migration et traite des êtres humains
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38 Birmanie: les personnes déplacées RMF 30 Migration et traite des êtres humains : agir pour protéger les droits de la personne Nikolas Win Myint Dans tout le Myanmar, les populations sont en mouvement, que ce soit à l’intérieur du pays ou pour traverser la frontière, poussées par le besoin ou par l’espoir d’un futur meilleur. Pour beaucoup, ces espoirs se réalisent partiellement. Pour d’autres, par contre, cette migration les met sur le chemin de l’exploitation, de la violence, des maladies et de la mort. La traite des êtres humains – la traite des esclaves moderne dont sont victimes les hommes, les femmes et les enfants – sévit tout autour du monde, toutefois le peu de données disponibles indiquent que l’Asie Selon la Convention contre la criminalité transnationale organisée, la traite des personnes comprend trois éléments distincts: premièrement, l’acte de la traite, c’est-à-dire recruter, transporter ou abriter une personne; deuxièmement, les moyens utilisés, qui doivent impliquer soit la coercition (usage de la force ou menaces), soit la tromperie ; et enfin le but de la traite, c’est-à-dire l’exploitation, sexuelle ou économique.1 On parle de la traite uniquement lorsque ces trois éléments sont réunis.2 Kay Chernush for the US State Department. Cette femme birmane, qui s’est échappée après avoir subi le trafic des personnes dans un atelier de misère pour faire des vêtements, apprend maintenant l’artisanat traditionnel dans l’abri Baan Kredrakarn tenu par le gouvernement à Bangkok, Thaïlande. des personnes. Toutefois un petit nombre d’agents de lutte contre la traite des êtres humains, soutenus par des politiques gouvernementales, ont réussi à changer les choses ces dernières années. du Sud-Est en est une plaque tournante. Dans cette région, la traite commence souvent au Myanmar, puis passe par la Thaïlande ou la Chine. Le nombre annuel de victimes reste inconnu et les estimations varient de 3 000 à 30 000 personnes. Peu de personnes s’attendent à ce que ce crime soit combattu au Myanmar. La traite des personnes a pour origine non seulement la pauvreté et les différences économiques, auxquelles il n’est pas facile de remédier, mais combattre la traite des personnes nécessite aussi une réponse complexe, qui implique le respect des droits de la personne et de l’état de droit par de nombreux ministères et des fournisseurs de services non étatiques. Dans son rapport annuel sur la traite des personnes, le Ministère de l’intérieur américain a donné au Myanmar le niveau le plus bas (niveau 3), affirmant que son gouvernement n’avait pas réussi à s’attaquer à la traite En suivant cette définition, la traite n’est pas toujours un crime facile à identifier. Les personnes migrent souvent de leur propre gré, même si c’est pour se retrouver dans des situations qui se rapprochent de l’exploitation économique, simplement parce que cette nouvelle situation représente pour eux une amélioration. Il arrive aussi que certaines personnes soient dupées et se retrouvent dans des situations où leur salaire est moins élevé, les heures travaillées sont plus longues ou les conditions sont moins avantageuses que ce qui avait été convenu; toutefois, tant que ces personnes acceptent ces conditions sans qu’on ne les force, il ne s’agit pas, légalement, de la traite des êtres humains. A l’opposée, les individus peuvent décider initialement de migrer de leur propre gré puis se retrouver plus tard dans une situation de traite des personnes. Mettre en pratique cette définition représente ainsi un des principaux défis des interventions de lutte contre la traite des êtres humains. Il est toutefois indispensable de relever ce défi afin d’apporter de la protection et l’assistance aux personnes qui en ont le plus besoin. Migration et traite des êtres humains L’exploitation revêt diverses formes, tout autant que la traite des personnes. La traite représente principalement un crime contre un individu et, comme les autres crimes de cette nature (le meurtre, le viol, l’enlèvement), il est difficile d’en parler de manière générale. Néanmoins, en se basant sur des entretiens avec des victimes et des criminels, ainsi que des organisations d’aide aux victimes et des employés des services juridiques, une vue d’ensemble de la traite des êtres humains au Myanmar se dégage, qui est avant tout l’image de migrations qui se dégradent. Le Myanmar, situé à l’intersection d’anciennes routes commerciales, a depuis longtemps connu des mouvements migratoires. De nos jours, les disparités économiques dans la région poussent nombre de jeunes à migrer dans l’espoir de trouver un meilleur avenir. La plupart de ces migrants ne sont pas victimes de la traite des personnes. Pour certains d’entre eux, toutefois, le processus de migration se passe au plus mal, et ils se retrouvent à la merci des trafiquants. Parfois, ces trafiquants sont des intermédiaires qui emmènent les migrants vers des destinations autres que celles initialement prévues; parfois, ce sont des employeurs qui exploitent le travail des migrants. Alors que l’exploitation sexuelle des femmes au travers de la prostitution forcée a souvent été mise en lumière, on reporte aussi de nombreux cas d’exploitation économique de femmes et d’hommes en usine, ainsi que d’hommes dans l’industrie de la pêche. Réduire la pauvreté dans le pays d’origine peut aider à réduire l’envie de migrer à l’étranger. Cependant, la migration provient souvent de la perception de différences économiques relatives et du manque d’opportunités dans le pays d’origine en comparaison avec les pays étrangers. Ainsi, le but des interventions contre la traite des personnes ne doit-il pas être de mettre fin aux mouvements migratoires, mais bien de mettre fin à la traite des personnes. Dans ce domaine, de nombreux changements encourageants ont RMF 30 d’ailleurs vu le jour au Myanmar ces dernières années. De grands progrès ont été effectués afin de protéger les migrants tout autant que de secourir les victimes de la traite. La loi contre la traite des personnes du Myanmar, entrée en vigueur en septembre 2005, apporte une protection juridique particulière à ces victimes, y compris une immunité contre les poursuites judiciaires et une assistance juridique, médicale et financière si nécessaire. Cette loi a aussi pour but de rendre plus facile l’accès les services d’aide aux victimes, tout en rassurant ces dernières quant à l’intervention des services de police ou d’immigration. Simultanément, depuis 2005, de nombreuses campagnes de prévention ont été menées par bus, sur de longues distances, et dans des gares routières. Des animateurs sont formés afin d’instruire les populations non seulement au sujet des dangers de la traite des personnes, mais aussi afin d’offrir des informations sur les droits fondamentaux, des contacts utiles et des mots-clés. D’abord proposés dans les stations autour de Yangon, ces services ont maintenant été étendus sur Mawlamyine, une ville de transit aux abords de la Thaïlande. Les passagers à bord des bus en destination de la frontière sont ciblés, on leur montre des films sur la traite des personnes et on leur distribue des prospectus. En 2006, cette initiative a ciblé plus de 500 000 personnes. Parallèlement à ces efforts pour rendre la migration plus sure, d’autres efforts sont aussi effectués afin d’offrir une plus grande protection et une meilleure assistance aux victimes. Une initiative prometteuse est de renforcer les Postes de liaison aux frontières (PLF) - postes frontaliers établis en coopération avec l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC) afin de combattre le trafic de drogues - et d’étendre leur mandat afin de couvrir la traite des êtres humains. L’objectif principal de cette tâche n’est pas d’empêcher les personnes de traverser les frontières poreuses mais plutôt de faciliter la coopération transfrontalière entre les organisations gouvernementales afin d’aider les victimes à retourner chez elles saines et sauves. Travaillant avec les services d’immigration, la police et les services sociaux de chaque côté de la frontière, les PLF offrent maintenant un soutien aux victimes tout au long de leur voyage de retour. Au bout de ce voyage, les ONG locales et internationales sont encouragées à Birmanie: les personnes déplacées venir en assistance aux victimes de la traite des êtres humains, par le biais de soutien psychosocial, financier ou médical, de regroupement familial, de formation professionnelle ou de formation aux moyens de subsistance. Comme de nombreuses organisations communautaires sont formées pour offrir ce type d’assistance, les communautés locales sont de plus en plus à même de combattre la traite des êtres humains dont leurs membres sont victimes. Connaissances acquises Des travailleurs dédiés à leur tâche, à quelque niveau que ce soit – gestion communautaire, fonctionnaires, employés de l’ONU ou d’ONG – ont mis en place et fait fonctionner ce système. Pourtant l’une des conditions sine qua non pour mettre en lumière le problème de la traite des êtres humains était que le gouvernement du Myanmar en reconnaisse l’existence, et qu’il veuille y apporter des solutions. Ce succès est lié en partie à la mise en place d’un processus innovant dans la région, selon lequel les six gouvernements de la sous-région du Mékong, avec le soutien d’experts envoyés par l’ONU, s’engagent à coopérer pour lutter contre la traite des êtres humains. Ce processus, connu sous le nom d’Initiative ministérielle coordonnée du Mékong contre la traite des personnes, ou COMMIT, a été lancée officiellement en octobre 2004 par le Cambodge, la Chine, le BRD lao, le Myanmar, la Thaïlande et le Vietnam.3 Le COMMIT a permis que soit officiellement reconnue l’importance du problème de la traite des êtres humains, mais aussi d’offrir une plateforme d’action en créant un partenariat entre le Myanmar et les pays voisins. Le COMMIT a aussi permis de construire un réseau de fonctionnaires gouvernementaux à travers la région, permettant à ceux-ci de partager leurs expériences et facilitant ainsi l’adoption des meilleures pratiques internationales au Myanmar. Cela a créé l’espace nécessaire pour que les ONG et les agences de l’ONU luttent contre la traite des êtres humains au Myanmar, ainsi qu’une politique de soutien au sein du gouvernement, avec une approche centrée sur les victimes, comprenant d’importantes mesures de protection. Enfin, en incluant des évaluations régulières des progrès effectués lors des réunions intergouvernementales, ce processus a créé une compétition entre les six gouvernements, ce qui permet à la lutte contre la traite des êtres humains de maintenir son intensité. Toutefois, même si ce sont là des progrès encourageants, il reste beaucoup à faire. Il existe au moins trois grands défis à venir pour les individus engagés dans la lutte contre la traite des êtres humains au Myanmar : nn S’assurer que l’assistance est ciblée vers les personnes qui en ont le plus besoin nn Réduire le nombre de victimes grâce à des actions de prévention efficaces: nn Il existe toujours des désaccords quant à savoir si la prévention est préférable à l’origine ou à l’arrivée, le long des routes de transit ou dans les villes frontalières ou entre les deux. nn Coordonner les activités de lutte contre la traite des personnes afin d’assurer la complémentarité des approches: le gouvernement de Myanmar a mis au point un Plan d’action national en consultation avec des organes de l’ONU et des organisations de protection des victimes. Il reste encore beaucoup à faire pour lutter contre la traite des êtres humains et les réponses actuelles sont loin d’être parfaites. Toutefois, dans un contexte où l’aide humanitaire se heurte à de nombreux défis opérationnels et politiques, les initiatives de la lutte contre la traite sont toujours les bienvenues. Le combat contre la traite des êtres humains est aussi un combat contre le VIH, la corruption et le crime organisé. De manière plus importante encore, c’est un combat pour les droits de la personne, pour les libertés personnelles et pour l’Etat de droit. Les progrès sont souvent lents et sont souvent légers – mais il ne faut pas qu’ils passent inaperçus. Nikolas Win Myint a travaillé au Myanmar de 2003 à 2007, récemment en tant que Gestionnaire des programmes par pays pour le Projet interorganisations de l’ONU sur la traite des êtres humains dans la sous-région du (UNIAP www.notrafficking.org). Cet article est écrit à titre personnel et ne représente pas forcément les points de vue de l’ONU. 1. Définition complète sur: www.unodc.org/unodc/en/ treaties/CTOC/index.html Voir aussi RMF n° 25 sur: « Traite des êtres humains : préserver les droits et comprendre les failles » sur www. fmreview.org/FMRpdfs/FMR25/FMR25full.pdf 2. Les mineurs de moins de 18 ans en sont toutefois une exception, car la question des moyens ne se posent pas, puisque les gouvernements ont décidé lors de la Convention que les mineurs ne peuvent consentir à de telles actions, ni qui que ce soit en leur nom. 3. Voir qrticle de Susu Thatun de l’UNIAP « La région du Mekong engagée pour mettre un terme à la traite des êtres humains », RMF 25, www.fmreview.org/ FMRpdfs/FMR25/FMR2509.pdf 39