La révolte de Wat Tyler
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La révolte de Wat Tyler
La révolte de Wat Tyler Pourquoi une révolte daté de plus de six siècles nous intéresse-t-elle ? Car elle porte les germes des batailles à venir pour l'égalité. Car, sans se conclure par des avancées sociales, elle est un mouvement d'affirmation populaire de la dignité en lutte. Ses leaders, influencés par des idées nouvelles, ont porté l'espoir d'un changement. La violence est partagée de part et d'autre. La guerre civile n'est pas loin. Mais elle nous situe dans une perspective historique où des hommes préfèrent vivre debout qu'asservi par les privilèges. 1. L'Angleterre au XIVe siècle. En 1337 se déclenche une guerre avec le Royaume de France qui allait durer 116 ans. Edouard III gagne de nombreuses batailles afin de conserver la Guyenne. Le royaume d'Angleterre dépend du sel de Bretagne et du Poitou (pour conserver la viande), des vins de Guyenne (plus salubres que l'eau en mer) et de la vente de laine en Flandres. Le pays est devenu fortement artisanal et produit des draps. Les rois d'Angleterre ont fait venir des tisserands de Flandres pour ne plus être dépendants du contrôle de cette région par la France. Mais la grande peste noire de 1348-1349 décime la population européenne. Il y a pénurie de main d'oeuvre. Les métayers et les serfs sont en situation favorable vis à vis de leurs maîtres. La production alimentaire chute. Les prix des denrées augmentent. Les employeurs se plaignent des salaires trop élevés, entraînant des prix trop élevés pour écouler leurs productions agricoles. Inversement, la demande en draps et en tissus décroit. Les tisserands et les commerçants s'appauvrissent. En 1349, Edouard III adopte une ordonnance des travailleurs pour réglementer la sphère du travail. Elle devient un statut adopté par le Parlement en 1351. Le pouvoir étatique intervient pour interdire l’absence de travail (par des amendes, de la prison..) et fixer les salaires au niveau de 1346 (« que si un artisan ou un ouvrier reçoit un salaire plus élevé que celui qui lui est dû, il sera emprisonné »). La mobilité des travailleurs doit être éradiquée. Il faut se maintenir en emploi ou accepter toute injonction faite par le seigneur qui peut ordonner de prendre tel ou tel emploi autant aux hommes libres qu'aux serfs. Cette loi concerne surtout le monde paysan où le servage s'intensifie. Le statut est appliqué de manière très inégale en fonction des territoire mais dans certains comtés, les amendes constituent près d'un tiers des taxes payées. Ces taxes permettent de financer la guerre. Le climat est propice aux hérésies religieuses. Le grand schisme d'Occident voit deux papes s'opposer et s'excommunier entre Avignon et Rome. Les hérésies sont peu combattues. Comme celle de John Wyclif (1320-1384). Il est docteur en théologie à Oxford. Il critique les privilèges et les richesses des ecclésiastiques, ne se réfère qu'au contenu des Ecritures. Il traduit la Bible en anglais. Il critique les doctrines ecclésiales (indulgences, pénitence...) et le pouvoir du pape (qu'il veut désigner par tirage au sort). Il a des protecteurs dans la noblesse Version 1.1 du 27 février 2012 Page1 sur 4 intéressés par ses idées de redistribution des biens de l'église (notamment Jean de Gand, oncle de Richard II)1. Wyclif envoie à partir de 1380 ses disciples, appelés les pauvres prêcheurs (lollards) dans les campagnes pour qu'ils fassent connaître ses thèses religieuses égalitaristes. Elles sont diffusées aussi par des moines appelés Beghards. Ce sont des tisserands sans emploi qui vont d'un village à l'autre dans le Norfolk. Le théâtre et la tradition orale a aussi une place importante dans la société de l'époque. Pierre le laboureur (Piers Plowman) est une tradition littéraire mettant en scène des personnages typiques comme Pierre (dans le texte de William Langland) qui datent de l'époque de la révolte des paysans. Elle contribue à forger un certain esprit public. Il Ce sont des travaux anonymes mêlant fiction et histoire et qui reflètent satiriquement les griefs économiques et sociaux auprès des élites. Elles mettent en scène les relations entre le peuple et le roi. passe d'une revendication et de plaintes en direction de l'élite à une satire sociale. A partir de 1364, la guerre dite de Cent ans, prend un nouveau tour. Le roi français Charles V reconquiert patiemment le territoire perdu. Il bat Edouard III sur les mers en 1372 vers la Rochelle. En 1375, l'Angleterre ne possède plus que quelques villes (Calais, Cherbourg, Brest, Bordeaux, Bayonne...). En 1377, Edouard III meurt laissant son fils Richard II gouverner à l'âge de 11 ans. La pression fiscale sur les paysans est de plus en plus lourde. La noblesse laisse l'armée qui revient de France se payer en pillant le pays par des chevauchées. Les routes ne sont plus sécurisées et l'approvisionnement des villes est impacté. En 1381, le Parlement décide la levée d'une nouvelle taxe individualisée (poll tax). La noblesse et le clergé en sont exemptés. C'est la troisième fois depuis 1377 et cette fois-ci chaque personne de plus de 15 ans doit payer un shilling. C'est la capitation. Des commissaires royaux sont envoyés dans les campagnes pour éviter les fraudes. 2. La révolte des paysans Le 30 mai 1381, un collecteur d'impôt John Bampton arrive au village de Fobbing (Essex). Les villageois, menés par Thomas Baker, refusent de payer et le font repartir les mains vides. Le responsable de la Cour est envoyé sur place punir les opposants. Il est attaqué le 2 juin à Brentwood. Les nobles sont tués ou prennent la fuite. Au même moment, dans le Kent, Wat Tyler est un paysan qui a connu la guerre2. Retourné sur sa terre, un percepteur royal se présente chez lui et tente de se payer en essayant de violer sa fille de 15 ans. Encouragé par ses voisins, Tyler l'assassine à coups de marteau. Les paysans du Kent l'élisent chef des rebelles. Les insurgés de l'Essex et du Kent se rassemblent. La révolte se diffuse dans le Sussex. Ils marchent ensemble sur Londres. A Cantorbery (Kent), ils libèrent John Ball, disciple de John Wiclyf. Il aurait prêché l'égalité entre humains dans un sermon : « Quand Adam bêchait et Ève filait, où donc était le gentilhomme ?3 (…) De quel droit ceux qui s'appellent seigneurs, dominent-ils sur nous ? À quel titre ont-ils mérité cette position ? Pourquoi nous traitent-ils comme des serfs ? Puisque nous descendons des mêmes parents, Adam et Ève, comment peuvent-ils prouver qu'ils valent mieux que nous, si ce n'est qu'en exploitant nos labeurs, ils peuvent satisfaire leur luxe orgueilleux ? »4 1 2 3 4 Ses idées sont condamnées après sa mort au Concile de Constance en 1415. Il a influencé Jan Hus (par la femme tchèque de Richard II) puis Martin Luther. Il fut mobilisé pour faire la guerre en France selon Jean Froissart « When Adam delved and Eve span, Who was then the gentleman ? From the beginning all men by nature were created alike, and our bondage or servitude came in by the unjust oppression of naughty men. For if God would have had any bondmen from the beginning, he would have appointed who should be bond, and who free. And therefore I exhort you to consider that now the time is come, appointed to us by God, in which ye may (if ye will) cast off the yoke of bondage, and recover liberty » « Are we not all descended from the same parents, Adam and Eve? and what can they show, or what reasons give, why they should be more the masters than ourselves? except, perhaps, in making us labour and work, for them to spend. », Version 1.1 du 27 février 2012 Page2 sur 4 Sur leur chemin, les révoltés décapitent les hommes de lois chargés d'appliquer le Statut des Travailleurs qui tombent entre leurs mains. Le 10 juin, lorsqu'ils arrivent aux portes de la capitale, ils sont plusieurs dizaines de milliers. Les autorités sont surprises et dépassées. Une première fois, Richard II, âgé de 15 ans, va à leur rencontre à bord d'une barque sur la Tamise. Mais il prend peur et se réfugie à Londres. Les rebelles sont rejoints par des artisans et des commerçants de Londres qui leur ouvrent les portes de la villes et les aident à planifier des attaques sur les cibles politiques. William Tongue, un échevin leur ouvre les portes de la capitale. Les rebelles traversent le pont de Londres le 12 juin. Ils incendient le palais de Savoie où résidait Jean de Gand. Ils ouvrent les portes des prisons et détruisent les registres administratifs. Richard II rencontre les rebelles Chroniques de Froissart (XVe) Le roi se retranche dans la Tour de Londres. L'assaut est donné le 14 juin 1381. Lors de la prise de la Tour, l'archevêque de Canterbury est tué. Le roi s'échappe de justesse et accepte des négociations avec les paysans. 3. La trahison du roi Wat Tyler ne veut pas renverser le gouvernement mais exige des réformes. Tyler veut négocier directement avec le roi pour diminuer le pouvoir des seigneurs. Il impose une discipline à ses hommes en interdisant les pillages et en punissant de mort les fautifs. Il présente leurs revendications : la décapitation des juges, l'abolition du servage (« qu'aucun homme ne travaille pour un autre si ce n'est qu'il ne choisisse et que le contrat de travail soit écrit »), de la poll tax et l'abolition du privilège de chasse et de pêche de la noblesse. De son côté, le roi veut gagner du temps. Robert Knolles, capitaine anglais cruel et expérimenté est en train de lever une armée de 8000 soldats non loin de là. Il fixe un rendez-vous à Wat Tyler le lendemain. Pendant ce temps, la révolte s'étend dans le pays notamment dans le Norfolk. Le 15 juin, Tyler et le roi se rencontrent à Smithfield. Tyler, confiant, est venu relativement isolé. Il pense obtenir satisfaction pour ses revendications. Le roi le conforte dans ses illusions. La mort de Wat Tyler dans les chroniques de Froissart Version 1.1 du 27 février 2012 Page3 sur 4 Chroniques de Froissart (XVe) Quand Wat Tyler remonte à cheval, William Walworth, le Lord maire de Londres, s'approche et l'insulte. Furieux Wat Tyler dégaine son épée. Prétextant de vouloir défendre le roi, Walworth porte un coup d'épée à Tyler et le tue. Richard II mobilise sa ruse pour calmer les insurgés et leur déclarer « Vous n'avez d'autre chef que moi »5. Il tente de faire croire que Tyler est un traître ou qu'il lui a rendu hommage. Robert Knolles attaque pendant ce temps. On compte au moins 1500 morts parmi les paysans dont Jack Straw, un autre leader. Les troupes royales pourchassent les rebelles. John Ball, capturé dans une ancienne abbaye, est pendu et écartelé. L'évêque de Norwich manœuvre pour acculer les paysans. Une bataille a lieu dans le Nord Walsham le 25 juin où un autre leader, tisserand, Geoffrey Lister, est capturé et exécuté. Ce n'est que le 30 août qu'un ordre royal suspend les représailles. On ne parle plus de poll tax même si cet impôt se met en place sous d'autres formes. En 1388, Richard II6 renforce encore le statut des travailleurs. Il assimile tout mendiant valide7 aux vagabonds qui relèvent de mesures de police. Il demande également que les employés qui quittent leur place soient munis d'une attestation certifiée. Tous ceux de plus de 12 ans qui ne l'ont pas sont enfermés ou affectés de force aux travaux agricoles. Les étudiants et les pèlerins doivent attester de leur destination. La guerre avec la France est loin d'être terminé et, avec elle, l'encadrement fiscal, légal et militaire de la population. Manu Bodinier SOURCES . Les sources sont lointaines et contradictoires. De plus, elles proviennent de membres des classes supérieures et non des révoltés eux-mêmes. Je me suis principalement appuyé sur des informations de seconde main et parfois sur des extaits de l'époque et des analyses d'historiens. WIKIPEDIA, « Wat Tyler », http://fr.wikipedia.org/wiki/Wat_Tyler, 10 septembre 2012 WIKIPEDIA, « la Révolte des paysans », http://en.wikipedia.org/wiki/Peasants%27_Revolt , 10 septembre 2012 FROISSART Jean, La révolte de Wat Tyler dans « Chroniques » DUBY Georges (1971), Les sociétés médiévales : une approche d'ensemble. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 26E année, N. 1. pp. 1-13, http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395- 2649_1971_num_26_1_422453 5 6 7 « You shall have no captain but me » Shakespeare fera une pièce de théâtre de la fin du règne de Richard II en 1595. « every person that goeth to begging and is able to serve or labor » Version 1.1 du 27 février 2012 Page4 sur 4