Mutation du secteur des prestataires logistiques
Transcription
Mutation du secteur des prestataires logistiques
MUTATION DU SECTEUR DES PRESTATAIRES LOGISTIQUES Prise en charge dans le cadre d’une filiale commune de la logistique pièce de rechange de Bull par Tailleur Industrie, externalisation par France Telecom auprès de Danzas d’une partie de la distribution de ses produits grand public vers ses agences, assemblage final et distribution au niveau Europe des imprimantes de Hewlett Packard par Faure et Machet, la logistique s’insère aujourd’hui à part entière dans les stratégies d’entreprise avec une finalité principale : produire du service (délai, fiabilité, disponibilité…). Comme toute activité de production, elle recourt à des moyens que sont les stocks, les entrepôts, les vecteurs de transport et les systèmes d’information et de télécommunication associés qu’elle combine de telle manière à en obtenir un coût de production des services proposés aussi faible que possible. Nous nous proposons de montrer comment le métier de prestataire logistique devient un élément de réponse dans la construction d’un modèle de fonctionnement rénové de la logistique basé sur une plus grande intégration fonctionnelle, sectorielle et géographique de la gestion des flux. Puis nous verrons autour de quels métiers se structurent le développement du secteur économique de la prestation logistique. Enfin, nous chercherons à expliciter comment les entreprises françaises de ce secteur sont susceptibles d’évoluer dans les années à venir. Le prestataire logistique : acteur dans le deploiement du modèle de logistique globale Pour assurer dans des conditions satisfaisantes sa contribution à la création de valeur pour le client, la logistique doit pouvoir s’adapter rapidement à un contexte changeant qui rend les solutions qu’elle déploie rapidement obsolètes. Les stratégies industrielles de délocalisation, d’usines nomades ou de spécialisation des unités de production transforment la nature et la stabilité des flux amont liés aux approvisionnements et à l’industriel. Quant aux stratégies de distribution marquées par l’internationalisation des distributeurs ou par l’intégration de la logistique comme facteur de négociation dans les achats des clients, elles modifient substantiellement les contraintes sur les flux aval. A la fois déstabilisée par l’amont et par l’aval, la logistique doit ainsi trouver un nouveau modèle pour bâtir sa logique de fonctionnement. Ce modèle repose sur une triple recherche. Tout d’abord, la recherche d’une meilleure intégration fonctionnelle de la gestion des flux et de la conception des systèmes qui les traite. La logistique si elle est sous certains aspects une fonction de spécialistes ne doit pas moins être une fonction partagée. Les gisements de productivité logistique se trouvent principalement dans une plus grande appropriation de la dimension flux par des fonctions telles que la recherche et le développement, le marketing, le commercial ou les achats. L’intégration sectorielle représente le second axe sur lequel la logistique se refonde. L’efficacité en matière de gestion des flux dépasse les seules frontières d’une entreprise. Elle est conditionnée par une vision plus globale des flux qui comprend non seulement les différentes fonctions de l’entreprise mais également les logiques retenues en matière de réseau logistique et de flux par les fournisseurs, les distributeurs et par les clients. Les systèmes logistiques se bâtissent donc à partir d’une étude de l’ensemble de la chaîne logistique, transverse à un ensemble d’entreprises impliquées sur la circulation d’un produit et de ses composants associés : c’est la logique de mise en œuvre de la Supply Chain. Enfin, la recherche d’une meilleure intégration géographique représente le troisième axe du modèle de logistique globale. La productivité des opérations conduit à mettre en œuvre des réseaux 1 logistiques qui dépassent les seules frontières nationales. Ils sont conçus et exploités pour un espace qui recouvre plusieurs pays, voire un continent ou le monde dans son ensemble. Dans ce contexte, la logistique n’est plus seulement confrontée à un problème de gestion en juste-à-temps des flux physiques mais avant tout à un problème de reconception en juste-àtemps des systèmes logistiques. Cette aptitude à l’adaptation en temps réel des systèmes logistiques est l’enjeu majeur de l’efficacité logistique dans la durée. Pour y parvenir, la logistique doit s’appuyer sur des composantes de base qui lui permettent, en les associant, de trouver un modèle plus flexible et plus évolutif. Les entreprises de prestation logistique sont l’une des ressources nouvelles qui s’offrent aux logisticiens pour construire des solutions plus rapidement adaptables. Développement du secteur économique de la prestation logistique Autour de ce métier récent de la prestation logistique, un secteur économique nouveau s’est créé pour prendre en charge les opérations logistiques des producteurs et des distributeurs. En Europe, pour des coûts associés aux opérations logistiques évalués à près de 715 milliards de francs, le marché de la prestation logistique représente actuellement 180 milliards. Ce marché se développe tant en Europe qu’aux Etats-Unis. Ryder ou Catterpillar LS sont des entreprises américaines qui tentent actuellement un développement sur l’Europe. Mais en Grande-Bretagne, Ocean, NFC avec sa filiale Exel Logistics, Hays, Tibbet & Britain, en France, Geodis Logistics, la CAT, Faure et Machet, ou en Italie avec Technologistica, les entreprises se développant sur ce créneau connaissent des taux de croissance de 5 à 10% par an. L’attraction vers les métiers de la prestation logistique se constate non seulement dans le secteur du transport routier mais également dans le secteur du transport ferré, du transport express aérien ou des services postaux. Publitrans, filiale de La Poste réalise ainsi dans la prestation logistique près de 400 MF. TNT, filiale de la poste hollandaise, a développé une activité logistique, TNT Logistics qui assure par exemple en Europe la distribution des pièces de rechange pour Fiat ou, en Grande-Bretagne la distribution des pneumatiques pour Michelin. De même, DHL dispose maintenant à Bruxelles d’un European Logistics Center (ELC) pour répondre aux attentes logistiques de ses clients. Enfin, Norbert Dentressangle entreprise bien identifiée dans le secteur du transport routier, réalise aujourd’hui près de 25% de son chiffre d’affaires (4,2 milliards de francs prévus en 1998) dans la prestation logistique après ses rachats successifs d’UTL et de Confluent. Cette essor représente une opportunité pour les métiers classiques du transport et de l’entreposage qui se segmentent sous la pression de l’évolution des entreprises vers une logistique globale. A partir de leur métier de base, certains opérateurs traditionnels de la logistique développent une offre de services à plus forte valeur ajoutée que celle qu'ils avaient traditionnellement l’habitude de proposer. Pour le compte de leurs clients, ils transportent, ils stockent, ils préparent des commandes, mais ils sont de plus en plus fréquemment amenés à jouer un rôle d’intégrateur dans le process logistique entre le producteur et le distributeur en maîtrisant une partie du flux d’information circulant à l’interface des secteurs. De plus, ils prennent en charge des opérations de production que ni le producteur ni le distributeur ne souhaitent traiter directement. Ce sont les opérations de post et de pré-manufacturing qui consistent à relocaliser une fraction des opérations de production en dehors des sites industriels vers des infrastructures de traitement de flux (plate-forme, entrepôt), voire des implantations commerciales. Les opérations d’assemblage de sousensembles en amont des usines pour limiter le foisonnement de références en 2 approvisionnement représentent les opérations de pré-manufacturing. Les opérations de différenciation retardée réalisée en aval des usines pour adapter les produits aux besoins spécifiques des clients constituent les opérations de post-manufacturing. Le verre optique minéral en est un bon exemple. En dehors des produits de cœur de gamme, les verres sont usinés en grande série sur leur face convexe dans des usines spécialisées, souvent délocalisées, puis stockés par pays dans des entrepôts. En fonction des commandes des opticiens, la face concave est usinée dans des ateliers de prescription au sein des entrepôts. Et c’est dans le magasin de l’opticien que la dernière opération de post-manufacturing se déroule, lorsqu’il y a découpe du verre à la forme des montures. Les opérations de production se déroulant dans les entrepôts sont ainsi nombreuses : adaptation de produits microinformatiques aux spécificités pays (countrification), emballage de produits promotionnels de grande consommation (co-packing), assemblage final …C’est pourquoi, le mode de gestion d’un entrepôt tend à se rapprocher du mode de gestion d’une usine. Dès lors, le problème d’un entrepôt est moins de gérer des emplacements de stockage que de combiner cette gestion des emplacements avec une gestion de flux soit de production, soit de transit. Construire une offre homogène au niveau européen : axe de développement des entreprises du secteur Si le prestataire logistique était vu dans un passé récent comme un sous-traitant, il est en passe d’apparaître comme un véritable équipementier logistique au service des producteurs et des distributeurs. Les opérations qui lui sont confiées s’accroissent en taille et en complexité. La prestation logistique nécessite aujourd’hui une capacité d’intégration affirmée pour pouvoir répondre à des demandes qui dépassent les seules frontières des territoires nationaux. Ainsi, tout récemment, IBM a annoncé avoir confié une grande partie de sa distribution en Europe à deux prestataires logistiques. Géodis Logistics prend en charge l’ensemble des opérations logistiques de distribution (stockage transport, préparation des produits , retour…) en France, Allemagne et Italie et Tibbet & Britain qui opèrera sur la Grande-Bretagne. Le contrat pour Geodis Logistics représente un chiffre d’affaires de 5 milliards sur 5 ans. Le secteur va donc être naturellement amené à se segmenter, toutes les entreprises ne pouvant pas se destiner à opérer des contrats de cette taille. Les entreprises leaders vont se confronter au niveau européen sur des contrats dont l’exemple IBM n’est vraisemblablement qu’une première concrétisation. L’enjeu pour ces prestataires logistiques est dès lors de constituer avant tout une offre de services qui permettent de couvrir de manière homogène l’Europe. Pour des engagements de service de l’ordre de 24h à 48h, les alternatives en matière de distribution européenne peuvent être schématisées de la manière suivante. Pour les produits à forte valeur et forte marge pouvant supporter la structure tarifaire actuelle des transports express, un système d’entrepôt multi-pays est envisageable si tant est que la gamme des produits ait été préalablement harmonisée. Pour les produits à plus faible valeur ne pouvant pas supporter le coût des transports express, une entrepôt multi-pays est envisageable, livrant en cross-docking des plates-formes nationales qui sont des infrastructures de groupage-dégroupage qui ne gèrent pas de stock. Celles-ci assurent alors la distribution capillaire terminale avec les moyens de transport nationaux habituels. Toutefois, cette solution allonge le délai de la durée de transit par la plate-forme d’éclatement national. Enfin, reste la solution traditionnelle d’implantation d’entrepôts à chaque niveau national. Industriels et distributeurs, dans leur logique d’intégration géographique de la logistique sont amenés à réfléchir sur la constitution de réseau européen. Il reste à réaliser ce maillage par les prestataires s’ils souhaitent apporter une réponse en dehors de leur marché national historique. Leur capacité à le construire par 3 croissance externe ou par alliance reste à mesurer. En effet, le marché de la prestation logistique est encore structuré principalement à un échelon national et la constitution des réseaux est à opérer. En dehors d’entrants potentiels sur le marché, par exemple les américains Reyder ou Catterpilar LS, des entreprises de trois pays (France, Grande-Bretagne et Hollande) peuvent postuler à la création rapide de ces réseaux. Cependant, quand les 20 premiers groupes français qui opèrent sur ce secteur en partie ou en totalité réalisent un chiffre d’affaires de 12 milliards de francs, dans le même temps, les 10 premiers groupes anglais représentent un chiffre d’affaires cumulé de 36 milliards avec une bien meilleure rentabilité. De plus, ces entreprise sont pour la plupart adossées à de grands groupes opérant plus largement dans le secteur des services. C’est ainsi qu’un premier signe en France d’une opération majeure de développement d’un prestataire logistique étranger est le rachat par Hays de France Distribution Système (FDS), il y a près d’un an à l’australien Maynes Nickless. Ce rachat d’un prestataire plus particulièrement spécialisé dans la logistique des produits de grande distribution permet à Hays de constituer son pôle français qui doit maintenant peser plus de 3 milliards de francs de chiffre d’affaires, talonnant ainsi le leader français Geodis Logistics. ** * Le secteur de la prestation logistique en France, s’il fait partie des plus mûrs en Europe reste cependant encore en partie à structurer et à concentrer. L’assez grand nombre d’entreprises indépendantes de taille moyenne, l’existence d’entreprise très professionnelle à reprendre (Stockalliance), l’existence d’entreprise dont le développement peut se trouver limiter par une structure capitalistique exclusivement familiale (Faure et Machet) présentent des opportunités de rachats ou d’alliances tant pour des groupes étrangers que pour des entreprises françaises. Nul doute que si les 18 derniers mois ont fourni des cas nombreux de rapprochement, les mois à venir devraient apporter des transformation profondes de ce secteur dans un perspective au moins européenne. ** * Présentation de l’auteur : Philippe-Pierre Dornier (Ingénieur civil des Mines de Nancy, ESSEC, DEA de l’Ecole Centrale de Paris, Doctorat de l’Ecole des Mines de Paris, Auditeur de l’IHEDN) est professeur à l’ESSEC au département logistique et production. Il a développé pendant 7 ans le Mastère Spécialisé en Management et Ingénierie Logistique et a créé l’Institut des Hautes Etudes Logistiques (IHEL). Il a occupé pendant 4 ans la direction des 3èmes cycles et depuis 1996 la direction de l’ESSEC-IMD. Il est l’auteur de « Plein flux sur l’entreprise » (Nathan), « La logistique de l’écrit » (Natan), et co-auteur de « Global operations and logistics » (John Wiley & Sons). 4