interet de l`exploration neurophysiologique

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interet de l`exploration neurophysiologique
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INTERET DE L’EXPLORATION NEUROPHYSIOLOGIQUE
EN PSYCHIATRIE CLINIQUE
INTEREST OF NEUROPHYSIOLOGICAL EXPLORATION IN CLINICAL
PSYCHIATRY
Martine TIMSIT-BERTHIER
19 BAU ROUGE
CARQUEIRANNE
FRANCE. 83320
[email protected]
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Résumé :
INTERET DE L’EXPLORATION NEUROPHYSIOLOGIQUE EN PSYCHIATRIE
CLINIQUE
Cet article a pour but de montrer l’intérêt de l’exploration fonctionnelle
cérébrale par l’intermédiaire des “ Potentiels en relation avec les évènements ” (ERPs)
en clinique psychiatrique. Cet intérêt se manifeste dans deux domaines préférentiels, 1)
celui de la prescription médicamenteuse et 2) celui de la description et de la
compréhension des troubles cognitifs.
1) De nombreuses données expérimentales ont montré que l’amplitude des ERPs
(P300 et VCN) de même que la courbe de réponse de la composante auditive N1/P2 en
fonction de l’intensité de la stimulation (LDAEP) sont modulées par certains des
systèmes neurochimiques sur lesquels agissent les psychotopes. Leur analyse apporte
ainsi des informations sur la réactivité des récepteurs cathécholaminergiques et
sérotoninergiques et permet de prévoir des intolérances médicamenteuse et des
réactivités préferentielles.
Par ailleurs, l’étude descriptive conjointe des amplitudes, latences et durée de la
MMN, de la P300 et de la VCN apporte des informations sur les capacités d’autoorganisation et d’autorégulation du système cérébral et aide à la description et à la
compréhension des troubles cognitifs.
En revanche, l’exploration neurophysiologique par les ERPs ne peut constituer le
fondement du diagnostic psychiatrique qui relève de nombreux facteurs socioculturels
et psychologiques.
Mots clés : Potentiels en relation avec les évènements (ERPs). Psychiatrie clinique. Nosologie
psychiatrique. Psychoropes. Auto-organisation céébrale.
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Summary
INTEREST OF NEUROPHYSIOLOGICAL EXPLORATION IN CLINICAL
PSYCHIATRY
The aim of this paper is to show the usefulness of the Event Related Potentials
(ERPs) in clinical psychiatry. Indeed, ERPs are promising tools in two different domains
1) that of psychotrops intervention and 2) that of cognitive symptomatology description and
understanding.
1) Converging arrguments from experimental studies supported the hypotheses that
the amplitude of P300 an CNV as well as the loudness dependence of the auditory N1/P2
response (LDAEP) are regulated by the level of central catecholaminergic and.serotoninergic
neurotransmission, which are the target of pharmacotherapeutic interventions. So, their
analysis is apt to bring reliable indicators to predict favourable response to psychotrops and
drug intolerance.
Moreover the description of MMN, P300 and VCN, jointly recorded in a single
functional exploration, bring information about the self-organizarion and self-regulation of
cerebral functioning and might help the clinicicans to understand the functionnal meaning of
cognitive disorders..
In return, ERPs are inapt to determine the psyhciatric diagnosis that is related to
numerous cultural and psychological factors.
Key words : ERPs, Clinical psychiatry, Psychiatric nosology, Psychotrops, Cerebral selforganization.
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1) INTRODUCTION
Dans un ouvrage consacré aux potentiels cognitifs en psychiatrie (1), j’avais
invité les psychiatres à s’intéresser davantage à l’exploration fonctionnelle cérébrale
tout en défendant l’idée que cette exploration fonctionnelle était de peu d’utilité pour
poser un diagnostic psychiatrique.
Certains neurologues ont exprimé leur désaccord concernant cette philosophie et
ont proposé une thèse alternative qui consisterait à fonder la nosologie psychiatrique sur
des bases neurophysiologiques.
Il s’agit là d’un problème dont j’ai souhaité débattre pour plusieurs raisons. Tout
d’abord parce qu’il soulève de nombreuses questions théoriques et pratiques qui
méritent réflexions et discussions. Mais aussi parce que je pense que seul un débat loyal
à ce sujet pourrait mettre fin au désintérêt des psychiatres vis-à-vis de la
neurophysiologie clinique. En témoigne l’absence de toute référence à notre discipline
dans les quatorze chapitres du livre blanc de la psychiatrie, élaborés pendant plusieurs
mois par 160 psychiatres et présenté en mars 2002.
Dans ce travail, je me réfèrerai uniquement à l’exploration fonctionnelle de
l’adulte à l’aide des potentiels en relations avec les évènements (ERPs). Il s’agit là d’un
examen non invasif, facile à réaliser et qui peut être renouvelé sans danger pour le
patient. Il apporte des informations sur les ERPs, phénomènes complexes dont l’intérêt
en psychiatrie provient du fait qu’ils sont susceptibles d’être modifiés à la fois par des
facteurs neurobiologiques et des facteurs psychologiques.
Le problème dont nous voulons aborder est celui de leur intérêt dans le domaine
de la psychiatrie clinique qui, à notre avis, ne réside pas au niveau de la démarche
diagnostique mais plutôt en amont et en aval de celle-ci, c’est à dire au niveau de la
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description sémiologique qu’elle peut enrichir et au niveau de la prescription
médicamenteuse.
2) PROBLEMES SOULEVÉS PAR LE DIAGNOSTIC EN PSYCHIATRIE :
En psychiatrie, tout comme dans les autres branches de la médecine, le
diagnostic est un acte indispensable dont il n’est guère possible de faire l’économie pour
des raisons pratiques, théoriques et pédagogiques. Il s’agit, d’après le dictionnaire
Robert “ d’identifier la présence d’une maladie d’après l’existence de symptômes
particuliers ”. Cet acte comprend trois étapes. La première est de l’ordre du jugement et
consiste à affirmer qu’il existe bien une “ pathologie ”, la deuxième consiste en une
description de la symptomatologie, et le troisième est de l’ordre d’un choix décisionnel
et réside en une démarche de classification en référence à une nosologie.
En médecine, poser un diagnostic consiste le plus souvent non seulement à
reconnaître une maladie à partir des symptômes du patient mais aussi à en déterminer
les facteurs étiologiques et à envisager une orientation thérapeutique et un pronostic.
Les
problèmes posés par diagnostic psychiatriques sont beaucoup plus
complexes. Tout d’abord, la simple différentiation entre le “ normal ” et le
“ pathologique ” constitue déjà un problème difficile à résoudre, et a suscité de
nombreuses réflexions épistémologiques (2, 3). Comme le souligne P. Belzeaux (4)
“ serait bien niais et dangereux celui qui passerait outre ce débat, car il jugerait et
soignerait des individus sans comprendre pourquoi il le fait, au nom de quoi il le fait,
c’est-à-dire par rapport à quelle norme il le fait ”. Sur le plan théorique, il s’agit de bien
faire la différence entre d’une part la “ pathologie ” qui renvoie à un jugement de
valeur, qualitatif, en relation avec la souffrance donc avec la subjectivité et d’autre part,
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l’anormalité et la déviance, concepts élaborés par rapport à une norme, fixée de façon
statistique dans un contexte socioculturel donné (3). D’un point de vue pratique, ce
jugement est parfois délicat à effectuer lorsqu’on est confronté à des sujets jeunes ou à
de personnes de culture différente qui rejettent les normes sociales.
Par ailleurs le choix d’une catégorie nosologique est rendu difficile par la
multiplicité, l’hétérogénéité et la variabilité des discours classificatoires élaborés depuis
deux siècles en psychiatrie. Or, un système nosologique doit posséder deux qualités
essentielles : la fiabilité et la validité (5). Certes, depuis une quarantaine d’années, à
l’initiative de l’Organisation Mondiale de la santé et de l’association américaine de
psychiatrie, plusieurs méthodes de diagnostic standardisées se sont développées. Elles
impliquent non seulement des entretiens standardisés mais aussi une définition précise
des symptômes et de leurs règles exactes de classification, et elles ont permis d’aboutir
à un certain consensus entre les divers chercheurs. (ICD-10., DSM IV). Il est cependant
légitime de s’interroger sur la valeur du diagnostic psychiatrique ainsi posé.
Pour répondre à cette question, on peut suivre les propositions de L. J
CRONBACH and P. E. MEEL (6) et soumettre le diagnostic psychiatrique à quatre
types de validation différente : la validité de consensus, de concordance, de construction
théorique et de prédiction.
Certes, la validité de consensus, qui consiste à ce qu’une appellation
diagnostique ait le même sens pour tout le monde, a été améliorée par la standardisation
de l’examen psychiatrique et l’effort de définition des symptômes. (7 et 8). Mais elle est
loin d’atteindre le niveau qu’elle présente dans les autres branches de la médecine. Par
ailleurs, il faut se garder de l’illusion que le tableau clinique est indépendant des
conditions d’examen et de l’examinateur. En psychiatrie, en effet, on ne possède comme
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données cliniques que les expériences subjectives du patient et les renseignements,
subjectifs également, apportés par son entourage. La symptomatologie s’exprime
essentiellement à travers l’interaction médecin malade. Et tel symptôme, tel épisode de
la vie sera confié à un clinicien privilégié et dissimulé à un autre.
La validité de concordance qui consiste à voir si, en utilisant plusieurs systèmes
diagnostiques, le même diagnostic est porté, n’est pas non plus retrouvée en psychiatrie
clinique, car malgré l’existence de systèmes diagnostiques standardisés, le
regroupement des informations recueillies se fait, en pratique, de façon différente selon
le corpus théorique dans lequel le clinicien s’inscrit (psychobiologique, systémique,
psychanalytique, cognitivo-comportemental).
La validité de “ construction ” , c’est-à-dire la solidité des bases théoriques sur
lesquelles s’appuie la définition des catégories nosologiques, est particulièrement
pauvre dans les systèmes diagnostics standardisés. En effet, la description des
symptômes et des classes diagnostiques se veut “ a-théorique ”. Les différents
symptômes sont considérés comme équivalents, ce qui est contraire à toute sémiologie
médicale et aucune tentative de compréhension des entités nosologiques n’est
entreprise. Cette position est paradoxale car, habituellement, toute classification
suppose une théorie des évènements classifiés. Elle s’est construite en réaction aux
systèmes nosologiques qui l’ont précédée et qui ont tenté de fonder les différenciations
cliniques sur des hypothèses pathogéniques, non partagés par l’ensemble des
psychiatres.
Très schématiquement, deux ordres de classification “ théorique ” rivalisent.
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Dans le premier, où l’organogenèse est privilégiée, on considère que les
symptômes sont neutres, qu’ils n’ont pas de sens et qu’ils traduisent directement les
perturbations du fonctionnement cérébral. Le problème est de définir avec le plus de
précision possible les relations entre les troubles du comportement et de la pensée et les
anomalies neurobiologiques. En témoignent par exemple les tentatives de
démembrement de la schizophrénie en sous-groupes possédant chacun une spécificité
anatomique (9 et 10). En témoigne également la tentative “ transnosographique ” de
regrouper différents symptômes en fonction de critères neurobiologiques (11, 12 et 13).
Ainsi, le déficit affectif et émotionnel, qu’il soit observé dans la schizophrénie, dans
certains cas de dépression et chez des patients souffrant de maladie de Parkinson serait à
mettre en relation avec un hypofonctionnement du système dopaminergique. Des
difficultés de contrôle et l’impulsivité, qu’elle soit rencontrée chez des déprimés avec
propension au suicide, chez des alcooliques, des boulimiques ou des sujets présentant
des conduites antisociales serait considéré comme la traduction d’un dysfonctionnement
du système sérotoninergique.
Dans le second type de classification, où la psychogenèse est privilégiée, on
considère que les symptômes ne sont pas neutres mais qu’ils sont porteurs d’un sens,
d’une signification, qui varient en fonction de l’histoire individuelle et du contexte
culturel. Ils peuvent traduire directement l’existence de conflits affectifs qui trouvent
leur racine dans l’histoire du sujet (14 et 15). Ils peuvent aussi exprimer une tentative
d’adaptation en relation avec le contexte familial et socioculturel. En témoignent par
exemple les cauchemars des états de stress post-traumatiques (PTSD) et des deuils, dont
peuvent se plaindre, en occident, des victimes d’une agression, qui y voient une entrave
à leur confort, mais dont se peuvent se féliciter des personnes évoluant dans une autre
culture, qui y voit le maintien d’un lien avec des parents décédés (16). En témoignent
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également les nouveaux découpages de la psychiatrie opérée à partir d'observation des
“ Sans abris ”, avec l’apparition de nouvelles interprétations de la dépression et de
l’apragmatisme se référant au concept psychosocial de “ désaffiliation ” et de souffrance
psychique (17 et 18).
Le diagnostic psychiatrique ne possède pas, non plus, une bonne validité prédictive
c’est-à-dire qu’il ne permet pas de prédire avec précision la succession temporelle des
différents épisodes psychopathologiques et le retour éventuel à la normale. Certes,
E.KRAEPELIN (19) qui fut le constructeur le plus éminent de la nosographie
psychiatrique a fondé sa catégorisation sur des critères évolutifs et il ne reconnaît la
spécificité d’une maladie que par “ le sceau uniforme de son état terminal ” s’intéressant
donc plus au futur cadavre qu’au malade vivant pour lequel il semblait ne pas avoir
beaucoup d’empathie. Ne déclarait-il pas que “ l’ignorance de la langue du malade est
en médecine mentale une excellente condition d’observation ” !
Nous n’en sommes plus là, et les évolutions des maladies psychiatriques se sont
modifiées rapidement depuis cinquante ans grâce tout d’abord à l’introduction des
molécules psychotropes et des prises en charge psychothérapeutiques et plus
récemment, du fait de la généralisation des conduites addictives. Dans tous les cas, le
patient “ construit ” sa maladie avec son médecin, son entourage et son environnement
social. Ses capacités de changement dépendent des modalités de prise en charge sociale
familiale et psychopharmacologique qui peuvent accélérer ou ralentir le processus
morbide. Par exemple, en Occident, la “ psychose naissante ” évolue d’autant plus
favorablement que les prise en charge psychothérapeutiques et le traitement
neuroleptique est précoces (20 et 21). Le nombre des rechutes dépend, en partie, de la
quantité et de l’intensité de l’expression des émotions dans la famille (22). Et, dans tous
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les cas, son pronostic est plus mauvais en Occident que dans les pays en voie de
développement (23 et 24).
Au total,, il faut bien reconnaître que le diagnostic psychiatrique ne répond à aucun des
critères que nous venons d’évoquer (25). Certes, il présente cependant une certaine
utilité à la pratique psychiatrique mais à condition d’être considéré comme une simple
hypothèse de travail, toujours susceptible de se modifier en fonction du contexte et de la
prise en charge thérapeutique. Et les travaux récents concernant capacité des cellules et
des circuits nerveux à se remodeler perpétuellement en fonction de l’expérience
constituent un argument contre une position trop fixiste.
3)
LIMITES
DE
l’APPROCHE
NEUROPHYSIOLOGIQUE
EN
PSYCHIATRIE
Devant de telles difficultés, il est tentant de privilégier des méthodes
neurobiologiques pour fonder le diagnostic psychiatrique et en particulier d’avoir
recours à la neurophysiologie qui étudie en temps réel le fonctionnement cérébral. On
pourrait espérer dévoiler ainsi des certitudes derrière le désordre des apparences, se
délivrer du flou de l’intersubjectivité et fonder, enfin, une nouvelle nosologie
psychiatrique sur des bases objectives.
Le problème de l’évaluation, si cher au cœur des administratifs, trouverait
ainsi un fondement objectif. Un “ marqueur ” simple et objectif d’une maladie bien
spécifique pourrait lever les doutes sur le coût de la prise en charge efficace des malades
mentaux. Certains malades “ marqués ” seraient considérés comme des handicapés,
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relevant du champ médico-social, d’autres pourraient être pris en charge dans des
institutions de soins.
Une telle “ neurophysiologie diagnostique ” apporterait le critère de validité
externe qui fait si cruellement défaut au diagnostic psychiatrique avec comme
perspective la “ déconstruction ” de la nosologie psychiatrique actuelle et la
reconstruction d’une nosologie neurophsyio-psychiatrique, sur un modèle biologique
des maladies mentales.
Un tel point de vue n’est pas soutenu par les résultats expérimentaux. Tous ont
montré, en effet, que les anomalies des ERPs rencontrées chez les malades
psychiatriques ne sont pas spécifiques d’une maladie bien définie (26, 27, 28, 29, 30).
De plus il soulève de nombreux problèmes à la fois théoriques, méthodologiques et
éthiques.
1) Problèmes théoriques
La neurophysiologie et la psychiatrie sont des disciplines qui sont loin d’être
homogènes. Chacune d’elle a sa propre histoire, sa propre maturité méthodologique, son
objet et son référentiel.
Même si le mot de psychiatrie n’a été qu’inventé qu’au XVIII° siècle, l’intérêt
pour la folie a eu sa place dans le champ médical dès l’Antiquité et n’a cessé de
provoquer débats et réflexions (31). En revanche, la neurophysiologie est une science
jeune qui s’est développée depuis un siècle à peine (32), et son essor dans le domaine
qui intéresse la psychiatrie remonte à 1964, date de la découverte de la VCN par Grey
Walter (33). Et, il y a un danger de mesurer à la dernière théorie scientifique apparue la
validité de celles qui l’ont précédée. Comme le dit très bien Ganguilhem (3)
“ l’antériorité chronologique ne saurait être une infériorité logique ”.
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L’objet d’étude de la neurophysiologie est constitué de phénomènes obtenus, dans le
cadre de protocoles expérimentaux bien définis, grâce à des appareils techniques
sophistiqués et son but est une meilleure connaissance du fonctionnement du cerveau.
Son exigence est celle de tout savoir scientifique : la neurophysiologie, tout comme
l’ensemble des neurosciences cognitives, se développe de façon autonome, c’est-à-dire
qu'elle ne répond qu'aux questions qu'elle est amenée à se poser ; elle propose des
énoncés vrais, à visée universelle, formulés de façon précise sous forme de lois et en
apporte des preuves grâce à la mesure et à la quantification (34). Les connaissances
ainsi obtenues peuvent se cumuler (35).
En revanche, la psychiatrie, branche de la médecine, a des difficultés à
construire son objet car la maladie psychiatrique, où interfèrent de multiples facteurs
biologiques, psychologiques et sociaux, est un objet complexe qui varie non seulement
en fonction des points de vue mais également en fonction du temps. Et les exigences de
la psychiatrie sont bien différentes de celles de la neurophysiologie. En effet, pour
assurer la prise en charge thérapeutique d’un malade mental, les psychiatres doivent
accepter la diversité des subjectivités, attacher de la valeur aux témoignages singuliers
et prendre une décision non pas en fonction de ce qui est “ vrai ” mais de ce qui est
“ bon ” pour chaque individu particulier. Ils doivent argumenter leurs hypothèses
parfois à l'aide de mesures psychologiques quantifiées mais surtout à partir de données
qualitatives constituées par les “ dires ” et les comportements du sujet et leur évolution
sous l’effet de la thérapeutique. Enfin, les divers savoirs psychiatriques ne se cumulent
pas et ne s’ordonnent pas comme dans les sciences exactes, mais ils se chevauchent.
(35).
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Enfin, le référentiel de la neurophysiologie diffère profondément de celui de la
psychiatrie. Ainsi, l’activité neurophysiologique repose sur une logique anatomophysiologique avec une échelle allant du millimètre au centimètre et de la milliseconde
à la minute. Elle apporte ainsi des informations sur la structuration de l’expérience
immédiate. Le référentiel des données psychiatriques repose sur les montages normatifs
de la société en relation avec son niveau socio-économique, sa culture et sa morale,
avec une temporalité se situant à un tout autre niveau que celle de la neurophysiologie.
2° Problèmes méthodologiques
Le chercheur a vis-à-vis de son propre travail une “ responsabilité interne ” et il
se doit d’être rigoureux et de connaître les limites de son savoir (36). Ainsi, l’étude des
maladies psychiatriques par des méthodes neurophysiologiques soulève un grand nombre
de problèmes méthodologiques.
Un des principaux est constitué sans doute par le biais introduit par les
contraintes d’enregistrement qui ciblent des populations psychiatriques bien
particulières. Le malade, en effet, doit être assez calme pour autoriser l’enregistrement,
ce qui exclue l’étude des pathologies aiguës et des patients ayant des problèmes moteurs
(dyskinésies dues aux neuroleptiques, par exemple). Par ailleurs il doit être hospitalisé
dans une structure médicale possédant un centre d’exploration fonctionnelle, ce qui
néglige les populations qui échappent à ce type (“ exclus ” de la société, malades
chroniques séjournant dans des hôpitaux psychiatriques). Or, l’exclusion sociale et la
chronicité sont bien une dimension fondamentale de la réalité psychiatrique dans les
sociétés développées.
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Une deuxième difficulté réside dans la détermination de normes
neurophysiologiques, étape indispensable à toute démarche diagnostique. Une telle
définition de normes nécessite tout d’abord la définition de protocoles expérimentaux
standardisés et la constitution de groupes contrôle. Si l’on prend en considération toute
la diversité socioculturelle trouvée chez les patients et les conditions de vie restrictive
engendrées par la maladie, il serait parfois nécessaire d’enregistrer, dans le groupe
contrôle, des sujets peu scolarisés, des prisonniers, des moines ou les conjoints de
patients hospitalisés. Mais s’agirait alors de population normale ? Et sur quels critères
fonder la normalité ? Par ailleurs, la définition des normes doit aussi tenir compte des
conditions psychologiques au moment de l’enregistrement. Est-il pertinent par exemple
de donner une contribution financière aux sujets de contrôle et de ne pas adopter la
même attitude vis-à-vis des patients ? Je ne connais qu’une seule équipe de recherche
qui systématiquement rétribue les patients schizophrènes qui se soumettent à un examen
neurophysiologique, c’est celle de Constance et l’on peut remarquer que les auteurs ne
retrouvent pas toujours les résultats rapportés dans la littérature (37). Enfin, même
lorsque des protocoles standard sont utilisés, il existe une grande variabilité
interindividuelle des potentiels cognitifs, plus importante cependant pour la VCN (38)
que pour la P300 (39) et cette variabilité est un facteur d’erreur lorsqu’on effectue des
“ grandes moyennes ” afin de dresser en quelque sorte le portrait robot du potentiel
“ normal ”. Le rôle du sexe a été particulièrement négligé dans cette description alors
que, de plus en plus on s’aperçoit que les anomalies neurophysiologiques retrouvées
chez les malades psychiatriques sont différentes chez les hommes et chez les femmes
(40 et 41). Un grand nombre de ces problèmes pourraient trouver une solution si, au lieu
de pratiquer des études transversales sur un grand nombre de sujets (patients et
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contrôle), on effectuait des études longitudinales en prenant chaque sujet comme son
propre contrôle.
Un troisième problème provient des limites conceptuelles qui sont imposées
fréquemment à l’exploration neurophysiologique en psychiatrie. Jusqu’à présent, la
plupart des études neurophysiologiques ont été pratiquées dans le but de mettre en
évidence des anomalies cérébrales chez des patients souffrant de maladies mentales. Et
la découverte de dysfonctionnements ou d’altérations est considérée implicitement
comme la traduction de la cause de la maladie. Or, il me semble légitime de se
demander si la co-présence d’altérations cérébrales et de troubles psychopathologiques
permet de déterminer, a priori, l’ordre dans lequel sont apparues ces anomalies.
Certes, ce sont surtout les effets des modifications cérébrales sur la pensée et le
comportement qui ont été étudiés jusqu’à présent et la neuropsychologie et les
neurosciences ont apporté des arguments irréfutables en faveur de la dépendance étroite
des pensées et des sentiments vis-à-vis de l’activité cérébrale. Ainsi, à un niveau
élémentaire, la stimulation de certaines zones cérébrales provoquent des mouvements,
des impressions perceptives ou des émotions. À un niveau de complexité beaucoup plus
grand, des substances chimiques (hormones, psychotropes) sont capables de modifier
des comportements complexes, la qualité de l’humeur et du vécu. Et, en pathologie, des
lésions ou des décharges épileptiques de certaines zones cérébrales sont susceptibles
d’entraîner de nombreux troubles cognitifs et émotionnels.
Mais il existe aussi des travaux qui montrent que les relations peuvent s’établir dans
l’autre sens, c’est-à-dire que ce qui est de l’ordre de la pensée, de l’intentionnalité, de
l’imagination est susceptible de modifier les activités cérébrales. Ainsi, par des
techniques de biofeedback, un sujet entraîné est capable de modifier ses différents
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rythmes et ses potentiels lents cérébraux, (42, 43 et 44). Et des patients schizophrènes
sont également capables de modifier ses potentiels lents (45). Le fait d’imaginer un
objet évoque une activité cérébrale dans les mêmes sites de traitement que la perception
visuelle (46). De plus, la modification de l’état de conscience par des substances
chimiques (protoxyde d’azote ou amytal sodique par exemple) n’entraîne pas des
modifications comportementales et psychiques similaires chez tous les individus et nous
avons pu montrer à quel point l’écart entre variables comportementales et variables
neurophysiologiques dépendait des conditions de l’expérience (47) et de la personnalité
des sujets (48). Dans le cadre de la pathologie, des évènements vécus comme des
traumatismes affectifs, surtout lorsqu’ils sont subis pendant l’enfance, peuvent induire
des dysfonctionnements au niveau des régions limbiques (49. Inversement des activités
intellectuelles complexes et un investissement affectif intense peuvent maintenir une
activité intellectuelle complexe chez un sujet présentant de graves lésions cérébrales.
C’est pourquoi, il nous semble plus juste, avec E. Morin, de considérer le cerveau à
la fois comme “ la condition et le produit de l’individualité et de la subjectivité ”,
d’assouplir les concepts de causalité et d’explication et de n’envisager les activités
cérébrales dans leurs relations circulaires avec le comportement et la pensée (50).
3 Problèmes éthiques
D’une façon générale, le chercheur, en tant que citoyen, a vis-à-vis de son
travail une certaine responsabilité “ externe ” c’est-à-dire qu’il doit être soucieux des
conséquences sociales des théories scientifiques qu’il énonce (35). Cette responsabilité
est plus importante encore lorsqu’il indique lui-même la possibilité d’utiliser ses
découvertes dans une pratique sociale particulière. Ainsi, le principe de poser un
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diagnostic psychiatrique à partir de données neurophysiologiques peut avoir des effets
redoutables d’un point de vue psychologique et social.
Une telle pratique risquerait en effet d’occulter le discours du patient au profit de
la seule étude de son fonctionnement cérébral et de faire prévaloir la vision de l’image
cérébrale sur l’écoute d’une souffrance. La maladie mentale serait ainsi posée dans une
hétéronomie radicale par rapport au sujet qui la subit et les symptômes, considérés
comme une pure extériorisation d’un dérèglement du cerveau, échapperaient par
définition à la sphère du sens. La guérison viendrait ainsi du dehors, par l’intermédiaire
d’un médicament ou d’un procédé dont l’objectif serait de corriger le
dysfonctionnement cérébral. En aucun cas, il semblerait nécessaire de restituer les
résultats de l’examen neurophysiologique au patient qui l’ a subi.
Une telle psychiatrie aurait pour effet d’imposer au patient, en même temps qu’un
statut d’objet, une représentation de lui-même dangereusement objectivante, le privant
d’un sentiment de liberté, de responsabilité et d’autonomie. Elle ferait renoncer à toute
approche de la subjectivité et de l’intentionnalité, à toute possibilité d’envisager une
amélioration par le biais d’un travail psychique ou corporel permettant une autoréorganisation. Et la propagation de telles idées pourrait provoquer un sentiment de
passivité et de fatalité vis-à-vis de la maladie mentale contraire à tous les efforts de
rationalité que l’humanité a développés jusqu’à maintenant.
D’un point de vue social, une description du pathologique sur des critères
uniquement biologiques, identiques dans toutes les sociétés, conduirait à penser que la
définition des maladies mentales peut se faire sur des critères extérieurs à la culture.
Une telle méthode de diagnostic risquerait ainsi de légitimer les exclusions sociales à
l’aide d’un discours scientifique faisant autorité. La découverte de quelques déviances
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neurophysiologiques chez un sujet qui ne répond pas aux “ normes ” de
l’environnement socioculturel pourrait suffire à le stigmatiser en le cataloguant sujet “ à
risques” ou malade mental, avec toute la connotation péjorative que ces notions
impliquent.
On a pu voir ainsi, il n’y a pas si longtemps, légitimer toute une oppression
coloniale à l’aide d’examens neuro-radiographiques révélant le faible développement
cérébral des indigènes nord-africains, témoignant de leur “ primitivisme ” (51).
Au total, comme l’attestent d’ailleurs ses résultats expérimentaux,
la
neurophysiologie ne nous semble pas à même de résoudre les difficiles problèmes posés
par la démarche diagnostique en psychiatrie.
4) INTERET DE LA NEUROPHYSIOLOGIE EN PSYCHIATRIE
Est ce dire que la neurophysiologie n’est d’aucune utilité en pratique
psychiatrique ? Je ne le crois pas et l’hypothèse que je défendrai est qu’elle peut lui
apporter des perspectives nouvelles à condition d’admettre l’existence d’une
interdisciplinarité qui respecte l’autonomie et la logique des deux approches. Un des
problèmes consiste précisément à trouver les concepts qui leur permettraient de
s’articuler et les domaines où elles peuvent se rencontrer.
À notre avis, les concepts que la neurophysiologie et la psychiatrie partagent sont
de deux ordres. Les uns, plus quantitatifs, sont ceux de la neurochimie et de la
psychopharmacologie, les autres, plus qualitatifs, sont ceux de la psychologie cognitive.
Et la neurophysiologie pourrait être d’une grande utilité en psychiatrie clinique à
condition de cadrer les questions dans deux domaines différents, celui de la prescription
de psychotropes et celui de la description des troubles cognitifs.
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La prescription médicamenteuse repose sur le fait que les psychotropes
modifient les symptômes psychiatriques par l’intermédiaire des systèmes
neurochimiques sur lesquels ils agissent. Mais, elle ne peut s’aider d’examens
complémentaires, utilisables en pratique quotidienne, pour tester ces différents
systèmes. Or, l’étude neurochimique des ERPs a montré que la P50, la MMN, la P300
et la VCN étaient modifiées lorsqu'on manipulait les systèmes cholinergiques,
catécholaminergiques et gabaergiques cérébraux que ce soit par des lésions chez
l’animal ou par des drogues chez l’homme (52, 53, 54 et 55). Par ailleurs, l’importance
de l’augmentation d’amplitude de la composante auditive N1/P2 sous l’effet de
l’augmentation de l’intensité de la stimulation (LDAEP) est en relation avec le système
sérotoninergique (56). Ainsi, l’enregistrement de ces différentes ondes et l’étude de leur
amplitude sont susceptibles d’apporter des informations sur la sensibilité des récepteurs
sur lesquels agissent les psychotropes. Certes, cette information est extrêmement
globale et imprécise et se fonde sur une conceptualisation quantitative simpliste de
freinage et de stimulation d’un système neurochimique. Il est bien évident que la réalité
est infiniment plus complexe. Mais ce type de mesures a le mérite de fournir des
informations inaccessibles aux cliniciens. Par exemple l’étude de l’amplitude de la
VCN permet de prévoir d’éventuelles réactions d’intolérance aux médicaments
agonistes des systèmes catécholaminergiques et des résultats encourageants ont été
obtenus dans le domaine des états dépressivo-anxieux. (57 et 58). Ainsi, les patients
déprimés présentant des VCN et P300 de grande amplitude sont intolérants aux
antidépresseurs tricycliques et répondent bien aux antidépresseurs sérotoninergiques. De
façon analogue, les sujets migraineux présentant des ERPs de grande amplitude
répondent bien aux Béta-bloqueurs (59). Par ailleurs, une forte dependance de la
20
composante N1/P2 vis-à-vis de l’intensité des stimulations (LDAEP) fait prévoir une
réponse favorable au traitement préventif par le Lithium (56) .
On peut espérer que l’utilisation de cette méthode apportera des informations
intéressantes dans le traitement des psychoses et permettra de prévoir une réactivité
spécifique aux nouveaux neuroleptiques et antidépresseurs. Ainsi, Guyotat et Al (60)
avaient essayé de différencier, à partir de critères cliniques et psychodynamiques, les
psychoses qui s’amélioraient avec un traitement antidépresseur de celles qui, à l’inverse,
s’aggravaient, sous l’effet d’un tel traitement. Ne pourrait-on pas améliorer cette
prédiction, extrêmement utile en pratique quotidienne en ajoutant à l’analyse
sémiologique des critères neurophysiologiques
Dans le domaine de la clinique, l’exploration neurophysiologique peut
également enrichir l’approche sémiologique des troubles cognitifs.
Elle propose tout d’abord des situations d’observation différentes et
complémentaires de celles de l’examen clinique et des tests psychologiques.
L’exploration neurophysiologique demande en effet la réalisation de tâches cognitives
simples comportant des détections de signaux visuels et auditifs, des temps de réaction
simples ou avec signal avertisseur, tâches auxquelles le patient se soumet souvent avec
intérêt et curiosité.
Elle apporte des données relatives d’une part au comportement (qualité des
performances et vitesse du temps de réaction) et d’autre part à l’organisation et la
régulation des activités cérébrales liées à la perception et à l’action, données qui ne sont
accessibles ni à l’examen clinique, ni à l’introspection.
Enfin, elle permet l’appropriation de certains concepts de la psychologie
cognitive qui se situent à un niveau intermédiaire entre ceux de la neurophysiologie et
21
ceux de la psychiatrie. Rappelons à ce propos que les deux ERPs, particulièrement
étudiées dans le champ de la psychopathologie, la P300 et la VCN, sont en relation avec
l’activité d’assemblées de neurones largement distribuées au niveau des systèmes
cortico-limbiques et activées de façon parallèle au cours de ces tâches cognitives. La
P300, phénomène d’hyperpolarisation qui, d’un point de vue neurophysiologique
exprime un mécanisme de fermeture, de “ désassemblage ” du réseau neuronal, est en
relation avec les processus sélectifs de traitement de l’information, et par là avec la
flexibilité de l’attention. Et la VCN, phénomène de dépolarisation, qui d’un point de
vue neurophysiologique traduit un mécanisme d’activation, de liaison,
d’ “ assemblage ” du réseau neuronal est en relation avec un processus de mobilisation
et de contrôle des ressources attentionnelles et par là avec l’attention soutenue et la
résistance à la distraction. Or les troubles de l’attention, rencontrés dans de nombreuses
affections psychiatriques, sont souvent difficiles à évaluer tant ils sont intriqués à des
facteurs affectifs.
Mais pour être utile en psychiatrie et tenter d’enrichir l’approche clinique, l’examen
neurophysiologique ne peut se borner à traquer un éventuel déficit par l’enregistrement
d’un seul potentiel endogène. Il doit permettre l’étude des différentes étapes des processus
cognitifs élémentaires et de leurs capacités d'autorégulation et pour cela, il doit obéir à deux
conditions.
La première consiste à enregistrer et à interpréter de façon conjointe tout un éventail
d’ERPs (MMN, P300, VCN) et de données comportementales qui y sont jointes (qualité
des performances obtenues et vitesse des temps de réaction) afin de tester les différentes
étapes du traitement de l’information sensorielle et leur contrôle attentionnel (62 et 1).
22
La seconde consiste à étudier la variabilité des amplitudes de ces ERPs en fonction
du temps afin d’évaluer le rôle des fluctuations de la vigilance et de la motivation. Un
enregistrement de l’EEG spontané est également souhaitable.
Au total, l’interprétation doit prendre en compte l'ensemble de toutes ces données et
tenter de découvrir les facteurs qui les solidarisent entre elles. Elle se base sur l'hypothèse
que le système cérébral est un système autonome possédant sa propre cohérence interne et
dont il importe précisément de décrire les capacités d'autorégulation et d'auto-organisation
(63 et 64).
Nous avons pratiqué un tel examen et nous avons été amenée à constater que la
faible amplitude de la P300, anomalie très souvent rencontrée chez les patients, n’avait
pas la même signification fonctionnelle selon l’amplitude de la VCN à laquelle elle était
associée (1). Ainsi, lorsqu’elle coexistait avec une VCN de faible amplitude, un
ralentissement du temps de réaction, et à un allongement de sa latence, elle traduisait un
fonctionnement déficitaire global, portant sur l’ensemble des capacités perceptives et
attentionnelles, et faisait craindre une diminution de la capacité de penser, de
symboliser et d’investir la réalité. En revanche, lorsqu’elle était associée à une VCN de
bonne amplitude et à des temps de réaction normaux, elle évoquait un
dysfonctionnement plus subtil, portant sur une restriction de l’intérêt vis-à-vis du monde
extérieur et une certaine automatisation du comportement sans investissement de la
tâche demandée. Nous avons constaté également que les performances et les données
neurophysiologiques qui s’amélioraient avec le temps évoquent un contexte d’anxiété
alors que celles qui s’altéraient , suggéraient l’existence de troubles de la vigilance et
pafois d’abus de médicaments (1).
Dans une telle perspective, il faut bien réaliser que la découverte d’écart entre les
résultats apportés par les données neurophysiologiques et l'observation clinique apporte
23
au médecin plus d'informations que l'existence de concordances. En effet, la présence
d’un ralentissement des temps de réaction associé à une VCN de faible amplitude et à
une P300 faible et mal structurée chez un sujet qui ne comprend pas les consignes et qui
ne parvient pas à exécuter la tâche demandée n'a qu'un faible intérêt heuristique. En
revanche, l'observation d’une VCN et d’une P300 d’aspect normal chez un sujet qui
présente une attitude de retrait total constitue un argument contre l’existence d’un
déficit cognitif et fait évoquer la présence d’une inhibition majeure d'origine affective.
Dans tous les cas, il ne faut pas se borner à recenser les aspects déficitaires. La
découverte des “ excès ” et des “ trop plein d'excitation ” nous semble également
intéressante. Un haut niveau d'activité cérébrale qui se manifeste par une amplitude
plus grande que la normale de la P300 et une VCN qui se prolonge au-delà de la
stimulation impérative (PINV) traduit un effort d'attention inapproprié, disséminée dans
des structures étendues et risquant d’entraîner un fonctionnement défectueux mais par
des mécanismes tout différents de ceux qui sont liés à un état déficitaire.
Cette approche compréhensive peut permettre de mieux comprendre l’expérience
particulière de chaque sujet et le chemin par lequel il construit sa symptomatologie. Elle
suppose que les patients ne supportent pas passivement leurs difficultés cognitives
éventuelles mais qu’ils élaborent activement leur réalité en accord avec leurs expériences
personnelles qui, en elles-mêmes, peuvent être hors du commun.
D’un point de vue pratique, une telle exploration peut aider à l’évaluation et à la
compréhension des troubles cognitifs. Par ailleurs, elle permet un suivi longitudinal et la
découverte d’une réversibilité de troubles observés lors d’un premier enregistrement peut
constituer un élément précieux pour la prise en charge thérapeutique.
Enfin, cette exploration fonctionnelle peut prendre sa place dans la relation
thérapeutique. En effet, il nous semble indispensable de restituer les résultats obtenus par
24
un tel examen neurophysiologique à ceux qui en ont été l’objet. Certes, cette restitution
témoigne tout d’abord d’un “ souci d’autrui ” et d’une certaine humanité (65). Mais, de
plus, mais elle constitue un élément constitutif de l’examen lui-même. Cette “ mise en
mots ” nous semble avoir un intérêt à la fois pour le patient et pour le médecin. Au patient,
en effet, elle est susceptible de restituer l’image objectivée de certains aspects
dysfonctionnels qu’il avait pu ressentir confusément mais pour lesquels il n’avait pas de
représentation. Et cette extériorisation d’une expérience personnelle peut lui permettre
d’améliorer ses capacités d’autonomie et d’intériorisation et d’élaborer un nouvel
imaginaire qui peut jouer un rôle important dans l’expérience de la maladie (16 et 66). Au
psychiatre enfin, elle permet d’éviter de tomber dans les pièges sémantiques tendus par
l’approche neurophysiologique (67) tout en construisant une représentation de la maladie
mentale conforme à la réalité culturelle technologique actuelle. Et cette construction
collective du sens joue un rôle important sur le plan thérapeutique car plus le fossé culturel
est grand entre le thérapeute et le patient, plus risquent de surgir des problèmes de méfiance
et de résistance.
5°) CONCLUSION :
Vouloir faire du dg psychiatrique à partir de l’examen du fonctionnement du cerveau
outrepasse les potentialités théoriques et pratiques de la neurophysiologie et risque
d’entraîner à la fois le désenchantement des cliniciens et la déception des patients et de
leur famille. Une telle ambition relève davantage du mythe de la toute puissance de la
science que d’un travail d’élaboration scientifique prenant en compte la complexité de
la réalité psychique.
En revanche, la neurophysiologie peut offrir aux psychiatres cliniciens de nouvelles
perspectives en lui apportant des informations sur la sensibilité des systèmes
25
neurochimiques qu’il est souvent appelée à modifier par ses prescriptions
médicamenteuses et en enrichissant la description de la symptomatologie psychiatrique
par des données qui ne sont accessibles ni à l’examen clinique ni à l’introspection.
Nous avons pratiqué un tel examen avec des résultats encourageants. Nous souhaitons
que les progrès, tant techniques que conceptuels que la psychophysiologie cognitive ne
manquera pas de faire dans les années qui viennent, permettent de construire des
examens infiniment plus adaptés aux demandes des psychiatres cliniciens que ceux que
nous avons proposés.
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