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DOULEUR PROVOQUEE EN REANIMATION CHEZ L’ADULTE Dr Luc Brun ; Equipe douleur Centre Hospitalier Béziers Service de réanimation polyvalente Définitions – Mécanismes : La douleur en réanimation correspond à la définition de l’International Association Study of Pain : c’est une « expérience sensorielle et émotionnelle désagréable liée à une lésion tissulaire existante ou potentielle ou décrite en termes d’une telle lésion ». Les dimensions de la douleur en réanimation concernent donc : La composante sensorielle ou somatique, c’est à dire l’activation des voies de la douleur depuis le nocicepteur périphérique jusqu’à l’intégration corticale cérébrale, et l’ensemble des systèmes facilitateurs et inhibiteurs. La composante affective et émotionnelle, c’est la relation à double sens entre la douleur et l’état de l’humeur, l’expérience désagréable. La composante cognitive, c’est la représentation psychique de la douleur par rapport aux expériences douloureuses antérieures (mémorisation implicite et explicite) et aux événements associés aux épisodes douloureux. C’est l’ensemble des idées associées à l’expérience douloureuse. La composante comportementale, c’est le comportement adopté par l’individu en cas de situation douloureuse. Il est à la base des échelles comportementales. Les mécanismes mis en jeu par toute expérience douloureuse concernent la stimulation nociceptive périphérique (activation des nocicepteurs cutanés) ou profondes (douleurs musculo-squelettiques, viscérales) ; l’altération des voies de conduction de la douleur (douleur neuropathique) et une participation psychogène (aggravation de la sensation de douleur par un état anxio -dépressif). Les patients de réanimation sont le plus souvent traités par morphiniques à forte dose (cf chapitre principes d’une sédation analgésie en réanimation), des effets de tolérance à la morphine et d’hyperalgésie induite peuvent donc apparaître au cours du séjour du patient. Etiologie : Les origines de la douleur en réanimation sont multiples : Les facteurs liés au patient : antécédents de pathologies algogènes : polyarthrite rhumatoïde, arthrose, lombalgies, zona… Les facteurs liés à la pathologie : intervention chirurgicale, pancréatite, traumatisme, lésion nerveuses (plexus brachial, hémiplégie douloureuse, traumatisme médullaire)… 40 Les facteurs liés à la réanimation : Alitement prolongé (complications du decubitus), rétention d’urines, iléus réflexe, fièvre, défaillanc es d’organes (acidose…) Facteurs liés aux soins et actes douloureux (tableau 1) Stress et facteurs psychologiques : anxiété puis dépression. Tableau 1 : Actes douloureux en réanimation § § § § § § § § Pose de cathéter artériel et veineux central Prélèvement artériel Ponction lombaire Pose et retrait drain pleural Trachéotomie, intubation trachéale, aspiration bronchique Fibroscopie bronchique Pose de cathéter sus pubien Kinésithérapie, nursing, pansement… Conséquences de la douleur en réanimation : De nombreuses études se sont intéressées aux conséquences sur la morbidité et la mortalité liées à la douleur en réanimation [1, 2]. Les conséquences à court terme de la douleur sont dues à l’activation du système sympathique par les stimulus nociceptifs répétés : tachycardie, hypertension artérielle, augmentation de la consommation en oxygène du myocarde, état d’hypercoagulabilité, hyperglycémie et catabolisme. Une immunodépression est également associée. Les effets respiratoires d’une douleur abdominale (post opératoire ou non) ou thoracique (traumatisme ou chirurgie thoracique) mal contrôlées peuvent accélérer une décompensation respiratoire ou retarder la prise en charge par le kinésithérapeute d’autant plus qu’une insuffisance respiratoire sous jacente préexiste. La douleur est un facteur majeur d’agitation[3]. Les complications liées à l’agitation sont une extubation accidentelle, une désadaptation du respirateur avec les complications respiratoires consécutives, un patient non coopérant pour les soins qui peut être dangereux pour lui même et l’équipe soignante. L’agitation en réanimation est multifactorielle (médications par psychotropes, éthylisme, fièvre et sepsis, dysnatrémies…) et est associée avec une prolongation de la durée de séjour en réanimation et des infections nosocomiales. Dans un contexte de neuroréanimation, la douleur mal contrôlée peut faire augmenter la pression intracranienne et majorer les complications cérébrales. Une analgésie efficace est indispensable et fait partie du traitement neurologique (associé à la sédation)[4]. 41 La douleur intense et répétée en réanimation ne doit pas être sous estimée et une véritable chronicisation de la douleur peut donner des complications à long terme. Ces éta ts et sensations désagréables dans un environnement psychologique hostile, l’association à l’anxiété et à la dépression peuvent conduire à de véritables états de stress post traumatique avec hallucinations et reviviscences de faux souvenirs plusieurs semaines et mois après la sortie de réanimation[5]. La chronicisation de la douleur en réanimation a été étudiée. Des études récentes retrouvent que 44% des patients se plaignent de douleurs plus intenses et d’inconfort 18 mois après leur sortie de réanimation par rapport à leur état avant la réanimation[6]. L’incidence des douleurs est plus importante 6 ans après la sortie de réanimation par rapport à une population témoin appariée sur l’âge[7]. Epidémiologie : La prévalence de la douleur est importante en réanimation : entre 50 et 63% des patients expérimentent une douleur lors de leur séjour en réanimation et plus de 15% des patients déclarent avoir perçu une douleur très intense[8-10]. L’aspiration trachéale, la ponction artérielle, l’ablation des drains thoraciques et la mobilisation du patient sont les gestes les plus douloureux dans le souvenir des patients de réanimation[10, 11]. Les enquêtes effectuées auprès des patie nts survivants montrent qu’outre la douleur liée aux soins, l’impossibilité de communiquer aux soignants ou aux proches cet état douloureux est traumatisant[12]. Par ailleurs, le manque de sommeil, les cauchemars, l’anxiété, les hallucinations, la solitude, l’impossibilité de communiquer ou parler sont des éléments générateurs d’inconfort. Une enquête française réalisée en 2004 auprès de 30 services de réanimation d’Ile de France montre que tous les services utilisent une analgésie par morphiniques, mais pour les soins douloureux seuls 8 sur 30 donnent un traitement préventif ; pour les aspirations bronchiques seuls 3 sur 30[13]. Une enquête nord américaine récente montre que 63% des patients de réanimation ne reçoivent aucun antalgiques pour des soins douloureux, moins de 20% reçoivent des morphiniques, et pratiquement aucun lors d’aspiration trachéale [14]. Principes d’une sédation analgésie en réanimation : Les habitudes dans les réanimations européennes sont l’association intraveineuse continue d’un hypnotique (dont le but est de diminuer l’état de vigilance et de mémorisation du patient) et d’un morphinique puissant (dont le but est d’entraîner une analgésie)[15]. L’hypnotique seul permet de diminuer les signes de douleur mais n’empêche pas les mémorisations implicites de douleur qui peuvent avoir des conséquences à court et moyen terme par activation des relais sous corticaux des voies de la douleur[16]. 42 L’association hypnotique et morphinique est synergique et permet d’adapter au mieux la sédation et l’analgésie en modulant ces deux composantes. Une administration plus adaptée est rendue possible par leur évaluation distincte : évaluation de l’état de vigilance et évaluation de la douleur. Les sociétés savantes en France ont écrit des recommandations sur l’utilisation de la sédation et de l’analgésie en réanimation[17]. Les hypnotiques les plus couramment utilisés sont les benzodiazépines (midazolam) ou le propofol ; et les morphiniques sont le fentanyl, le sufentanil, la morphine et plus récemment le rémifentanil[13, 15, 18]. Le fentanyl et le sufentanil sont des morphiniques liposolubles puissants, de délai d’action court (moins de 5 minutes) et de durée d’action modérée (en moyenne une heure) après un bolus. Il n’y a pas d’accumulation de métabolites actifs en cas d’insuffisance rénale. Les avantages du sufentanil sur le fentanyl sont sa moindre accumulation après une perfusion continue de longue durée et le fait qu’il nécessite moins d’adaptation des posologies chez le sujet agé [19]. Le coût est cependant plus élevé. La morphine a un délai d’action court (moins de 5 minutes) et une durée d’action plus prolongée (3 à 7 h) après un bolus. Les effets indésirables sont une histaminolibération et une accumulation de métabolites actifs en cas de fonction rénale altérée (morphine-6-glucuronide). Le rémifentanil est un morphinique aussi puissant que le fentanyl mais de demi-vie plus courte et dont le métabolisme est dépendant d’estérases plasmatiques jamais déficitaires. L’administration se fait en perfusion continue, jamais en bolus qui expose au risque d’hypotension artérielle sévère et de rigidité thoracique. Il s’agit d’un médicament qui permet d’adapter en permanence l’intensité de l’analgésie en fonction de l’intensité des stimulus nociceptifs. Par ailleurs, il possède des capacités de modification de l’état de conscience qui ont conduit au concept d’analgo-sédation (sédation basée sur l’analgésie)[20]. Les recommandations des sociétés savantes proposent de contrôler la douleur de fond par une administration continue de morphiniques par voie intraveineuse. Les douleurs liées aux soins doivent être prévenues et anticipées par plusieurs moyens médicamenteux ou non médicamenteux. Les objectifs d’une sédation sont d’améliorer le confort et la sécurité du patient et de son entourage, de permettre la réalisation d’actes thérapeutiques ou d’investigations dans des conditions optimales de confort et de sécurité pour le patient. Le traitement antalgique peut être mis en échec dans certaines situations. Il convient de rechercher une douleur neurogène associée pour laquelle un traitement par antiépileptique ou antidépresseur tricyclique est nécessaire. La tolérance aux morphiniques se traduit par une augmentation majeure des posologies de morphiniques pour obtenir un effet antalgique et à l’apparition d’effets secondaires. Dans ce cas, on peut associer la 43 clonidine ou la kétamine à dose «antihyperalgésique » en l’absence de contre indication (défaillance hémodynamique et clonidine par exemple)[21]. Obstacles à une analgésie optimale en réanimation : Le contexte de réanimation n’est pas favorable à une prise en charge optimale de la douleur. L’urgence vitale relègue en arrière plan la gestion de la douleur, parfois l’équipe soignante peut être tentée de penser « le patient a mal ou souffre, oui, mais il est vivant ! ». Nous avons vu que cette attit ude outre le problème éthique qu’elle pose, n’est pas sans conséquences sur le plan somatique et psychologique[22]. Le patient aillant plusieurs défaillances d’organes, notament respiratoire et hémodynamique, les effets secondaires des mé dicaments de la douleur sont plus souvent redoutés, ce qui peut freiner leur utilisation. Les morphiniques sont connus comme hypotenseurs et dépresseurs respiratoires. Des études ont démontré qu’une sédation trop intense pouvait conduire à une augmentation de la durée de ventilation mécanique et du séjour en réanimation[23, 24] Les antiinflammatoires non stéroïdiens ont une action délétère sur la fonction rénale et plaquettaire et sont agressifs pour la muqueuse gastrique. Les anti-inflammatoires selectifs de la cyclo-oxygénase de type 2 (Coxibs) sont moins agressifs pour la muqueuse gastrique au long cours[25] et n’entraînent pas de risque hémorragique accru (pas d’action antiagrégante plaquettaire). Cependant, les complications cardiovasculaires qui ont récemment entraîné le retrait du marché du rofecoxib (Vioxx) méritent des études complémentaires avant de pouvoir recommander les coxibs chez le patient de réanimation. Les corticoïdes à posologie anti-inflammatoire ont des effets immunitaires et digestifs qui limitent leur utilisation comme antalgiques purs. Ils seront utilisés en réanimation pour le traitement de pathologie comme les maladies inflammatoires (SDRA en phase proliférative, décompensation de BPCO, fibrose pulmonaire évolutive, maladie de système…). Les techniques d’analgésie locorégionale périmédullaire (péridurale) exposent au risque d’infection et de compression médullaire par hématome en cas de trouble de la crase sanguine. L’évaluation de la douleur chez le patient de réanimation non communicant est un réel problème qui a été solutionné en grande partie ces dernières années par le développement d’échelles comportementales[2629]. 44 Les solutions pour une meilleure prise en charge de la douleur en réanimation : Comme dans toute douleur, l’évaluation est le pivot d’une prise en charge efficace et la réanimation n’échappe pas à cet axiome. Longtemps, l’évaluation a été (et reste encore) le frein le plus important à la reconnaissance de la douleur, à son traitement et au suivi de l’efficacité du traitement. L’évaluation par les soignants qui n’utilisent pas d’échelle spécifique sous estime de 35 à 55% les patients douloureux[30]. Les patients de réanimation adulte sont très hétérogènes : depuis le post opératoire de chirurgie cardiaque où le trouble hémodynamique est réel ou potentiel mais où le patient est le plus souvent réveillé et coopérant, jusqu’au patient en phase tardive d’un traumatisme crânien où la collaboration avec l’équipe soignante est d’autant plus limitée qu’une agitation survient au réveil, en passant par le patient en défaillance respiratoire sous assistance respiratoire majeure avec une sédation profonde et une curarisation… Les recommandations des sociétés savantes françaises et nord-américaines préconisent l’auto évaluation dans la mesure du possible [17, 31]. La préférence va à l’échelle numérique (EN) mais l’échelle visuelle analogique (EVA) et l’échelle verbale simple (EVS) peuvent être utilisées. Un outil a été développé pour l’autoévaluation du patient de réanimation : c’est une règle de grande dimension graduée avec de gros chiffres de 0 à 10 et le patient montre au soignant avec son doigt le chiffre qui correspond à l’intensité de sa douleur. Lorsque le patient est intubé et ventilé et non coopérant, une hétéroévaluation s’impose. Des échelles comportementales ont été développées, à l’instar des échelles utilisées chez l’enfant de moins de 6 ans qui ne peut s’autoévaluer. La plus utilisée en France actuellement est l’échelle Behavioral Pain Scale (BPS) ou Echelle de Douleur en Réanimation développée par l’équipe de JF Payen[28]. Cette échelle est valide et est basée sur l’observation de 3 items : la mimique, le tonus des membres supérieurs, la compliance au respirateur (tableau 2). Le score varie de 3 à 12 et le patient est considéré comme douloureux à partir de 6. Le problème qui persiste actuellement est l’évaluation de la douleur chez le patient non ventilé et non coopérant (du fait d’une agitation ou d’une encéphalopathie) : il n’est pas accessible à l’autoévaluation et le BPS n’est pas adapté (item compliance au respirateur inutilisable). Ces patients sont nombreux en réanimation. Des échelles spécifiques devront être développées dans l’avenir. Les méthodes objectives de mesure de la douleur ne sont pas appropriées au patient de réanimation : pupillométrie, indice bispectral, électroencéphalogramme, potentiels évoqués n’ont pas leur place. Chanques et al ont démontré que l’évaluation systématique de la douleur par autoévaluation quand cela est réalisable ou l’hétéroévaluation par le BPS dans le cas contraire diminue la prévalence de la douleur 45 dans un service de réanimation de 63% à 43%[32]. L’adaptation de la sédation et de l’analgésie est optimisée et les consommations d’antalgiques morphiniques et d’hypnotiques diminuent ainsi que la durée de ventilation mécanique. La formation des équipes médicales et paramédicales est indispensable à l’utilisation effective de ces échelles, donc au diagnostic positif de douleur lorsqu’elle survient et par conséquent à l’instauration rapide d’un traitement efficace. Ces outils d’évaluation de la douleur peuvent être utilisés dans le cadre de protocoles de sédation et d’analgésie. Des algorithmes précis autorisent les infirmières à adapter en permanence (notament pendant les soins) la sédation et l’analgésie en fonction des scores de douleur et de sédation. Plusieurs équipes ont démontré que l’utilisation de ces algorithmes par les infirmières diminuait les sédations prolongées et donc la durée de ventilation mécanique[23, 27, 33]. Item Observation Visage Détendu, relaché Partiellement crispé (froncement de sourcils) Crispé (fermeture des yeux) Grimaçant Membres supérieurs Pas de mouvements Partiellement fléchi Flexion complète avec fermeture des mains Rétraction permanente Adaptation à la Adaptation complète ventilation Tousse de temps en temps mais se laisse ventiler la plupart du temps Lutte contre le respirateur Impossible à ventiler Tableau 2. BPS ou Echelle de douleur en réanimation[28] score 1 2 3 4 1 2 3 4 1 2 3 4 Stratégie de prise en charge de la douleur provoquée : Dans tous les cas il convient d’évaluer la douleur avant et pendant le soin douloureux. Si la douleur est présente malgré le traitement instauré, il conviendra de modifier le traitement (escalade thérapeutique) pour le prochain soin. C’est l’évaluation systématique qui permet de faire le diagnostic de douleur et de prouver l’inefficacité ou l’efficacité d’un traitement. De ce fait la prise en charge anticipée des soins douloureux limite le plus possible la répétition des expériences vécues comme douloureuses par le patient. Les complications de la douleur en réanimation seront donc limitées. La stratégie la plus efficace est de lister les soins douloureux dans un service (tableau 1), et de définir pour chaque soin une thérapeutique anticipée de la douleur. L’évaluation de la douleur selon une échelle appropriée sert de point de départ à des protocoles de gestion anticipée de la douleur provoquée par le 46 soin. Les protocoles écrits et validés par les responsables médicaux et paramédicaux du service sont ensuite diffusés à l’intégralité de l’équipe médicale et paramédicale. Plusieurs cas sont à envisager : - le patient en post opératoire d’une chirurgie lourde - le patient avec plusieurs défaillance d’organe intubé ventilé et sédaté - le patient de post réanimation en sevrage de morphiniques et d’hypnotiques. Le patient coopérant et qui peut s’autoévaluer : En général, ce type de patient bénéficie d’une analgésie post opératoire multimodale à base de morphinique et au mieux par PCA de morphine. Une analgésie locorégionale peut être associée : une péridurale thoracique par exemple pour une chirugie thoracique ou abdominale sus mésocolique. Dans ce cas, la douleur de fond liée à la chirurgie est bien contrôlée. Chez ce type de patient coopérant, la qualité de la relation avec le soignant sera prépondérante. L’information et l’explication avant les soins feront diminuer l’anxiété et donc la composante affectivoémotionnelle de la douleur. Les accès douloureux liés aux soins doivent conduire à un traitement anticipé selon le type de soin : - Anesthésie locale (lidocaïne) pour la pose d’une voie veineuse centrale ou d’un drain thoracique [34] ; - Patch ou crème EMLA pour les ponctions ou cathétérisations artérielles une heure ou deux heures avant la ponction[35] ; - Bolus de morphinique par l’infirmière (cf tableau 3) ou par le patient si une PCA est en place avant la kinésithérapie respiratoire, un nursing ou un pansement douloureux, une aspiration bronchique… Il faut tenir compte du délai d’action du produit avant d’effectuer le geste douloureux. Les recommandations de la Société Française d’Anesthésie Réanimation (SFAR) et de la Société de Réanimation de Langue Française (SRLF) retiennent l’alfentanil (Rapifen) comme morphinique de choix pour les actes de courte durée du fait de son délai d’action court et de sa durée d’action courte[17](grade C). - Administration de MEOPA pour la pose ou l’ablation d’un drain thoracique, d’une kinésithérapie ou d’un nursing douloureux, d’une réfection de pansement. - La kétamine est un hypnotique avec des propriétés analgésiques à dose anesthésique. Cependant s’il est utilisé pour un geste douloureux (classiquement, un pansement chez un brûlé), il convient d’associer une benzodiazépine (midazolam par exemple) pour limiter les effets psychodysleptiques de la kétamine. L’avantage est de garder une ventilation spontanée et des voies aériennes supérieures libres, ainsi qu’une stabilité hémodynamique. Une bronchodilatation peut être un intérêt supplémentaire chez le patient asthmatique. 47 Posologie Concentration plasmatique efficace (ng.mL -1) Adaptation des posologies Sujet âgé Insuffisanc Insuffisance e rénale hépatique B : 1 à 2 mg.kg-1 100 à 1000 P : 0,15 à 3,5 mg.kg-1 .h-1 B : 0,03 à 0,1 mg.kg-1 Morphine 0 P : 1 à 5 mg.h-1 B : 1 à 3 µg.kg-1 Fentanyl 1à2 0 0 P : 1 à 5 µg.kg-1 .h-1 B : 0,1 à 0,3 µg.kg-1 Sufentanil 0,05 à 0,2 0 0 P : 0,1 à 0,5 µg.kg-1 .h-1 B : 3 à 10 µg.kg-1 Alfentanil 25 à 75 0 P : 20 à 50 µg.kg-1 .h-1 Tableau 3 : Posologies et concentrations plasmatiques efficaces des principaux agents hypnotiques et morphiniques. B : bolus; P : perfusion ; 0 : posologie inchangée ; - : diminution de la posologie. D’après[17] Kétamine Le patient intubé ventilé sédaté ne pouvant s’auto évaluer : C’est le prototype du patient de réanimation. L’évaluation se fera par le BPS. Les études récentes ont démontré qu’une sédation trop profonde avec des patients aréactifs en réanimation induisait des complications (augmentation de la durée de la ventilation mécanique et des infections bronchopulmonaires). La tendance actuelle est donc d’alléger la sédation avec un objectif de patient calme et confortable mais réactif à la stimulation. Le risque est de sous doser l’administration d’antalgiques, notament lors d’une recrudescence de la nociception au cours des soins. La stratégie d’anticipation de la douleur consiste à administrer un bolus de morphinique 2 à 5 minutes avant le soin douloureux. Les posologies sont variables en fonction de la dose de morphinique quotidienne, et sont données dans le tableau 3 à titre indicatif. Les anesthésiques locaux pour les ponctions gardent leur place. Il est rare qu’à ce stade de la réanimation un cathéter périmédullaire soit laissé en place du fait du risque infectieux ou d’hématome périmédullaire. La PCA n’a pas sa place dans le contexte. Dans le cas particulier d’une analgésie par rémifentanil par voie intraveineuse continue, il faut souligner que ce médicament est idéal pour le traitement des douleurs provoquées. En effet, il s’agit d’augmenter la vitesse d’administration du produit (de 50 à 100% de la vitesse de base) 2 minutes avant le soin douloureux (aspiration bronchique, nursing, pansement, ponction) pour être au pic d’action du produit et de revenir à la vitesse de base une fois le soin effectué. 48 Les injections de bolus ou les modifications de vitesse en cas de rémifentanil peuvent être faites par les infirmières de réanimation sous la responsabilité du médecin sous réserve que des protocoles aient été établis et que les équipes aient été formées à ces pratiques et aux méthodes d’évaluation de la douleur[36]. Le patient de post réanimation Ce type de patient est sujet à l’hyperalgésie liée au morphiniques, au sevrage morphinique et des benzodiazépines s’il a été sédaté. Il est donc très fragile face à la douleur provoquée par les soins. L’hyperalgésie aux morphiniques a été décrite récemment comme un des effets indésirables des morphiniques. Dans cette situation, les patients qui reçoivent des morphiniques pour le soulagement d’une douleur deviennent, d’une façon un peu paradoxale, plus sensibles à la douleur comme conséquence directe du traitement morphinique. Il est impératif d’obtenir une analgésie de fond parfaite. L’analgésie balancée trouve sa place ici en relais des morphiniques : l’association de palier 1 et de palier 2 de l’OMS, l’administration de clonidine en cas de sevrage morphinique, sans oublier l’administration de coantalgiques en cas de douleur neurogène associée (antiépileptiques et antidépresseurs tricycliques en respectant les contre indications). L’anxiété doit être combattue par la relation avec le soignant et des aides pharmacologiques: benzodiazépines par exemple. Un syndrome dépressif doit être recherché et traité. Il est impératif de respecter le sommeil de ces patients : diminution du bruit et des actes invasifs pendant la nuit, induction pharmacologique du sommeil en cas de besoin : hydroxyzine, zolpidem… Les soins douloureux seront précédés des mêmes traitements que pour le premier type de patient mais adaptés en fonction de la collaboration du patient. Il est évident que s’il est agité et opposant, il ne pourra pas bénéficier d’administration de MEOPA dans de bonnes conditions. Dans ce cas des bolus de morphiniques voire d’hypnotiques seront nécessaires. L’utilisation d’anesthésiques locaux pour les ponctions associée à la sédation garde toute sa place. Il ne faut surtout pas oublier qu’un patient peut être agité à cause de la douleur, et qu’une sédation chez un patient agité ne traite pas la douleur liée aux soins ! Une analgésie associée à la sédation est obligatoire pour accomplir des gestes douloureux sinon la mémorisation implicite de la douleur apparaîtra. Conclusion : La douleur en réanimation est fréquente et sous estimée. Des échelles d’évaluation de la douleur spécifiques ont été développées et tout soignant travaillant en réanimation doit apprendre à les utiliser. Des évaluations systématiques de la douleur permettent de mettre en place un traitement adapté et de limiter la chronicisation de la douleur. Au mieux, des protocoles avec des algorithmes de pilotage de 49 l’analgésie par les soignants permet de diminuer la durée de ventilation mécanique et peut être l’incidence des infections bronchopulmonaires. Les bolus de morphiniques, les anesthésiques locaux et le MEOPA sont la base du traitement anticipé de la douleur provoquée par les soins. Il ne faut pas oublier qu’un patient sédaté peut être mal analgésié et vivre inconsciemment une expérience douloureuse (mémoire implicite). Enfin, des progrès doivent être faits pour évaluer la douleur chez les patients de post réanimation non communicants. BIBLIOGRAPHIE 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. Bonica, J.J., Importance of effective pain control. Acta Anaesthesiol Scand Suppl, 1987. 85: p. 116. Lewis, K.S., et al., Effect of analgesic treatment on the physiological consequences of acute pain. Am J Hosp Pharm, 1994. 51(12): p. 1539-54. Jaber, S., et al., A prospective study of agitation in a medical-surgical ICU: incidence, risk factors, and outcomes. Chest, 2005. 128(4): p. 2749-57. Payen, J.F., Mantz, J, la sédation et l'analgésie en réanimation. Les Essentiels SFAR, ed. Elsevier. 2005, Paris. 475-481. Jones, C., et al., Memory, delusions, and the development of acute posttraumatic stress disorderrelated symptoms after intensive care. Crit Care Med, 2001. 29(3): p. 573-80. Garcia Lizana, F., et al., Long-term outcome in ICU patients: what about quality of life? 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Equipe Douleur de la réanimation du Centre Hospitalier de Béziers Dr Luc Brun, praticien hospitalier Mme Delphine Ramajo, Cadre de Santé 51 Mme Nelly Marti, Mme Michèle Sim onin, Mme Cathy Le Caignec, Mme Stéphanie Gumiel, Mme Valérie Geudin, Mme Catherine Galland, Mme Christine Tonello, Infirmières Diplômées d’Etat Mme Christiane Massol, Mme Corinne Diguet, Melle Cécile Compain, Aides soignantes 52