Nouvelles du front altermondialiste : l` armée de clowns rebelles

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Nouvelles du front altermondialiste : l` armée de clowns rebelles
Nouvelles du front altermondialiste :
l’ armée de clowns rebelles
tient bon
Francis Dupuis-Déri 64
Les manifestations turbulentes du mouvement
altermondialiste en Occident ont été ponctuées
de diverses actions spectaculaires. Des activistes
masqués et vêtus de noir ont parfois recours à la force,
ciblant des vitrines de McDonald’s et de banques,
mais d’autres formes d’actions sont récurrentes :
marionnettes géantes, troupes de samba mobiles et
théâtre de rue. Les Armées de clowns ont fait une
apparition remarquée lors des mobilisations contre
le Sommet du G8 en Écosse, en 2005. Elles ont alors
manifesté dans les rues et participé au blocage des
autoroutes. Elles s’inscrivent dans un mode d’action
festif et carnavalesque, associé au Bloc Rose et Argent
(Pink and Silver Bloc). L’ article a pour objet de
(1) présenter ces clowns rebelles (voire émeutiers)
et (2) d’analyser le sens de cette forme d’activisme.
Résumé :
64
Merci à Anouk Bélanger et Martin Breaugh, pour avoir lu et commenté la
première version de ce texte.
Cette analyse s’inspire d’ouvrages sur la fonction
politique du carnaval, ainsi que de textes sur les
Clowns rebelles ou écrits par des clowns, d’observation
participante dans des manifestations au Québec où
des armées de clowns sont entrées en action, et de
ma participation à titre d’animateur d’un atelier
de formation de l’ Armée de clowns révolutionnaires
à Montréal (2006).
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Une des pires erreurs que n’ importe quelle
révolution peut commettre est de devenir
ennuyeuse. Cela mène à des rituels plutôt
qu’ à des jeux, à des cultes plutôt qu’ à des
communautés et au déni des droits humains
plutôt qu’ à la liberté.
Abbie Hoffman, Museum of the Streets
Si je ne peux pas danser, ce n’ est pas ma révolution.
Emma Goldman
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n réaction aux manifestations de juin 2001 contre le Sommet de
l’ Union européenne, à Göteborg en Suède, le premier ministre
britannique Tony Blair avait dénoncé un « cirque itinérant d’anarchistes qui vont de sommet en sommet avec pour seul objectif de
provoquer le plus de grabuge possible » (BBC, 2001) 65. Le premier ministre pensait alors à ces activistes ayant recours à la force,
identif iés surtout aux Black Blocs et à leurs sympathisants, et qui
avaient lancé des pierres aux policiers, avant que ceux-ci n’ ouvrent
le feu dans leur direction, blessant très gravement un manifestant.
Les manifestations altermondialistes comptent également de nombreux groupes qui n’ ont pas recours à la force, et qui s’engagent
dans une grande diversité d’actions collectives, dont l’ utilisation de
marionnettes géantes, la formation de fanfares de samba, du théâ-
65
L’ expression « cirque itinérant d’anarchistes » sera reproduite sur une
bannière lors des manifestations du 1er mai à Londres.
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tre de rue, ou encore des « armées de clowns ». Le premier ministre
Blair ne croyait donc pas si bien dire, en évoquant un « cirque ».
Cette étude a pour objet (1) de présenter dans leur contexte
quelques-unes des offensives récentes des armées de clowns rebelles et (2) de préciser le sens de cette forme d’activisme, soit sa
signif ication politique et militante. Cette discussion s’inspire de
textes sur la fonction politique du carnaval et de la pratique des
clowns rebelles, dont certains signés par des (ex-)clowns (Haeringer, 2009 ; Routledge, 2009 ; Kolonel Klepto et Major Up Evil,
2005 ; Evans, 2003 ; Jordan et Whitney, 2002), d’une analyse du
discours off iciel des armées de clowns, d’observations participantes
des manifestations au Québec et en France où des armées de clowns
sont entrées en action et de ma participation à titre d’animateur
à un atelier de formation d’une armée de clowns à Montréal, en
2006. Il s’agit ici de réfléchir en écho aux débats qui ont cours dans
le mouvement altermondialiste et anarchiste quant à la pertinence
des armées de clowns en particulier et des manifestations récentes
en général. Même si un carnaval anticapitaliste ne peut prétendre
avoir une portée révolutionnaire immédiate, la pratique du clown
rebelle permet une certaine émancipation personnelle, ainsi qu’ une
perturbation des stratégies de communication médiatique des élites, et le développement d’une conscience contestatrice, d’une solidarité entre forces en résistance et d’une communauté d’activistes.
Le clown rebelle incarne de manière ironique et triste le principe
désespérance, qui en pousse plusieurs aujourd’hui à contester, résister et se rebeller.
Carnaval et « manifestives »
Il est possible de distinguer au sein des manifestations altermondialistes, de façon peut-être trop schématique, les mobilisations plus conventionnelles de celles plus turbulentes. D’une part,
les marches « unitaires » de syndicats et des grandes organisations
progressistes (environnementalistes, féministes, etc.) partent et
arrivent en des lieux et selon un horaire déterminés à l’ avance et
négociés avec les autorités. Elles sont encadrées par un service
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d’ordre et cherchent à éviter les affrontements entre manifestants
et policiers. Dans ces manifestations, les gens déf ilent souvent derrière la bannière de l’ organisation à laquelle ils sont associés (tel
syndicat, par exemple), avec des drapeaux et des pancartes frappés
des logos, symboles et slogans du groupe en question. Il y a parfois
des éléments festifs, comme des ballons ou de la musique diffusée
par une chaine stéréo montée sur un camion, ou encore des marionnettes géantes.
D’autre part, quatre types d’action de perturbation sont proposés
par des organisations et des groupes d’activistes, le plus souvent loin
de la marche « unitaire » : les blocages de désobéissance civile non
violente, les Black Blocs, les Blocs Blancs et les Blocs Roses et Argents, auxquels sont associées le plus souvent les armées de clowns.
Il y a enf in une multitude d’individus qui descendent dans la rue
sans aff iliation particulière, seuls ou avec des amis, sans compter les
groupes d’inf irmiers volontaires (street medics), les journalistes militants (d’Indymedia, par exemple) et les organisations ou les groupes
communistes et anarchistes, qui se joindront à la marche « unitaire »
ou à l’ une des actions de perturbation.
Les actions de blocage de désobéissance civile sont planif iées
par des groupes d’aff inité qui projettent de bloquer des rues ou les
entrées et sorties d’un bâtiment. Ainsi, les activistes du Direct Action Network (DAN) ont assiégé pendant plusieurs heures le centre
des congrès de Seattle, où devait s’ouvrir la réunion de l’ Organisation mondiale du commerce (OMC), le 30 novembre 1999. Le
Black Bloc, pour sa part, opère selon une tactique issue du milieu
autonome des squats allemands dans les années 1980 et qui a été
popularisée en Occident par la diffusion des images spectaculaires
des manifestations de Seattle par les médias. Cette tactique consiste à former un contingent dont les participantes et participants,
tout de noir vêtus et masqués, déf ilent souvent calmement au sein
d’une plus grande manifestation, mais lancent parfois des frappes
contre des cibles représentant le capitalisme (vitrines de McDonald’s, Nike, Gap et banques), ou se confrontent aux policiers à
coups de bâton et de cailloux, voire de cocktails Molotov (Dupuis-
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Déri, 2007 ; Dupuis-Déri, 2004b). Les Blocs Blancs, ou Tute Bianche (Combinaisons blanches), adoptent une attitude non violente
offensive. Protégés par des armures artisanales (matelas en caoutchouc mousse, casques, gants, masques, jambières), ces activistes
avancent en formation serrée et cherchent à bousculer les policiers
par la force même de leur corps, ou en lançant ballons et chambres
à air. Cette tactique provient des centres sociaux italiens (squats
politiques) et a été reprise un peu partout en Occident (Hardt et
Negri, 2004 : 305-308).
Enf in, les Blocs Roses et Argents (de l’ anglais : Pink Blocs ou
Pink & Silver Blocs) sont constitués d’activistes qui manifestent en
costumes bariolés et fantaisistes pour faire cohabiter la politique,
l’ art et le plaisir. Cette tactique rappelle les déf ilés de la f ierté
homosexuelle, et le Circus Amok aux États-Unis (Sussman, 1998),
d’inspiration drag et queer. Le premier Pink & Silver Bloc est entré
en action à Prague, en septembre 2001, dans le cadre de manifestations contre une réunion conjointe du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale (Chesters et Welsh, 2004).
Aidés par un activiste local, des éléments du Pink & Silver Bloc ont
réussi, en passant par des toits, des ruelles et des portes dérobées,
à contourner les policiers (alors que les Blocs Blancs et les Black
Blocs n’ y parvenaient pas) et à s’approcher de l’ édif ice où se déroulait la réunion de la Banque mondiale et du FMI, provoquant ainsi
une évacuation d’urgence. L’ esprit festif de ce cortège est accentué
par la présence de fanfares de samba, comme Rythms of Resistance66 à Prague, et l’ Infernal Noise Brigade67 à Seattle (McKay,
1998 ; Jordan, 1998).
Ces manifestations sont parfois appelées street party ou « manifestive », quand l’ action consiste à se réapproprier temporairement
un espace urbain. Sans être une nouveauté68, ce type de manifesta66
67
http ://www.rhythmsofresistance.co.uk/
http ://www.infernalnoise.org/
68
Voir les manifestives et fêtes de rue du mouvement autonome en Allemagne,
dans les années 1980 (Katsiaficas 1997 : 157).
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tion a été (re)popularisé en Grande-Bretagne par les réseaux d’écologistes radicaux dans les années 199069 et par le groupe Reclaim
the Streets70. Ce groupe d’anarcho-écologistes a appelé à une Global Street Party le 16 mai 1998, pendant le Sommet du G8 à Birmingham, ce qui a donné lieu à des manifestives un peu partout
dans le monde. Une action carnavalesque peut dérouter les policiers,
comme ceux de Toronto qui, face à la manifestive du 16 mai 1998,
lancent en ondes : « Ce n’ est pas une manifestation. Je répète. Ce
n’ est pas une manifestation. C’ est une sorte d’activité artistique.
Terminé. » (Starr, 2005 : 244) Si la street party est un événement
organisé pour un lieu précis, puisqu’ il s’agit de se réapproprier un
espace public, le carnaval anticapitaliste ou « festival de la résistance » - est en principe plus mobile, mais tout en conservant les
éléments de la fête : costumes, fanfares, marionnettes géantes. 10
000 personnes ont envahi le quartier des affaires de Londres, le 18
juin 1999, pour un « Carnaval anticapitaliste » organisé par Reclaim
the Streets. Street party et carnaval anticapitaliste s’inspirent plus
ou moins directement des thèses de Hakim Bey et de son concept
de zone autonome temporaire (Bey, 1991).
Ces événements font souvent l’ objet de mises en scène teintées
d’ironie. Ainsi, les Grands-mères en colère (Raging grannies71), déguisées avec des perruques et des robes extravagantes, chantent pour
exprimer leur critique du capitalisme ou de l’ État, tout comme les
Meneuses de claques révolutionnaires (Revolutionnary cheerleaders).
Lors des manifestations contre le Sommet des Amériques, à Québec en avril 2001, les membres du Deconstructionist Institute for
Surreal Topology (DIST) avaient fabriqué une catapulte grandeur
nature qui projetait des ours en peluche vers le périmètre de sécurité
pour accentuer l’ impression que les élites s’étaient retranchées dans
69
Lors de la campagne No M11 Link Road et l’ occupation de la rue
Claremont à Londres en 1993.
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http ://rts.gn.apc.org/
http ://www.raginggrannies.com/
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une forteresse pour fuir la colère du peuple72. Ailleurs, des activistes
déguisés en gens d’affaires (hommes en complet-cravate, femmes
en tailleur) manifestent en faveur du capitalisme et de la guerre,
brandissant des pancartes frappées de slogans tels que « Des bombes, pas de nourriture ! » ou « Faites payer les pauvres ! ». Dans la
tradition de la troupe Bread & Puppets, fondée dans les années
1960 pour dénoncer la guerre contre le Vietnam, des marionnettes
géantes en papier mâché prennent très souvent la rue dans les rassemblements altermondialistes. Elles représentent les politiciens du
G8, par exemple, ou le capitalisme incarné par un requin géant ou
un vampire, ou encore Némésis, la déesse de la juste colère, portée
par un groupe de féministes radicales lors du Sommet des Amériques (Andrews, 2007 ; Bell, 2001 ; Bell, 1998 ; Graeber, 2007 ;
Kruzynski, 2004). D’autres appels peuvent aussi être lancés, comme
celui de la Coalition féministe radicale, membre de la Convergence
des luttes anticapitalistes de Montréal, qui a organisé un Bloc Mauve (Purple Bloc) de femmes vêtues et masquées en mauve, lors des
mobilisations contre le Sommet du G20 à Toronto en 2010.
Enf in, des activistes vont se déguiser en clowns et même former des « armées » de clowns, l’ une des plus anciennes étant celle du
squat Christiania, à Copenhague73. La troupe de théâtre Solvognen,
associée au squat, avait déjà organisé en 1974 une Armée de Pères
Noël, dont la quarantaine de membres étaient entrés dans un grand
magasin pour y prendre des biens et produits et en faire cadeau aux
employés et aux clients, avant que la police n’ intervienne et procède à des arrestations brutales. La photo d’un policier matraquant
72
Serge Ménard, alors ministre de la Sécurité publique du Québec, avait
déclaré, en référence à la catapulte : « Je sais bien qu’ à long terme, ça fait partie d’un
plan. Parce que la prochaine manifestation qu’ ils vont faire n’ importe où dans le
monde, quelque chose sera caché dans le toutou. Il peut y avoir de l’ acide, un cocktail
Molotov, des briques. » Dans les dix années qui ont fait suite à ces manifestations,
aucune catapulte n’ est apparue dans un rassemblement altermondialiste (Pelchat,
2001 : B5).
73
Pour information sur le squat, voir Fremion (2002 : 209-214) ; sur les clowns,
voir le site Internet : www.klovne.net/index-eng.html.
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un père Noël avait été reprise par tous les journaux du Danemark
(Bloom, 2007 : 137). Les clowns d’aujourd’hui intègrent souvent
des éléments de l’ esthétique punk, portant des pantalons militaires
usagés, ou de vieilles vareuses. Cet amalgame entre le punk et le
clown avait été consacré dans les années 1980 par les spectacles du
groupe Bérurier Noir, avec cracheurs de feu et clowns sur la scène,
ou sur les pochettes de ses disques.
Les actions des clowns rebelles sont multiformes. Dans plusieurs cas, les clowns ne font qu’ animer les manifestations, se
payant parfois la tête des policiers en embrassant leurs boucliers
avec leurs bouches barbouillées de rouge à lèvres, en leur offrant des
fleurs, ou en les menaçant avec des fusils à eau. Ailleurs, quelques
clowns déguisés de façon fantaisiste en policiers antiémeutes peuvent identif ier un policier en civil inf iltré dans une manifestation,
et le suivre bruyamment jusqu’ à ce qu’ il quitte la foule, comme
lors d’une manifestation contre le Contrat de première embauche
(CPE) à Paris, en mars 2006 (Haeringer, 2009). Lors des conventions des deux grands partis politiques américains, en amont des
élections présidentielles de 2000, les activistes du groupe Milliardaires pour Bush et Gore s’étaient déguisés en tenue de gala et
distribuaient de faux billets aux policiers, comme récompense pour
réprimer la contestation. Le Bloc des Clowns anarchistes révolutionnaires, équipé de très hauts monocycles, était alors entré en
action et avait semé une certaine confusion parmi les policiers, en
attaquant – mollement – les Milliardaires pour Bush et Gore…
Une armée de clowns rebelles a lancé l’ opération H.A.H.A.H.A.A
(Helping Authorities House Arrest Half-witted Authoritarian Androids) contre le sommet du G8 en Écosse, en 2005. Les clowns
avaient dormi dans un château et s’étaient levés tôt pour marcher
directement à travers une ligne de policiers, en scandant « Amour
et respect ! », et bloquer l’ autoroute A9 menant au sommet off iciel
– et pour se retrouver peu de temps après sur un pont face à des
policiers qu’ ils amusaient de leurs pitreries, les deux groupes se
donnant même l’ accolade pendant un bref instant (Kolonel Klepto
et Major Up Evil, 2005).
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Absents des mobilisations contre le Sommet du G20 à Toronto, en juin 2010, l’ action récente la plus importante des clowns
rebelles s’est déroulée dans le cadre du Sommet de l’ OTAN, à
Strasbourg, en avril 2009. L’ OTAN étant une alliance militaire, cet
événement était tout approprié pour une mobilisation des armées
de clowns. Quelques jours avant le début du Sommet, environ 50
clowns ont participé dans le centre-ville à une « parade solidaire
contre le cirque sécuritaire ». L’ action principale a toutefois consisté en une manœuvre conjointe de membres de bataillons de la 73 ème
Brigade active de clowns (BAC)74 et de la Clandestine Insurgent
Rebel Clown Army (CIRCA)75 visant à instaurer une « zone rose
de sécurité maximale ». L’ action a été précédée par une conférence
de presse au campement provisoire autogéré, où les clowns avaient
installé leur propre quartier (barrio). Les porte-parole ont déploré
que l’ Armée de clowns n’ ait pas été invitée à participer au Sommet
de l’ OTAN. Scandant « Yes, we can ! », le slogan de Barack Obama
pendant sa campagne électorale de 2008, les clowns, armés de pistolets de plastique, de bazookas en carton et de plumeaux multicolores,
se sont ensuite embarqués dans un autobus et des voitures, plusieurs
dizaines n’ ayant pas de place dans un véhicule décidant de continuer
à pied. Les policiers ont refoulé le convoi motorisé qui f ilait du campement autogéré vers le centre-ville. Après quelques pitreries des
clowns et un contrôle d’identité par les policiers, les clowns ont été
forcés de rebrousser chemin. Escortés par une dizaine de fourgons
de police, les clowns sont descendus de leurs véhicules à quelques
reprises pour danser dans les rues et dessiner des cœurs et des signes
pacif istes sur les automobiles. Alors que plusieurs résidants du quartier rejoignaient les clowns, les policiers se sont f inalement retirés
et l’ armée de clowns, forte d’environ 150 membres, a entrepris de
marcher en formation serrée vers le centre-ville, scandant « Amour
et respect ! ». À ce moment, 200 policiers ont barré le chemin et un
camion muni d’un canon à eau a été utilisé pour disperser les clowns
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http ://www.brigadeclowns.org
http ://www.clownarmy.org
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(qui n’ avaient commis aucun acte de violence à l’ égard des policiers...), rapidement rejoints par environ 400 manifestants venus en
renfort en provenance du campement. S’en sont suivi des tirs de gaz
lacrymogène de la part des policiers et l’ érection de barricades de la
part des manifestants76.
Diversité des tactiques
Les multiples approches manifestantes sont parfois en tension, voire en rivalité les unes avec les autres, surtout si elles sont
considérées de manière rigoureuse et dogmatique comme représentant des formes violentes et non violentes de l’ activisme. Ce débat
violence/non-violence a traversé et plombé bien des campagnes de
mobilisation depuis les manifestations de Seattle en 1999. Dès les
années 1990, le débat est identif ié par l’ expression fluffy vs. spiky
(duveteux contre piquant) (Evans, 2003 : 293 ; Starr, 2005 :241),
fluffy signif iant non-violence et comportement exemplaire et responsable, et spiky, recours à la force et confrontation (McKay, 1998 :
15). À première vue, le Black Bloc serait l’ archétype du spiky et le
Pink & Silver Bloc du fluffy. Au f il des débats et des réflexions tactiques, ainsi que des partages d’expériences et des alliances, ce clivage
tend toutefois à se brouiller, avec la pratique de division en zones
manifestantes attribuées aux différents blocs, comme à Prague en
2000 (Chester et Welsh, 2004), et l’ apport de la notion de « respect
de la diversité des tactiques » proposée par la Convergence des luttes
anticapitalistes (CLAC) de Montréal, en prévision des manifestations contre le Sommet des Amériques en avril 2001 (Dupuis-Déri,
2007). Déjà en 2000, le Black Bloc actif à Prague transportait un
ballon de plage d’environ quatre mètres de diamètre pour jouer avec
le jet du canon à eau (Starr, 2005 : 244), et une des participantes
du groupe Tactical Frivolity, composé de femmes déguisées en fées
géantes et participant au Pink & Silver Bloc, aff irmait être lasse du
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Textes d’information, photos et vidéos : « Strasbourg : témoignage de la
clown army », http ://greenpitre.canalblog.com, 5 avril 2009 ; « Solidaires contre le
cirque sécuritaire », 3 avril 2009, http ://greenpitre.canalblog.com ; « OTAN : déf ilé de
clowns et escarmouches à Strasbourg », 3 avril 2009, http ://www.lexpress.fr.
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débat entre fluffy et spiky, se demandant « de toute façon, c’ est quoi,
la violence, quand l’ État tue des gens tous les jours. Et les gens de la
Banque mondiale mangent des enfants du tiers monde pour déjeuner, alors s’ils reçoivent des briques, eh ! bien, c’ est de leur faute »
(Evans, 2003 : 293).
Les rapports peuvent être très harmonieux entre les activistes
de diverses tendances, ce qui permet des expériences hybrides. Lors
du Sommet du G8 à Évian, en 2003, un Pink Bloc d’environ 1500
activistes a mené des actions de blocage à Lausanne de manière
coordonnée avec les manœuvres d’un Black Bloc de 500 activistes77.
En Écosse, en 2005, le Black Bloc a quitté le campement provisoire
autogéré, l’ écovillage de Stirling78, pour entreprendre une « Marche
suicide » dans l’ intention d’attirer l’ attention des policiers et de la
détourner des bataillons de clowns qui manœuvraient pour bloquer
les autoroutes. Quelques heures plus tard, les clowns encercleront
des policiers ayant encerclé un Black Bloc, pour les ridiculiser, détourner leur attention et exprimer une solidarité avec les activistes
piégés (Kolonel Klepto et Major Up Evil, 2005).
Ces manifestives, ou ces actions clownesques, rappellent des
f igures emblématiques comme le fou du roi, ou encore Durov le
clown, que mentionnait la Pravda à l’ occasion du 1er mai à Moscou
en 1919, et qui amusait la foule rassemblée pour voir le déf ilé en
imitant un off icier tyrannique de l’ armée du Tsar admonester un
simple soldat, représenté par son chien (Bibikova et Cooke, 1998 :
18). Ces clowneries militantes rappellent aussi bien sûr les carnavals du Moyen Àge parce que les clowns et leurs alliés occupent la
rue de façon éphémère et parce qu’ ils utilisent les marionnettes, les
costumes, la démesure, l’ humour, le ridicule et les mises en scène
ironiques du pouvoir.
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Voir le texte « Lausanne : des blacks & pinks témoignent et revendiquent »,
sur le site Internet : www.paris.indymedia.org
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Pour une analyse de ces campements, voir Dupuis-Déri (2005).
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Penser la « manifestive »
En Occident, le carnaval est une pratique culturelle qui s’institutionnalise au Moyen Âge, alors qu’ il offrait la possibilité d’un
renversement temporaire plus ou moins radical de l’ ordre social.
Dans ses commentaires célèbres sur la signif ication sociopolitique
des carnavals, Mikhaïl Bakhtine insiste sur le travestissement, les
bastonnades et la mise au feu d’eff igies comme signes d’« espérances populaires » à l’ égard de la liberté (Bakhtine, 1970 : 212). Le
carnaval peut aussi offrir l’ occasion d’un dérapage populaire, d’une
« expérience plébéienne », soit d’un moment insurrectionnel alimenté par un désir de liberté et qui créé une « brèche » temporaire
dans l’ ordre social et politique de la domination (Breaugh, 2007).
L’ insurrection ou l’ émeute ont été abordées par plusieurs théoriciens
contemporains du politique et de la démocratie comme des moments
d’expression et d’expérimentation de la souveraineté et de la liberté
du peuple, phénomène désigné par certains comme « démocratie
sauvage » ou « démocratie insurgeante » (Abensour, 2009 ; Sagradini,
2008-2009). Pour Breaugh, « [l]a pratique de l’ insurrection participe […] de cette conception particulière de la démocratie comme
exercice sans médiation de la souveraineté politique » (2007 : 211)
de la plèbe et le carnaval offre une scène particulièrement propice au
déploiement de la démocratie insurgeante, puisque la plèbe est autorisée à sortir de son rôle, à y jouer déguisée et même masquée, ce qui
assure l’ anonymat et réduit les risques de représailles et de répression
si l’ on décide de commettre des méfaits.
Le demos, ou peuple délibérant, se confond alors avec la plèbe,
ou peuple insurgé, ce qui vient d’ailleurs conf irmer dans leur préjugé celles et ceux qu’ affecte l’ agoraphobie politique, soit la peur
du peuple (demos) assemblé à l’ agora pour délibérer. L’ agoraphobie
politique considère le peuple assemblé comme naturellement irrationnel et facilement manipulable par des démagogues. Il risque
de se transformer presque inévitablement en multitude émeutière,
aussi nommée l’ « hydre » (Rediker et Linebaugh, 2008), et de s’en
prendre aux institutions et aux autorités respectables : les nobles, les
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prêtres, les propriétaires79.
L’ agoraphobie politique s’oppose à l’ agoraphilie politique, soit
cet amour du peuple assemblé pour se gouverner, du peuple réellement libre et souverain. Il est vrai, cela dit, que ce peuple assemblé qui se constitue alors en demos ou acteur politique, travaillant
consciemment sa volonté par la délibération, peut représenter une
menace. L’ assemblée du demos offre l’ occasion de décider collectivement de passer à l’ action, soit de l’ agora à la rue, et de se transmuer en plèbe. Si les émeutes sont très souvent conçues comme
des explosions spontanées, des analyses plus attentives montrent
qu’ elles sont presque toujours préparées et désirées dans des assemblées populaires plus ou moins formelles (Rosenthal et Schwartz,
1989), ou qu’ elles sont espérées dans les discours et récits qui circulent plus ou moins clandestinement au sein des classes défavorisées
(Scott, 1990).
Si la démocratie insurgeante sait bien saisir l’ occasion de son
expression, le carnaval offre une occasion à saisir pour le demos de
(se) manifester, de faire brèche, de vivre une expérience plébéienne.
Pour reprendre les mots de Goethe, le carnaval n’ est pas tant un
festival offert au peuple qu’ un festival que se donne le peuple. Les
activistes voient d’ailleurs aujourd’hui dans leurs manifestives altermondialistes une référence à l’ histoire passée des carnavals (Notes
from nowhere, 2003 : 174-175).
Mais le carnaval offre un cadre particulier à l’ insubordination
de la plèbe, puisqu’ il s’agit d’un événement à date f ixe, qui peut ou
non être déjà associé dans le discours off iciel des autorités politiques, religieuses ou économiques, à des transgressions acceptées
des normes et à un renversement temporaire accepté des statuts.
Même les membres de l’ élite tolèrent cette possibilité de charivaris, de luxure, d’obscénité (Grindon, 2004 : 152 ; Scott, 1990 : 173).
Le cadre du carnaval offre donc un simulacre d’insurrection, plutôt
79
Simon Crichley (2007 : 130) propose le néologisme anglais « démos-stration »
pour désigner une manifestation du demos, soit ces membres de la communauté qui
n’ ont pas de titre leur pemettant de compter au sein de l’ élite ou du pouvoir.
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qu’ une réelle insurrection.
La théorie de la soupape de sûreté
Dans le discours de plusieurs activistes d’aujourd’hui, le carnaval anticapitaliste est associé à un moment révolutionnaire, voire à
la révolution elle-même. Ainsi, pour John Jordan et Jennifer Whitney, activistes de Reclaim the Streets, « [l]e carnaval et la révolution ont des objectifs identiques : inverser l’ ordre social dans un
esprit d’abandon joyeux et célébrer notre soif inextinguible de vie »
(2002 : 120). Ces propos font écho à la conception des Situationnistes au sujet des émeutes, pensées comme des moments révolutionnaires ou des préludes à une révolution. Aujourd’hui, l’ émeute est
parfois présentée comme une « microrévolution », puisqu’ elle permet
l’ instauration d’une zone temporaire autonome où s’expérimentent
en marge et en contradiction avec l’ État la liberté, l’ égalité, la solidarité.
Plusieurs restent sceptiques quant à la pertinence d’une telle
agitation, aff irmant qu’ il serait plus prof itable pour la plèbe, le peuple ou le prolétariat, c’ est selon, de mener des actions « réellement »
révolutionnaires. Gavin Grindon (2004), dans son analyse de plusieurs manifestives anticapitalistes, indique que Mikhaïl Bakhtine
considère que le carnaval n’ est pas un phénomène révolutionnaire,
car il est nécessairement de courte durée et ses participantes et participants ne cherchent pas à prendre le pouvoir ou à le renverser de
façon permanente.
Les manifestives sont même parfois perçues comme des moments d’agitation qui réduisent les chances qu’ une véritable révolution ne survienne, puisqu’ elles agiraient comme des soupapes
de sûreté ou de décompression. Selon cette perspective, les rituels
comme les carnavals relèveraient de la logique « du pain et des
jeux », les élites offrant des occasions à la plèbe de se purger de ses
insatisfactions et de ses récriminations, pour réintégrer ses fonctions subalternes dès le lendemain. Des notables français au XVIème
siècle considéraient d’ailleurs déjà qu’ il était utile de laisser le peuple jouer au fou et faire la fête (Kertzer, 1988 : 144).
Les grandes manifestations du mouvement altermondialiste
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Nouvelles du front altermondialiste : l’ armée de clowns rebelles tient bon
réactualisent certaines caractéristiques des carnavals off iciels et
elles ont été identif iées comme des pièges tendus par les élites aux
contestataires. Ces manifestations contre des Sommets off iciels
sont en effet de plus en plus attendues et encadrées, au point où
Naomi Klein parle de « McManifs » (Klein, 2002), les touristesactivistes suivant les sommets off iciels comme d’autres leur groupe de musique préféré, de spectacle en spectacle. Une critique de
l’ émeute programmée qui agirait comme soupape de sûreté est présentée avec conviction par Naggh :
« [L’ ]émeute bocale est celle qui accompagne l’ idéologie
« altermondialiste ». On y voit des militants de l’ émeute
se déplacer et se battre dans des villes où ils sont
considérés comme des envahisseurs et des étrangers, et
où ils n’ arrivent jamais, à concurrence de deux ou trois
tentatives par an, à rallier les pauvres locaux, bien
dégoûtés par ces colères factices qui ne sont pas les leurs.
Ce tourisme de l’ émeute, facile à prévoir et à mettre
en scène pour l’ ennemi, a l’ avantage de décharger
les frustrations [...] et d’offrir une image taillée sur
mesure de l’ émeute, c’ est-à-dire peu attrayante, triste,
sinistre et sans espoir. Car ces matchs, dans des villes
complètement bouclées par la police, ne sont pas ceux
dont l’ issue est à suspense. »
Naggh, 2004 : 27-28
Il ne s’agit donc que de « simulacres d’émeute : leur spectacle a
remplacé leur possible, ils ne peuvent déboucher que sur de l’ idéologie de la révolte, mais pas sur de la victoire » (Naggh, 2004 : 28).
Pour sa part, Gavin Grindon précise qu’ il faut distinguer entre
les carnavals off iciels et traditionnels acceptés par les élites, dont
l’ Église, et les carnavals autonomes. Même si les manifestives altermondialistes proposent des carnavals qui ne sont pas tout à fait
autonomes, puisque la mobilisation a généralement lieu en réaction
à un événement off iciel, elles ne sont pas non plus totalement voulues par les élites off icielles. Cette perturbation a poussé les politi228
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ciens, suite à l’ ampleur et à la violence des affrontements à Gênes
en 2001, à tenir leurs réunions dans des lieux d’accès inaccessibles
ou interdits aux manifestations (dans les montagnes Rocheuses
canadiennes, par exemple, pour le Sommet du G8 en 2003, ou sur
une île pour le Sommet du G8 en 2004), jusqu’ à ce que le gouvernement conservateur canadien ne ramène le Sommet du G20 au
centre-ville de Toronto, en juin 2010 (ce qui provoquera des manifestations perturbatrices et amènera le président français Nicolas
Sarkozy à annoncer que le prochain sommet se tiendra à Nice, en
2011).
Décompression symbolique ou rapport de force politique ?
Un simulacre de révolte comme un carnaval est certainement
moins inquiétant pour les élites qu’ une véritable révolte, mais cela
ne signif ie pas qu’ il s’agit d’un moment qu’ elles jugent agréable,
qu’ elles espèrent, qu’ elles désirent. À ce compte, les Jeux olympiques ou les festivals de musique sans émeute, mais aussi les
carnavals commandités par des compagnies privées et encadrés par
l’ État, comme celui de Rio ou de Venise, semblent des dispositifs
de décompression pour les insatisfactions populaires bien moins
problématiques du point de vue des élites et des forces policières les
encadrant (Scott, 1990 :178). Ces événements se sont institutionnalisés, prenant des formes plus commerciales et touristiques, tout
en offrant l’ apparence d’un souci de conservation des traditions. La
dynamique carnavalesque y est représentée de façon spectaculaire,
mais elle résulte d’une planif ication d’événement concertée par
diverses autorités et industries, dont certaines exigent en contrepartie de leur aide f inancière de voir leur logo ou leur nom apparaître
sur des chars allégoriques, ou des péniches sur lesquelles se donnent
en spectacle des chanteuses, dans le cas du carnaval de Venise. Il
n’ est même plus question ici pour la plèbe d’un moment de décompression lors duquel elle se purge de ses insatisfactions, mais plus
simplement d’une occasion de divertissement pour la plèbe locale,
ou pour la masse de touristes venus d’ailleurs.
Dans tous les cas, la théorie de la soupape de sûreté reste trop
limitée, selon James Scott (1990) et Gavin Grindon (2004), car
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Nouvelles du front altermondialiste : l’ armée de clowns rebelles tient bon
elle ne permet pas de saisir toute la complexité de moments aussi
particuliers que le carnaval populaire et la manifestive. Il est aussi
possible de penser que le choix de la part des élites d’avoir une soupape de sûreté n’ est pas tant le résultat d’une réflexion stratégique
autonome que d’une peur face à la menace que représente une force
sociale. Si les élites ont organisé ou accepté les carnavals, c’ est donc
peut-être qu’ elles y ont été en partie forcées par un rapport de force
(Scott, 1990 :178) ; c’ est en tout cas suite à des luttes politiques
parfois violentes que les droits de s’assembler et de manifester ont
été acquis en Occident.
De plus, si plusieurs observateurs ironisent si souvent sur la capacité du « système » à récupérer la dissidence, il ne faut pas oublier
que la dissidence peut récupérer et détourner à ses f ins des rituels
off iciels, voire des cérémonies religieuses. L’ histoire compte plusieurs exemples de carnavals qui ont très mal tourné pour des membres de l’ élite – percepteurs d’impôts, prêtres corrompus, notables
violents envers leur épouse – qui ont été physiquement pris à partie,
ou qui ont dû fuir pour sauver leur peau. Dans un village proche de
Rennes, la procession du Corpus Christi en 1851 a donné l’ occasion de dépeindre Jésus sous les traits d’un héros révolutionnaire
(Kertzer, 1988 : 147). Plus près de nous, il est étonnant que quelques centaines ou milliers d’activistes avec peu de moyens soient
parvenus, à Seattle et ailleurs, à voler la vedette et perturber le
spectacle organisé par et pour les plus puissants et les plus riches
de la planète.
La plèbe peut renverser symboliquement la hiérarchie lors d’un
carnaval parce que toute hiérarchie un tant soit peu sophistiquée ne
s’exprime pas seulement par la violence et la coercition, mais aussi
par des symboles, des mises en scène, des rituels et des protocoles. Pour David I. Kertzer, auteur de Ritual, Politics and Conflicts,
« [l]’ élite politique utilise le rituel pour légitimer son autorité, mais
les rebelles contre-attaquent avec des rituels de délégitimation »
(1988 : 2). Kertzer constate que plusieurs « considèrent les rituels
comme de simples décorations de quelque chose de plus important, des « véritables » activités politiques. Mais en fait, le rituel est
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une partie intégrale de la politique dans les sociétés industrielles
modernes ; il est très diff icile d’imaginer comment un système politique pourrait fonctionner sans cela » (1988 : 3). En Occident, avec
l’ importance des médias comme interface entre l’ élite et l’ opinion
publique, le spectacle politique et la « fabrication de l’ image » des
dirigeants semblent prendre encore plus d’importance.
Le pouvoir sent donc le besoin de se donner en spectacle, voire
de chorégraphier les manœuvres de ses sbires : les gardes d’honneur
de soldats en uniformes colorés, qui paradent avec casques de poil,
costumes historiques, gants blancs et sabre au côté, sous des airs de
trompettes, tambours ou cornemuses. Lors de telles cérémonies,
il y a peu ou pas de rires, ni chez les dépositaires de l’ autorité, ni
chez leurs sbires, car soldats et policiers sont des « adversaires du
rire », selon Bakhtine (1970 : 267). Dans un entretien, un policier
britannique expliquera ainsi, au sujet de l’ Armée de clowns mobilisée en Écosse contre une réunion préparatoire du Sommet du G8,
à Sheff ield :
« Les clowns formaient une entité inconnue pour nous.
Nous savions qu’ ils étaient non violents, mais c’ était
l’ aspect embarrassant dont nous ne voulions pas ;
embarras pour les délégués, la police, le Conseil, Charles
Clarke [le Ministre de l’ intérieur], n’ importe qui. Je
veux dire, mes agents étaient bien prêts à s’amuser, à
rire et à blaguer avec les meilleurs des clowns. Mais
dans les médias nationaux et internationaux, ils
devaient avoir l’ air un peu plus professionnels. »
Waddington et King, 2007 : 424
C’ est parce que l’ autorité et le pouvoir s’offrent des spectacles
si sérieux que leurs rituels et symboles sont menacés de perdre leur
sens par des détournements et des renversements de sens, par le
rire, l’ ironie et le ridicule.
James Scott constate d’ailleurs qu’ en période de tension politique, les élites n’ ont pas tendance à encourager la tenue de carnavals,
mais plutôt à les interdire, ce qui vient également contredire l’ idée
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Nouvelles du front altermondialiste : l’ armée de clowns rebelles tient bon
d’une décompression voulue par les élites : François 1er a interdit
les carnavals en 1538 alors que la France est traversée de tensions
religieuses ; Napoléon Bonaparte a interdit le carnaval de Venise de
peur de soulèvements antifrançais ; Franco interdira les carnavals
pendant la Guerre civile espagnole, et quiconque se promenait avec
un masque dans les zones « nationalistes » était passible d’arrestation (Kertzer, 1988 : 148 ; Scott, 1990 : 179). La répression des
carnavals et des manifestives révèle que les autorités n’ apprécient
guère l’ expression festive de la dissidence. D’ailleurs, un an après
Seattle, le FBI a ajouté le « Carnaval contre le capitalisme » à sa
liste des groupes terroristes (Notes from nowhere, 2003 : 179) et en
2007, les policiers allemands protégeant le Sommet du G8 et voulant justif ier leur répression des clowns ont prétendu que ceux-ci les
avaient empoisonnés avec des produits toxiques, en fait des bulles
de savon (Haeringer, 2009) – lors du Sommet du G20 à Toronto
en juin 2010, un policier menacera d’arrestation pour agression à
l’ égard d’un agent de l’ ordre une manifestante qui soufflait en sa
direction des bulles de savon.
Des policiers s’en sont aussi pris à des marionnettes géantes
avant même les manifestations. Le 1er août 2000, en amont des
manifestations contre la convention du Parti républicain, à Philadelphie, 180 policiers, épaulés par des hélicoptères, ont investi
l’ entrepôt où étaient confectionnées les marionnettes, menottant
et arrêtant les 79 activistes s’y trouvant, détruisant les marionnettes
(Andrews, 2007). Pour la foule venue assister dans les rues à la cérémonie d’intronisation du président George W. Bush à Washington
en 2001, les pancartes étaient permises, mais les marionnettes interdites. En novembre 2003, plusieurs villes ont interdit les marionnettes dans le cadre des mobilisations contre le Sommet des Amériques à Miami. À ce point, les marionnettes semblaient si menacées
que des activistes du Black Blocs ont concentré leurs énergies à les
protéger des policiers. Après avoir été abandonnées à contrecœur
par la foule suite à une charge policière, les marionnettes ont été
détruites par des policiers en furie (Graeber, 2007 : 390). « Mais
pourquoi l’ entrepôt de marionnettes a-t-il été attaqué par la poli-
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ce ? », a demandé au tribunal une marionnette-chaussette, lors du
procès des activistes après la convention républicaine de Philadelphie (Yuen Thompson, 2005 : 143). Elle n’ a pas obtenu de réponse.
Clowns et rébellion
Si des activistes associent les manifestives à la révolution alors
que d’autres lui reprochent de ne pas mener à la révolution, les
clowns de la célèbre Clandestine Insurgent Rebel Clown Army
(CIRCA), fondée en novembre 2003 en prévision de la visite de
George W. Bush en Grande-Bretagne, prennent bien moins au
sérieux cette question de « la » révolution. Sur son site Internet, la
CIRCA déf init sa mission, expose ses faits d’armes et encourage le
recrutement. Chaque élément de son nom est déf ini avec précision :
« Nous sommes clandestins parce que nous refusons le spectacle de la
célébrité et parce que nous sommes tout le monde. » Étant déguisés,
« nous rejetons la société de surveillance » et « nous retrouvons le
pouvoir de nos actes ». Ensuite, « nous sommes insurgés, parce que
nous avons surgi de nulle part et que nous sommes partout. Parce
que les idées peuvent être ignorées mais pas supprimées, et parce
qu’ une insurrection de l’ imagination est irrésistible. » En écho à
l’ identité d’insurgé et à la mise à distance de l’ ethos révolutionnaire, ces clowns se disent « rebelles » parce qu’ ils aiment « la vie et
la joie plus que la « révolution ». Parce qu’ aucune révolution n’ est
jamais complétée et que les rébellions continuent pour toujours.
[…] Parce que nous allons toujours déserter et désobéir à ceux et
celles qui abusent du pouvoir et s’y maintiennent. Parce que les
rebelles transforment tout – la façon dont ils vivent, créent, aiment,
mangent, rient, jouent, apprennent, échangent, écoutent, pensent
et, plus que tout, la façon dont ils se rebellent. »
Il y a dans ce passage des échos à une posture commune dans
la mouvance radicale d’aujourd’hui, de sensibilité implicitement ou
explicitement anarchiste, qui consiste à se méf ier de la référence
classique à la révolution et à celles et ceux qui proposent de prendre le pouvoir pour le bien de l’ ensemble. En position de rébellion permanente, ces clowns annoncent ne jamais vouloir s’incliner
devant un nouveau chef. De toute façon, l’ idée n’ est plus de faire
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Nouvelles du front altermondialiste : l’ armée de clowns rebelles tient bon
la révolution, mais de résister, de contester et de se rebeller ici et
maintenant. Cette perspective rebelle plutôt que révolutionnaire a
souvent été critiquée au sein de la mouvance anarchiste ou marxiste-léniniste contemporaine par des activistes qui aff irment qu’ il
s’agit là d’une sorte de démission intellectuelle et politique, voire
de posture individualiste égoïste, et qu’ il ne faut pas seulement
s’émanciper soi-même de façon temporaire dans des actions sans
lendemains (qui chantent), mais qu’ il faut plutôt œuvrer à la constitution d’un mouvement de masse capable de mener à une révolution
globale (Bookchin, 1995 : 4-25).
Les agitateurs bigarrés adoptent une position en rupture avec
cette attitude qu’ ils jugent inutilement sérieuse, voire puriste :
« Nous sommes des clowns, car que peut-on être d’autre dans un tel
monde stupide. Parce qu’ à l’ intérieur de toute personne se trouve un
clown sans loi qui essaie de s’évader. Parce que rien ne mine l’ autorité comme de révéler son ridicule. »80 Il y a donc ici la conscience
politique que la légitimité de l’ autorité tient en partie d’un certain
protocole et d’un sérieux certain, et qu’ une autorité ridiculisée par
les individus sur qui elle prétend s’exercer perd de son panache et
de sa contenance, ce qui réduit d’autant sa légitimité. Ces agitatrices et ces agitateurs ajoutent : « Nous sommes une armée parce que
nous vivons sur une planète en guerre permanente – une guerre de
l’ argent contre la vie, du prof it contre la dignité, du progrès contre
le futur. [...] Parce que seule une armée peut déclarer une guerre
absurde contre une guerre absurde. Parce que le combat nécessite
de la solidarité, de la discipline et de l’ engagement. »81 La référence
à l’ « armée » et la parodie de la chose militaire dans leur déguisement et dans leur façon de déf iler inscrit clairement cette forme
militante dans la perspective antimilitariste, visant une institution
– l’ armée – qui repose sans doute plus que les autres sur des normes
et un protocole très rigoureux, et dont les membres sont soumis à
des rituels, des mises en scène et au port de costumes, les uniformes
80
81
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http ://www.clownarmy.org/index.html
Ibid.
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de service, de combat et de parade.
Ces clowns n’ ont donc pas la prétention de faire la révolution,
s’il faut entendre le terme dans son sens classique de renversement
global d’un système ou d’un régime. Les clowns précisent plutôt
se tenir dans un entre-deux, au centre et à la marge de la société
(Kolonel Klepto et Major Up Evil, 2005 : 248). D’ailleurs, l’ acronyme de l’ armée de clowns CIRCA signif ie « environ » en anglais,
et trouve à être justif ié par les clowns « parce [qu’ ils sont] approximatifs et ambivalents, ni ici ni là, mais dans la plus puissante des
places, la place entre l’ ordre et le chaos ». Cet entre-deux est aussi
souligné par le collectif Notes from nowhere (2003 : 174), pour qui
le carnaval anticapitaliste est à mi-chemin entre la fête et la manifestation, entre une résistance et une proposition (d’un autre monde
possible), entre la destruction et la création, entre la créativité et le
conflit.
Selon Grindon (2004 : 160), ce sont les autonomes82 qui offrent les notions théoriques les mieux adaptées pour appréhender
le sens du carnaval anticapitaliste, qui n’ est ni un outil de contrôle
social pour les élites (théorie de la soupape), ni un moment révolutionnaire (théorie situationniste), mais plutôt un événement tactique autonome, en tension entre l’ ordre et le chaos. Si une stratégie
planif ie le renversement du système par de grandes manœuvres, la
tactique concerne l’ affrontement direct, l’ accrochage, l’ escarmouche,
au mieux la bataille, mais non la guerre. C’ est la différence entre une
révolution globale (stratégique) et une insurrection ponctuelle ou
une émeute (tactique).
Cela dit, Saul Newman (2007 : 14) va selon moi trop loin lorsqu’ il discute des nouvelles pratiques anarchistes associées à l’ altermondialisme, et les inscrit dans un contexte postmoderne où le
82
Mouvement extra-institutionnel d’extrême gauche allemand, des années
1980, associé principalement au réseau des squats et à la lutte antifasciste. La
notion d’autonomie indique un refus de rapport avec les institutions comme l’ État,
le capitalisme, les partis politiques (même de gauche) et les syndicats. L’ autonomie
implique aussi un rejet explicite des étiquettes politiques, même si dans les faits, le
mouvement est de sensibilité anarcho-communiste (Kastaf iakas, 1997).
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Nouvelles du front altermondialiste : l’ armée de clowns rebelles tient bon
fondement du politique serait l’ événement, le moment, la situation
(plutôt qu’ un système, ou un rapport dialectique). Pour Newman,
la politique n’ est donc pas déterminée structurellement par des rapports dynamiques stratégiques et dialectiques, mais elle est toujours
contingente, dépendant plutôt du hasard et des libres choix des unes
et des autres ; en bref, l’ action politique serait toujours tactique.
Or, si les tactiques sont influencées par la stratégie générale
et le rapport stratégique entre forces alliées et adverses, les événements tactiques, nécessairement ponctuels, peuvent être compris
dans ce qu’ ils apportent à un mouvement général, au-delà de l’ événement lui-même, et dans la manière dont ils influencent à leur
tour la stratégie et le rapport de force stratégique. Il importe alors
de distinguer dans l’ analyse politique le tactique du stratégique, et
de penser ces deux axes comme s’influençant – plutôt que se déterminant – l’ un l’ autre. Pour Grindon (2004 : 153), il ne faut pas
reprocher à l’ événement de ne pas être ce qu’ il ne peut ni ne veut
être ; un carnaval n’ est pas une stratégie, c’ est une tactique qui peut
avoir des effets sur les rapports dialectiques qui s’inscrivent dans les
situations et même dans les esprits et les corps des individus.
Clowneries et émancipation personnelle
La participation à une Armée de clowns peut permettre à des
individus une certaine émancipation personnelle face à des rapports
de domination et d’oppression vécus directement, soit donc de travailler la « politique de leur vie intérieure », pour reprendre les mots
de Laura Pulido (citée par Routledge, 2009 : 86). Ronni, une activiste du groupe Tactical Frivolity qui a participé aux manifestations
à Prague, en 2000, réfléchit à son expérience dans le cadre des rapports entre les hommes et les femmes, médiatisés par la violence des
uns envers les autres :
« Je suis devenue consciente que je porte de la peur en
moi, que tout le monde porte de la peur, vous savez,
mais j’ ai peur en des moments où je pense que je ne
devrais pas avoir peur, comme peur de parler à des
inconnus. J’ ai plongé pour retracer l’ origine de ma
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peur, et c’ est un homme sans visage qui va me blesser
d’une manière ou d’une autre. Voilà de quoi je suis
effrayée, ultimement. […] Je suis effrayée qu’ un homme
va me blesser. […] Donc, ces policiers antiémeutes qui
protégeaient la Banque mondiale et le Fonds monétaire
international sont en quelque sorte devenus le symbole
de toutes mes peurs, de tous les hommes qui pourraient
me blesser, et j’ étais en fait bien prête à cela, je voulais
y faire face, je voulais y aller et me tenir debout contre
cet homme sans visage et simplement voir ce qui allait
survenir, vous savez. Mais nous nous sommes toutes
habillées en rose et argent et nous avons pris le métro et
nous étions excitées et nous lancions des cris de joie, et
quand nous sommes arrivées au parc, il y avait du rose
et de l’ argent partout. Et il n’ y avait pas de temps pour
être effrayée. »
Evans, 2003 : 294
Des unités d’armées de clowns, inspirées par le féminisme, laissent aux activistes l’ espace pour parler de leurs peurs et s’assurer
que le niveau de confrontation est déterminé par le groupe collectivement, et non par l’ adversaire, par la police (Starr, 2005 : 243). Il
s’agit d’un espace militant en principe plus accueillant que d’autres,
dont les Black Blocs qui comptent bien quelques femmes, mais où
les hommes ont tout de même tendance à se réserver implicitement
les rôles les plus prestigieux et à adopter des attitudes viriles et prétentieuses face aux femmes (Dupuis-Déri, 2007 : 147-150). C’ est
dans de tels contextes que règne l’ anarcho-patriarcat, ou manarchy
(en anglais), soit « un comportement agressif et compétitif au sein du
mouvement anarchiste, qui rappelle de manière effrayante les rôles
masculins de genre oppressifs traditionnels. Un tel comportement
inclut agir en macho […] de manière élitiste. La Manarchy produit
souvent de l’ exclusion. » (Maggie, Rayna, Michael et Matt, 2004).
Revenant sur la transgression des rapports entre les genres, une
des participantes du groupe Tactical Frivolity explique, en réfé-
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Nouvelles du front altermondialiste : l’ armée de clowns rebelles tient bon
rence aux manifestations de Prague, que « de mener une action
en costume de carnaval […] pour des femmes qui font face à une
unité policière antiémeute entièrement masculine, c’ est une façon
d’exploiter [leur] vulnérabilité, de leur faire voir [qu’ elles sont] des
gens, pas seulement des choses à frapper. Mais [elles ont] toutes été
frappées, malgré cela… » (Evans, 2003 : 294).
Tactique et répression policière
L’ anthropologue anarchiste David Graeber prétend que « les
gouvernements ne savent simplement pas comment réagir face à un
mouvement ouvertement révolutionnaire qui refuse de tomber dans
les attitudes convenues de la résistance armée » (Graeber, 2004 :
207). Voilà qui est peut-être un peu trop optimiste, considérant la
répression qui frappe le mouvement altermondialiste.
Cela dit, une membre du groupe Tactical Frivolity est émue
au souvenir de ces policiers de Prague qui reculaient devant une
activiste déguisée en fée géante avançant vers eux et elle rappelle
que des policiers ont même été aperçus dansant, devant un groupe
du Pink & Silver Bloc (Evans, 2003 : 290). Nicolas Haeringer, luimême un des clowns de la Brigade activiste des clowns (BAC),
explique que l’ action carnavalesque des clowns en manifestation
permet à ces activistes de transcender l’ institutionnalisation de la
contestation, qui consiste à se laisser encadrer par les policiers ou
son propre service d’ordre, ou à laisser prévoir qu’ en cas de turbulence, il y aura répression (charge, gaz lacrymogène, arrestations,
procès). L’ approche des clowns permettrait de « rester imprévisible.
À la confrontation et à la négociation, les clowns choisissent d’opposer la confusion. » (Haeringer, 2009) Lors d’une action comptant
une quinzaine de clowns qui portaient dans la rue une réplique d’un
porte-avions d’une quinzaine de mètres vers les bureaux du ministère de la Guerre, à Paris, les policiers qui demandent à parler au
responsable du groupe provoquent une certaine confusion : tous les
clowns lèvent la main en criant « Moi ! Moi ! », sauf deux clowns
qui s’approchent du policier en pleurnichant, se plaignant de ne pas
avoir été reconnus comme responsables… Dans la confusion, deux
clowns s’approchent d’un simple policier équipé de tout un attirail
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et lui disent : « Vu que t’ as le plus gros pistolet et un casque, c’ est toi
le chef ? » Au f inal, et même s’ils avaient encerclé les clowns et les
avaient menacés de les conduire au poste, les policiers acceptent de
les reconduire vers une station de métro, sous le regard fasciné des
passants, surtout des enfants (Ibid.). Cela dit, le clown ne se fait pas
d’illusion et n’ investit pas son action clownesque de plus de valeur
qu’ elle n’ en a : « La BAC ne cause qu’ un trouble inf ime à l’ ordre
établi. » (Ibid.) Loin de lui l’ idée de prétendre que la BAC fait la
révolution ; elle n’ est qu’ agitation, ce qui est bien peu, ou ce qui est
déjà beaucoup, selon la perspective adoptée.
Tactique et communication
Les grands sommets off iciels contre lesquels se mobilisent les
clowns et leurs alliés sont orchestrés par et pour une élite à la fois
politique, économique, militaire, qui contrôle un système raciste et
sexiste. Une seule lecture stratégique et anticapitaliste de ce qui est
en jeu ne semble pas épuiser les rapports de force qui s’expriment
lors de ces événements. Mais ces sommets ne sont pas « le » système,
ils en sont plutôt une représentation publique, une mise en scène,
courue d’ailleurs par des milliers de journalistes à qui les organisateurs de l’ événement offrent de nombreuses facilités (accréditation
au centre des médias, cocktails, etc.). C’ est sur ce spectacle que les
contestataires ont prise et leurs tactiques peuvent perturber la stratégie médiatique des élites.
Les clowns, en se donnant en spectacle, peuvent espérer attirer
l’ attention des médias plus facilement que de simples manifestants
déf ilant anonymement dans une foule83. Or, ce que les clowns rebelles envoient comme message, c’ est précisément la mise au jour
des rapports systémiques, puisque les clowns incarnent l’ antithèse
83
Des féministes ayant analysé les tactiques d’action de femmes aux ÉtatsUnis ont constaté que les performances militantes permettent d’accroître la couverture
médiatique, comme celle des membres de Women Against Violence Against Women,
en 1977 devant l’ hôtel de ville de Los Angeles, alors que sept femmes voilées de plus
de deux mètres de haut (de par le déguisement) se sont présentées avec une grande
bannière frappée du slogan « À la mémoire de nos sœurs : les femmes contre-attaquent »
(Lacy et Labowitz, 1998 : 39-41).
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absolue des élites – à plusieurs niveaux, dont le sérieux et la formalité de leurs formes expressives. Un Sommet du G8 déf ié par une
armée de clowns, c’ est le face-à-face absurde entre les huit individus les plus puissants de la planète et les individus en apparence les
plus faibles de la planète ; c’ est l’ incarnation de la structure la plus
élitiste et exclusive (le G8) et d’une organisation la plus égalitaire et
inclusive (les clowns) ; c’ est le spectacle le plus protocolaire d’autoglorif ication (le G8) et le cirque le moins protocolaire et le plus
(auto)dérisoire (les clowns). Ce n’ est pas un rapport dialectique, car
il n’ y a pas de synthèse possible entre la thèse et l’ antithèse ; c’ est
un rapport d’opposition absolu. Ici, l’ « espace public oppositionnel » (Negt, 2007) créé par la manifestive n’ a pas comme objectif de
permettre une délibération avec les élites, mais de diffuser directement, ou par l’ entremise des médias, un message qui nie totalement
la légitimité des élites et des systèmes qu’ elles dirigent (Gordon,
2009 : 253).
Clowneries et conscience politique
Évoquant à son tour la distinction entre stratégie et tactique, L.
M. Bogad (2005 et 2007) parle de « carnavals tactiques » pour désigner les carnavals anticapitalistes des dernières années. Contrairement aux carnavals classiques, où toute la population d’un village ou
d’une commune dansait et festoyait, les manifestives ne comptent
que quelques centaines ou milliers de manifestants qui s’y engagent
par conviction politique et beaucoup moins sur la base d’une appartenance à une communauté locale. Ces activistes viennent même
parfois d’ailleurs, et ce carnaval est aussi un moyen de communiquer avec un public extérieur, que ce soit les curieux dans la rue, ou
encore – et surtout – les journalistes et les médias, qui permettent
de rejoindre l’ « opinion publique ». « Le monde nous regarde ! »,
scandaient les activistes à Seattle. Un carnaval anticapitaliste a donc
une volonté d’influencer l’ opinion publique, de participer à la délibération sociale et politique, ou de se présenter comme un « espace
public oppositionnel » (Negt, 2007).
Ce qui peut également se jouer dans un carnaval, selon Kertzer,
c’ est la prise de conscience et la consolidation d’une conscience de
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« classe », si le carnaval offre la possibilité d’exprimer un « conflit de
classe ». Si les manifestantes et les manifestants peuvent appartenir
à la plèbe, ce n’ est pas la plèbe qui manifeste, mais des activistes qui
sont militantes et militants avant d’être plébéiennes et plébéiens.
Même en situation de répression, les activistes expérimentent collectivement un conflit social, qui s’articule sur les lignes de fracture
de la division du social. Selon Kertzer, « [p]lutôt que de simplement
servir de soupape de sûreté, et au renforcement de la hiérarchie
politique, le Carnaval [peut] plutôt polariser la communauté et accentuer les lignes du conflit de classes » (1988 : 150). C’ est à travers
ce moment conflictuel, lors duquel les forces en présence n’ ont pas
les moyens de renverser le système, que les rapports dialectiques
s’inscrivent dans la conscience politique.
Les activistes des Armées de clowns ne se limitent pas à faire
des pitreries en manifestant, mais travaillent activement à développer la conscience politique et à former des contestataires ; bref, à
stimuler le désir de vivre une expérience plébéienne. Ainsi, avant les
manifestations contre le Sommet du G8 à Gleneagles, en Écosse,
des sergents recruteurs du CIRCA ont effectué en autobus – alimenté au biodiesel – une tournée dans neuf villes où ils ont présenté
un spectacle en plein air, composé de performances parodiant une
guerre, un cours sur la désobéissance civile et une séance de recrutement, avec 18 marionnettes grandeur nature, pour se terminer
par la présentation de f ilms sur des actions de résistance dans le
monde. La formation, qui dure deux jours, comprend des séances
d’information sur les techniques de désobéissance civile et sur la
répression policière et juridique, sur le mode de fonctionnement
et le processus de prise de décision au sein de l’ armée, ainsi que
des explications pour bien faire le clown (maquillage, déguisement, attitudes) et des exercices (lors de la formation de l’ armée
de clowns à Montréal, en 2006, un clown professionnel a offert ses
services). Faire des clowneries relève d’un état d’esprit, plutôt que
d’une technique. Il faut redécouvrir son cœur d’enfant, développer
une disponibilité à passer d’une attitude à une autre en très peu de
temps : rire aux éclats puis s’effondrer en larmes, être effrayé puis
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soudainement être très affectueux. Le processus se terminait par
une opération consistant pour les clowns nouvellement formés à
aller prier les produits en vente dans des supermarchés. Cette « caravane » permettait aussi de diffuser de l’ information sur le Sommet
du G8 (Kolonel Klepto et Major Up Evil, 2005 : 251). Les mobilisations contre les sommets permettent de développer des lieux et
des processus de prise de décision collectifs, des codes délibératifs,
de nouvelles alliances et des liens de conf iance et de solidarité, de
partager des informations, des expériences, des connaissances et des
réflexions, de constituer des communautés (Ibid. : 249) et de consolider une solidarité mutuelle avec « d’autres en résistance », soit « des
communautés, des groupes, des mouvements sociaux, et des organisations non gouvernementales qui déf ient les diverses pratiques du
pouvoir dominant » (Routledge, 2009 : 82).
La référence à l’ anarchisme se fait d’ailleurs plus explicite dans
le mode de fonctionnement des unités de cette armée de clowns,
lors la CIRCA explique sur son site Internet qu’ elle « fonctionne de
façon horizontale […] sans chefs, ni commandement centralisé –
tout le monde est un off icier, un général et un simple soldat »84. Le
lieu de décision est le « conseil », agora composée de mandatés de
chaque « Blague » (gaggle), ou peloton de base (un groupe d’aff inité). N’ importe quel clown peut, cela dit, accompagner son mandaté
et se présenter au conseil, qui tente de fonctionner au consensus,
ou au vote à une majorité qualif iée à 75 %. Il est précisé que cette
« forme de conseil de démocratie directe a été utilisée par plusieurs
mouvements d’action directe à travers l’ histoire – des fédérations
anarchistes de la Guerre civile espagnole au blocage de l’ OMC à
Seattle, des usines autogérées de l’ Argentine aux plus récents soulèvements en Bolivie ». Toutefois, comme le constate Amory Starr,
les Blocs Roses sont anarchistes dans leur mode de fonctionnement, mais ne se réclament d’aucune idéologie. À Gênes, il avait
été annoncé qu’ aucun logo ou nom d’organisation ne serait bienvenu dans le Bloc, ce qui permet à celles et ceux qui ne s’identif ient
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http ://www.clownarmy.org/index.html
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pas comme anarchistes d’y participer en toute cohérence (Starr,
2005 :241). À défaut donc de participer au développement d’une
conscience de classe au sens marxiste, la mobilisation des armées
de clowns rebelles participe au développement d’une communauté
militante, qui se veut ouverte et pluraliste, tout en restant associée à une tradition politique radicale. Et pour Sean M. Sheehan,
auteur du livre Anarchism qui traite en introduction des Pink & Silver Blocs, la formation d’armées parodiques de fées et l’ utilisation
de pistolets à eau « n’ est pas l’ expression d’un gradualisme doux et
hippy, mais d’une représentation visuelle frappante et appropriée à
la dissidence publique, d’un mouvement d’opposition non hiérarchique » (2003 : 17).
Conclusion
Le « clownage rebelle » a des échos hors de l’ Occident. En 2007,
un groupe d’artistes turcs, Ic-mihrak85, qui s’identif ie comme anarchiste, a produit une œuvre visuelle représentant en premier plan
des singes-policiers antiémeutes devant un mur de brique sur lequel
sont aff ichés quatre exemplaires de la même aff iche, frappée du
slogan « World Riot » (émeute mondiale), et du texte « Vous pouvez tuer le protestataire ; vous ne pouvez pas tuer la protestation ! ».
Cette œuvre est dédiée à Alexis Griporopoulos (un jeune anarchiste grec tué par un policier dans les rues d’Athènes, le 6 décembre
2008) et à tous les activistes assassinés. Sur l’ aff iche : une tête sous
une cagoule noire et dont on ne voit que les yeux et un gros nez
rouge de clown86. Quant à l’ utilisation du rire par les mouvements
sociaux, 50 000 paysans en Inde ont passé une journée à rire devant
les bâtiments du gouvernement de Karnataka, qui a démissionné la
semaine suivante, et 100 000 personnes ont déf ilé à Mexico en solidarité avec les zapatistes, scandant « Premier monde, ha ! ha ! ha ! »
(Notes from nowhere, 2003 : 180). Rappelant Bakhtine, Martin
85
86
http ://icmihrak.blogspot.com/
L’ œuvre est reproduite en page couverture de la revue Anarchist Studies, vol.
17, nº 1, 2009.
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Breaugh (2007 : 51) précise que le rire carnavalesque compte trois
caractéristiques. Il s’agit de rire ensemble et de marquer une unité
au sein de la plèbe qui occupe la rue ; ce rire est ambivalent puisqu’ il
est joyeux mais aussi sarcastique, non violent mais insolent ; enf in,
il peut être autodérisoire, la plèbe se montrant elle-même comme
n’ ayant d’autre arme que le rire et riant d’elle-même.
Il conviendrait d’ajouter que si le clown rit beaucoup, il a parfois le rire explicitement triste et il lui arrive aussi de pleurer. Il
y a sans doute de quoi verser des larmes quand les forces révolutionnaires sont réduites à exécuter quelques pitreries aux portes du
palais. Saul Newman (2007 : 16) rappelle, après plusieurs avant lui,
que l’ acteur révolutionnaire d’aujourd’hui en Occident n’ est pas la
classe ouvrière, plutôt conservatrice, mais le mouvement altermondialiste, qui est une « force sans pouvoir » et qui cherche à fonder
une « souveraineté de faible » plutôt qu’ une « souveraineté de fort »
(il s’inspire ici de Jacques Derrida). Voilà qui apparaît comme une
réflexion alambiquée, mais ne fait-elle pas que dissimuler la défaite
derrière un écran de fumée conceptuel ?
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, après le f iasco de Stalingrad, plusieurs Allemands avaient appris à décoder les messages de la propagande et à inverser la signif ication de déclarations
annonçant que « tout va bien sur le front de l’ Est, nos troupes se
replient devant l’ ennemi et procèdent à une rectif ication du front ».
Traduction : les forces allemandes venaient à nouveau de se faire
massacrer et retraitaient en déroute (Klemperer, 1996 : 293). Dire
que l’ Armée des clowns tient toujours bon sur la ligne de front,
n’ est-ce pas avouer que nous n’ en sommes plus que là : à faire les
clowns, devant la puissance meurtrière et destructrice des puissants ?
Or voilà peut-être ce qu’ exprime aussi le clown triste : la
conscience et le sentiment d’être dans un monde où l’ injustice est
si profondément enracinée, si solidement incarnée dans la structure
du rapport de force, qu’ il n’ est possible que d’effectuer quelques
opérations tactiques, plus ou moins dérisoires. Ce n’ est pas rien,
mais ce n’ est pas beaucoup, ce n’ est pas assez...
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Ernst Bloch avait identif ié le « principe espérance » comme cette force dynamique qui fait avancer l’ humanité en quête de progrès.
Ce n’ est alors pas sans raison, peut-être, que Bakhtine indiquait
que les carnavals permettent l’ expression des « espérances populaires » (Bakhtine, 1970 : 212). Mais y a-t-il aussi, du côté des révoltés, un « principe désespérance », qui pousse à agir même lorsque
l’ action paraît vaine, lorsque le rapport de force est si défavorablement asymétrique que la révolution est plus que jamais nécessaire,
mais paraît plus que jamais improbable, pour reprendre les mots du
Comité invisible qui signait il y a peu le pamphlet L’ insurrection qui
vient ? Au f il des années, des études auprès des anarchistes montrent
une constante, soit qu’ une majorité d’activistes ne croient pas possible la révolution au cours de leur vie (Chan, 1995 ; Dupuis-Déri,
2004a ; Massé, 2008 : 181), mais cela n’ évacue pas pour autant la
possible rage du désespoir. Pour Bob Black, auteur d’Anarchy After
Leftism, « les nouveaux thèmes du Nouvel anarchisme, ou peut-être
mieux, des Nouveaux anarchismes ont également une résonnance
populaire pas parce qu’ ils se plient aux illusions dominantes mais
parce qu’ ils se plient (et pourquoi pas ?) aux désillusions dominantes » (1997 : 145).
Ce principe désespérance s’exprime dans une émotion de triste
révolte, et le clown peut très bien incarner ce sentiment au sein
d’une « émotion populaire », pour reprendre l’ expression qui désignait les émeutes aux XVIIème et XVIIIème siècles (Tournier, 2004).
Tout comme l’ activiste du Black Bloc, le clown rebelle triste et
tragique est alors une des formes que prend aujourd’hui ce principe
désespérance sur lequel repose la résistance contre l’ injustice, ici et
maintenant.
En ce sens, les divers éléments du « clownage rebelle », soit
la possibilité d’émancipation personnelle, le mode d’organisation
et le processus de prise de décision anarchistes, l’ ironie comme
force critique, l’ aspect manifestif et visuel qui marque une nouvelle génération d’actions et de manifestations politiques de toutes
sortes, la dimension historique et universelle du clown qui facilite
la diffusion d’un message critique, et son potentiel perturbateur
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sont autant d’éléments qui relèvent de l’ eff icacité politique limitée
mais réelle de cette pratique militante contemporaine. La f igure
du clown rebelle mais triste est enf in cohérente avec le principe
désespérance qui travaille l’ activisme radical du temps présent, car
elle offre l’ exemple d’un refus de l’ abandon et de l’ apathie, malgré
l’ incommensurabilité des forces en présence. Même si l’ action du
clown peut sembler dérisoire, voire sans espoir, elle reste tout de
même un signe de contestation, de résistance, de rébellion, indiquant qu’ il y a des valeurs autres que celles proposées et imposées
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