RDS HSH CI
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RDS HSH CI
Adapter un recrutement ‘Respondent Driven Sampling’ (RDS) au téléphone : premier retour d’une étude ivoirienne auprès d’hommes ayant des rapports entre hommes Yves Fradier1, Lacina Traore2, Serge Niangoran3, Abdul Dosso4, Maxime Inghels5, Anne Bekelynck3, Christine Danel3, Lazare Sika4, Joseph Larmarange5 pour le groupe DOD-CI ANRS 12323 1. 2. 3. 4. 5. IPSOS Observer, Paris, France IPSOS, Abidjan, Côte d’Ivoire PAC-CI, Abidjan, Côte d’Ivoire, et INSERM U1219, Bordeaux France ENSEA, Abidjan, Côte d’Ivoire Ceped, IRD, Paris, France Mots-clés : RDS, téléphone mobile, Côte d’Ivoire Thématique : Enquêtes dans les pays en développement 1. Stigmatisation de l’homosexualité en Afrique sub-saharienne, et en Côte d’Ivoire Les HSH (hommes ayant des rapports sexuels entre hommes) sont considérés comme une population relativement difficile à recruter, notamment dans un contexte de faible acceptation sociale de l’homosexualité et de stigmatisation. Pendant longtemps, l’idée d’un Afrique purement hétérosexuelle a dominé.1 Ceci peut concourir à expliquer le retard pris dans la prise en charge du sida en Afrique : la transmission du virus se faisant en grande partie à l’occasion de rapports homosexuels, elle ne pouvait pas exister. La pratique homosexuelle a longtemps été extrêmement stigmatisée comme étant « nonafricaine ». Des déclarations publiques d’une grande violence au plus haut niveau ont par exemple été faites par le président du Zimbabwe, Robert Mugabe, qui, en 1995, reprocha aux homosexuels de se comporter « pire que des chiens ou des porcs ». En 2016, la moitié des pays d’Afrique sub-saharienne condamne légalement l’homosexualité. La Mauritanie, le nord du Nigéria, certaines parties de la Somalie et le Soudan, la punissent par la peine de mort. Une théorie intéressante prétend cependant, que suite aux politiques coloniales en Afrique, ce n’est pas l’homosexualité qui a été importée sur le continent sub-saharien par les occidentaux, mais plutôt l’homophobie. 2 La Côte d’Ivoire affiche la plus forte prévalence du VIH au sein de la population adulte en Afrique de l’Ouest, soit 3.4%. Les rapports sexuels entre hommes étant généralement niés par la société, peu d’études se sont penchées sur la question. Population invisible ou oubliée, les HSH en Afrique vivent dans un climat extrêmement difficile caractérisé par 1 Heterosexual Africa ? the history of an idea from the age of exploration to the age of AIDS, Athens, Ohio University Press, 2008 2 DP Amory, Homosexuality, Africa : Issues and Debates, Issue : A Journal of Opinions, vol.25 n°1, 1997 l’ostracisme, l’homophobie, et la violation des droits humains. Le droit ivoirien ne punit pas explicitement les relations sexuelles entre personnes du même sexe, mais réprouve les outrages publics à la pudeur (article 360 du code pénal ivoirien). Les HSH font très souvent face à divers types de harcèlement par les autres membres de la société (y compris dans les administrations, la police, les leaders religieux) 3. Cependant, la société ivoirienne peut être considérée comme étant relativement clémente au vu du contexte sub-saharien en général. 2. Le RDS s’impose comme le mode de collecte à utiliser Maryse Marpsat et Nicolas Razafindratsima posent la question : « qu’est-ce qu’une population difficile à joindre » ?4 plusieurs critères, parfois cumulatifs, peuvent définir une telle cible : • • • • Une population faible en effectif Difficile à identifier Sans base de sondage disponible Dont les personnes concernées ne souhaitent pas révéler leur appartenance à la population d’intérêt Les HSH en Côte d’Ivoire répondent à tous ces 4 critères. Le RDS s’impose comme étant la méthode à utiliser. Le RDS, échantillonnage déterminé par les répondants en français, a été introduite par Heckathorn en 1997, dans le cadre d’une recherche-action ayant pour but la prévention du sida auprès des utilisateurs de drogues par injection. Les populations difficiles à joindre se retrouvent souvent sous forme de réseaux, c’est le cas des HSH5. 3. Rappel sur une enquête RDS menée auprès d’une cible d’homosexuels masculins à Abidjan en 2012 En 2012 a été menée une enquête RDS auprès d’HSH à Abidjan. L’objectif de l’étude était de mesurer la prévalence de l’infection au VIH, de la gonococcie, et de la chlamydiose. Elle visait également à déterminer les facteurs associés à l’infection au VIH et à estimer la taille de la population des HSH à Abidjan. 3 Etude sur le VIH et les facteurs de risque associés chez les HSH à Abidjan, Côte d’Ivoire, Ministère de la Santé et de la lutte contre le VIH/sida 4 Maryse Marpsat (INSEE) et Nicolas Razafindratsima (INED), « les méthodes d’enquêtes auprès des populations difficiles à joindre », Methodological Innovations Online, 2010 5 Le sondage déterminé selon les répondants : un survol méthodologique, Pierre Lavallée, Statcan La taille de l’échantillon a été fixée à 600 hommes, d’au moins 18 ans, ayant eu des rapports sexuels avec des hommes au cours des 12 derniers mois, résidant à Abidjan dans les 6 mois précédant l’étude. Le mode de collecte était le face à face CAPI, effectué sur deux sites situés à Treichville et Abobo. Un test de dépistage au VIH était proposé aux participants, à l’issue de l’interview. Selon cette étude la prévalence du VIH dans cette population serait de 19%. 113 personnes sur les 581 qui ont acceptées le test, ont été dépistées positives au VIH. 53 sur ces 581 ont refusé de prendre connaissance du résultat. 21 d’entre eux étaient positifs. Les auteurs soulignent que « certains sous-groupes pourraient avoir été sous-représentés. C’est le cas des hommes de plus de 40 ans qui n’ont que peu participés à l’étude, probablement en raison d’une crainte du dévoilement de leur statut de HSH. » 59% de l’échantillon interrogé sont âgés de 18 à 24 ans 5 graines constituaient la vague 0. 601 personnes ont été interrogées en tout. Le nombre maximal de vague pour une chaine de recrutement, c’est-à-dire le nombre maximal d’individus entre une graine et la fin d’une chaine était de 12. Deux graines sur les 6 n’ont recrutés personne. La moitié des répondants ont déclaré avoir participé pour bénéficier du test de de dépistage. Un peu plus de la moitié d’entre eux sont persuadés de l’illégalité du fait d’avoir des relations sexuelles entre hommes en Côte d’Ivoire. Verbatim illustrant la stigmatisation : « Nos voisins proches eux, avec eux, c’est toujours les calomnies, voilà. C’est-à-dire, c’est les médisances. Avec eux, ils disent généralement que l’homosexuel est maudit, c’est un raté, c’est un extra-terrestre. En tous cas, l’homosexuel est synonyme de tout ce qu’il y a de négatif, de tout ce qu’il y a de perdu dans ce monde. Il est synonyme même à la malédiction, à l’horreur ». Les auteurs soulignent également que « l’intérêt suscité par l’étude dans la communauté a eu pour conséquence une affluence importante dans les sites d’études, engendrant parfois un temps d’attente trop long des participants ». Ce dernier point confirme ce que nous savons par ailleurs des enquêtes en Côte d’Ivoire, si on les compare à la France : un taux de participation, voire une appétence, particulièrement élevés. 4. Le téléphone mobile en Côte d’Ivoire, meilleur ami du sondeur L’enquête DOD-CI a connu une première phase de test, dont l’objectif était d’établir les conditions de la faisabilité d’une grande enquête CATI en Côte d’Ivoire. Le terrain de ce test a été effectué par Ipsos en 2013. Il a démontré que 2.5 n° de téléphone mobile générés aléatoirement sont suffisants pour effectuer une interview, soit 2 fois moins qu’en France à méthode similaire (5.2 constatés sur l’échantillon mobile de KABP en 2010). Suite à cette enquête, un second test a été mené sur le site Ipsos d’Abidjan, utilisant des téléphones mobiles, et mené par les enquêteurs face à face, formés rapidement au téléphone pour l’occasion. Les résultats méthodologiques de ce test ont été présentés lors du précédent colloque francophone à Dijon en 2014. A l’époque, nous n’avions pas dévoilé les réponses aux questions posées, qui portaient sur les intentions de vote à l’élection présidentielle qui devait avoir lieu plusieurs mois après. Nous pouvons dire aujourd’hui que 57% des personnes interrogées exprimaient l’intention de voter Allassane Ouatara, qui a été finalement élu avec 83.66% des voix. Le tableau ci-dessous a notamment été présenté, qui montrait l’extrême rareté de la nonréponse en Côte d’Ivoire. Il doit être lu ainsi : Pour obtenir 103 interviews, les enquêteurs d’Abidjan ont dû appeler 211 numéros différents 1 fois chacun. Parmi ces 211, 19 n’étaient pas francophones, 47 étaient à rappeler, 21 ont interrompus l’interview, et 21 ont refusé. Pour l’exercice on a comparé ces résultats avec le début de l’exploitation de l’échantillon mobile du Baromètre Santé de l’INPES, dont le terrain a été réalisé par Ipsos en France au même moment : au bout de 211 numéros appelés 1 fois, nous avions réalisé 3 interviews, 137 étaient à rappeler, 45 n’avaient pas décrochés. Nombre d'Appels Nombre d'appels effectués Nombre d' interviews complètes Nombre d' interviews interrompues Nombre de refus à rappeler (tous types) NRP non francophone numéros non attribués CI 211 103 21 21 47 0 19 0 % France % 100% 211 100% 49% 3 1% 10% 2 1% 10% 2 1% 22% 137 65% 0% 45 21% 9% 0 0% 0% 22 10% Une autre expérience, cette fois ci par SMS vient d’être menée par Ipsos (2016) sur les comportements et modes de vie, dans plusieurs pays Africains, occasionnant des taux de participations étonnants : Afrique du Sud RDC Kenya Nigeria Count Percent Count Percent Count Percent Count Percent Nombre de n° sollicités 920 100% 1694 100% 991 100% 1693 100% Interviews complètes 300 33% 300 18% 300 30% 300 18% Interviews interrompues Refus 26 3% 46 3% 40 4% 53 3% 5 1% 3 0% 4 0% 1 0% Hors champ de l'enquête Non réponse 10 1% 29 2% 23 2% 8 0% 579 63% 1316 78% 624 63% 1331 79% Le taux oscille selon les pays entre 18 et 33%, ce qui est extrêmement élevé. Pour ce type de mode de recueil, les taux de réponses en Europe sont de l’ordre de 2-3%. 5. Présentation de l’enquête DOD-CI Le projet Demande et Offre de Dépistage du VIH et des hépatites virales en Côte d’Ivoire (DOD-CI ANRS 12323), mené conjointement par l’Institut d’Ethnosociologie (IES) de l’université Felix Houphouët Boigny d’Abidjan, l’École Nationale Supérieure de Statistique et d’Économie Appliquée d’Abidjan (ENSEA), le programme PAC-CI (site ANRS de Côte d’Ivoire) et le Centre Population et Développement (Ceped, Paris), prévoit la réalisation de plusieurs enquêtes par téléphone, dont un volet par tirage aléatoire en population générale et un volet auprès d’Hommes ayant des rapports Sexuels avec d’autres Hommes (HSH). 6. Présentation du CATI d’Ipsos Côte d’Ivoire La collecte assistée par téléphone et informatique (CATI) est un mode de collecte quasiinédit en Côte d’Ivoire. La société IPSOS Côte d’Ivoire, retenue pour la réalisation de ces études, s’est dotée d’un site CATI spécifiquement à l’occasion de ce projet. 7. Le volet RDS de DOD-CI sur les homosexuels masculins sera CATI Pour son volet population générale, le projet DOD-CI a opté pour une approche CATI. Il a donc été décidé d’adapter la méthodologie RDS à une passation téléphonique pour le volet HSH du projet. L’objectif de cette communication sera de présenter les adaptations méthodologiques, les défis posés par sa mise en œuvre et les premiers retours de terrain de cette expérimentation inédite. 8. Protocole d’étude L’effectif cible du volet HSH est de 900 questionnaires complétés. Pour démarrer l’enquête, six à neuf personnes seront recrutées pour participer via des associations communautaires. Ces premiers participants constitueront les « graines » de l’enquête. Chaque répondant sera invité à recruter trois autres HSH dans leur entourage. Ils recevront un SMS de rappel avec la procédure de recrutement, à savoir que les personnes recrutées devront contacter une hotline téléphonique, accessible via un numéro gratuit, pour prendre un rendez-vous en vue de la passation du questionnaire. Lors de cette prise de rendez-vous, le numéro de téléphone du recruteur sera demandé au recruté. En effet, la connaissance du réseau de recrutement est nécessaire pour analyser comment le profil des répondants évolue en fonction de leur position dans le réseau de recrutement, et pour pouvoir calculer une pondération prenant en compte la forme de ce réseau. Une incitation financière pour les recruteurs est mise en place sous la forme de 1500 FCFA (2,27 €) de crédit téléphonique par personne recrutée ayant complété un questionnaire. À leur tour, les personnes recrutées seront invitées à recruter trois autres personnes. Le nombre de personnes recrutées est limité à un maximum de trois par recruteur afin d’éviter des effets de grappes trop prononcés. 9. Enjeux IPSOS Côte d’Ivoire s’est doté d’un site CATI spécifiquement à l’occasion de cette étude. Les équipes locales, habituées à des questionnaires papiers administrés en face-à-face, vont devoir réapprendre le métier de l’enquête avec ces nouveaux outils. Il s’agit de la première fois, à notre connaissance, qu’une méthodologie RDS sera adaptée par téléphone en contexte Africain. Si cette approche a montré à plusieurs reprises sa faisabilité en termes de recrutement dans la population HSH en Afrique subsaharienne dans le cadre d’enquêtes en face-à-face où les participants étaient invités à se rendre physiquement dans un site dédié à l’enquête, l’efficacité de ce mode de recrutement dans son adaptation téléphonique reste inconnue. D’un côté, l’intérêt à l’enquête ou l’incitation financière pourrait être moindre par rapport aux enquêtes en face à face menées précédemment dans le pays qui incluaient, en plus, un remboursement des frais de transport pour se rendre sur le lieu de l’enquête ainsi qu’un examen clinique et une prise en charge gratuite des infections sexuellement transmissibles. Dans sa version téléphonique, il n’y aura pas d’intérêt clinique à participer à l’enquête. D’un autre côté, dans un pays où l’homosexualité reste stigmatisée et peu acceptée socialement, une enquête par téléphone pourrait permettre de recruter plus facilement des hommes (par exemple au-delà de 40 ans) qui n’auraient pas participé à une enquête en face à face de peur d’être physiquement « vus » par les enquêteurs. Une enquête téléphonique pourrait, de plus, lever la barrière géographique. En effet, les personnes enquêtées peuvent ainsi recruter des connaissances qui habitent dans une autre région du pays, ce qui n’est pas possible dans le cadre d’une enquête RDS en face à face classique. Dès lors, l’approche téléphonique pourrait potentiellement capter une population plus « large » qu’en face à face et arriver à joindre des personnes au profil différent, plus discrètes et plus éloignées du « milieu homosexuel ». Enfin, le dernier enjeu est celui de la rapidité d’exécution du terrain vs le face à face, directement fonction de l’efficacité des recrutements. 10. Résultats Comparaison structure de la population DOD-CI vs 2012 L’enquête doit démarrer en septembre 2016. Nous proposons donc de présenter en « avantpremière » au colloque les premiers résultats en matière de recrutement et les premiers retours de terrain sur les difficultés, ou non, de mise en place de cette étude. 11. Bibliographie Heckathorn D. (1997) Respondent Driven Sampling: A new approach to the study of hidden populations. Broqua C., Fillieule O. Roca I Escoda M. Sur le faconnement international des causes liées à la sexualité Broqua C. L’émergence des minorités sexuelles dans l’espace public en Afrique Larmarange J. (2016) Faisabilité et représentativité d’une enquête téléphonique avec échantillonnage aléatoire de lignes mobiles en Côte d’Ivoire Gile K., Hancock M., Respondent Driven Sampling : An assessment of current methodology Marpsat M. Razafinddratsima N., les methods d’enquêtes auprès des populations difficiles à joindre Lavallée P. le sondage déterminé selon les répondants : un survol méthodologique Quaglia M., Vivier G. (2006) enquêtes auprès de populations difficiles à joindre : principes méthodologiques et adaptations pratiques