autour du monde 19 - Réunionnais du Monde
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autour du monde 19 - Réunionnais du Monde
19 > AUTOUR DU MONDE Le Quotidien de la Réunion - dimanche 02/01/11 Rodolphe : « Une immense porte en bois qui s’ouvre lentement sur mon destin. L’odeur des jasmins qui s’élève et me transporte. Puis, cette majestueuse robe rouge et ocre : Matthieu Ricard sourit et me tend les bras, comme pour accueillir l’un des siens. » précier, avec une totale attention, chaque seconde. C’est une immersion totale, une expérience de pleine conscience des sons, des formes et des sensations. C’est un peu comme une méditation. Pour la photo, c’est un peu mon hobby... Je sais qu’il y a un petit côté louche là-dedans ! Mais je suis tellement heureux de pouvoir partager. J’ai fait un livre sur mon ermitage qui s’intitule : « L’Himalaya vu d’un ermitage ». Je suis très heureux que ce livre existe. Mais là encore, lorsque je suis dans la pratique, c’est une distraction supplémentaire, aussi infime soit-elle. Aussi, lorsque le matin ou le soir il y a, pendant cinq petites minutes, cette lumière si magique, il faut que je tire la photo tout de suite. Après, c’est déjà trop tard. Même si Cartier-Bresson a eu la gentillesse d’écrire “ La vie spirituelle de Matthieu et son appareil de photo ne font qu’un, de la surgissent ces images fugitives et éternelles ”, je sais que cela reste quand même une forme de distraction... Mais je suis heureux de le faire, alors je continue ! – Une dernière question, Matthieu Ricard : connaissezvous l’île de La Réunion ? – Non, malheureusement ! Même si j’en ai beaucoup entendu parler, parce que je suis passionné par la nature... – Venez ! Nous vous accueillerons les bras ouverts ! – (Il réfléchit un court instant et son regard s’envole au loin) Je voyage déjà tellement... Et mon ermitage me manque tant... » À cet instant précis, je suis comme transporté sur un superbe chemin : celui de la paix du cœur et de la clarté de l’esprit, un état que je transcende plus volontiers lors de mes méditations... Tout est pourtant si simple ! Pourquoi déployons-nous tant d’efforts à resserrer les chaînes qui nous lient à la souffrance et au malheur ? C’est une véritable révolution qu’il nous faut engager – une révolution spirituelle ! – pour qu’enfin ce monde devienne meilleur. Gandhi a dit : « Nous devons être le changement que nous voulons voir dans le monde. » Tournons notre regard vers l’intérieur et faisons juste le pas... « L’homme le plus heureux du monde » ? – Rodolphe Sinimale : Matthieu Ricard, d’aucuns vous considèrent comme « l’homme le plus heureux au monde »... – Matthieu Ricard : Toute cette histoire est partie d’un projet scientifique sur la question du bonheur, menée par la télévision australienne ABC et portant sur les effets de la méditation – et notamment ses implications sur les ondes Gamma. Une équipe est alors venue me rencontrer au Népal. Dans ce documentaire, on pouvait entendre le commentateur dire : « Voici peut-être l’homme le plus heureux du monde ». Puis, trois ans plus tard, un journaliste anglais du « Independant » titre, en première page : « Matthieu Ricard, l’homme le plus heureux du monde », appuyant son article sur une interview et sur les résultats de recherches dans le domaine des neurosciences à laquelle j’avais participé durant plusieurs années. Celle-ci montrait que le cerveau de méditant qui s’engagent dans des pratiques contempla- tives axées sur la compassion voyaient certaines zones cérébrales être activées sur des magnitudes encore jamais découvertes auparavant, zones liées notamment au bien-être et aux émotions positives. Et de tous les participants, c’est moi qui avait les résultats les plus significatifs. Et c’est tout ! « Évidemment, tout cela n’a aucun sens » Peu après, tout s’est enchaîné et l’histoire s’est propagée, hors de contrôle ! Évidemment, tout cela n’a aucun sens, en tout cas scientifiquement : il y a 6 milliards d’êtres humains sur Terre ! Mais, c’est vrai, il vaut mieux cela que d’être qualifié de son contraire – « Matthieu Ricard, l’homme le plus malheureux du monde ! » (Il se met à sourire). – Le Bouddha citait souvent la souffrance comme étant intrinsèquement liée à notre nature même d’êtres humains. Quelle est alors la place du bonheur dans le bouddhisme ? – Le bouddhisme s’interroge fondamentalement sur les mé- canismes de la souffrance ET du bonheur. Par conséquent, tout pratiquant est amené à réfléchir sincèrement et profondément sur ces deux sujets. Il est amené à étudier son propre esprit et ainsi à en éliminer les conditions du mal-être – l’ignorance, la colère, le désir égoïste – et cultiver sincèrement celles de l’épanouissement – la sagesse, la compassion, et l’altruisme – qui toutes ensemble constituent les bases du bonheur authentique. Nous pouvons certes nous distraire de multiples façons pour oublier les aspects insatisfaisants de l’existence, ou les masquer sous toutes sortes de déguisements attrayants – activités incessantes, flot d’expériences sensorielles, poursuite de la richesse, du pouvoir et de la renommée – mais la réalité finira toujours par refaire surface avec son lot de souffrances. Il vaut donc mieux regarder cette réalité en face et se décider à déraciner les véritables causes du malheur tout en cultivant celles du bonheur authentique. « Il vaut mieux cela que d’être qualifié de son contraire – “ Matthieu Ricard, l’homme le plus malheureux du monde ! ”»