Une perspective européenne de la réanimation Critical care

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Une perspective européenne de la réanimation Critical care
Réanimation 14 (2005) 1–2
http://france.elsevier.com/direct/REAURG/
Éditorial
Une perspective européenne de la réanimation
Critical care medicine: a european perspective
Cher lecteur, avec ce premier numéro de 2005 de « Réanimation », nous vous invitons au voyage en suivant des lignes
transversales à travers notre péninsule européenne : de l’Allemagne à l’Espagne, de l’Italie à la Belgique, de l’Autriche au
Royaume-Uni, de la Suisse à la France.
Quelques mots d’explication sur le thème de ce numéro.
Notre revue est l’organe d’expression d’une Société francophone, et possède à ce titre une dimension européenne, même
si bien sûr la francophonie déborde largement les frontières
de l’Europe, et même si, c’est évident, cette dimension est
modeste. Il n’y a pas de prétention à simplement vouloir
décrire et comprendre le monde qui nous entoure. C’était
l’idée du Comité de rédaction quand il décida d’éditer ce
numéro spécial. Elle partait du constat que nous ignorions
finalement beaucoup des principes d’organisation de la réanimation et des modalités de formation en vigueur chez nos
voisins. Combien sont-ils ? Comment se sont-ils structurés ?
De quelle spécialité viennent-ils ? Combien de services ? Et
leurs ressources ? Ont-ils déterminé des quota de personnels ? Autant de questions dont nous ne connaissions pas les
réponses. Nous avons donc sollicité des collègues réanimateurs, éminents et représentatifs, exerçant dans les pays européens considérés comme les plus proches. Certains d’entre
eux n’ont pu répondre favorablement à notre demande. Nous
aurions ainsi souhaité tout apprendre de la Hollande, de la
Grèce, du Portugal ou du Danemark. Ce sera, nous l’espérons, pour une autre fois ; il faudra nous tenir informés des
évolutions en cours dans les autres pays européens. Nous
devons remercier d’autant plus vivement les collègues réanimateurs des huit pays présentés, qu’ils ont apporté, en un
temps record, leur essentielle contribution à ce numéro.
Ce n’est pas toujours une tâche facile que d’exposer les
caractéristiques de son propre pays. Vous devez savoir que le
choix leur était laissé libre d’écrire dans leur langue mater-
>
Comme tous les autres, ce numéro n’aurait pu voir le jour sans la participation essentielle de toute l’équipe de rédaction, et en particulier de Philippe Hantson, Erwan Lher, Alain Mercat et Jean-François Timsit. Ils quittent aujourd’hui, avec moi, le Comité de rédaction. Nous espérons vous avoir
rendu service. Avec Antoine Vieillard-Baron, Christophe Savry, Jean-Louis
Trouillet, et autour de Guy Bonmarchand et Marc Gainnier, nouveaux rédacteur en chef et rédacteur en chef adjoint, sont aujourd’hui présents Elie Azoulay, Frédéric Baud, Yves Cohen et Jean-Christophe Richard. Il n’y a pas lieu
d’être inquiet pour la suite.
nelle ou en anglais ou en français, puisque nous savions, pour
les connaître, qu’ils étaient tous capables de le faire dans les
trois langues. Nous avons respecté leur choix : français,
anglais, espagnol se partagent ainsi l’expression de ces contributions. Mais nous avons décidé d’adjoindre à l’article original une version résumée en français. Vous trouverez ainsi en
colonne de gauche le texte original, en colonne de droite la
version française limitée au texte principal et enfin les tableaux
figures et références. Malheureusement pris par le temps, nous
n’avons pu faire effectuer une traduction professionnelle ni
organiser un aller-retour des manuscrits pour faire avaliser
ces traductions par leurs auteurs. Je revendique ainsi la responsabilité pleine et entière des erreurs de traduction ou
d’interprétation que j’ai certainement commises et dont les
auteurs ne sauraient être accusés. Mais vous pourrez vous
référer au texte original chaque fois qu’un terme ou une phrase
vous paraîtront douteux et rien n’empêche ceux qui pratiquent les langues étrangères d’ignorer superbement les
approximatives traductions qui leur sont proposées. Ami lecteur, vous êtes seul juge.
Parlons du fond. On dit que l’Europe à 25, c’est la tour de
Babel. Et la nôtre donc ! Il n’est pas évident que derrière
l’apparence de mots étrangers compris par tout un chacun, se
cachent les mêmes sens. En France, il a fallu trente ans pour
s’accorder sur une définition (plus normative que sémantique) de la réanimation. Quels en sont les équivalents : acute
care, intensive care, critical care medicine, IntensivNotfallmedizin, medicina intensiva, rianimazione e terapia
intensiva ? Vous remarquerez que dans presque tous les cas,
ces langues ajoutent « médecine » à la définition de l’exercice. Donc, il y a les soins (care) et souvent l’adjectif intensifs qui déterminent ensemble le champ des procédures et des
recrutements ; et il y a la médecine qui définit le domaine des
compétences. Notre définition française fait l’amalgame entre
les deux. Peut-être parce que nous ne disposons pas dans notre
langue des capacités d’association de l’allemand qui juxtapose substantif et adjectif dans le même mot ? De la subtilité
de l’italien qui associe Rianimazione et terapia intensiva ?
Peut-être parce que nous n’avons pas su ou pas voulu nous
inspirer du pragmatisme belge ou suisse qui englobe tout dans
la médecine intensive ? Est-ce sans conséquence ? Si sur mon
clavier, je tape intensive care, « Pubmed » me donne
32 389 références ; et plus de 14 000 pour critical care. Limi-
1624-0693/$ - see front matter © 2004 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.reaurg.2004.10.003
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tée aux titres d’articles ou à leur résumé, en ajoutant medicine aux deux précédentes, la quête apporte 2000 références.
Mais si j’écris, sans accent, reanimation, l’hégémonie de la
langue anglaise au sein des bases de données ne m’offre plus
que 2676 articles, dont 95 % sont consacrés aux procédures
chirurgicales qui visent à ré-animer les paralysies faciales et
les dysfonctionnements orbiculaires. Ajouté à cela, j’ai quelques difficultés à admettre que le terme de « soins intensifs »
utilisé en Espagne ou en Allemagne n’exprime pas la même
chose dans mon pays ; et j’ai plutôt tendance à penser que
« critical care » et « réanimation » sont vraiment synonymes.
Il faut reconnaître que nos récents décrets ne nous facilitent
guère les choses. Nous voici, semble-t-il, les seuls en Europe
à revendiquer une définition particulière des soins intensifs,
proche de ce que nos collègues allemands, autrichiens ou britanniques qualifient d’unités intermédiaires, mais pour lesquelles ils se sont bien gardés, de leur côté, d’entretenir une
confusion sémantique. Dans les versions françaises de ce
numéro, le terme de réanimation a donc été utilisé lorsqu’il
était nommément qualifié ou s’il ne me semblait pas y avoir
de doute sur les structures ou les formations décrites ; le terme
de médecine des soins intensifs lorsque les statuts ou les descriptions paraissaient englober nos deux définitions françaises. Je me demande s’il ne faudra pas un jour réviser nos
distinctions sémantiques, ne serait-ce que pour nous faire comprendre, mais c’est une autre histoire...
Deuxième réflexion. La lecture de ces articles montre à
l’évidence qu’aux différences culturelles et historiques près,
nous partageons les mêmes problématiques. Parlons des différences. En fonction de l’histoire, les disciplines qui se sont
investies dans l’organisation de la réanimation dans chaque
pays sont très variables : anesthésie bien sûr, médecine interne,
pneumologie, neurologie, chirurgie pour ne pas les citer toutes. Donc, en lisant Jordi Mancebo, Giorgio Conti ou Martin
Goenen, vous verrez que les espagnols ont fait certains choix,
les italiens les choix inverses, et que les belges ont tout redessiné avec un sens aigu du compromis. Avec Hilmar Burchardi, Philipp Metnitz et Jean-Claude Chevrolet, vous verrez comme les allemands sont pragmatiques, et comment les
autrichiens et les suisses adaptent leurs structures à leur organisation politique et à leur géographie si particulières. Avec
Julian Bion, comment les anglais expérimentent et anticipent, certains qu’ils sont de devoir s’adapter à un monde de
contraintes. Et avec Pierre-Edouard Bollaert, comment nous
les français... comment les français, c’est culturel, théorisent
(c’est là qu’ils sont excellents...) centralisent (c’est ici qu’ils
sont les meilleurs...) et après s’être tournés vers l’état régalien tout puissant, s’empressent de chercher les exceptions
aux règlements qu’ils ont eux-mêmes demandés (là, c’est
encore vous qui jugez...). Comparaison n’est pas raison bien
sûr et l’on voit qu’à travers toute l’Europe, ce sont finalement
les différences culturelles, linguistiques et historiques qui ont
exercé les rôles structurants. L’état fédéral donne aux cantons ou aux lânder l’organisation de la santé et se limite aux
règlements nationaux et aux grandes décisions comptables.
L’état-royaume associe les régions ou les communautés et
leur délègue les décisions. L’état central étend sa tutelle sur
tous en arguant de l’égalité, même s’il multiplie parfois les
niveaux d’organisation. Cela fait des différences. Selon certains, ce sont les luttes de concurrences qui ont façonné les
territoires et les structures, bien plus que les logiques théoriques de division en spécialités ; regardez les péripéties survenues en Allemagne. Selon d’autres, ce sont plutôt des déterminants techniques et intellectuels qui rendent possibles les
spécialisations [1]. Mais de toute façon, il ressort avec force
de tous les textes présentés ici que nous partageons un
domaine commun, et donc, qu’au-delà des mots et des origines, nous devons relever aujourd’hui les mêmes défis.
Le plus essentiel de ces défis est la formation médicale. Sans
l’organiser, en quantité, en qualité surtout, nous ne pourrons
assurer la pérennité de nos structures, leur adaptation aux
contraintes, le développement des connaissances nécessaires.
Le soin, la recherche et l’enseignement. La formation est un
devoir éthique pour les patients qui nous confient leur vie, évidemment. C’est une impérieuse nécessité pour tous les jeunes
médecins qui ne s’investiront qu’à la condition de pouvoir exercer leur métier avec sécurité et compétence. C’est de cette logique qu’est né le projet Cobatrice, dont Julian Bion, le coordonnateur, présente dans sa contribution quelques caractéristiques :
40 pays y participent, le budget est essentiellement fourni par
la communauté européenne, les phases de développement sont
bien déterminées. L’objectif est clair : définir les meilleures
modalités d’une formation fondée sur l’acquisition des compétences, favoriser la mobilité des médecins, offrir à tous —
grâce à l’outil électronique — les ressources éducationnelles
nécessaires. Tout est et sera disponible sur un seul site [2] et
cette initiative met l’Europe à la pointe du progrès [3]. Alors,
connectez-vous ! Toutes les suggestions, toutes les idées sont
bienvenues. Au-delà des divergences, si nous soignons les
mêmes malades et exerçons la même médecine, nous sommes
tous réanimateurs ! Et bien au-delà des différences, nous sommes tous européens !
Références
[1]
[2]
[3]
Pinell P. Spécialisation. In: Dictionnaire de la pensée médicale. Paris:
PUF ed.; 2004. p. 1063–9.
www.intensium.com/cobatrice.
Kummer HB. Is the US the odd one out? An international perspective
on anesthesiologist-intensivists. American Society of Anesthesiologists newsletter. 2004; 68 N°2 (available on www.asahq.org/
Newsletters/2004/02-04).
F. Fourrier
Rédacteur en chef,, Lille, France
Reçu et accepté le 30 octobre 2004

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