JUSTICEADVISOR - La Gazette du Palais
Transcription
JUSTICEADVISOR - La Gazette du Palais
Tr i b une BIENVENUE SUR « JUSTICEADVISOR » 274r4 274r4 V Antoine VEY Avocat au barreau de Paris, ancien secrétaire de la Conférence, Dupond-Moretti, Squillaci & Associés “ Les murs des palais ne sont pas hermétiques aux ondes ” ous aussi cet été, portés par l’esprit d’aventure, vous vous êtes retrouvés en proie à des questions existentielles : où manger ? Que voir ? Où dormir ? Volant à votre secours, le dieu TripAdvisor s’est alors manifesté. À mesure qu’il impose son règne sur la carte touristique, il élimine, tel Sodome et Gomorrhe, tout établissement qui n’est plus référencé, qui n’a pas 5 étoiles, et n’aura donc qu’à subir le sort d’un agriculteur évincé de la grande distribution. La justice s’est toujours crue à l’abri de ces pratiques barbares. Non, nous n’aurions pas de « tweetos » à l’audience ! Non, nous ne noterons pas les juges sur des forums dédiés ! Non, la publicité des avocats ne sera pas une jungle, car tout sera rigoureusement encadré et nous ne nous laisserons pas gouverner par des classements, des référencements, des promotions ! Ce dernier point offre pourtant une preuve manifeste de la fragilité de la volonté face au rouleau des évolutions technologiques. Les murs des palais ne sont pas hermétiques aux ondes, et en matière judiciaire, comme ailleurs, le monde numérique est de moins en moins virtuel. Pour éprouver cette réalité, demandez à un étudiant en droit qui sont les « avocats » qu’il connaît ? Il vous répondra : Me Eolas, Me Mô, (pour ne citer que ceux qui opèrent sous pseudonyme), mais plus rarement Henri Leclerc… Twitter a déjà remplacé les canaux historiques. Ceux qui se sont offerts les services d’une agence « de com » distillent quotidiennement leur message de 140 signes, qu’il s’agisse d’une photo de famille, du délibéré d’une affaire qui ne les concerne pas, ou de leur humeur du moment. Et par la magie du réseau social, la prophétie se réalise. Les « vrais » journalistes identifient alors ces avocats qui deviennent tout à coup des « experts ». On passe du tweet confidentiel à la lumière, d’une présence virtuelle à une notoriété réelle. Et bien évidemment, ce ne sont que les prémices des évolutions à venir. Applications pour smartphone, sites interactifs, robots chercheurs juridiques, tout cela existe déjà et ne pourra être contenu. Gardons espoir cependant, car la technologie ne changera, ni n’effacera l’âme humaine. Quel que soit l’outil, depuis la nuit des temps, les hommes savent déceler s’il est utilisé avec plus ou moins d’art, de charme ou de pudeur. Même si la technique autorise tout, chacun restera cependant libre d’apprécier la valeur, pour un avocat, de réserver un encart publicitaire pour y poster, entre deux promotions pour du jambon ou un sac à main : « Aujourd’hui, à la suite du procès d’assises que je viens de plaider, la mère de l’accusé m’a adressé la plus belle carte de remerciements que j’ai reçue depuis mon serment (…). Je (…) veux partager ces mots avec vous (avec l’accord de la mère) », s’en suit un panégyrique, apparemment rédigé par « la mère », qui débute par : « Votre défense a été extraordinaire, votre professionnalisme exemplaire. Vos plaidoiries étaient passionnantes [NDLR : il y a donc eu plusieurs plaidoiries dans le même procès d’assises], voire « absorbantes » par les mots, ... ». Bref, un commentaire 5 étoiles, que notre avocat se paie sur Facebook. Ce même avocat ayant également le premier référencement Google sur les termes : « meilleur avocat Paris ». Peut-être, dans un futur pas si lointain, JusticeAdvisor encouragera chacun à publier ses photos, à diffuser les lettres qu’il reçoit, à relayer ses propres réussites… Beaucoup iront visiter ces lieux-là, mais espérons que juste à côté, il y aura toujours, pour les autres, des jardins cachés et pas moins couverts de roses. • 274r4 G A Z E T T E D U PA L A I S - m a r d i 1 3 s e p t e m b r e 2 0 1 6 - N O 3 1 3