir à partir de mardi. Je
LA COUR - (…)
Sur le moyen unique :
• Attendu, selon l’arrêt attaqué (CA Paris, pôle 2, ch. 1, 10 oct. 2012,
n° 11/10684), que la société d’avocats H. et associés (la société H.) a
sollicité le concours de la société d’avocats Monard d’Hulst Bruxelles
pour l’assistance de M. V., son client, lors d’un projet d’achat d’hôtels
à Anvers ; que ce dernier n’ayant pas réglé les honoraires et frais facturés, celle-ci en a demandé paiement à la société H., qui a refusé ;
que la société Monard d’Hulst Bruxelles s’est adressée au bâtonnier de
l’ordre des avocats de Bruxelles, qui a saisi son homologue parisien,
lequel a conclu à l’absence d’engagement ducroire, puis a assigné la
société H. en paiement de ces honoraires et frais ;
• Attendu que la société H. fait grief à l’arrêt de la condamner au paiement d’une certaine somme, alors, selon le moyen (…)
• Mais attendu, d’abord, qu’après avoir exactement énoncé que selon
les articles 5.7 du Code de déontologie des avocats européens, applicable aux avocats des barreaux français conformément à l’article 21 du
règlement intérieur national, et 11.5 dudit règlement, un avocat qui,
ne se bornant pas à recommander un confrère ou à l’introduire auprès d’un client, confie une affaire à un correspondant ou le consulte,
est personnellement tenu, même en cas de défaillance du client, au
paiement des honoraires, frais et débours dus au conseil d’un État
membre, la cour d’appel, appréciant souverainement la portée des
éléments de preuve, a relevé que la société H. avait confié à la société
Monard d’Hulst Bruxelles une mission consistant à conseiller son client
à l’occasion d’un projet d’investissement immobilier en Belgique, tout
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vous communique en annexe une liste type
pour l’acquisition d’un hôtel en France que
je vous remercie d’adapter, le cas échéant
ou à laquelle je vous remercie de substituer
votre liste type qu’il conviendra d’adresser
par télécopie au directeur des hôtels (M. S.)
afin qu’il nous précise les conditions d’accès.
Je joins également, en annexe, la déclaration
fiscale de la société hôtelière que celui-ci m’a
adressée pour préparer notre intervention
(…). J’ai besoin de pouvoir communiquer à
notre client un budget prévisionnel d’intervention de votre cabinet que je vous remercie
de m’adresser rapidement ; ce budget doit
lui être soumis ce jeudi lors de son passage à
Paris ».
Deux jours plus tard l’avocat bruxellois
répondait en adressant son budget prévisionnel, sollicitant que le client s’identifiât
conformément à la directive européenne sur
le blanchiment. Il lui était demandé en retour
de procéder à un audit débutant dès le lendemain. Puis Me H. participa à Bruxelles à la
première rencontre entre son client et l’avocat
belge, puis avec les mêmes, à une réunion de
négociation à Anvers. Or par la suite, affaire
ou non conclue, on ne sait, le client dénia
devoir régler la facture du confrère bruxellois, tandis que l’avocat parisien fit de même,
arguant qu’il n’avait pas à se substituer au
client défaillant. Le bâtonnier du barreau de
Bruxelles, informé de la difficulté, saisissait
en proposant son assistance pour la mise en place de la structure d’acquisition et l’optimisation tant fiscale que sociale de l’opération côté
français, qu’elle avait transmis un calendrier du déroulement des différents audits et diverses pièces nécessaires à la mission, et avait sollicité
la communication de certains documents relatifs à l’acquisition envisagée ; que de ces constatations et appréciations, elle a exactement déduit que la société H., qui ne s’était pas bornée à mettre son client en
relation avec la société Monard d’Hulst mais lui avait confié l’affaire à
traiter en Belgique, était tenue, conformément au code professionnel
applicable entre avocats des pays membres de l’Union européenne,
au paiement des honoraires et frais dus à cette dernière ;
• Attendu, ensuite, qu’ayant constaté que la société H. n’avait pas usé
de la faculté offerte par le Code de déontologie des avocats européens de convenir de dispositions particulières contraires ou de limiter son engagement, la cour d’appel a implicitement mais nécessairement rejeté la demande d’exclusion des frais et émoluments taxables,
lesquels figurent au nombre des frais et débours visés par l’article 5.7
du Code de déontologie des avocats européens (…)
Par ces motifs :
• Rejette le pourvoi (…)
M. Charruault, prés., Mme Wallon, cons.-rapp., MM. Gridel, cons.
doyen, Gallet, Delmas-Goyon, Girardet, Truchot, Mmes Kamara, Dreifuss-Netter, Crédeville, Verdun, Ladant, cons., Barel, Le Gall, DarretCourgeon, Canas, MM. Vitse, cons.-réf., Cailliau, av. gén. ; SCP Barthélemy, Matuchansky et Vexliard, SCP Gadiou et Chevallier, av.
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son homologue parisien, lequel, avis pris de
la « commission ducroire » du Conseil de
l’ordre, répondait que Me H. n’était pas tenu
par une obligation de cette nature. L’avocat
bruxellois saisit alors le tribunal de grande
instance de Paris d’une action en paiement
contre son confrère, dont il fut débouté par
jugement du 14 mars 2011, ne reconnaissant
pas l’existence d’un engagement ducroire au
sens des articles 11.5 du RIN et 5.7 du Code
de déontologie des avocats européens. Mais le
10 octobre 2012, par arrêt infirmatif, la cour
d’appel de Paris (CA Paris, pôle 2, ch. 1, 10 oct.
2012, n° 11/10684) condamna la Selarl d’avocats au barreau de Paris H. et associés à payer
à l’avocat bruxellois sa note, en application
des textes précités.
Dans son mémoire devant la Cour de cassation, le cabinet parisien développait un
moyen unique en plusieurs branches.
Il soutenait tout d’abord que l’engagement
ducroire résultant des articles en cause supposait que l’avocat s’adressant à son confrère eût
véritablement mandaté celui-ci et contracté
en son nom propre, alors qu’en l’espèce il
s’était contenté de mettre en relation son
client avec le cabinet bruxellois. En second
lieu, il visait l’article 1134 du Code civil violé
à son sens par la cour d’appel en jugeant qu’il
ne s’était pas contenté de cette mise en relation, mais avait confié l’affaire à son homologue belge. En troisième lieu, il insistait sur
le fait que son rôle s’était limité à introduire
l’avocat bruxellois auprès de son client, et que
l’analyse des télécopies rapportées ci-dessus
ne caractérisait en rien l’existence d’une prétendue mission qu’il aurait confié personnellement au cabinet belge, ce qui privait l’arrêt
attaqué de base légale. Il soulignait que l’obligation ducroire supposait l’existence d’un
mandat entre l’avocat et son correspondant,
excluant tout rapport direct entre ce dernier
et le client, alors qu’il n’avait jamais interféré
dans la relation développée entre son client
et le cabinet bruxellois. Enfin, il faisait valoir
qu’il ressortait de l’article 11.5 du RIN que
l’obligation ducroire ne concernait pas les
frais et émoluments taxables, point sur lequel
la cour d’appel n’avait pas répondu, d’où une
violation de l’article 455 du Code de procédure civile.
Sur ce, et après avoir rappelé l’essentiel des
textes en cause, la Cour de cassation, tout en
notant que la cour d’appel avait apprécié souverainement les éléments de preuve, semble
ne pas s’en être contenté, et avoir, conformément à l’avis de son parquet général, étudié
assez minutieusement les faits. Elle estime
ainsi que de ses constatations et appréciations, la cour d’appel avait exactement déduit
que l’avocat parisien, qui ne s’était pas borné
à mettre son client en relation avec l’avocat
étranger mais lui avait confié l’affaire à traiter en Belgique, était tenu, conformément
au code professionnel des pays membres de
l’Union européenne, au paiement de ses frais
et honoraires. Enfin, la Cour de cassation
note qu’ayant constaté que la société d’avocats H. n’avait pas usé de la faculté offerte par
le Code de déontologie des avocats européens
de convenir de dispositions particulières
contraires, ou de limiter son engagement, la
cour d’appel avait implicitement mais nécessairement rejeté la demande d’exclusion des
frais et émoluments taxables, lesquels figurent
au nombre des frais et débours visés par l’article 5.7 précité.
S’interrogeant sur les contours de l’obligation ducroire tels que dessinés par cet arrêt,
un commentateur a écrit justement que « l’on
était à la frontière de la cotraitance et de la
sous-traitance » (D. Piau, op. cit.), la première
excluant la notion de ducroire, puisqu’elle
permet la relation directe avec le client. En effet, il n’est pas douteux que des éléments militaient pour l’une ou l’autre solution. Néanmoins la lecture attentive des deux télécopies,
et notamment de la seconde, envoyées par
l’avocat parisien à son confrère belge laisse
penser qu’il ne s’agissait pas d’une simple
mise en relation, et que le premier nommé
entendait bien garder la main dans les intérêts d’un client, dont à ce stade au moins il ne
révélait même pas l’identité, tout en donnant
d’ores et déjà des instructions précises quant
aux prestations à réaliser en urgence.
La leçon à en tirer est qu’en la matière l’avocat, qui souhaite, ou est dans l’obligation de
recourir, à un confrère doit être clair et précis dans ce qu’il attend de lui quant à sa relation avec le client, même si ce n’est pas toujours simple en pratique. Car il est vrai qu’il y a
toujours un risque : d’une part que le confrère
sollicité essaie d’attirer à lui le client, d’autre
part que ce dernier estime spontanément
que ce nouvel avocat, qu’il découvre, travaille
mieux que son conseil habituel. En tous cas,
celui-ci peut difficilement à la fois faire faire
tout ou partie de son travail par un autre, et
garder le contrôle jaloux du client : soit il se
borne à adresser ce dernier au confrère avec
une recommandation, sans s’immiscer dans
la suite du dossier ; soit il prévient le confrère
qu’il a d’ores et déjà une provision suffisante
pour le régler, ou le prie de ne pas agir tant
que lui-même ne l’aura pas en main.
LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 1-2 - 13 JANVIER 2014
L’on fera encore trois observations.
Tout d’abord, l’arrêt commenté devrait inciter le CNB à réécrire l’article 11.5 du RIN,
et à œuvrer pour qu’il en soit de même du
Code de déontologie des avocats européens,
en précisant bien que les dépens taxables afférents aux procédures devant le tribunal de
grande instance, tels que résultant du décret
n° 72-784 du 25 août 1972, et qui font l’objet,
en vertu de l’article 699 du Code de procédure civile d’un recouvrement à l’encontre
de la partie condamnée soient distingués des
autres frais. Car les dépens ne résultent en
rien de l’existence d’une quelconque convention ducroire, mais de l’application d’un texte
autonome (D. Landry, Le tarif de postulation
en première instance en questions : JCP G 2010,
act. 1069). Ainsi en l’espèce, autant qu’on
puisse l’imaginer (hormis d’hypothétiques
frais taxables exposés par l’avocat belge, ou
dus à lui-même dont il n’aurait pas obtenu
recouvrement) ces dépens devaient résulter
de la procédure ayant donné lieu au jugement
du tribunal de grande instance, et que l’arrêt
infirmatif a dû mettre à charge du cabinet parisien, en sus de ceux d’appel, dont on ignore
si, en fonction de la date d’introduction de
cette voie de recours, ils pouvaient encore être
distraits au profit de l’avoué, profession malheureusement supprimée à compter du 1er
janvier 2012 (J. Villacèque, Le nouveau procès
civil devant la cour d’appel : la technique et les
hommes, paradoxes d’une réforme : D. 2010, p.
663. - M. Bencimon, Toiletter le code de procédure civile sans remettre en cause les principes :
c’est possible et même nécessaire : Gaz. Pal. 8-10
déc. 2013, p. 11, spéc. p. 15 § 4). Mais en ce
cas, ces dépens se retrouvaient devoir être
supportés par l’avocat succombant, et leur
sort, déterminé par l’arrêt, et non par l’application d’une quelconque convention, était
totalement détaché de l’obligation ducroire,
n’ayant rien à voir avec les prestations accomplies par l’avocat bruxellois au bénéfice du
client.
Ensuite l’application de cette obligation
ducroire entre avocats ne relève pas de la
procédure habituelle de recouvrement des
honoraires (J. Villacèque, La juridiction du
bâtonnier, une charge publique à parachever :
D. 1997, chron. p 305. - D. Landry, La contestation des honoraires de l’avocat : JCP G 2010,
prat. 139. - D. Piau, L’honoraire entre passé,
présent et avenir : Gaz. Pal. 6 mars 2012, p.
13) c’est-à-dire des articles 174 et suivants du
décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, mais
du droit commun, sauf à devoir recourir préalablement, comme en l’espèce commentée,
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au pouvoir de conciliation du bâtonnier en
application des articles 179-1 et suivants du
même décret.
Enfin on peut se demander si, devant régler,
ou après avoir réglé, à un confrère sa note de
frais et honoraires, en application de l’obligation ducroire, l’avocat mandant ne peut
pas se retourner vers son client en l’intégrant
dans sa facture récapitulative en sus de son
propre coût. Car des diligences ont eu lieu,
et, ne serait-ce que pour éviter un enrichissement sans cause au préjudice de son avocat, il est bien normal que le client, qui en a
bénéficié, en règle la dépense. En revanche,
il va de soi que l’avocat, donneur d’ordre, ne
peut demander au confrère de lui signer une
quittance subrogative, qui impliquerait qu’un
jugement ait mis la facture litigieuse à charge
du client, alors que dans le cadre de la conven-
tion ducroire il n’est censé avoir aucun lien
contractuel avec l’avocat mandaté.
Mais en résumé, ce qu’il convient avant tout
de retenir de l’arrêt commenté est que tout
avocat doit connaître les articles 11.5 et
21.5.7 du RIN, et ne pas oublier que la prudence, mère de sûreté, fait partie des principes
essentiels de sa profession à observer en toutes
circonstances (D. Landry, Que reste-t-il des
principes essentiels de la profession d’avocat ? :
Gaz. Pal. 5 oct. 2013, p. 10). Un membre du
barreau ne saurait être imprévoyant, sauf à
voir sa responsabilité engagée (Ph. Le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats :
Dalloz action, 2013-2014, 10e éd., § 4960 et s.
- Y. Avril, Responsabilité des avocats : Dalloz,
coll. Dalloz référence, 2008, 2e éd.). Missionner un confrère, c’est s’engager vis-à-vis de
lui, non seulement juridiquement (ducroire
ou sous-traitance (Ph. Le Tourneau, op. cit.,
§ 3478 et s.) comme l’a jugé la Cour de cassation, mais d’abord et surtout moralement
et déontologiquement, car la foi du Palais
consiste à « se faire confiance en se croyant
sur parole » (J. Villacèque, La famille judiciaire
in Droit et déontologie de la profession d’avocat,
ss dir. B. Beignier, B. Blanchard, J. Villacèque :
LGDJ, 2007, p. 206, § 159) : le terme ducroire
n’a d’ailleurs pas d’autre origine (G. Cornu,
Vocabulaire juridique : PUF, 9e éd., p. 374, V°
Ducroire) !
Textes : RIN, art. 11.5, art. 21.5.7
JurisClasseur : Procédure civile, Fasc. 83-4,
par Raymond Martin †, actualisé par Daniel
Landry
MAJEURS PROTÉGÉS
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L’émergence de la catégorie des actions en
justice strictement personnelles du majeur
protégé
L’appel d’une décision du juge des enfants qui restreint l’exercice de l’autorité parentale
d’un majeur protégé constitue un acte strictement personnel que celui-ci peut accomplir
sans assistance ni représentation.
droit de visite à exercer dans les
locaux de l’ASE. La mère ayant
interjeté appel de ce jugement
sans être représentée par son
Cet arrêt a vocation sans
tuteur, les juges du fond la déclaconteste à entrer au panthéon
rent irrecevable en son appel au
des grands arrêts de la jurisprumotif que « l’exercice d’une voie
dence relative au droit des perde recours ne peut s’analyser ni
sonnes protégées. Il consacre,
NATHALIE PETERKA, comme un consentement à un
professeur à la faculté
pour la première fois, au visa
acte, ni comme un acte de l’aude droit Paris-Est
de l’article 458 du Code civil,
torité parentale et que l’article
(UPEC), directeur du
la notion d’action en justice à
458 ne déroge pas aux disposiDU de mandataire
judiciaire à la
caractère strictement personnel
tions légales prévoyant que la
protection des majeurs,
exclusive de toute assistance ou
personne en tutelle est représendirecteur du M2 droit
représentation du majeur protée en justice par son tuteur ». La
privé des personnes et
des patrimoines
tégé. En l’espèce, l’enfant d’une
Haute juridiction censure ce raifemme sous tutelle est placé, en
sonnement, en énonçant « qu’il
raison des troubles psychiatriques de sa mère, résulte de ce texte que l’appel d’une décision
sous une mesure d’assistance éducative au sein du juge des enfants qui restreint l’exercice des
d’un établissement d’aide sociale à l’enfance. droits de l’autorité parentale d’un majeur proEn 2011, le juge des enfants reconduit le pla- tégé constitue un acte strictement personnel
cement de l’enfant et accorde à sa mère un que celui-ci peut accomplir sans assistance
Cass. 1re civ., 6 nov. 2013,
n° 12-23.766, FS P+B :
JurisData n° 2013-025047
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ni représentation ». Si la solution est fondée
à l’aune de la philosophie irriguant le droit
des majeurs protégés, sa portée mérite d’être
précisée.
La loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 a érigé la
recherche constante de l’équilibre entre, d’une
part, la préservation de la dignité, des libertés
individuelles, des droits fondamentaux ainsi
que de l’autonomie de la personne vulnérable
et, d’autre part, la protection de son intérêt, en
un principe directeur de la protection des majeurs (C. civ., art. 415). Ce souci, qui inonde
l’ensemble de la matière, emporte des conséquences considérables tant sur le terrain de
l’appréciation de l’opportunité de la mesure
de protection, de sa gravité, de son organisation (C. civ., art. 428) que sur celui de sa dévolution (Cass. 1re civ., 5 déc. 2012, n° 11-26.611 :
JurisData n° 2012-028145 ; JCP G 2013, 104,
N. Peterka). Plus encore, il conduit le législateur à forger un véritable droit commun des
mesures de protection, dont le versant extra-
LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 1-2 - 13 JANVIER 2014